Un correspondant m'envoie ceci:
Cela m'a plongée dans la perplexité, car à vrai dire, on peut vraiment se poser la question. Je me la pose, surtout par les temps qui courent. Ensuite, Henri m'a dit que les obstacles pouvaient aussi être des avertissements de mon ange gardien. Je suis un peu vieille pour aller me mettre dans un endroit très peu accessible, très désert, si je m'entends avec l'apiculteur, ce sera déjà bien, et il y a des chances, les apiculteurs ont généralement une bonne mentalité, mais il est possible que l'endroit soit sans internet, sans téléphone, et si on a oublié le sel, c'est un exploit de repartir le chercher.
Pereslavl est complètement défiguré et justement, je suis tombée sur une photo du début du XX° siècle: un tapis d'églises, de coupoles, de clochers, des prairies, de petites maisons, ce devait être tellement beau que si j'y étais brusquement transportée maintenant, je crois que je me mettrais à pleurer. Et puis une maison de bois ravissante, qu'on a écrasée pour faire un garage ou un magasin de pièces automobiles, je ne sais plus... quel genre de pithécantrope a-t-il pu commettre une chose pareille et où était l'architecte conseil de la ville, il paraît qu'il y en a un? Le siècle du transhumanisme et de "l'intelligence artificielle" s'installe, comme celui des idéologies précédentes, sur la destruction obtuse du patrimoine culturel, spirituel, matériel et immatériel, car pour nous faire un univers de monstres et nous persuader qu'il est le meilleur possible, il faut effacer tout ce qui pourrait nous rappeler ce que nous avons bradé aux brigands de grand chemin et aux psychopathes auxquels nous nous sommes tous donnés. Et certains le font avec enthousiasme, il n'y a rien de plus actif qu'un imbécile cupide, ce qu'on appele pudiquement un esprit pragmatique. Comment a-t-on pu en arriver là, où même nos villes se mettent à ressembler aux gigantesques amas d'ordures en plastique dont nous ne parvenons pas à nous débarrasser?
Cependant, il existe ici un précipité positif, les cosaques désireux de s'approprier leurs traditions perdues, un évêque humain et intelligent qui amène de bons prêtres, qui provoque une bonne dynamique, des gens qui ici et là défendent les bonnes causes ou s'intéressent au folklore. Et dans ce mouvement, nous nous inscrivons bien, Katia et moi. Les balalaikers proposent de monter, dans cette ville où la prolifération de petits musées stupides sert d'alibi à la destruction de tout le reste, une succursale du musée de la balalaïka d'Oulianovsk: une partie didactique, avec des collections d'instruments, des photos, des outils, une partie salon de thé, avec une petite scène, des tables, la possibilité de se rencontrer, de jouer, chanter, inviter des intervenants, donner des conférences, organiser des débats, et aussi commercialiser les balalaikas de la firme. J'ai vu le Suisse cosaque, que cela intéresse beaucoup, et une de mes iconographes de Nikitski voudrait apprendre la balalaïka. Ici, il y a la possibilité de nourrir les âmes. Tout cela évidemment, si la caste malfaisante qui a lancé l'opération covid nous en laisse la possibilité...
Ce Suisse, Benjamin, est venu chez moi pour participer au tournage d'un documentaire d'information sur l'affaire du lac. Ce qui me rendait nerveuse, c'est que la dame à l'origine de l'initiative n'arrêtait pas de tout diriger et dicter, où nous placer et ce que nous devions dire, et je trouve cela terriblement agaçant.
Benjamin est un ami de mon voisin, mais à la vue du départ de construction, il a soupiré que cela gâchait "un peu" la vue. Benjamin est un amoureux de la Russie, au point qu'il est même devenu vieux-croyant, et il souffre également des ravages opérés sur le patrimoine par les descendants dégénérés de ceux qui l'ont édifié.
En réalité, je pense déjà à ce que je ferai pour récupérer une vue normale, c'est-à-dire des plantations. Et si la situation devient intenable, je vendrai pour aller ailleurs. Enfin si d'ici là on ne nous a pas spoliés de tout, voire même massivement exterminés en douceur, façon docteur Alexandre, en tant que biomasse inutile aux dieux mécaniques de l'Olympe transhumaniste.
Après quelques courses, je suis allée regarder le coucher de soleil sur le lac qui chuchotait doucement à mes pieds, ce beau lac qui est là depuis des millénaires, qui a nourri, abreuvé et baigné des générations de Russes, de vrais Russes, qui avaient d'autres valeurs que ces gnomes prêts à le mettre aujourd'hui en coupe réglée, et le transformer en marécage plein de moustiques, en égoût pour leurs affreux cottages, d'ici la fin du processus, avec un peu de chance, je serai morte, ou le Second Avènement aura eu lieu. Le lac avait la couleur de l'or, comme le fond des icônes, cette ténèbre lumineuse au delà de laquelle Dieu ne se laisse plus entrevoir.