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On tira à l’empereur
une balle en pleine figure, lui emportant la moitié de la tête. On considéra
que le danger, pour le bonheur universel, des quatre grandes-duchesses, des
jeunes filles de 22, 21, 19 et 17 ans, était si grand qu’on donna le coup
de grâce à chacune, dans la tête. La princesse Olga était une grande et forte
jeune fille et pour l’achever, on lui brisa les côtes à coups de baïonnette. On
brûla les corps du tsarévitch Alexis et de la princesse Maria. On aspergea d’acide
le visage des autres. Pour les rendre méconnaissables.
On va maintenant publier de plus en plus d’informations sur
le crime monstrueux qui fut commis dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, dans
la cave de la maison Ipatiev, à Ekaterinbourg. Et chaque nouveau document,
chaque nouvelle expertise éclairera toujours davantage le tableau de cette
boucherie cruelle que l’on ne peut se décider à appeler une exécution ou un
passage par les armes. Il n’y a pas de régicides romantiques, mais l’hécatombe
qu’organisèrent les prêtres du culte rouge défie l’imagination par son
ignominie et sa sauvagerie.
Il est important de le rappeler, car les aspects mystiques,
moraux, historiosophistes de la tragédie d’Ekaterinbourg nous en cachent
souvent l’aspect humain et criminel. Les apologistes ricanants des assassins
aiment à répéter la formule : « Ce n’est pas l’empereur qui a été tué
mais le citoyen Romanov », éructation de cet amour soviétique obséquieux des
chefs, comme si la mort d’un citoyen ordinaire signifiait moins que celle d’une
personne titrée et haut placée. C'est pourquoi en effet, allons-y, oublions une
seconde que fut tué l’empereur de toutes les Russies, dont les confirmations de
l’abdication n’ont, bien sûr, aucune force juridique véritable, que le tsar
russe a fini en martyr…Nous parlerons de la mort du « citoyen
Romanov ».
Un couple d’époux âgés fut tué, sans jugement ni accusation,
de façon bestiale, en même temps que ses enfants, quatre jeune filles en âge de
se marier et un adolescent malade, et de plus, avec ses familiers, le médecin,
le cuisinier, la femme de chambre et le valet de chambre. Même à l’époque de la
célèbre année 37, on ne vit pas de massacres familiaux de cette ampleur. Dans le cadre de cette époque, cela rappelle
davantage les sanglants massacres collectifs commis par les banderistes
et les « frères de la forêt ». Aujourd’hui, un meurtre collectif de
cette ampleur mettrait sur les dents toutes les chaînes fédérales pendant plusieurs
jours, le commandement du comité d’Enquête prendrait l’affaire sous son
contrôle personnel, la presse en discuterait les détails pendant des
mois. Voilà quelle serait la
signification du meurtre de ces « simples citoyens ».
Est-ce ainsi que la société considère le meurtre de la
famille impériale ?
Il y a, bien entendu, ceux qui en éprouvent un chagrin
sincère, pour qui les « journées du tsar » sont un moment de
concentration spirituelle personnelle et de deuil. Mais à lire notre internet,
il est impossible de ne pas remarquer cette vague de détritus d’activité
mentale secondaire, moquerie, persiflage, appels à ne pas « rappeler le
passé » et en même temps, promesses de le « répéter » (c’est-à-dire
qu’on ne parle plus du passé mais de l’avenir, ils peuvent refaire cela à
nouveau) qui nous passe par-dessus la tête… Et des justifications infinies, des justifications de soi , des justifications de soi, comme si, sans avoir confirmé la justice du régicide, ces gens-là ne pouvaient vivre normalement.
Le déferlement même de ces autojustifications, exposées avec une impudence de truand expérimenté, nous dit que leur conscience les
brûle et qu’en son for intérieur, notre société ne s’est pas réconciliée avec
ce crime… Mais il y a ceux qui le voudraient bien. Tuer le
tsar, tuer ses enfants et vivre heureux et tranquilles. Que ne vont-ils pas
nous dire ici : ils vont rappeler la Khodynka, le dimanche sanglant, la
fusillade de la Léna, Tsusima et Tannenberg, ils vont persifler sur Raspoutine,
lancer pour la millième fois la fable stalinienne de l’exécution des chats, et
mettront même en circulation le fils pendu de Marina Mnychek en 1614, pourvu
que ce cruel infanticide du XVII° siècle pût justifier les assassins du XX° s’écroulant
dans la barbarie…
On demande souvent : pourquoi se vautrer indéfiniment dans
le repentir du régicide ? N’y a-t-il pas là quelque masochisme national,
qui humilie le peuple russe sur la route hardie qui le conduit de l’époque du
vélocipède à celle du giroscooter ? La vague de démence ricanante qui s’élève à chaque évocation du
souverain, montre qu’en réalité, nous ne sommes pas encore repentis une seule
fois. Nous n’avons entendu d'estimation juridique
et politique claire du régicide ni au niveau gouvernemental, ni au niveau humain, où les cœurs endurcis,
devant le rappel de la cruauté et de l’iniquité, de l’infanticide et des coups
de grâce tirés dans les crânes des jeunes filles, se répandent en nouveaux
persiflages. Notre société ne souffre
pas d’un repentir exagéré, mais au contraire, de son absence enragée et provocante.
Il ne s’agit pas de se repentir des péchés des autres, des
coups de revolver de Iourovski, de l’acide de Boïkov, des intrigues de Chaï
Golochtchekine, de la noire volonté de Sverdlov, Bronstein et Oulianov… Il s’agit,
pour commencer, de se repentir pour soi-même, des petits mots et des petites
phrases insultantes, de la répétition irréfléchie et ignorante de cette légende
noire que depuis la fin du XIX° siècle a assénée l’intelligentsia russe
progressiste, pour rendre inévitable ce final sanglant, de l’invention de ces
phrases cauteleuses et menteuses sur le thème « seuls les bolcheviques
pouvaient sortir la Russie impériale de son impasse pour la mettre sur la voie
de la modernisation ». La haine du
tsar est un virus mental grave qui infecte pratiquement toutes les couches de
notre société, y compris même le clergé, les conservateurs, les nationalistes
et parfois même… les monarchistes. Et voici que si l’on s’examine bien, alors on
peut presque toujours trouver en chacun cette pourriture. Et si l’on ne se
repent pas de cela, alors pourquoi se repentirait-on, en général ?
Représentons-nous des gens qui, parlant du péché originel avec agressivité et ardeur,
diraient qu’Adam et Eve devaient obligatoirement goûter au fruit défendu, que
le serpent disait des choses sensées et avait de bonnes intentions, mais que le
méchant Dieu avait injustement maudit nos premiers ancêtres. De telles gens existaient naturellement en quantité
restreinte, mais à toutes les époques, on les regardait d’un mauvais œil. Dans
notre ensemble, si nous croyons un tant soit peu au dogme du péché originel,
comme en un fait historique ou au moins un symbole, nous aimerions qu’il n’eût
pas eu lieu. Et pourtant, Adam et Eve n’ont
tué personne, n’ont percé le crâne de personne, n’ont pas brûlé de cadavres.
Tout cela, il est vrai, Caïn l’a fait, mais son fan-club est plutôt limité.
Avec l’assassinat du tsar, c’est une autre histoire. Des
centaines de milliers et des millions de
lemmings virtuels et réels insistent avec une extrême obstination sur la nécessité
historique et la justice de ce crime. Et cela implique des conséquences. Les
politologues supposent que la nation se crée par la diffusion du haut vers le
bas des privilèges de l’aristocratie et que le premier des aristocrates est le
monarque. Eh bien, notre peuple a reçu tous les « privilèges » à
pleine mesure. Nous nous sommes permis de calomnier notre tsar, et la saleté
des calomnies russophobes s'accumule en couches de plus en plus épaisses et
nauséabondes. Nous nous sommes permis de tuer notre tsar sans jugement ni
enquête et nous errons en nous plaignant de l’absence totale, dans notre pays,
de toute justice, nous nous étonnons de décisions iniques et de la corruption
des tribunaux, c’est-à-dire de ce qui n’existait pas sous l’empereur Nicolas
II, et ne pouvait pas exister. Nous nous
sommes permis de tuer d’innocentes jeunes filles, des adolescents invalides,
des cuisiniers et des femmes de chambre,
et nous avons vu ensuite comment tout le pays est parti vers les exécutions
sommaires dans les camps et la déportation, femmes, enfants, colonels et
cuisiniers.
Nous avons bu et buvons encore aujourd’hui la coupe qu’ont
bue jusqu’à la lie notre tsar et ses enfants. Et cela nous ramène aux questions
d’Ivan Karamazov. Personne n’a pu encore
répondre à la question : en quoi le
coup de grâce dans la tête de la grande duchesse Tatiana était-il indispensable
à l’avènement du bonheur des peuples ? Et au fait, où est-il, ce bonheur ?
Bien sûr, si même il était advenu, il n’aurait pas valu cette même petite larme
d’enfant. Mais tel qu’il n’existait pas autrefois, il n’existe pas non plus
aujourd’hui. L’imbécile qui se confie au diable paie l’addition deux fois.
Notre société repose sur les ossements de ces enfants
torturés, elle repose sur le marécage de l’effondrement moral, économique,
social, national, et s’entête à ne pas vouloir faire la relation entre ces deux
faits. Et quand elle essaie d’inventer une recette « populaire » de
vie meilleure, c’est encore une autre recette d’assassinats massifs : « Qu’on
les fusille ! » «Dans les camps ! » « Ah si Staline
était là maintenant, ouh ! Ce qu’il en ferait ! » Mais c’est que
chaque Staline commence avec Iourovski et des montagnes de cadavres d’enfants
et s’achève de cette manière.
Il fut un temps où le thème du repentir dans notre société
fut captée et profanée par les descendants des régicides. Ce sont eux, essuyant
une fausse larme sur leur joue sale, qui exigeaient du peuple russe qu’il se
repente, qu’il se repente pour « l’introduction des troupes en
Tchécoslovaquie », pour les « trois millions de dénonciations »
et beaucoup d’autres choses encore. Et l’assassinat
du tsar, avec les autres atrocités des bolcheviques, était mis au « compte »
du peuple russe, présenté par les … descendants de ces mêmes bolcheviques. Et
avec pour seul but de piller jusqu’au bout, d’humilier plus bas que le fond du
fond, de façon à ce que les Russes ne se relèvent jamais. Ce genre de
repentance devant les étrangers était dépourvu de grâce et porteur de
mort. Son essence consistait en la
fabrication de « matériel » en vue de la justification de n’importe
quelle infamie future à l’encontre des Russes.
Mais la vague de refus
du repentir qui monte à notre rencontre, de provocation démonstrative envers ces
crimes, ou de leur négation éhontée n’est en rien meilleure. Nous ne pouvons
construire la Russie comme la maison natale du peuple russe sur les fondations
du néobolchevisme, sur la justification de la collectivisation et le génocide
de la campagne russe, sur l’athéisme militant et l’extermination massive des
chrétiens fidèles, sur la démence marxiste et la destruction des meilleures
parties de l’intelligentsia nationale. Et bien sûr, on ne peut construire la
Russie sur la justification et la glorification du régicide, sur l’immunité de
Voïkov et autres noms puants sur les cartes des rues de nos villes.
Mais on ne peut atteindre un véritable repentir, une
métanoïa, c’est-à-dire un changement de direction dans la société, si l’on ne
se repent pas dans son propre cœur, si l’on n’y laisse entrer la chaleur de l’amour
pour les martyrs impériaux, si l’on n’y reçoit leur amour en retour, qui en chassera
la légion des démons de la révolution.
Yegor Kholmogorov
Cet article percutant reflète une vérité qui m'inquiète. J'y vois un parallèle avec l'histoire de la France, qui meurt deux cents ans plus tard des suites de sa révolution et de ses crimes. J'avais pensé que dans son ensemble, la Russie avait fait ce que nous n'avons pas fait: acte de repentir. Mais à côté du travail de sape des libéraux, qui ont perdu la Russie en 17 et voudraient bien l'achever 100 ans plus tard, apparaît le facteur de division qu'est cette impudente vague néostalinienne et négationniste qui crache sur les nombreuses tombes communes, dont beaucoup restent encore anonymes, où l'on a jeté non seulement le tsar et ses enfants, une bonne partie de l'intelligentsia, complice ou non, et de l'aristocratie, mais les paysans, les chrétiens et les cosaques, les musiciens populaires et les artisans, tout ce qui faisait la sainte Russie, haïe d'une bande de russophobes et de zombies à leur service, comme aujourd'hui en Ukraine. Cette méchanceté indomptable qui renaît de ses cendres et trépigne peut compromettre le salut d'un pays qui est l'unique refuge des valeurs chères aux gens normaux.