La copie |
Avant d'entrer dans l'église, j'ai vu le prêtre, le père Anatoli: "D'où donc nous venez-vous?
- De France... Je suis venue m'installer à Pereslavl.
- Très bien! Restez chez nous, nous avons une cellule de libre!
- Ah non, père, merci, mais je ne suis pas prête à cela, j'ai une personnalité créative difficilement adaptable..."
Nous attendions l'arrivée de l'évêque Théodore, venu pour l'occasion. Il a fait dans l'église une entrée majestueuse, et tous les prêtres et diacres présents se sont empressés autour de lui, pour lui baiser la main et lui faire revêtir sa mante de cérémonie. Cette mante lui conférait encore plus de grandeur. Je me rendais compte, à ma profonde émotion, que le besoin de vénération nous est naturel. Nous ne vénérons pas toujours à bon escient, mais vénérer, admirer est un besoin. Cela nous fait beaucoup plus de bien que ricaner, tourner en dérision, jouer les esprits forts. J'aimais ce bel évêque et le ballet des ecclésiastiques autour de lui. Nous n'avons plus de princes que dans l'Eglise orthodoxe... Je pensais aux petits enfants du père Valentin le voyant officier pour la première fois, à leur arrivée de France, et demandant à leur mère: "Mais alors, maman, ici, notre grand-père, c'est le roi?"
Je n'avais jamais vu recevoir d'évêque: on l'habille pour la liturgie devant les fidèles, c'est très beau et très impressionnant, comme s'il allait au combat. Des servants d'autel vêtus de brocart lui font passer un à un tous les atours liturgiques indispensables, et l'aident respectueusement. Puis, armés de deux triples cierges, il bénit l'assistance...
La soeur Larissa m'a assez vite conduite dans un réduit, afin de me faire asseoir et de ménager mon arthrose, mais du coup, je manquais tout l'office, que j'entendais dans le lointain...
J'ai revu le cosaque Boris, et Nina, qui est un pilier du monastère. Elle s'affaire là bas à surveiller les cierges, à distribuer les prosphores, elle fait le ménage et la vaisselle. Nous avons mangé au réfectoire. A la table de l'évêque, chacun y allait de son discours, dont la fin était saluée par le chant "Longue vie", "Ad multos annos"...
Je regardais les icônes, de facture traditionnelle, et me demandais ce qui me gênait. Il est des icônes dites "sévères", et celles-ci pourraient s'y apparenter, mais en fait, elles ne sont pas sévères, elles sont dures, et me font penser, pour l'expression, à certaines bigotes qui regardent de travers une fille en pantalon, ou sans foulard. Or les moniales de saint Théodore, sont plutôt gentilles et tolérantes. disons que leur iconographe ne devait pas être marrante.
Nina m'a ensuite accompagnée dans un magasin pour acheter un outil écologique inventé par un Russe, pour arracher les mauvaises herbes sans blesser la terre, un truc indispensable qui fait tout. Puis des graines à semer pour enrichir cette même terre et éliminer les adventices. Elle médite de retourner s'installer dans le nord d'où elle est originaire mais, n'en déplaise au malheureux domovoï, elle n'a pas trop les moyens de restaurer la maison de ses parents pour l'habiter toute l'année. Sa retraite est petite, elle a perdu son travail complémentaire. Elle n'est pas optimiste pour l'avenir: "On cherche à détruire la Russie, je veux dire précisément la "Rous", la Russie ancienne. On fait disparaître les bibliothèques et tout ce qui est culturel, on efface notre mémoire. On ne trouve plus de graines russes en magasin, tout vient de Hollande. Les oligarques achètent la terre, et les gens qui essaient de retourner y vivre sont en proie à d'incessantes tracasseries. Et on introduit les mêmes idioties que chez vous, autant qu'on le peut, dans le domaine de l'éducation, par exemple, la permissivité, les enfants qui peuvent traîner leurs parents aux tribunaux pour une gifle. Le libéralisme détruit les peuples, il veut une masse d'esclaves. Je voudrais échapper à tout cela, parce que j'en suis malade. Le nord est délabré mais encore intact. Quoique Kostroma se recouvre également d'affreuses maisons banales qui n'ont plus rien de russe."
La différence, c'est que les choses sont moins avancées qu'en Europe, la population conserve des réflexes d'autrefois, et l'Eglise ses traditions.
Il fait chaud, mais une brise fraîche brasse l'air en permanence. Sur mon hamac, entre Rom, Georgette et Rosie, je regardais les jeunes feuilles vertes du poirier et ses fleurs, trop rares à mon goût. Question terrain, je n'ai pas fait une affaire. Je me demande bien ce que je pourrai faire pousser dans ce marécage ingrat.
Demain, on vient terminer la clôture. Ce devait être fait dimanche et lundi, d'après les patrons, mais les employés m'ont décrété qu'ils se reposaient et qu'ils viendraient mardi. Or demain, je l'ai appris aujourd'hui, je vais à Yaroslavl recevoir le PERMIS DE RESIDENCE PROVISOIRE. Il me faudra laisser la joyeuse équipe opérer sans moi, ce que j'aurais préféré éviter...