Février est le mois où généralement revient la lumière, où le soleil fait des incursions, où il chauffe même un peu. C'est aussi un mois venteux et neigeux. Ce matin, j'avais un soleil radieux, j'ai ressenti le besoin d'aller me promener. Il y avait du vent, pas très froid, mais pas de neige. J'ai pris beaucoup de plaisir à respirer l'air frais, à voir ce ciel nacré, dont le soleil s'enveloppait peu à peu jusqu'à presque disparaître, plus qu'une tête brillante aux boucles blanches dans un envol de draperies grises et roses. Le lac se distinguait de la neige par une sorte de très allusive phosphorescence bleue. J'avais mis de vraies bottes de feutre sans semelles de plastique, c'est vrai que cela tient très chaud, et ne glisse pas, et puis j'avais pris aussi des bâtons de ski, ce qui donne beaucoup de stabilité, décharge les genoux d'une partie du poids du corps, et fait travailler les bras et les épaules.
Je tire du congélateur des souvenirs de l'été précédent, en attendant le prochain. Des groseilles congelées dans le sucre, qu'elles m'ont donc paru bonnes, avec leur petit goût âpre et sauvage! Meilleures qu'en été ou l'abondance m'empêche de les apprécier. J'ai aussi des réserves de mente et de mélisse, de marjolaine que j'ai fait sécher, et dont le parfum s'échappe du bocal comme s'il ouvrait directement sur la belle saison.
Mon jardin est toujours hanté par les deux frères Nounours et Alba, les deux gentils et timides géants à la fourrure blanche. Hier, en rentrant de mes courses, j'ai vu Alba confortablement installé sur l'herbe sèche, dans la niche que j'avais mise pour Nounours, et où il n'a jamais voulu entrer. Alba a pris un air coupable, je lui ai dit qu'il pouvait rester...
J'ai aussi, outre les traditionnels bouvreuils, des compagnies de huppes qui viennent manger avec les mésanges dans mon restau du coeur.
J'avais l'intention de parler de ci, de ça et du reste, de tout ce qui nous inquiète, nous révolte, nous effraie, nous consterne et des imbécilités que je lis, ou des trahisons, mais là, brusquement, je n'ai plus envie. Que les imbéciles et les salauds aillent se faire voir sans moi chez les Grecs, qui en ont pourtant déjà bien assez vu, les pauvres. J'attends le printemps comme une fête, aujourd'hui j'en sentais un peu la présence, dans un mois tout va commencer à fondre, il y aura ces premiers merveilleux jours où l'on peut déjà s'asseoir sur la terrasse, où l'air reste encore froid mais le soleil est chaud et la lumière vive. Je travaille la musique, j'écris, je corrige, à chaque jour suffit sa peine. Ma tante Mano va mieux. On m'a transmis par internet une lettre de la mère Hypandia: "Nous sommes dans une époque incompréhensible si nous ne nous fions pas au regard du Christ pour la comprendre. Et encore le mot « comprendre » peut-il avoir un sens ? Il faut plutôt dire que nous recevons notre temps, tel que Dieu nous le donne aujourd’hui. Recevons-le de Sa main, pleine d’amour et réjouissons-nous et glorifions tout ce qui nous arrive".
Beaucoup de choses me rendent infiniment triste et je ne sais comment je les supporte ou les supporterai plus avant, mais sans doute de cette manière, et avec la certitude que derrière tous les désastres se lève quelque chose de mystérieux et de grandiose et qu'il ne faut pas se tromper de combat...