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samedi 21 avril 2018

Lettre ouverte du mouvement « la patrie d’Alexandre Nevski »



Le monastère saint Nicétas
Nous demandons votre soutien pour la création d’un musée-parc naturel de niveau fédéral concernant le paysage de la rive du lac Plechtcheïevo depuis les prés du monastère saint Nicétas de Pereslavl Zalesski jusqu’au mont d’Alexandre.
Les prés de la rive du lac Plechtcheïevo autour du monastère saint Nicétas, de la source sainte de saint Nicétas le stylite,  de Klechtchino, du mont d’Alexandre doivent être protégés de la construction illégale de « cottages » qui provoquera la perte de l’héritage spirituel multiséculaire de la Patrie d’Alexandre Nevski et la destruction de l’écologie du lac Plechtcheïevo. C’est une question d’honneur pour toute notre nation qui se prépare à fêter en 2021 le 800 ° anniversaire de la naissance du saint chef de guerre à Pereslavl Zalesski.
Cette violation de toute une série de lois et de droits des citoyens de Russie s’accomplit depuis quelques années avec l’appui de l’administration de district et la complicité des autorités de la région de Yaroslavl. Cela se fait au détriment de paysages dont la qualité unique sert de référence à la compréhension de l’identité nationale et unit en un seul ensemble historique une liste importante d’objets patrimoniaux spirituels, historiques, culturels, archéologiques et naturels de la Russie.
Deux associations sans but lucratif de construction de datchas ont déjà commencé une construction d’envergure de la rive du lac Plechtcheïevo, avant le  monastère saint Nicétas, sans avoir l’autorisation du ministère des Ressources naturelles de la Fédération de Russie. Une autre société vend activement des secteurs offshore de la rive du lac .  En dépit de la position du ministère public de l’environnement, le Rosprirodnadzor de Yaroslavl considère que cette pratique de l’administration locale est licite.
La source de saint Nicétas le Stylite se retrouve dans une « situation barricadée » quand au nom de l’installation d’un lotissement de cottages fermé de cinq cents maisons, l’administration du district de Pereslavl a conclu en 2015 un accord officiel de collaboration avec quatre compagnies de constructeurs, après quoi le pré qui depuis des siècles apporte l’eau à la source s’est retrouvé clôturé pour tout le monde par des barrières de construction  impénétrables.
Au nom de ces plans d’envergure, le ministère des Ressources Naturelles de la Fédération de Russie, dont dépend le Parc National du lac de Plechtcheïevo, a accepté de faire passer les prés protégés de la rive du lac de terre agricole à terrains d’habitation, en même temps que la rive de la rivière Bolchaïa Slouda, que les pouvoirs locaux ont également remise en des mains privées. Après l’intervention de la société civile, cette rivière fut rendue, uniquement grâce au tribunal, à la Fédération de Russie, mais les barrières continuent à défigurer sa rive.
La rivière Slouda fournit l’eau de la source de saint Nicétas le Stylite et se jette dans le lac de Plechtcheïevo, dans la proximité directe de la réserve d’eau municipale de Pereslavl Zalesski et des zones principales de tourisme des gens de tout le pays, le ministère des Ressources Naturelles a donné illégalemnt son accord au rejet des eaux du système d’évacuation de ce lottissement de cottages dans cette rivière.
Toute une série de départements  administratifs de la région de Yaroslavl a également convenu du transfert des prés protégés du monastère saint Nicétas  pour agrandir les limites de l’agglomération de Nikitskaya Sloboda, l'organisation de trois autres NTT sans examen historique et culturel complet, en dépit du fait que ces terres soient protégées depuis 1978 en accord avec la résolution actuelle du Comité exécutif de la région de Yaroslav et soient destinées uniquement à la création de parcs publics.
Grâce aux efforts conjoints du public et des associations professionnelles, la construction de la côte est maintenant suspendue, le syndicat des fonctionnaires et des investisseurs continuant de couvrir et de faire pression sur les plans de construction au moyen d’audiences publiques effectuées en violation des lois pour faire adopter des documents  couvrant toute une série de décisions abusives
Dans ces règles d’utilisation des terres et de construction, l’administration a réduit l’activité culturelle historique dans la zone des prés naturels conservés sur un paysage historique préservé à une sorte de « tourisme éducatif » qui suppose « la construction de logements individuels avec chaufferies et autres structures d'ingénierie». Une telle contradiction est  soutenue officiellement par un document signé du vice-président du gouvernement de la région de Yaroslavl Tkachenko Vitaliy Vladimirovitch Après une série de requêtes, commencée en avril 2016 avec une lettre au Ministère des Ressources Naturelles de la FR, le mouvement « la Patrie d’Alexandre Nevski » a adopté les actions suivantes :
Le 26 février 2018, une proposition u nom du gouverneur de la région de Yaroslavl Dmitri Iouriévitch Mironov de création sur le paysage de la rive du lac Plechtcheïevo depuis le mont d’Alexandre jusqu’aux prés du monastère saint Nicétas d’un musée-réserve naturelle de dimension fédérale en accord avec la loi fédérale n° 73- F3.
Le 6 mars 2018 a été faite une requête semblable auprès du ministère de la culture de la Fédération de Russie au nom de Vladimir Rostislavovitch  Medinski, car il n’y a plus d’espoir d’obtenir , grâce à une définition d’expert correcte de la réserve de la source sacrée de saint Nicétas le Stylite, la création d’un document moderne interdisant la construction prédatrice de cottages sur les prés protégés du monastère saint Nicétas.
Nous comptons sur le soutien à cette initiative, car cela mettra au passé la lutte pour démasquer les manœuvres criminelles et la vénalité, ce sera une étape constructive de notre travail pour conserver les valeurs nationales de la Russie.
Le soutien du gouverneur de la région de Yaroslavl ne nous a pas été donné, d'après la réponse de son remplaçant, Andreï Iouriévitch Chabaline. Le ministère de la Culture de la Russie, quant à lui, se réfère à l'obligation formelle de préparer une justification pour la création d'une réserve-musée de niveau fédéral par les administrations régionales et locales. Autrement dit, les efforts publics des citoyens russes visant à mettre en œuvre la tâche de l'Etat sont dans une impasse administrative, en conséquence d'un ensemble établi de faits découlant de l'incapacité du ministère des Ressources naturelles de la Fédération de Russie.
La raison de cette situation est que sur l’initiative des citoyens de Russie, sans problème posé par des personnalités politiques clés du pays, il est très difficile à ces institutions spécialisées de s’attaquer au redressement d’une situation qui est allée assez loin, et à l’aggravation de laquelle travaillent des capitaux, l’influence et les ressources des investisseurs constructeurs, qui ne veulent pas reconnaître, même dans leurs relations avec les organes d’enquête du ministère de l’Intérieur russe, leurs erreurs imprudentes qui causent, dans le cadre de leurs activités, un tort considérable aux propriétés de l’Etat et à la politique gouvernementale à long terme de conservation de l’héritage de la Russie pour les générations futures (73-F3).
Dans le but de résoudre ce problème, a été créé depuis décembre 2017 un programme de requêtes adressées aux chevaliers de l’ordre d’Alexandre Nevski. Ce qui nous donne de l’espoir, c’est que sur ce terrain,  notre activité sociale a déjà trouvé de la compréhension chez toute une série de gens du gouvernement et de citoyens de Russie qu’en vertu de la dignité de leur action nous appelons les « gens de bonne volonté ».
Nous vous demandons de soutenir la création d’un musée-réserve naturelle sur la terre sainte de Pereslavl Zalesski, d’exprimer votre inquiétude à propos de ce qui se produit, d’aider par un mot de soutien et de participation, de faire des pas sur lesquels on pourra s’appuyer pour dialoguer avec les institutions gouvernementales appropriées.Nous demandons de faire du haut de vos tribunes un objet d’attention et de discussion générale du saccage sacrilège en cours d’un trésor d’intérêt national à Pereslavl Zalesski, dans une ville de « l’Anneau d’Or », liée à l’histoire pluriséculaire de la Russie et liée directement au saint prince Alexandre Nevski qui personnifie l’honneur,  le courage, l’identité nationale du peuple russe.
Les meilleurs fils de la patrie, auxquels vont nos demandes d’aide, ont été récompensés de l’odre de saint Alexandre Nevski pour leurs travaux personnels et leur apport au développement du pays par la Grande Russie.  Ce grand honneur est enlevé aux chevaliers de l’ordre comme à toute la nation à Pereslavl Zalesski, cela ne doit pas être permis.

Le mouvement orthodoxe patriotique « la Patrie d’Alexandre Nevski ».
POUR AIDER, il faut cliquer sur le lien de l'article, puis à droite, sous les photos de ceux qui soutiennent, cliquer pour s'ajouter à la liste, c'est un genre de pétition.

Quelle est l’apparence de la Patrie d’Alexandre Nevski aujourd’hui :

le site haché par une barrière


Une maison qui me fait cuire les yeux quand je me promène

ue maison construite illégalement

La source de saint Nicétas barricadée

les jolis cottages...

autres chefs d'oeuvre d'architecture

"Rendez au peuple son paysage historique"!!!

On voit bien ici combien c'était beau avant les barrières

Près de la source...

Le projet ou comment transformer en zone pavillonnaire sinistre un paysage sacré unique, mais il n'y a que le fric qui compte...

vendredi 20 avril 2018

Conférence

L'église des Quarante Martyrs de Sébaste
J'ai trouvé une jeune femme francophone partante pour apprendre la pâtisserie, Sacha. Sa principale motivation est de quitter Moscou et de vivre dans un endroit normal. Je ne sais pas si Pereslavl est un endroit si normal que ça. Les gens y sont très gentils, mais les ravages de la modernité hétéroclite et contrefaite de plus en plus sensibles. Je suis allée avec elle à l'église des quarante martyrs, et j'ai vu avec consternation les progrès de cette lèpre. Il ne reste presque plus de maisons normales, tout est plastifié, faux bois, fausse pierre...
Je crois qu'il faut se résigner à vivre là dedans, à sauver ce qu'on peut avant les derniers temps qui avancent eux aussi à grands pas...
Un Ukrainien prorusse  m’avait invitée à une conférence sur l'Opritchnina, mais il n’est lui-même pas venu.  Il y avait là une dizaine de patriotes russes, sous les photos des guerriers du Donbass morts au combat, la conférence a commencé par une prière. J’ai appris des choses sur les bons côtés d’Ivan le Terrible, qu’il avait fait beaucoup pour l’instruction publique, organisé des écoles paroissiales, rendu les routes plus sûres pour le commerce, ouvert à celui-ci les ports de la Baltique, institué le parlement du Zemski sobor, où les couches populaires étaient représentées, et que la population avait doublé sous son règne. Mais après cela on est tombé dans l’hagiographie : cet homme était d’une extrême mansuétude, face aux féodaux et aux traîtres boyards, bien sûr qu’il a dû en exécuter quelques uns, et l’Opritchnina servait à cela et uniquement à cela. Non, il n’a pas sabré par erreur l’higoumène du monastère des Grottes à Pskov, saint Corneille, qu’il a porté dans ses bras jusqu’à l’église en pleurant.  L’higoumène a juste fait une hémorragie spontanée.  Non, Maliouta Skouratov n’a pas étouffé le métropolite Philippe, ce sont les complots des boyards et de l’archevêque de Novgorod qui ont causé sa mort, Skouratov voulait seulement le sauver, le métropolite n’a jamais eu de conflit avec le tsar. Le peuple aimait le tsar (et ça c’est vrai), et il n’a jamais commis d’atrocités, même à Novgorod où la plupart des gens sont morts de la peste, quand à l’histoire du fou en Christ Nikolaï qui lui avait offert de la viande crue en carême pour lui faire comprendre que ça commençait à bien faire, c’est une mauvaise interprétation de ce qu’il lui a vraiment dit, car en fait, le tsar de lui-même avait décidé d’épargner Pskov.

Un auditeur a quand même dit qu’il n’était pas convaincu par la conférence. Qu’en effet, le tsar avait pu être calomnié et noirci par ses ennemis politiques et les occidentaux pourris mais que quand même, par exemple, aucun bruit de ce genre n’avait jamais couru sur Dmitri Donskoï ou Alexandre Nevski.  J’étais d’accord avec lui, mais j’ai préféré ne pas m’en mêler, je suis Française et je ne connaissais personne. Et je ne suis pas historienne.
Cette sanctification d’Ivan le Terrible me désole autant que sa démonisation imbécile. Je ne dis pas que j’en ai forcément donné une juste image dans une œuvre littéraire avec les licences du genre, mais j’ai essayé de comprendre sa psychologie. Je ne suis pas convaincue du tout par cette sanctification. Les écrits de traîtres ou d’occidentaux mal intentionnés sont peut-être douteux, mais si l’on se réfère à la mémoire populaire,  le tsar est glorifié dans le folklore mais l’Opritchnina ne l’est pas du tout. Traiter un policier ou un politicien d’opritchnik encore de nos jours n’est pas un compliment. Et d’après Edouard, le guide d’Alexandrov, après la dissolution de l’Opritchnina, le tsar ne voulait même pas qu’on prononce ce mot devant lui, c’est qu’il n’était sans doute pas excessivement fier des exploits de sa police. Et d’autre part, l’Eglise elle-même fait allusion aux débordements et aux violences de cette période.J’ai lu le récit par l’Eglise de la mort de saint Corneille, c’est du vécu, on a l’impression d’y être, le tsar descendant de cheval pour prendre dans ses bras le vieillard qu’il avait sabré, emporté par son élan, et le porter jusque dans l’église en pleurant, avec derrière lui sur la neige,  la traînée de sang qui suivait sa progression. L’Eglise n’a pas fait de Corneille un martyr pour rien. Et avant cela, le métropolite Philippe ne lui a pas refusé sa bénédiction pour le plaisir. Un siècle plus tard, donc peu de temps après cet événement, et le martyr de Philippe, les reliques de celui-ci ont été transportées à Moscou et accueillies en grande pompe près de l’endroit où j’avais mon appartement, à Rijskaïa. Tout le monde était d’accord, un siècle plus tard, quand des gens avaient pu en parler directement à leurs descendants, pour considérer que le métropolite Philippe s’était exposé au martyre en désavouant une politique par trop répressive et des débordements regrettables.
Même dans les lettres d’Ivan, on trouve des traces de cela, quand il dit au traître Kourbski, par exemple, qu’il n’aurait pas dû craindre de mourir innocent, s’il l’était, car cela lui eût valu la couronne des martyrs, alors qu’en passant à l’ennemi il avait fait de lui-même un traître pour l’éternité ! Un curieux raisonnement, quand même, pour un souverain modéré et sage qui ne châtiait qu’à bon escient.
Je trouve plus juste de l’envisager tel qu’il était probablement, de prendre tout le paquet, et d’arrêter d’en faire un symbole politique pour s’intéresser à l’être humain et à l’âme en peine. Il n’y a pas à l’idéaliser ni à en avoir honte. C’était un grand homme d’état qui a forgé son pays, et qui a fait des choses très positives, c'était aussi une personnalité intéressante, pittoresque et complexe, qui aurait pu être le héros d'une tragédie shakespearienne. Mais probablement très perturbé par son enfance martyre et plus tard la mort de sa femme, et aussi, disons-le, par des intrigues et des trahisons permanentes qui devaient l’angoisser au plus haut point, il n’était pas maître de sa violence, de ses passions, et donnait certainement prise aussi à des influences pas toujours très bénéfiques. C’est pourquoi je crois plausible qu’il ait tué son héritier dans un accès de colère, ce que mon conférencier niait farouchement. Ce serait l’invention d’un jésuite éconduit. C’est gros, quand même, si cela n’a pas eu lieu, comme invention.  Le crâne du tsarévitch ne portait pas de traces de coup, mais il était en morceaux, ce crâne, on n’a pas pu reconstituer son visage. Si j’ai bien compris, on mettait sa mort sur le dos de Boris Godounov qui l’aurait empoisonné, mais j’avais lu (je ne sais plus où, j’aurais dû prendre des notes) que Boris avait été gravement blessé en s’interposant entre le tsarévitch et son père.  Maintenant, peut-être que quelqu’un avait hâté la fin du tsarévitch qui, d’après la version jusqu’alors officielle, avait agonisé plusieurs jours et pardonné à son père.
Cette conférence m'a amenée à Moscou, j'ai laissé la maison et les bestioles à mon apprentie pâtissière.

La rivière Troubej




mercredi 18 avril 2018

Agglomération



Le printemps est là, on change les pneus des voitures. J'ai laissé hier les pneus d'hiver à clous pour les pneus d'été, et tous les automobilistes du pays font la queue pour cela. Je voyais par dessus les pneus, le malheureux monastère Nikitski, qui est si beau, et dont les environs sont de plus en plus saccagés par des constructions hideuses et anarchiques.  
Yelena Chadounts a mis sur Facebook une photo aérienne de Pereslavl avant les destructions soviétiques et l’a intitulée : Pereslavl que nous avons perdu par référence au film de Stanislav Govoroukhine « la Russie que nous avons perdue ». Oui, ce fut un vrai massacre qui a fait, avec ce qui s’est passé depuis 20 ans, depuis que le libéralisme complète cet affreux travail, d’une ville historique organique, homogène, harmonieuse, d’une cristallisation progressive séculaire autour des premiers et plus anciens monuments, ce qu’on appelle maintenant de façon tout à fait expressive une « agglomération ». C’est bien de cela qu'il s’agit : un aggloméré de bâtiments moches hétéroclites qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, où surnagent les monastères et les sanctuaires que le communisme a épargnés et que l’Eglise a restaurés. Cette ville de « l’Anneau d’or » n’a plus que ces monastères et ces églises d’intéressant, avec le lac. On y multiplie les musées de ceci ou de cela, les boutiques où l’on vend d’horribles souvenirs qui n’ont absolument rien de commun avec le véritable artisanat russe et qui vont se couvrir de poussière dans des clapiers à Moscou. Pour le fonctionnaire soviétique et post-soviétique, la notion d’ensemble, d’harmonie générale est totalement incompréhensible. Le mauvais goût lui est complètement intrinsèque, comment cela a-t-il pu se produire ?
La même Yelena produit une illustration d’un projet des années 60 qui consistait (je le répète encore une fois, dans une ville de l’Anneau d’Or, vitrine touristique de la vieille Russie) à remplacer toutes les vieilles maisons du centre par « de jolies maisons contemporaines » « incluant les monuments du passé » (dont on avait alors déjà détruit les trois quarts, tandis que le reste pourrissait et tombait en ruines). C’est-à-dire qu’on aurait complètement bétonné tout ce qu’il restait de Pereslavl, ce que le pouvoir soviétique n’a pas fait, le libéralisme le réalise, de manière plus anarchique, mais le résultat n’est pas plus gracieux.
Comment un peuple qui a produit tant de merveilles, tant dans le domaine de l’architecture religieuse que dans celui de l’architecture paysanne, qui était si inventif et original, qui avait retrouvé sa voie propre à la veille de la révolution, après l’européanisation forcée et malheureuse du XVIII° siècle, en est-il venu à considérer comme « jolies » les « maisons contemporaines » que ces tristes fonctionnaires méditaient d’aligner comme des cages autour des quelques églises encore debout, ou les châteaux américains et les isbas plastifiées qui pullulent à présent au milieu des hangards, des décharges, des pompes à essence et des centres commerciaux bâtis sans aucun souci de l’environnement ni d’un plan d’urbanisme quelconque ?
Il est évident que les résistances initiales des paysans et des artistes élevés dans l’esprit russe ont rencontré une persécution systématique, non seulement violente mais insidieuse, sous forme de propagande et de moqueries : à la poubelle les merveilleuses vieilleries de la grand-mère, vive le formica, le contreplaqué vernis, le faux marbre, la fausse pierre et tout ce qui fait riche et moderne. Nous avons connu en France la même chose, sous forme atténuée, car notre élite politique est restée, jusqu’à Chirac inclus, encore assez cultivée pour éviter un massacre complet.
L’existence paysanne a été rendue d’une part insupportable, par une sorte de servage d’état, et par l’intervention permanente de ce dernier dans la vie des paysans, et a été d’autre part sans cesse discréditée: avant la radieuse révolution , « le peuple était obscur », et n’a connu la lumière que grâce aux instituteurs communistes qu’on lui a lâchés dessus avec leur conception médiocre et petite-bourgeoise de la culture, nous avons expérimenté sensiblement le même phénomène en France, où les enseignants de mon enfance disaient aux cancres avec mépris : « l’agriculture manque de bras ». Pour nos deux républiques, ne pouvaient travailler la terre que des crétins subalternes qui n’avaient pas su saisir les occasions qu’on leur donnait de devenir des employés citadins. Les révolutions et leurs conséquences présentent bien des similitudes.
Le bon goût est en effet, j’en suis de plus en plus convaincue, fils de la Tradition, et c’est une émanation spontanée de la Nature. Le bon goût est ce qui est vrai, nécessaire, qui a du sens, qui s’inscrit dans le tout cosmique. Les maisons étaient belles quand les matériaux étaient beaux et que ceux qui les construisaient tenaient compte de l’environnement, du sol, du climat, des maisons environnantes, que leur décoration était spontanée, faite par les propriétaires eux-mêmes, et que les motifs de ces décorations obéissaient à un langage millénaire et aux archétypes de l’âme collective. Il en est de même pour les vêtements, dont chaque broderie avait un sens, et pour les objets.  Tout cela faisait partie d’une création collective, une concrétion millénaire où chacun mettait sa note unique en harmonie avec les autres, une création qui était une intercommunication, un facteur d’unité, de communion.
La conception contemporaine du monde, parce qu’elle brise et atomise l’organique engendre la laideur et la cacophonie. Des enfants grandis dans la laideur et la cacophonie n’ont plus les codes qui leur permettent de se relier au cosmos et à sa source, et n’ont plus aucun référent qui leur permette d’apprécier et comprendre la beauté, ce sont des infirmes intérieurs, ils sont, j’en suis convaincue, infiniment inférieurs intellectuellement et moralement à leurs ancêtres paysans « obscurs » du moyen âge ou même du XIX° siècle.
A cela, plusieurs antidotes : les grands-parents, mais nous arrivons au moment tragique où même les grands-parents sont le produit de cette laideur et de cette atomisation. La mémoire génétique, qui peut lancer quelqu’un sur la voie de la récupération de sa mémoire quand cela est encore possible ou de manifester spontanément quelque talent réparateur. La religion quand elle n’a pas trahi, quand elle ne s’est pas commise avec tout ce dont elle devrait rester le contraire.
Les seuls endroits qui restent beaux dans une ville massacrée comme Pereslavl, ce sont les églises, non que le mauvais goût ne s’y infiltre pas sournoisement, malheureusement, mais la Tradition orthodoxe ne permet pas de faire n’importe quoi dans une église ou un monastère.
Curieusement, sur le plan des mentalités, et du patrimoine immatériel, les Russes sont moins abîmés que les Européens, je pense qu’une partie du mal causé par le communisme a été compensée par deux facteurs : l’isolement, et une vie matérielle très modeste. Les gens sont, en Russie, restés simples, beaucoup plus purs, ils ont conservé des vertus et des modes de vie d’autrefois, et même leur folklore me semble s’être mieux perpétué.  Grandie dans les années 50, il m’a fallu aller en Serbie pour voir des paysans jouer leur folklore sur leurs instruments, dans leurs costumes. Et souvent, en France, ceux qui s’intéressent au folklore n’en reconnaissent pas l’esprit, chrétien, paysan, traditionnel, conservateur, ils font même tout pour en effacer cette tare « vychiste ». En Russie, les folkloristes assument gaiment leurs côtés réactionnaires. Ils prennent l’expression avec le contenu.


samedi 14 avril 2018

Après l'hiver

La neige disparaît et les ordures apparaissent. La décharge sauvage se fait de plus en plus envahissante, dans la cour de l'ancien baraquement, que j'aimais traverser parce que c'était plus court, moins boueux, et qu'y poussaient encore les fleurs des gens qui habitaient là autrefois. Mais je ne le ferai plus: c'est répugnant. Le long du chemin ou disons de ma rue défoncée et marécageuse, cela n'est guère mieux, je me demande où Nadia fera paître ses chèvres. Quels sont les cochons qui se débarrassent ainsi de leurs déchets n'importe où?
Des maisons disparaissent ou sont défigurées, et ce qui était modestie traditionnelle pittoresque, homogène et fantasque devient bidonville hétéroclite et banal d'où émergent les grosses maisons prétentieuses de ceux qui ont plus d'argent que les autres et entendent le montrer. A noter que si un type veut se construire un machin de trois étages, il ne se soucie absolument pas de boucher la vue des voisins et de leur enlever tout leur soleil...
C'est comme une lèpre qui ronge le pays, la lèpre de la laideur universelle et du plastique mortel, qui s'insinue partout, sur les façades, dans nos vêtements et nos décharges imputrescibles.
J'ai naturellement hâte que la nature recouvre d'herbes et de fleurs sauvages toutes ces horreurs, que les feuillages masquent ces maisons moches.
La beauté subsiste dans les églises et les monastères, où le mauvais goût s'infiltre aussi, mais ce qui y met un frein, c'est la tradition: on ne met pas n'importe quoi dans et sur une église, ni dans son périmètre.
La tradition est ce qui empêche le désordre et l'infamie de prendre le dessus. La tradition est issue de l'expérience d'innombrables générations qui avaient le respect des valeurs éternelles et qui étaient reliées au cosmos environnant. Partout où elle se perd s'installent la laideur, la cacophonie et la dégradation des moeurs et des apparences. En Russie subsiste une tradition: l'Eglise. Le folklore encore un peu. C'est pourquoi de plus en plus, la première soutient la pratique et la réappropriation du second.
Dans mon jardin, il y a vraiment du travail et je ne m'en sortirai pas seule. "Je ne m'en sors pas seule" est une chose que je me suis répété toute ma vie. Même ma vieille voisine de Krasnoïé, me voyant lutter contre les orties dans mon jardin, m'avait lancé par dessus la palissade: "Sans un mec, tu ne t'en sortiras jamais!" Mais cela devient d'autant plus vrai avec de l'arthrose du genou...
Je suis quand même arrivée jusqu'à soixante six ans en accumulant les conneries et en me faisant plumer par les différents mercenaires venus jouer provisoirement le rôle du mari bricoleur contre espèces sonnantes et trébuchantes. Tant qu'on peut payer...
Mais dans le jardin, c'est délicat, les jardiniers ont tendance à avoir leurs propres représentations, et à massacrer tout ce qui ne pousse pas dans un petit massif bordé d'affreuses barrières en plastique ou à l'intérieur d'un pneu de camion!
Heureusement, je viens de voir que Leroy Merlin commercialise des barrières en osier tressé ou plessis. Je sais pertinemment que je n'aurai ni le courage ni le temps de les tresser moi-même, ce que faisaient autrefois les Russes, ce qu'ils font encore. J'irai donc enrichir Leroy Merlin.
La terre est truffée de toutes sortes de détritus, chez moi. Je crois que le plan était de recouvrir la décharge de sable, puis de  terre, afin de surélever la surface cultivable par rapport à la nappe phréatique toute proche, mais je ne sais pas si le plastique, le polystyrène expansé ou l'éverite sont super top pour les cultures, ni pour la nappe, d'ailleurs.
Je me demande si nous n'allons pas étouffer petit à petit dans nos propres déchets, comme les malheureux moutons du cargo australien.

vendredi 13 avril 2018

Pièces du puzzle

J’ai vu qu’à Rybinsk, un cimetière s'enfonçait dans la boue, et cela me fait une impression sinistre. Rybinsk, c’est là où se trouve la mer artificielle qui a noyé une immense, ancienne et magnifique partie de la Russie, avec ses forêts, ses villages, ses églises, et ses cimetières, justement, j’en avais lu d’affligeants récits dans un recueil de témoignages sur la vie du starets Pavel Grouzdev, originaire de cette région. Le progrès technique est fils du diable, avec le matérialisme qui l’accompagne,  et nous en avons tous les jours des signes, en ce moment.
50000 moutons morts étouffés dans leurs excréments sur un paquebot qui les transportait en Australie, et immobilisé pour raisons administratives plusieurs jours en mer sous le soleil. Et personne n’a rien fait pour eux, car les gens cupides et sans cœur qui les commercent n’en avaient strictement rien à foutre. Là aussi l’impression est sinistre : en dehors de toute autre considération, une « civilisation » capable de cela ne traitera pas mieux les gens, on le voit tous les jours également.
En Ukraine, les « soldats » tirent sur un bus d’écoliers. Les Ukrainiens font la guerre aux enfants, leur président l'avait même annoncé, mais on n'écoute pas ce que disent ces gens-là. On devrait, ils ne se cachent souvent même plus..
Je vois monter une horreur dont les précédents golems n’ont été que la répétition timide. De sorte que je deviens même indifférente à la guerre qui menace : si nous l’évitons cette fois, l’Europe n’en continuera pas moins à préparer sa transformation en Kosovo géant, en Afrique du Sud, où les blancs sont massacrés en ce moment avec des raffinements de cruauté, en lupanar de gosses pour satanistes de la haute, on n’en continuera pas moins à répandre du plastique dans les océans, la centrale maudite de Fukushima de fuir, les Chinois de vider la terre de sa faune sauvage et de ses forêts, et je ne vois pas bien comment trois agroécologistes à la Pierre Rahbi pourront renverser la vapeur. Satan est déchaîné…
De sorte qu’on ne sait pas, la guerre sera terrible, mais je ne vois rien de bon à l’horizon, peut-être empêchera-t-elle des abominations encore pires. J’en viens à me dire que ce sera comme Dieu voudra, qu’il faut se cramponner à Lui et fermer les yeux, parce que ça va tanguer.
Certains la voient inévitable, d’autres parlent d’un jeu entre Trump et Poutine, destiné à tromper l’Etat profond. On se défie depuis plusieurs jours, les criminels au pouvoir en Europe et aux USA roulent des mécaniques, lâchent leurs pires mégères aux tribunes pour cracher des calomnies et des incantations meurtrières, on croirait un tableau de Jérôme Bosch. Ou de Goya.
J’ai regardé une vidéo où une ancienne esclave sexuelle de l’Etat islamique interroge un ancien membre de cette organisation, à présent prisonnier. Il n’a pas l’air idiot, il n’a pas la gueule d’abruti patibulaire qu’ils ont généralement tous, et confesse 900 meurtres ou « exécutions » et 50 viols de femmes ou d’enfants.  Il dit que la pulsion sexuelle était trop forte pour s’arrêter quand la fille suppliait de le faire, mais que l’acte terminé, la voir pleurer lui « brisait le cœur ». Et pour les meurtres, il expliquait que de toute façon, s’il ne les avait pas commis on l’aurait tué lui-même. La raison de son engagement dans cette aventure : le fric. Il s’attend à être exécuté.
Des gens criaient à mort dans les commentaires, mais c’est drôle comme mon agressivité tombe dès qu’un ennemi est vaincu. Dans cette affaire, je suis plus horrifiée par les commanditaires de cette organisation, qui siègent en costar ou tailleur dans des buildings de verre, que par ces exécutants, que je ne justifie naturellement pas, mais je pense qu’il y a un entraînement du crime, un égrégore maléfique qui se forme et amène les gens à faire des choses épouvantables qu’ils ne contrôlent plus, mon roman porte là-dessus en partie, c’est pourquoi j’ai regardé la vidéo.
Iouri Tkatchev voulait absolument me faire regarder un film sur les crimes communistes, cela me traumatise... Cela me rend malade. Et ce qui me déprime le plus, ce sont ceux qui les nient, ou répondent que l’inquisition c’était pire ou que le capitalisme a fait lui aussi beaucoup de victimes. Les gens qui disent ce genre de choses sont tous des bourreaux potentiels, ils peuvent tous se retrouver à la place du type de l’Etat islamique ou des bataillons néonazis d’Ukraine, car ils ont la mentalité idéologique qui justifie tous les crimes de la secte adoptée par eux, en lui découvrant sans cesse de nouveaux ennemis, et en calomniant ceux qui s’opposent à elle ou dénoncent ses sacrifices humains toujours renouvelés, sous différents drapeaux ou faux-drapeaux : la secte de Satan.
Sur la page d'une copine, les interventions rose bobo de vieilles gauchistes qui n'ont toujours pas compris où elles se trouvent: leur cerveau est resté programmé par les années 70 et depuis, il ronronne toujours dans le même sens qui est peut-être le sens commun, mais certainement pas le bon sens. Ca va leur faire drôle, quand ça va mal tourner.
Il fait beau, pas très chaud, mais beau. Au fait, on nous dit toujours que les dénonciateurs de chemtrails sont des complotistes hallucinés, que ce que nous voyons en France, toutes ces traînées parfois entrecroisées dans tous les sens c’est juste un phénomène normal de condensation, mais depuis quinze jours qu’il fait très beau à Pereslavl, je ne vois aucune traînée dans le ciel d’azur, parfois des nuages, mais pas ce tissage brumeux… qu’est-ce à dire ?

mercredi 11 avril 2018

L’Apocalypse: le livre aux pierres précieuses


Un article que j'avais traduit il y a quelques années et que je voudrais faire figurer dans mes chroniques en ce moment si périlleux....
Il y a quelques jours, discutant avec Bernard Frinking, iconographe orthodoxe néerlandais et élève d'Ouspensky, je l'entendis plusieurs fois évoquer l'Apocalypse comme un message d'espoir. Puis je découvris sur le site d'un ami facebook, la remarquable vidéo d'une émission orthodoxe belge consacrée à ce thème: http://www.dailymotion.com/video/xp53yz_l-apocalypse-de-jean-entretien-avec-le-prof-christos-yannaras_lifestyle?fb_source=hovercard. Je me souvins alors de cet article de "Thomas" que j'étais tentée de traduire et qui m'a séduite par sa profondeur, sa beauté et sa joie. Je vous le livre aujourd'hui en complément. 
Au XII °siècle, vivait en France un remarquable abbé, qui disait que regarder des pierres précieuses conduisait l’esprit jusqu’à Dieu. Cet abbé était un homme excellent, tout le monde l’aimait et lui confiait ses secrets. Un jour, le roi Louis le Gros, partant pour les Croisades, laissa le gouvernement du royaume à l’abbé, et pendant ces quelques années de gouvernement monastique, la France prospéra et s’affermit. Cet abbé s’appelait Suger. Il était le supérieur du couvent de Saint-Denis. Il me semble qu’il était gros, comme son roi, car je sais d’expérience que de telles personnes savent très naturellement concilier le désir du ciel avec l’amour de la terre. Suger est aussi appelé le parrain du style gothique. C’est précisément lui qui introduisit dans son monastère des églises et des bâtiments qui jetaient un défi à la matière inerte, l’emportaient vers le haut, triomphaient de l’attraction terrestre, et se gorgeaient de la lumière des vitraux, car le plus important, dans le gothique, c’est la lumière immatérielle qui anime les froides pierres, leur donnant une voix pour célébrer Dieu, même quand les gens se taisent. On dit que ce sont les œuvres de Denys l’Aéropagite qui inspirèrent si fort l’abbé, mais il est un livre bien connu de tous, et naturellement de Suger, un livre merveilleux dans lequel il y a beaucoup de lumière, d’espoir, de joie et… de pierres précieuses. C’est l’Apocalypse. On le lisait davantage en occident qu’en orient, et il me semble que c’est justement sous l’influence de sa lecture que naquirent les cathédrales gothiques.
Que savons-nous de l’Apocalypse ? Un livre terrible. Angoissant et effrayant. C’est l’apôtre Jean le Théologien, exilé sur l’île de Patmos, qui l’écrivit. On considère que c’est une vision des « dernières choses », de ce qui attend le monde quand son temps s’achèvera, quand il se fondra, en une dernière explosion, dans l’éternité. L’Apocalypse est un livre prophétique, il prédit, et ses prédictions font peur. La fin de l’histoire humaine est si terrible que nous en oublions que ce livre est écrit dans la langue des symboles, des images, des allégories. Des oiseaux tournent au dessus de monceaux de cadavres et même d’une mer de sang, le cavalier pâle, les maux sans fin et les trompettes, qui résisterait à cela? Cela plaît beaucoup aux adolescents contemporains, mais en vieillissant, même eux s’épouvantent. Le livre de la Révélation effrayait aussi nos ancêtres et c’est peut-être pourquoi l’Apocalypse est le seul livre du Nouveau Testament qui n’est pas lu pendant les services par l’Eglise Orthodoxe.
Et pourtant, quand je suis triste, je lis justement l’Apocalypse, car c’est un livre lumineux et consolant, c’est un livre sur le Christ. Il en est le principal personnage, il n’y est question que de Lui et regardez la façon dont l’auteur décrit le Sauveur. Combien d’images il en donne ! Quand j’ouvre ce livre, je me souviens du légendaire Abgar, le roi lépreux qui avait envoyé son artiste peindre le portrait du Christ et celui-ci ne put s’acquitter de la tâche ; le visage du Sauveur changeait sans cesse, ne se laissait pas «saisir » en quelque image unique, comme s’il résistait à la confection d’une idole. De même, dans le livre de saint Jean, le Christ est tantôt l’Agneau humble et souffrant, tantôt le Seigneur s’installant peu à peu sur un trône au dessus de la mer vitrifiée, tantôt le cavalier redoutable sur son cheval blanc, avec des cheveux blancs comme la neige, et des yeux comme des flammes ardentes. Il défait et renverse hardiment ses ennemis, il réconforte ses amis et ses frères, mène ses témoins aux sources des eaux. Le contemplateur des mystères ne peut « saisir » le Christ en une seule Image, et cette abondance de « portraits » est le meilleur témoignage sur Qui existe en réalité, Qui est en vérité, Qui est la Vie la plus Imperceptible, Indescriptible, et la Vie en abondance. Ce ne sont pas les plaies et les châtiments qui sont le sujet principal de l’Apocalypse, ce n’est pas l’antéchrist, à qui on ne fait même pas l’honneur de donner un nom, le désignant simplement avec dégoût d’un chiffre en forme de reptile. Par le moyen de ce livre, saint Jean réconfortait ses frères et sœurs en ces temps de trouble, quand il ne restait déjà plus d’espoir, et les réconfortait en témoignant qu’il avait revu son Rédempteur, et communié à cette joie et cette « paix indicible » qui nous attendent au moment de la Rencontre ultime et désirée. Il décrit hardiment et avec allégresse ce qu’il a réellement vu, ce par quoi il fut à nouveau confirmé, et le cœur de chaque lecteur et auditeur chante, comme celui de Job : Car je sais que mon Rédempteur est vivant, et que je ressusciterai de la terre au dernier jour, que je serai encore revêtu de cette peau, que je verrai mon Dieu dans ma chair ; que je le verrai, dis-je, moi-même, et non un autre, et que je le contemplerai de mes propres yeux (Job 19 : 25-26). Il a triomphé de la mort. Il tuera aussi la mienne, il guérira aussi ma douleur. Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus. Il n’y aura plus aussi là ni pleurs, ni cris, ni afflictions, parce que le premier état sera passé.[1] (Apocalypse 21 :4). Et plus loin, la description de la Jérusalem céleste. Voilà ce que c’est que le triomphe de la lumière et de l’amour ! Les murs en sont ornés de pierres précieuses : ici le jaspe cristallin, et le saphir au tendre éclat bleu, et la chalcédoine, sœur de la vague marine, et la merveilleuse émeraude, le sévère sardonyx, et la chrysolithe aux reflets d’or, et le béryl elfique, et la majestueuse topaze, et le chrysoprase chatoyant, et l’hyacinthe magique, et ma préférée, l’améthyste, et les portes faites d’une seule perle pure ! Et le fleuve de la vie roule ses eaux claires et étincelantes, comme du cristal, à travers la ville et les peuples vont dans la lumière de l’Agneau, et l’arbre de vie, portant ses fruits pour la guérison de tous ! Quand je suis triste, je relis ces lignes, je me plonge dans cette lumière inaltérable et c’est si naturellement que j’ai envie d’appeler, avec saint Jean et tous les chrétiens qui lisent ce livre de lumière, à travers les distances et les délais : Viens, Seigneur Jésus !(Apocalypse 22 :20).
Parce que quelles que soient les occupations de chacun de nous, quoiqu’il fasse, en fin de compte, si l’on extirpe sous la lumière de Dieu la cause ultime de tous nos espoirs et de nos attentes, le nerf de toutes nos inquiétudes et de nos émotions, il s’avèrera que ce qui nous meut, c’est le désir d’aimer et d’être aimé. Le désir du pouvoir, de la gloire, du repos, de la reconnaissance c’est le manque d’amour qui m’emplit de peur, de solitude, de tristesse, et dès que je trouverai quelque chose de vrai, d’authentique et de désintéressé, je n’aurai plus besoin ni de lutte, ni d’angoisses, ni de preuves.
J’ai entendu un auteur contemporain dire :
« Prends-moi avec toi. Je suis si fatigué de te courir après.
Ouvre les yeux, cache ton visage dans tes mains.
La lumière. Je veux voir la lumière entre nous. »
Sait-il Qui il appelle, de Qui son âme a la nostalgie ? Que verrai-je dans la lumière de ces yeux vivants et aimants ? Que ressentirai-je alors, quand mon visage se reflètera dans Ses yeux, les yeux du Dieu qui m’aime d’une façon authentique ? Qui se reflètera en eux ? Non, ce ne sera pas la peur, ni l’épouvante, mais un grand étonnement qui s’emparera de nous devant les yeux Divins, car ce ne sont pas seulement le péché et le vice, pas seulement ma vie ordinaire et sans artifice qui se apparaîtront dans Ses yeux, mais ma beauté, ignorée de moi-même, mais toujours vivante dans ce regard humble, un peu triste, aimant et magnifique.



[1] Traduction des citations bibliques : Lemaître de Sacy

Higoumène Savva (Majouko)
Monastère saint Nicolas de la ville de Gomel en Biélorussie
Traduction: Laurence Guillon 11 avril 2012,

mardi 10 avril 2018

La fin du jour


Les bruits de guerre se font de plus en plus inquiétants, les américanosionistes font la danse du scalp, organisent des coups montés pour compromettre la Russie, qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.  Un ami, qui sanglote sur la famille impériale mais soutient Staline, ce qui ici est fréquent, pense que Poutine se fout de la Russie mais qu’il ne veut pas finir comme Saddam Hussein. Si Poutine finit comme Saddam Hussein, la Russie (et le monde entier) finira comme l’Irak…
Je risque de me retrouver sans retraite, si ça tourne mal. Je n'aurai sans doute pas le temps de faire venir mes affaires. Je perdrai mes journaux, mes aquarelles, mes tableaux, ma vielle, et mes derniers souvenirs de ma jeunesse et de maman.
En même temps, je suis soulagée d’être ici, j’aurais mal vécu une guerre avec la Russie en France. J'aurais mal vécu d'être dans le mauvais camp, celui des agresseurs, des psychopathes pervers, des hypocrites, des menteurs et des mafieux. Je me débrouillerai…
A mon retour de Moscou, m’arrêtant près du marché, je vois de loin un chien : Rosie, menant sa vie de bohême. Elle s'est jetée sur moi pour me faire des fêtes délirantes mais n’a jamais voulu monter dans la voiture, elle l’a suivie jusqu’à la maison, ce qui me donne des angoisses, mais il n’y a pas d’autre issue. Elle fait ce qu’elle veut. Et courir après ma voiture est un jeu qui l'enchante.
Il fait 16°, tout à coup, avec ce grand vent tiède de printemps qui souffle ici, plein de soleil et de mouettes. La neige ne subsiste plus que par petites plaques, et je contemple cette chose étonnante, après plusieurs mois de blancheur impavide, des étendues d’herbes jaunes, où se devinent de petites pousses encore très discrètes. Les ordures remontent de partout, j’essaie de nettoyer le terrain qui est inégal et détrempé, un marécage. Je regarde ce qui a résisté à l'hiver, à peu près tout. 
La terre est encore gelée.
Violetta est venue m’accabler de conseils extrêmement insistants. C’est vraiment étonnant comme certaines vieilles Russes sont absolument persuadées d’une part d’avoir raison et d’autre part de la nécessité de faire votre bien malgré vous.
Claire, que j'ai pu voir à Moscou le temps d'un thé, trouve les romans perturbants, n’importe lesquels, elle trouve perturbant d’entrer dans un monde imaginaire et d’avoir du mal à en sortir, comme sa fille de l’univers de Tolkien. Son père spirituel lui déconseille d’en lire. C’est une question que je me pose aussi, car je  n’arrive pas à sortir de celui que j’ai écrit, encore que je trouve que ça vient, petit à petit, cela s'apaise. 
Mon père Valentin semble penser également que le roman est un exercice périlleux, mais il pense du mien qu'il m'a permis de comprendre l'âme russe avec une étonnante profondeur et que cela est en soi une grande chose...
Le roman est formateur, c’est une leçon de vie, ceux de Dostoïevski, de Thomas Mann, de Giono, de Proust, de Céline, de Flaubert m’ont beaucoup apporté, m'ont aidée à me construire, Dostoïevski surtout. Il me semble qu’il y a un moment de la vie où il faut en lire mais que cela peut devenir gênant par la suite pour le développement de sa vie spirituelle. 
Avant de revenir au mien, je n’arrivais plus à en lire, d’ailleurs.
La peinture, la musique et même la poésie ne me font pas cet effet-là.  Le roman est quelque chose de très particulier, un jeu dangereux, en tous cas pour l’auteur. Une descente dans les profondeurs de l'âme collective, dans un grand orgue mystérieux où résonnent au travers de nous des voix qui ne sont pas la nôtre, où se manifestent des forces de toutes sortes, les ténèbres et la lumière affrontées...
Les gens qui ne sortent jamais de la littérature et ne vivent que par elle peuvent-ils vraiment avoir une vie spirituelle aboutie ? 
Il y a beaucoup de problèmes qui m’agitent et que je pourrais creuser et analyser au travers de romans, mais je me demande si je dois le faire, maintenant que j’ai pondu Yarilo et Parthène, car je crains de compromettre ma paix intérieure. Je l’ai déjà pas mal compromise, mais je devais le faire, je devais traverser cela, pour moi mais aussi pour mes personnages, pour les âmes de leurs prototypes.
Je voulais prendre comme point de départ les deux Russes du caveau d’Annonay, inventer une histoire à partir de là qui me permettrait de parler de la France et de la Russie. Un autre thème qui m’obsède et me terrifie, c’est celui de la pédophilie, enfin ce qu’on appelle à tort de la pédophilie et qui serait plutôt, au sens premier, de la pédérastie, et de ce qu’on met en place en occident pour détruire les enfants et les utiliser. Mais je crains de toucher à cela, qu’y a-t-il de plus perturbant ?
Du reste, j’arriverai peut-être à publier Yarilo et Parthène, mais le monde se dégrade à tel point que je ne suis pas sûre d’avoir la possibilité d’écrire quelque chose d’autre. Le chaos risque d'être énorme et je ne suis pas sûre d'y survivre. 
Je regarde cela avec terreur, douleur, honte et fascination. La destruction accélérée du milieu naturel, la destruction de tout ce que nos ancêtres nous ont légué, la destruction de l’Europe, de notre culture, la montée d’une barbarie sans précédent, d’une idéologie transhumaniste plus épouvantable que les golems du XX° siècle…
Cela m’ôte parfois tout regret de ne pas avoir eu d’enfants, car j’aurais une descendance que je ne lui verrais aucun avenir enviable.
Claire me parlait de ce mélange russe de beauté fantastique et de désolation, friches industrielles, décharges sauvages, maisons hétéroclites et mal fichues, où est passé l’extraordinaire sens de la beauté qu’avait ce peuple avant qu’on « l’éduque » ou plutôt le rééduque ? Cependant, les Russes gardent une simplicité, une espèce de pureté devenues rares en Europe et la capacité de passer de l’athéisme complet à un engagement religieux total. Alors qu’en France, par exemple, le sens esthétique s’est à présent beaucoup mieux conservé, mais le sentiment religieux, l’exigence intérieure  d’une autre dimension, semblent avoir généralement disparu à un point sidérant. Les gens s’en foutent, ils ne vivent que pour eux dans un tout petit univers restreint, on se demande même comment on peut faire des enfants et les élever quand on a cette vision de choses. Car mettre un enfant au monde sans la perspective de la vie éternelle et intérieure, cela rime à quoi ? Est-il possible de vivre sans devenir fou quand on résume la vie à se donner du bon temps (ce qui n’est pas permis à tout le monde et vraiment pas de façon constante), baiser de manière généralement sommaire et triste, bouffer, faire des gosses, payer les traites, prendre sa retraite (de plus en plus tardive et de plus en plus maigre) et rejoindre sa concession au cimetière ? Même la culture, dans cette perspective, n’a plus de sens et devient un simple jeu d’esprit et de snobs, un étalage de connaissances ou de virtuosité parfaitement creux, raison pour laquelle les intellectuels français m’ont toujours emmerdée.
D’ailleurs, sans la dimension sacrée du monde, « se donner du bon temps » aboutit à de pitoyables caricatures de ce que devraient être la joie de vivre et le plaisir d’aimer. Notre monde est laid, plat, vulgaire, tonitruant, désespérant, empoisonné et peut être condamné. A moins d'un miracle.
Et pourtant, le ciel est plein de nuances, au dessus des roseaux et des herbes sèches, mes chats sortent avec bonheur dans la douceur du vent, Rosie fait des siestes bienheureuses au soleil. Je pense à mon nouvel ami Alexandre le fromager qui entend vivre intensément les moments qui lui restent. En effet, attendons la fin du monde à Pereslavl Zalesski, avec ses nombreux saints, ses monastères et les mânes amicales de mon tsar et de son favori. Chaque minute compte...




La fin du jour




Les voici déferlant, ces ténèbres pressées
De marcher sur les fleurs éparses de nos fêtes,
Aux murs de nos cités de suspendre nos têtes,
Sans relâche traquant les lueurs oubliées
Des printemps d’autrefois et les promesses claires
Faites aux cœurs d’enfants,  de chemins de lumière
Que leur ont interdits trop de furieux démons…
A l’issue de mes jours, je guette l’horizon
D'où nous viendra la fin.
La fin de tout s’élance, elle est noire et puissante,
Plus rien ne la retient
Elle lâche sur nous, meute tonitruante,
Ses hérauts et ses chiens.

Je meurs sans descendance et j’en rends grâce à Dieu,
Sur l’autel de Moloch, je n’étendrai personne.
Pas de fille soumise au plaisir des messieurs,
Pas de garçon brisé par le canon qui tonne.