Le ciel est ce soir si beau, et je trouve magique de le voir depuis ma fenêtre, j'en avais perdu l'habitude. A ses tons cuivrés répondent le joyeux bouquet d'étoiles des lys de Nadia. Je vais mettre plus de lys, ceux-ci poussent très bien. Je sens que nous arrivons déjà au versant automnal de notre bref été.
J'ai fait la présentation de Yarilo, mais le moment le plus intense de la journée fut la liturgie du matin, où il n'y avait presque personne, où j'étais presque seule avec le métropolite Philippe, et je lui recommandais les miens, les personnages de mon livre, et puis aussi la pauvre propriétaire du chat que je croyais avoir sauvé et qui ne cesse de me hanter; pourtant là, vraiment, je n'y étais pour rien, mais c'était comme si je prenais ce chagrin et cette culpabilité sur moi, j'espère que cela allège mystérieusement les siens. Il y a quelque chose de si affreusement irrémédiable dans la mort, de si irréparable... Le chat était là, soyeux, éperdu, et puis quand sa maîtresse est arrivée, on ne pouvait plus rien pour lui. Et cela faisait écho dans mon coeur à la tragédie qui frappe mon amie et pour laquelle je ne trouve pas de mots...
J'aimerais avoir un signe des gens de ma famille que j'ai perdus. Parfois, je sens des présences très proches, le père Placide, le métropolite Philippe, et même parfois l'higoumène Boris, mais je n'arrive pas à trouver celle de mes parents qui me manquent tellement. Peut-être que les hommes de prière se relient plus facilement à nous par delà la mort et les siècles.
J'avais un peu moins de monde pour Yarilo que pour les chroniques, cela touche les gens de moins près. Mais j'ai eu des réactions très chaleureuses. Katia a magnifiquement lu son extrait, avec un vrai talent d'actrice. J'étais très fatiguée, et j'avais mal à la tête. J'ai même reculé devant le café français, j'avais envie de silence, je suis rentrée chez moi. Cette migraine a duré trois jours, je pense que je la dois au chat.
Ce soir, je suis repassée au café, Gilles m'avait vendu plusieurs livres, j'ai goûté le fraisier de Godfroi, alors que mon intention était de me mettre au régime. Et il a introduit un nouveau gâteau, le rocher, que j'ai remis à une date ultérieure, parce que, comme disait en passant à table le regretté père Gauthier, une de nos figures familiales, "un certain ascétisme convient".
Je voulais mettre une dédicace sur l'exemplaire de Vladimir, qui s'occupe du bar, et alors que je commençais à descendre l'escalier, une jeune femme assise en bas m'a regardée avec de grands yeux en murmurant "Laurence", comme si elle avait vu la sainte Vierge, j'ai eu un choc, je crois qu'il va falloir que je m'habitue!
C'était une relation facebook, qui, passant par Pereslavl, se demandait comment y rencontrer Laurence en chair et en os. Eh bien naturellement, en allant au café la Forêt, bien que je sois plus accro aux gâteaux du rez-de-chaussée qu'aux bières du sous-sol! Elle était tout à fait charmante, et avec Vladimir, nous avons parlé d'Ivan le Terrible. La jeune femme me disait qu'au vu de l'île de Siyavsk, qu'il avait couverte d'églises au moment de la conquête de Kazan, elle pouvait difficilement l'associer à un maniaque et c'est vrai qu'il a laissé partout d'admirables constructions. Il est exact que peu de documents fiables subsistent sur son règne. Moi, je le vois comme un personnage de Dostoievski, déchiré par toutes sortes de passions, mais idéaliste, et nostalgique de la pureté et de la sainteté. Un Russe, en somme.
J'ai quitté cette compagnie, parce que mes artisans devaient arriver à cinq heures, ce qu'ils n'ont naturellement pas fait. Kolia a mis sur le coup un type qui a l'air de connaître le boulot, mais il n'est pas venu, cela fait deux mois que ça traîne, et ils ont bien sûr laissé dans mon jardin des poutres et des tuyaux que je ne peux déplacer seule, qui me font cuire les yeux, et m'empêchent de tondre...
J'ai vu qu'un prêtre orthodoxe israélien, sur facebook, colportait toutes les calomnies ukrainiennes sur les Russes avec l'assurance absolue que ces derniers sont fondamentalement coupables de par leur nature intrinsèquement barbare. Les Russes brûlent le blé ukrainien. En effet, ce n'est pas le gentil président Zelenski qui ferait une chose pareille à ses administrés, c'est par définition impossible. Pourtant, le problème est qu'en Ukraine comme partout ailleurs en Europe, les dirigeants peuvent faire n'importe quelle saloperie à leurs populations, puisqu'ils n'ont plus aucun sentiment d'appartenance à une communauté nationale, ce sont tous les membres d'une caste hors sol, d'une espèce de secte. Ils sacrifieront allègrement tous les Ukrainiens à leur guerre médiatique contre la Russie, où d'ailleurs, des terroristes, venus du trou noir, ont installé des dispositifs dans les champs de blé pour obtenir le même résultat que chez eux. Les Russes, en revanche, n'ont aucun intérêt a s'aliéner des populations qui leur sont, dans la partie orientale où ils sont déployés, largement acquises ni à aggraver une pauvreté qu'il leur incombera d'assumer. De plus, ils n'ont aucune haine contre les populations ukrainiennes, et ne tiennent aucun discours en ce sens, alors qu'en face, depuis le maïdan et même avant, la haine est écumante et relève de la psychiatrie. En réalité, le président ukrainien se fout des gens comme d'une guigne, et sait très bien qu'en bombardant le Donbass ou en faisant brûler les champs de blés, il s'attaque non à des Ukrainiens agressés par des Russes, ce qui pourrait paraître absurde, mais à des Russes maintenus de force dans sa nation artificielle, et cela sur commande d'une mafia supranationale de banksters qui n'hésite pas à faire tirer sur les agriculteurs néerlandais à balles réelles par leur propre police..
Du reste, il n'y a pas qu'en Ukraine que brûlent les champs de blé, ils brûlent aussi en Roumanie, où on ne nous dira pas que ce sont les Russes, mais le réchauffement climatique, qui lui aussi a bon dos. Ou bien, comme l'envisage Boulevard Voltaire, à propos des incendies de forêt en France, le terrorisme islamique, son dos n'est pas mauvais non plus. Je crois qu'il n'y a qu'un seul terrorisme, qui utilise les cinglés là où il les trouve, et peu importe leur étiquette. Mais bon, naturellement, je suis complotiste...
Tout cela est aussi ignoble qu'atroce et je me fais beaucoup de souci pour ceux qui sont là bas, dans le paradis démocratique. En même temps, le tour qu'ont pris les événements m'a donné une espèce de sérénité. Un correspondant m'écrivait que l'on pourrait déboucher sur une catastrophe nucléaire, mais je n'y pense pas tellement, pas plus qu'à la chute d'un astéroïde géant, je vis au jour le jour. Si la Russie est vaincue, mais c'est peu probable, je n'aurai plus aucun endroit où me réfugier sur cette planète, entièrement au pouvoir de tout ce que j'abhorre. Auquel cas, peu m'importe la suite, je n'aurai plus qu'à mourir, et on s'occupera sans doute de me faciliter les choses. Si elle triomphe, le monde prendra une autre direction, sans doute plus acceptable pour les êtres humains, et je mourrai avec l'espoir que les enfants ont encore un avenir. Cependant, j'ai le coeur fendu par le sort de l'Europe, que ses dirigeants mènent à une perte totale et sans gloire.
Le dernier numéro de l'Antipresse est particulièrement riche et percutant. Slobodan Despot analyse avec humour le comportement aberrant du personnel politique occidental, si néfaste, et pose la question: le font-ils exprès? Je crois que oui mais l'on est rarement très intelligent quand on est méchant et vil, on est astucieux, mais on ne voit pas très loin, et surtout, on est incapable d'imaginer des comportements qui ne soient pas dictés par de bas intérêts ou des rancoeurs. Et c'est là qu'on fait des erreurs d'appréciation parfois fatales.
Son article sur Soljénitsyne est également très profond, et me touche particulièrement par la définition qu'il donne de la fonction littéraire:
La littérature est radicalement artistique, mais il existe des questions purement littéraires, qui ne se retrouvent pas dans les autres arts. L’écrivain est tenu de s’incliner devant la force suprême qui le traverse. Son devoir intérieur se traduit dans sa relation sacrée à l’écriture: Soljenitsyne en fait une obligation morale et spirituelle, une responsabilité littéraire devant Dieu, une relation à l’absolu. Dans le monde moderne, cette obligation morale s’est effondrée: on écrit n’importe quoi, on ne répond plus de ce que l’on écrit; les écrits s’envolent, d’autant plus depuis l’essor du numérique. Lorsque l’on écrit avec ses pieds, on ne risque pas de rencontrer les étoiles. De même, Soljenitsyne rappelle que ce qui est précieux rencontre toujours peu d’adeptes, et seulement un tout petit groupe de connaisseurs. À vouloir plaire à des millions de gens, les auteurs baissent le niveau culturel du livre. La culture de masse est une antinomie, un désastre, l’inverse du folklore qui recèle l’esprit d’une culture locale et survit au temps avec de vieilles chansons transmises de génération en génération. Pour Soljenitsyne, notre époque est effroyable par sa propension à tout faire disparaître sans s’en préoccuper, sans aucune garantie ni certitude que ce qui a disparu puisse revenir. Cela peut disparaître pour toujours. Un auteur littéraire peut ne pas avoir réalisé ce qu’il devait réaliser. Un véritable auteur a une mission spirituelle et sait qu’il en est investi. Sa littérature est un souffle qui l’envahit, est le produit de ses états d’âme autant qu’elle les façonne.
Ce passage recoupe ce que j'ai dit moi-même à la présentation de Yarilo, car c'est ainsi que j'ai toujours vu les choses. Un acte mystérieux qui nous relie avec l'océan de toutes les âmes, qui fait de nous l'organiste d'un instrument aux milliards de voix, un médium.
Cela n'ouvre-t-il pas de vertigineuses perspectives sur l'abîme du trou noir?