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lundi 4 août 2025

Pélerinage dans la débâcle

Icône de la Mère de Dieu souveraine

 Amaury est arrivé à Pereslavl avec les pèlerins tradis qui ont fait escale chez le père Basile. Il a mis chez moi une dame dont j'admire le courage, car elle est plus âgée que moi, et le voyage n'a pas été facile pour elle. De plus, c'est quelqu'un d'intelligent, de sensible et qui comprend bien la situation générale. Comme je lui parlais de Solan, du père Placide, elle m'a demandé pourquoi j'avais finalement décidé de repartir en Russie, et j'ai fini par lui rapporter la conversation décisive au cours de laquelle le père Placide m'avait déclaré: "Partez, nous sommes foutus". Elle est restée muette, comme si quelque chose lui était tombé dessus, qu'elle avait besoin de digérer.

Nous avons passé deux soirées avec toute l'équipe, qui nous a donné des chapelets et des médailles de Notre-Dame de Lorette, comme elle l'a fait aux Russes tout au long de son voyage, parfois bien accueillie, parfois moins. En dehors de cette dame, il y avait deux messieurs, deux messieurs français cultivés, traditionnels, très agréables, ils ont chanté des chansons d'autrefois, et moi la blanche Biche, qui tirait des larmes à Amaury, tout le monde a déclaré que chanter ce répertoire ici avait quelque chose de surréaliste. En effet, et malgré toute ma sympathie pour ces personnes, c'est leur démarche en elle-même qui me paraît le plus surréaliste de toute l'histoire. Car elle a quelque chose de missionnaire, mais tout ce qu'ils apportent est typiquement français, et encore, peut-être actuellement d'un certain milieu français, ce n'est même pas caractéristique du catholicisme actuel, car celui-ci, officiellement, désavoue les réfractaires à Vatican II. Personnellement, je souscris à tout ce qu'a pu dire le père Basile, qui, on ne peut plus traditionnel, a finalement choisi l'orthodoxie, comme du reste le père Placide, comprenant au moment de Vatican II, qu'il ne lui restait plus qu'à partir au mont Athos. Et donc, un certain milieu catholique traditionnel estime que la Russie a besoin d 'être convertie, au catholicisme qui s'est finalement renié, et au sacré coeur de la Vierge Marie de Fatima, pour sauver le monde et la chrétienté, car la Russie devrait se repentir de ses erreurs, cause de tous nos malheurs. Mais la Russie est chrétienne depuis mille ans, au moment de l'assassinat de Nicolas II, elle a été remise par l'Eglise orthodoxe russe au commandement de la  Mère de Dieu, c'est elle qui en est la Tsarine céleste, en quelque sorte, depuis que nous n'avons malheureusement plus de tsar ici. Est-ce qu'on a fait de la Mère de Dieu, la reine de France, après le sacrifice de Louis XVI sur l'autel du Progrès exponentiel? Le communisme a été inoculé à la Russie depuis l'occident, c'est en Angleterre d'abord, et en France ensuite, qu'on a décapité le roi légitime et chrétien, puis persécuté les croyants, avant que cela se produisit ici par contagion, alors avant de demander le repentir à la Russie, il faudrait s'occuper de sa propre poutre. Enfin, même si les Russes peuvent avoir de la sympathie pour des Français venus à leur rencontre, ils ont quand même une certaine prévention envers les tentatives de conversion occidentales, qui, depuis les ambassades auprès d'Alexandre Nevsky et les agressions des chevaliers teutons, en passant par l'uniatisme polonais, ont ici très mauvaise presse. Le père Basile s'était d'ailleurs fait jeter de sa première affectation en Russie, parce que les gens du cru pensaient que c'était, malgré sa conversion, un "catholique franc-maçon"!

Cela dit, les réflexions suscitées par l'événement et dont je fais part ici n'ont pas été évoquées au cours de nos deux soirées, elles me sont venues après, sur le fond de méditations antérieures sur ce thème.

L'exploit des marcheurs français catholiques me semblait quelque peu étrange, dans un pays où ce qui demeure chrétien est massivement orthodoxe, au moment où le catholicisme officiel sombre dans un n'importe quoi qui consterne beaucoup de ses fidèles, à commencer, depuis déjà longtemps, par les catholiques tradis eux-mêmes. Je me disais que pour pas mal de gens, ma propre démarche est difficile à comprendre, mais elle m'apparaissait tout-à-coup on ne peut plus justifiée, peut-être une intuition qui dépassait largement ma compréhension d'adolescente, quand je l'amorçai, à dix-huit ans, dans l'église de la sainte-Trinité, à Vanves. Car si je reste française par bien des côtés, ma langue et ma culture, mon héritage génétique, si parfois des vidéos sur de magnifiques églises romanes encore revêtues de leurs fresques et accompagnées de chants vieux romains des origines touchent en moi une corde très profonde, je suis absolument convaincue que le salut de la chrétienté ne réside pas dans la conversion au catholicisme traditionnel périphérique de la Russie restée orthodoxe malgré des persécutions inouïes. Et quand je vais à l'église ici, je me sens chez moi, hier, c'était l'anniversaire de notre évêque, et j'étais heureuse de m'associer à cet événement, de le féliciter, de partager la communion avec tous ces gens qui constituent à mes yeux une sorte de famille spirituelle, cette fameuse sobornost' orthodoxe, dont les effets me sont très sensibles. Au fond, quand j'ai quitté l'Eglise romaine, je n'avais jamais ressenti cela, et je ne le ressens pas devant ce qu'il en subsiste aujourd'hui, parallèlement au désastre de Vatican II qui poursuit son chemin. Ce qui ne signifie pas que je n'ai pas de respect, individuellement, ni d'amour, pour des catholiques, simples fidèles ou même prêtres et moines, après tout, saint Silouane disait qu'on ne pouvait damner des millions de gens parce qu'ils n'étaient pas nés dans un pays de tradition orthodoxe, et mon père Valentin pense que toute personne morte au nom de Christ le rejoindra quelle que soit sa confession.

De me sentir chez moi dans l'Eglise orthodoxe fait que je me sens chez moi en Russie, même si j'ai la nostalgie de la France, de ses paysages, de mon enfance, et si je conserve de l'attachement à sa culture. J'entendais Amaury dire qu'à Nijni-Novgorod, le maire était prêt à construire une église catholique pour attirer des émigrés européens au savoir-faire intéressants dans toutes sortes de domaines. C'est-à-dire que des catholiques viendront dans la même perspective que les colons allemands sous Catherine II, qui restèrent protestants et allemands dans leurs villages spécifiques pendant plusieurs générations, même si certains d'entre eux s'assimilèrent plus vite, naturellement. Bon, grand bien leur fasse. En fin de compte, la Russie est grande. Mais il y a quelque chose pour moi de poignant dans cette attitude crispée sur ce qui n'est plus et dans un exil qui voudrait, au fond, changer le pays d'accueil, qu'on dit aimer, mais qu'on voudrait autre qu'il n'est historiquement et spirituellement. Dans un sens, moi aussi, je le voudrais autre qu'il n'est actuellement, je le voudrais tel qu'il est fondamentalement, tel que je l'ai aimé à travers sa culture, je voudrais qu'il redevînt pleinement lui-même, mais ce n'est pas la mode. Même ici. L'amie russe d'Amaury nous disait que, comme en occident, les jeunes se mettaient ici à mépriser et détester les vieux, et évidemment, tout ce qui était national; cependant, ce n'est pas encore un phénomène irréversible et prédominant, car je trouve suffisemment d'écho pour qu'on vienne m'interviewer et me filmer régulièrement, et je me fais aussi aborder par des jeunes. De plus, elle vit à Moscou, et ne connaît pas les milieux des folkloristes, par exemple.

A ce sujet, je suis tombée sur le post suivant, sur le fil de Facebook:

Près de Lvov, en Ukraine occidentale, 70 arbres ont été abattus devant l’hôtel de ville. Non pas parce qu’ils étaient malades, dangereux ou inutiles, mais parce qu’ils étaient jugés « soviétiques ». C’est ce qu’a expliqué, sans sourciller, le maire local, affirmant qu’ils n’avaient donc « aucune valeur » et devaient disparaître. À leur place : 120 arbustes ornementaux, un ruisseau artificiel et quelques bancs sans âme, le tout cofinancé par la Pologne et l’Union européenne à hauteur de 60 %.
Cette scène pourrait prêter à sourire si elle ne révélait pas, dans toute sa crudité, la profondeur du racisme idéologique anti-russe qui s’est emparé de certaines élites ukrainiennes, et que Bruxelles subventionne sans sourciller. Jusqu’aux arbres, on traque tout ce qui pourrait rappeler un passé commun, fût-il végétal. On déracine l’Histoire, au sens propre.
Et ce réflexe n’est pas si éloigné de celui qu’on observe dans nombre de mairies de gauche ou écologistes en France : on sacrifie les vieux arbres, on bétonne les parcs, on remplace l’organique par du plastique, du marketing « durable », de l’aseptisé. La verdure naturelle est perçue comme suspecte, comme une survivance incontrôlable — alors on la remplace par des gadgets urbains subventionnés.
C’est une esthétique du déracinement : le beau devient réactionnaire, le vivant devient politique, le stable devient menaçant. On ne plante plus, on installe. On ne préserve plus, on met en scène. C’est l’anti-nature élevée au rang d’urbanisme européen.
Et pour parachever le symbole : dans cette même ville de Lvov, où l’on coupe aujourd’hui les arbres « soviétiques », les massacres de milliers de Juifs, perpétrés par des collaborateurs locaux durant la Seconde Guerre mondiale, n’ont jamais été jugés. Voilà donc l’Europe que l’on nous vend : amnésique, revancharde, et fière de ses refoulements.

Je remarque que ces observations très justes sont hélas applicables à la Russie elle-même. Dans la version communiste de l’idéologie du Progrès matérialiste, le slogan numéro 1, c’était : du passé faisons table rase. Les églises, les monuments anciens, tout ce qui pouvait rappeler l’ancienne beauté, l’ancienne ferveur, le désir de transcendance. Et bien sûr la nature, qui devait être asservie, violée et exploitée à merci. C’est même étonnant de voir la concordance entre les comportements nazis ukrainiens et les comportements bolcheviques qu’ils contestent. Sans compter que ces réflexes sont aussi en place dans la France républicaine. Ici, on déteste souvent tout ce qui peut rappeler la Russie antérieure à 17 et surtout la paysannerie. On déteste les espèces végétales locales et la « mise en valeur » de la berge de notre rivière, ici, à Pereslavl, s’accompagne d’une table rase au bulldozer qui n’a laissé aucun arbre indigène debout, pour faire certainement place à des espèces exotiques du genre thuya, ou pire, à des topiaires et des arbres en plastique aux fleurs fluorescentes inaltérables que l’on retrouve jusque dans l’enceinte féérique et typiquement russe du kremlin de Rostov. En moins ouvertement idéologique, c’est exactement ce qui se produit à Lvov, disons qu'ici, cela procède d'un mauvais goût qui lui même procède de l'éradication du sens de la beauté, de l'authenticité pratiquée par l'idéologie. A Lvov, on détruit des arbres soviétiques, ici on détruit des arbres russes, parce que la Russie n’est pas chic, elle est attardée, on veut partout instaurer l’esthétique, si l’on peut employer ce mot, du centre commercial européen, avec les petits réverbères et les massifs bétonnés, ou même de la zone industrielle: que du béton, que du métal, que du plastique. Ca fait propre. La vie, c'est sale.

A propos des réflexions que je me faisais dans la chronique précédente, j'ai trouvé cette citation sur la page Orthodoxy and animals:

"God is Intellect and transcends the creatures that in His Wisdom He has created; yet He also changelessly begets the Logos as their dwelling-place, and, as Scripture says (cf. John 14:26), sends the Holy Spirit to endow them with power. He is thus both outside everything and within everything. " - St Nikitas Stithatos

Je suis rassurée de ne pas être hérétique...







mercredi 30 juillet 2025

Les filets du Christ

 


Tania est venue me dire qu'un bel oiseau gisait près de mon portail, un gros oiseau, je suis allée voir, c'était une mouette, et j'aime particulièrement ces créatures du vent et de l'eau, couleur des nuages, leur cri mélancolique. L'orage avait dû la faire tomber dans les broussailles, et son aile s'était emmêlée dans les cordes des liserons. Nous l'avons dégagée, elle était un peu ankylosée et choquée, mais au bout d'un moment, elle a réussi à partir. J'étais heureuse d'avoir pu la délivrer.

Retour à l’église, après avoir manqué la liturgie de dimanche dernier, et cela m’a fait du bien, je ne sais pas comment cela marche, mais ça marche... Les gens qui prient, leur gentillesse, les cierges, l’encens, les rites, cet espace immémorial, cohérent, éternel au sein de ce chaos absurde où nous devons tous vivre. L'Eucharistie me donne toujours une impression de paix, de joie recueillie. Je me demandais si j’étais vraiment si chrétienne que cela, car au fond, je ne peux pas comprendre comment un principe uniquement masculin peut engendrer un Fils et créer un univers dont la moitié féminine et la moitié masculine se cherchent sans arrêt, se ruent l’une vers l’autre, recréant, projetant infiniment la Création ou l’accomplissant dans l'exultation et la terreur. De plus, tout ce que je ressens et découvre m’indique que le monde où nous sommes est fait, sur notre planète même, d’univers parallèles, que tout y est sacré, que tout participe du sacré, sauf l’Homme contemporain qui le profane à chaque pas et y commet des iniquités impardonnables, insupportables, piétinant tout, et se croyant tous les droits, dans une arrogance de plus en plus stupide et néfaste. Les dauphins et les orques ont un système de communication très élaboré, et ils sont innocents, ils sont purs. Il en est de même des éléphants, qui ont la notion de la mort, des loups nobles et monogames. Les arbres aussi communiquent, et ils ont besoin des chants d’oiseaux pour pousser. L’interpénétration, l’osmose, est immense, entre le Créé et le Créateur. En même temps, je crois que le Christ est Dieu incarné, et que l’Homme a un destin spirituel qui est peut-être de dépasser, de transfigurer la loi naturelle et que cela sera l’accomplissement suprême du phénomène de l’Existence et sa libération de cette perpétuation infinie du meurtre et de l’entredévoration qui nous cause tant de souffrances, même en faisant abstraction de la perversité et de la prédation humaines.

Un moine disait que les animaux étaient tous des serviteurs de la Création de Dieu, les animaux et les plantes, chacun a sa fonction indispensable et complémentaire, et les traiter comme nous les traitons, de façon mercantile, consommatrice, brutale et cruelle, c'est cracher à travers la Création, sur le Créateur qui souffre avec elle et avec nous. 

Le père Basile m’a raconté au téléphone qu’il avait vu arriver, avec un Français de ma connaissance, une équipe de pèlerins cathos tradis venus à pied convainсre les Russes de se « convertir », comme s’ils ne l’étaient pas déja depuis plus de mille ans. Le père Basile leur a dit qu’ils seraient toujours très bien accueillis par les Russes, qui sont très gentils, mais que sur le plan de la théologie, ils allaient rencontrer pas mal de résistance, que lui-même, vendéen, avait compris que le traditionnalisme le plus radical, c’était tout simplement l’orthodoxie. Malgré toute l’estime que lui inspirait leur « exploit », il pense, comme moi, que tous les adeptes de la conversion fatimiste sont dans une telle ignorance de la Russie, de sa mentalité et de sa spiritualité qu’il est difficile de discuter avec eux. Commencer à voir la Russie et son histoire comme elles sont serait remettre en cause pas mal d'illusions.

Il est, comme Dany, et comme Fédia, le fiancé de Katia, choqué par les fêtes estivales débridées qui sont peu acceptables dans le contexte d’une guerre meurtrière et périlleuse. Il m’a dit que tous les soldats pour lesquels on prie au monastère restent pour l’instant en vie, et Fédia lui-même attribue à la prière des gens qui le soutiennent le fait qu’il soit encore de ce monde lui-même.

J’avais rendez-vous à dix heures, dimanche, pour un tournage, dans le cadre d’un intéressant documentaire. Au monastère Danilov. J’y étais en avance et en évidence, mais je ne voyais rien arriver. Le cinéaste m’a écrit qu’il cherchait Aurélie la Belge, qui devait sonner les cloches et participer au film. Le retard était si grand que j’ai fini par appeler, malgré les brouillages internet, parce qu’il était impossible qu’on ne me trouvât pas là où j’étais. Et Aurélie, qui m’a répondu, m’a dit que je m’étais trompée de monastère, ce n’était pas au Danilov de Pereslavl qu’on m’attendait, mais à celui de Moscou! 

Un type à qui j’avais répondu que s’il avait lu l’Evangile, il aurait vu que Jésus envisage d’ouvrir le Royaume aux gentils, m’a mise au défi de lui citer des passages qui le prouvent. Sur le moment, j’ai pensé que j’aurais mieux fait de ne pas faire de commentaire, car je n’avais absolument pas le temps de faire toute une recherche. J’y suis plus ou moins arrivée, mais maintenant, je ne retrouve plus notre échange, et puis à vrai dire, les exemples trouvés ne lui paraîtront pas convaincants. Il s’agit du Centurion, de la Cananéenne, la parabole du vigneron, celle aussi, à mon avis, du festin auquel se dérobent les invités, et puis le passage «Allez, baptisez toutes les nations ». Il y a aussi, me semble-t-t-il, le passage du bon Pasteur, mais tout cela demande à être vérifié. Pour moi, il est évident que le message du Christ s’adresse aussi aux gentils, et d'autant plus que les pharisiens ne le recevaient pas, mais sur un type qui cherche à prouver que ce n’est qu’un juif suprémaciste de plus, cela n’aura pas grand effet. Il en est de lui comme des pèlerins fatimistes, son système n'enregistre pas certaines données.

Chaleur lourde et orageuse, taons déchaînés, nouvelles affreuses et inquiétantes. De toutes parts. Mon amie Sophie m'écrit: "L'état profond, c'est satan, il est libre et ira jusqu'au bout, puisqu'il ne sait rien faire d'autre que détruire le beau, donc tant que Christ ne sera pas revenu, on est inexorablement sur un toboggan, seules nos prières ralentissent la chute".

C'est ce que me disait déjà le père Barsanuphe en 1970. D'après lui, le monde reposait en permanence sur les prières de sept saints et le jour où ceux-là viendraient à manquer, il s'effondrerait. Beaucoup de prédicateurs ici soutiennent la même chose: la guerre en cours est spirituelle avant tout, chaque prière, chaque belle et bonne action, chaque moment de lucidité et de recueillement contribuent à la victoire. Sophie ajoute: "Les moines, les prêtres, les fidèles, leurs prières, les églises, les pensées sont les filets du Christ pour ralentir le temps du jugement et sauver le plus d'âmes possible." 


 


samedi 26 juillet 2025

Fleur de Moscou

 


Mano est effarée par ce qui se passe en France et dans le monde, et il y a de quoi, elle est même loin, à mon avis, de réaliser à quel point c’est grave, car elle n’est pas aussi informée que moi, elle préfère inconsciemment ne pas l’être trop, d’ailleurs. La France est en train de mourir, minée par la caste, et submergée par les populations inassimilables et aggressives qu’on a encouragées à venir déferler sur nous. Je ne vois pas sans un serrement de coeur de vieux documents sur les années cinquante, soixante, soixante-dix et même quatre-vingt. Pourtant, le ver était déjà dans le fruit, mais on pouvait encore imaginer vivre normalement, alors que maintenant, les gens sont inquiets, désespérés, ils ont peur pour leurs enfants, débauchés et abrutis par l’école, violés et attaqués au couteau ou à la machette dans la rue. Paris est une sorte de cour des miracles où l’on voit tout ce que l’on veut mais très peu de ce qu'on appelait un Français, et quand je relis mes souvenirs, je réalise que tout cela, qui, dans les années 2000 me semblait encore plus ou moins dans la continuité de ma jeunesse, a disparu sans retour, comme le Moyen-âge ou la Rome antique.

Le gouvernement est un ramassis de minables, de salauds, de bandits, d'imbéciles et de traîtres, qui n’ont aucun souci de leurs administrés, on a l’impression qu’ils remplissent un contrat mafieux, consistant à nous éliminer, en tenant, comme des gourous de secte, des discours vides de sens et impudemment mensongers. Au delà de ce qui arrive à l’Europe, on peut dire que le monde entier est malade, que partout gagne la lèpre de la laideur hallucinante, de la vulgarité, de la confusion, de la bêtise et de la violence aveugle et vile. Tout est perverti, tout est transformé en cauchemar, les meilleurs sentiments et les meilleures intentions sont retournées pour nuire, comme dans le cas de l’écologie, où des pollueurs internationaux sans conscience et sans aucun respect de la vie, utilisent un discours idéologique creux pour asservir les gens et les faire marcher dans n’importe quoi : les éoliennes affreuses qui hachent les oiseaux et stérilisent la terre, les panneaux solaires qui transforment des régions entières en désert vitré; ou encore la santé, comme dans le cas du covid, ou bien des épidémies animales permettant de massacrer des troupeaux entiers. Je pourrais pleurer devant les témoignages de paysans qui doivent sacrifier leurs vaches pour une épidémie bénigne et limitée, parce que les nuisibles au pouvoir cherchent à les ruiner. Cela me rappelle en plus feutré, plus sournois, les horreurs de la collectivisation en Russie, d’ailleurs les malfaiteurs au travail sont de la même espèce et obéissent, au fond, au même motif : une haine sans limite et sans pitié pour toute espèce de société traditionnelle enracinée, surtout chrétienne. On dirait qu’un diable ricanant nous attend à tous les tournants, quel que soit le chemin emprunté. J’ai parfois le vertige, quand je songe que ce que je redoutais depuis plus de vingt ans, cette guerre entre la Russie et l’Ukraine, remake de la guerre civile des années vingt qui, au fond, n’a jamais pris fin, a tout de même eu lieu, et même si la Russie la gagne techniquement, nous sommes tous profondément perdants, plus encore que ceux qui ont réussi à nous l’organiser avec des ficelles grosses comme des câbles. Ils seront peut-être détruits au passage, mais ils nous auront jetés les uns sur les autres, ils auront déversé ici toute l’Afrique, et là toute l’Asie Centrale, créant une situation irréversible en se moquant de nous. Ils nous auront privés de notre culture, de notre dignité, de notre âme et de toute espèce d’espoir, en tous cas, pour ce qui concerne l’Europe, car la Russie est peut-être encore assez vivante pour surmonter, et même jouer le rôle de Constantinople, de la troisième Rome, si les gargouilles et les gnomes ne la mangent pas...

Je disais au père Valentin que néanmoins, mon voyage au Donbass m’avait apporté une sorte de sérénité, m’avait donné une direction de vie. Mon champ d’action s’est rétréci au père Nikita, et à son entourage, à Fédia et ses camarades là-bas, et ici aux villages miraculés où les jeunes femmes de ma connaissance soufflent sur les braises de la Tradition. Et puis aux gens qui veulent venir ici et que je peux aider, aux animaux, devant lesquels nous sommes si terriblement coupables, quand cela n’est pas trop au dessus de mes forces. Je n’ai aucun pouvoir sur le reste.


Je n’ai pas non plus beaucoup d’élan pour les prières et offices interminables. Ni pour les jeûnes. Il me semble que lorsqu’on a mal partout et que l’on supporte un climat affreux qui vous rend malade, c’est en soi suffisant, comme ascèse. Quand je lis que je ne devrais pas faire de différences entre les gens et les aimer tous du même amour, eh bien c’est raté, je n’y arrive pas du tout. Je suis plus indulgente à mes contemporains, mais je suis loin de tous les aimer comme moi-même, ou simplement, comme mes proches. C’est à cela que je constate que je ne suis pas une sainte: je n’ai pas l’amour universel. A vrai dire, j’objecte souvent aux athées primitifs que ce n’est pas Dieu qui est responsable des horreurs fantasmagoriques de l’humanité, mais tout de même, je finis par trouver qu’Il devrait bien quelque peu intervenir. Ce qu’on a fait de l’Ukraine est tellement immonde, je sais bien qu’une partie de la population a versé dans une haine antirusse délirante et stupide, et cela se paie, au plan de la justice divine comme de la justice immanente, mais quand même... Plus de 500 000 morts, ces cimetières à perte de vue, ces hommes enlevés en pleine rue, arrachés à leurs femmes, à leurs enfants, au landau du nouveau-né qui reste seul sur le trottoir, au chien qu’ils promènent ; et aussi les pertes russes de garçons qui ne demandaient qu’à vivre, et qui reviennent affreusement mutilés, tout cela méthodiquement préparé pendant des années, dans l'indifférence générale, par une poignée de salauds, tandis qu’une poignée de gens lucides criaient dans le désert...

Invitée par la chaîne orthodoxe SPAS, j'ai fait un petit tour à Moscou. J’ai dormi chez Xioucha, car Liéna a installé quelqu'un chez son père, et celui-ci n’a pas pensé à me proposer le divan du salon, à défaut du réduit que j’occupe d’habitude, derrière la cuisine. Du coup, il est venu me voir à huit heures du matin le jour de mon départ, mais comme je m’étais réveillée à cinq heures moins le quart et qu’il faisait grand jour, j’ai décidé de m’en aller pour voyager tranquille et à la fraîche. J’étais à peine arrivée que Xioucha m’appelait : « Lolo, vous êtes où ?

- A Pereslavl....

- Papa vous cherche partout dans l’appartement ! »

J’étais consternée, si j’avais su, je l’aurais attendu...

J’ai dû faire un minimum de ménage, à cause des affreux chats, et puis tondre le jardin, et ceuillir les framboises, et dégager les fleurs des liserons qui les envahissent. En réalité, je n’ai presque pas arrêté. J’ai juste fait une sieste dans le hamac pour profiter de la vue sur mon jardin, mais les astilbes se fanent, et je ne les ai pas vraiment vu fleurir. Les floxs commencent déjà, et les boules jaunes... Nous aurons sans doute un mois d’août tiède et ensoleillé, mais cela sent déjà l’automne.

Je cours à nouveau comme un lapin. J’ai marché à Moscou sans problèmes, dans le joli quartier de Zamoskvorietchié, je suis allée voir Dany et Iouri, puis un taxi est venu me prendre pour m’emmener rue Sergueï Eisenstein pour l’émission à laquelle j’étais invitée par la chaîne SPAS. La journaliste était très gentille, une jeune femme qui a épousé un Espagnol, Angelika. L’interview n’a pas duré plus de dix minutes, elle le regrettait, et envisage une autre émission. Une de ses collaboratrices est venue me dire : «Vous êtes belle... Quels yeux vous avez, et puis votre allure, vos cheveux argentés, je n’en reviens pas ! »

Moi non plus, parce que ce n’est pas ainsi que je me perçois mais ça fait plaisir.

En traversant, à cinq heures du matin, le passage à côté de chez Xioucha, j’ai croisé un parfait inconnu qui m’a aimablement dit bonjour, ce qui est inattendu et agréable dans une grande ville. Plus loin, j’ai vu, au feu rouge du carrefour, une bande de jeunes sur des trottinettes, bruyants, et visiblement bourrés, sinon pire. Et marchant à leur rencontre, j’étais légèrement sur mes gardes, or voici que l’un d’eux m’arrête, et me tend une ombelle de carotte, ramassée le long du trottoir : «Tenez, c’est pour vous, » me dit-il , souriant, la casquette de travers.

Il m’a semblé que toute ma journée était bénie par ces deux rencontres, que j’ai bénies à mon tour. Comme si la Russie me rendait mon amour, souvent exaspéré, mais jamais découragé.




Crépuscule

 

Souffles éparpillés de la lumière bruissante

Au gouffre bleu ténèbre d’une journée torride,

Où la brise ébahie murmure et s’extasie,

Dansant d’un pied sur l’autre au travers des corolles...

Que la beauté s’arrête un instant de courir,

Loin du criard désastre de notre fin minable

Qui craque et se fracasse en milliers d’oiseaux noirs,

Et nous laisse la trace de ses pas adorables,

Au sein gris du brouillard où virent les couleurs,

Où hurlent, bigarrées, d’indistinctes horreurs

Où rampent entêtantes d’infernales odeurs.

 

Quand monte douce la lune

Au velours gris du soir

Et que s’étend léger le chant du rossignol

Vrombissent menaçants les démons surchauffés

Et les anges les fuient dans les couloirs du vent,

Gagnant à tire d’ailes les astres préservés.

 

Les lentes rêveries et les feux sur les rives

Des fleuves noirs glissant sous l’oeil rouge des nuits,

Les tournoyantes voix qui s’enlacent et s’érigent

Au gré s’élargissant du silence ébahi...

La barque tourne et dérive et brasse les étoiles

Où vont à petits pas des âmes égarées,

Les voilà qui filent et s’envolent, effrayées,

Les voilà qui fusent et s’étirent, éveillées,

Et de colossaux archanges

Les avalent dans leur énorme lumière.

 

A l’horizon pousse l’arbre et ses fruits stellaires,

Irisé, chatoyant, immobile,

Mais le vent qui claque bouscule la nuit,

Hurlant dans les rues bleues,

Où brûlent des terrasses jaunes,

Les voix s’entrecoupent et chuchotent,

Les trajets claudiquants s’entrechoquent

Et je vais dans la douceur du soir,

Vieille fiancée d’un roi mort,

Druidesse muette des dieux oubliés.


lundi 21 juillet 2025

Falelieïevo

 





Je n’ai pratiquement pas le temps d’écrire. J’ai une traduction à faire, ce dont je suis d’ailleurs très contente, cela me fait un peu d’argent. J’essaie de m’occuper de la publication de mon livre, chez the Book edition, sur les conseils du jeune libraire Samuel, mais j’ai laissé tomber pour l’instant. Et j’ai chez moi Tatiana. Nous sommes allées supprimer l’enregistrement provisoire chez moi, l’enregistrer sur son appartement, après avoir reçu nos titres de propriété. Et puis nous attaquons tout de suite les travaux, car il faut profiter de sa présence ici. Donc rendez-vous avec l’équipe qui a travaillé ici, celle de Gilles. Puis avec le cuisiniste Sacha, après avoir passé deux heures à choisir les éléments de cuisine dans son magasin. 

Blackos recommence à m’emmerder au sens propre du terme. Ce chat pervers, d’une jalousie morbide, chie dans l’escalier de l’atelier, je pense qu’il ne supporte pas que Vassia du Donbass vienne sur mon bureau, et en plus, il pisse sur l’écran de l’ordinateur. Quand Georgette était mourante, il attendait la place. Et maintenant, voici Vassia, une pierre dans son jardin. Alors il se venge.

Ce chat m’a coûté beaucoup d’argent. Il m’a ruiné deux divans. Je l’engueule à nouveau tout le temps, et il a peur de moi, mais il continue. On peut dire que les ex propriétaires de la maison m’ont fait un beau cadeau quand ils l’ont abandonné derrière eux. 

Curieusement, quand je prie devant les icônes, il accourt aussitôt, et se plante devant moi, attendant mes caresses.

Vassia a montré des signes de grande inquiétude en entendant un feu d'artifice chez les voisins. Mes autres animaux ne réagissent pas. Ils n'ont pas connu la guerre au Donbass...

J’étais samedi invitée à chanter au village de Falelieïevo, où j’avais vu une isba qui me plaisait, mais j’avais trouvé le village un peu triste avec son église en ruines, et puis j’avais eu peur des travaux, de la solitude et des difficultés. Cette isba est toujours disponible, elle est voisine de celle de la jeune femme qui a entrepris de restaurer l’église et m’avait invitée à l’occasion d’un pique-nique de volontaires. L’environnement de cette maison est très joli, le terrain aussi, le toit est neuf, les frontons, la véranda, et on a même fait un prolongement derrière pour l’agrandir. J'aimerais savoir si les poutres sont valides, mais on ne construit pas, en principe, un toit et un fronton neufs sur des poutres pourries...




Les gens présents s'activaient pour réparer l'église, Marina estime qu'il y en a pour vingt ans, mais ça va, elle est jeune. Elle a acheté une isba dans ce village, et me l'a montrée, ainsi qu'un magnifique carreau de faïence au décor bleu, tout ce qu'il reste d'un poele sûrement très élaboré, avec des reliefs et des niches, que les précédents propriétaires ont anéanti... Marina espère que l'endroit ne va pas se courvrir de maisons Playmobil en plastique. Pour l'instant c'est encore très beau, on se croirait au bout du monde, et ce n'est en réalité pas très loin de Pereslavl.

Il y avait, près de l’église, une jeune chatte famélique et ses chatons aux yeux malades. Cela m’a gâché la journée. Comment pourrais-je prendre toute une famille de chats avec le cauchemar que me crée la saloperie de Blackos ici ? Cette misère animale est partout, c’est un vrai crève-coeur, et avec parfois, en sus, des enfants sadiques qui ont sauvagement tué je ne sais plus où un brave chien qui recherchait leur compagnie, ou ici, torturaient un petit chat, qu’un autre enfant a sauvé, c’est la mère de celui-ci qui me l’a raconté, car elle a recueilli le pauvre animal. Cette incroyable méchanceté, chez certains enfants, m’emplit d’une angoisse horrifiée. Avec tous les problèmes que me cause Blackos, j’ai beau répéter que je vais le tuer, je suis totalement incapable de le faire et des gosses le sont de faire souffrir de petites créatures sans défense. Que feront-ils quand ils seront adultes, et à qui ? J’aurais un rejeton coupable de cela, je lui balancerais une claque à lui dévisser la tête, elle partirait toute seule, avec l’engueulade correspondante. Une fois, à Pierrelatte, au bord du lac, un gamin de quatre ans jetait des pierres à un cygne, ce qui m’avait révulsée. Quel affreux réflexe, devant cette créature féérique! Son père avait réagi comme moi, car il lui avait crié : « Si tu recommences cela, je te fous à l’eau ! »


Ania Ossipova exposait ses dernières productions, c’était extrêmement joli, et j’ai beaucoup aimé un portrait de vieux moujik d’avant la révolution, fait d’après photo, une photo connue, mais le portrait a quelque chose de plus, le regard est si vivant, on dirait que l’âme de cet homme est passée à travers le bois du support, avec toute sa bonté, sa simplicité malicieuse. Ania a quelque chose d'angélique, elle s'est complètement incorporé la sainte Russie orthodoxe et paysanne, et son art poétique et merveilleux. Cela lui est devenu consubstantiel. 

Je trouve toutes ces manifestations dans les environs de Pereslavl très intérressantes. Il y a Anna Panikhina à Filimonovo, Marina à Falelieievo, Natalia à Loutchinskoie, et autour de chacune d'elles plus ou moins de monde qui gravite, mais ces petits foyers rassemblent et soutiennent les gens de bonne volonté, et aussi ceux qui ont des idées, du talent, du goût.

Ania et ses oeuvres

J'ai vu un post à propos d'étrangers qui viennent coloniser les villages abandonnés de Russie, il y en a pas mal. Las d'une vie complètement privée de sens et de joies réelles, ils sont prêts à se faire soigner à la russe, des herbes sauvages et des séances de bains de vapeur, comme mon héros Fédia dans Yarilo! Pour la joie de contempler une aurore boréale dans un ciel étoilé. Car nous ne sommes pas sur terre pour "bosser de toutes ses forces pour son patron", comme disait monsieur de Maesmaker, dans un enfer de béton tonitruant, il y a quand même des gens chez qui les gènes parlent encore et qui conservent une âme.. Slobodan a fait, à ce sujet un briefing très émouvant sur son défunt copain Fabrice, un homme avec des capacités intellectuelles hors du commun qui avait choisi d'être berger afin de vivre libre et en paix, en lien avec la nature. Je regrette de n'avoir pas suivi les conseils de mon beau-père paysan, qui avait fait le même choix, mais que la politique du marché commun, puis de l'UE, avaient rattrapé au tournant...

https://www.youtube.com/live/MH1-kErutPM?si=xm2RSrMZp6-QYBJX

Le père Mikhaïl et sa famille





lundi 14 juillet 2025

La maison de Katia

 


Hier, Katia faisait bénir la maison qu'elle a achetée, à Filimonovo. Je l'ai d'abord rejointe à l'église, que le monastère saint Nicétas avait commencé à restaurer il y a plusieurs années, sur l'impulsion de l'higoumène Boris, dont on vénère le souvenir, et qui était le frère de l'archimandrite Dmitri. Le monastère a restauré plusieurs églises de village. Mais les gens du pays n'y vont pas volontiers, au contraire des siècles passés, à présent, l'orthodoxie est plus vivante dans les villes que dans les campagnes. Il y a plusieurs années, j'avais fait une photo des trois jolies isbas qui faisaient face à l'église. Il n'en reste qu'une de vivante, les deux autres sont devenus des mausolées en plastique. 

La maison de Katia a été très bien restaurée, elle est claire, paisible, il s'en dégage quelque chose de profondément bénéfique, et la vue, depuis la terrasse, n'est gâchée par aucun cottage ni isba défigurée. Une maison idéale pour vivre avec Fiodor et élever un petit. Elle accueillait un ami, avec qui elle a fait ses études, et qui est lui-même un ami du prêtre, Ivan. Ivan a un beau visage russe, ouvert, noble et intelligent, et il aime rire. Il s'est marié à dix-neuf ans, et il a sept enfants. Nous avons tous participé à la cérémonie de la bénédiction. 



Vers cinq heures sont arrivées toutes les copines de Katia, je connaissais beaucoup d'entre elles, notemment Anna Panikhina, qui a lancé à Pereslavl l'opération annuelle 'Tom Sawyer Feast" qui consiste à mobiliser des volontaires pour repeindre les vieilles maisons et attirer l'attention du public sur leur charme et la nécessité de les conserver. Filimonovo est devenu son village pilote. Elle y a fait transporter en pièces détachées une isba de Pereslalv menacée de destruction. Dans ce quartier, il n'y en a pratiquement plus, c'est devenu une sorte de zone industrielle défoncée avec des bâtisses de moellons nus et gris, des maisons chaotiques; disparates, des barrières métalliques d'usine, quelque chose de totalement affreux que je traverse pour aller chez moi en essayant de ne pas regarder.



Anna Panikhina est derrière l'achat de la maison de Katia, car elle redoutait que d'autres acheteurs en fissent une horreur plastifiée, et elle a expliqué les circonstances de l'affaire, tandis qu'Ivan nous faisait un barbecue de saumon, et que son mari tondait leur terrain. Katia a raconté que lorsqu'elle avait pris possession de sa maison, un calendrier sur le mur était ouvert à la date de son anniversaire, et que quelqu'un y avait tracé le mot "papa". Elle l'a pris comme un signe et un cadeau de son père, ce qui a tiré des larmes d'émotion à Anna Panikhina. Celle-ci médite de racheter l'ancienne maison de la culture, pour faire revivre le village, et dès qu'une maison se vend, elle cherche des copains pour l'acheter. Elle est persuadée qu'on peut mobiliser les gens, leur rendre la mémoire, le goût des belles choses et de leur propre culture, et elle n'est pas la seule à tenter l'aventure.


 

Notre expédition au Donbass a fait de nous des vedettes locales, une jeune femme m'a dit que lorsqu'elle m'avait entendu chanter au café, elle essuyait ses larmes avec son bonnet, tant je mettais d'âme dans mes interprétations, et qu'aller là-bas avait été si courageux, et si inspirant pour tout le monde. "Ce n'était pas si courageux, maintenant, il y a les Russes, là-bas, c'était beaucoup plus sportif il y a quelques années. Je craignais surtout de tomber malade!"

Même à Filimonovo, on entend les débroussailleuses et les motos. Un petit nuisible nous a gâché une partie de ce moment de paix idyllique, devant les défilés de montgolfières qui glissaient à l'horizon, au fil des nuages. Je me suis souvenue de ce que m'avait dit le père Nikita, dans un cas semblable, lorsque nous étions assis dans son jardin de Dokoutchaievsk: "Ces motos sont un fléau. Je les déteste tellement que je pourrais leur jeter des briques, mais figurez-vous qu'en passant devant l'église, ils font tous leur signe de croix, alors qu'est-ce que je peux faire?"



samedi 12 juillet 2025

Retour au front

 7, 8 et 9 juillet 2025


Complètement épuisée et vaseuse, je n'ai pas trouvé le courage d'aller à l'église, le dimanche matin. Katia, Fiodor et Elena, si. Le prêtre a pris une photo de Katia et de Fédia avec un journal orthodoxe où, en l'honneur des saints Piotr et Févronia, symboles de l'amour conjugal, s'affichait en première page une famille idéale. Le prêtre a donné un chapelet à Katia: "Prie pour lui". Katia a finement observé que la couverture du journal était un signe, et qu'il ne restait plus qu'à organiser la cérémonie.

Avant le retour au front, Fédia m'écoute chanter un vers spirituel accompagné sur les gousli. Il n'avait jamais entendu cet instrument traditionnel, ni la chanson, et il en est très ému. Je trace sur lui un signe de croix. 

Nous l'avons ramené à un poste de contrôle, au milieu de la steppe, sous un soleil ardent. Le chauffeur Génia était en retard, car sa camionnette l'avait lâché. "Revenez-nous vite! nous dit-il.

- Nous reviendrons avec de l'aide!

- Revenez, avec ou sans aide, pour lui, pour nous!"

L'aide humanitaire est le meilleur moyen qu'a trouvé Katia de revoir son fiancé et d'adoucir sa vie. Elle est extrêmement nécessaire et très bien venue. Nous avons pris congé, bouleversées de voir Fédia et son camarade repartir en enfer.

Tout au long de ce voyage qui m'a, comme prévu, tellement surmenée, j'ai ressenti une véritable paix intérieure, en dépit de l'angoisse de tomber malade dans une région en guerre où j'étais de passage. La certitude d'avoir fait ce que je devais, et d'avoir trouvé en cela une direction pour la suite des événements. Au plus près des nôtres, et au plus loin de toute la sombre pantomime des monstres qui ont tramé tout cela. En chemin, je disais au père Nikita que j'avais bien du mal à pardonner aux fourbes sanglants responsables de ce malheur: "Ils n'ont plus grand chose d'humain, m'a-t-il répondu. Il faut comprendre que pour ces gens, nous sommes des inutiles et des gêneurs. Ils se figurent que tout leur appartient. Nous respirons leur air, buvons leur eau, occupons leurs terres, dépensons leurs ressources. Il leur faut donc nous éliminer, car ils sont la caste supérieure, et nous des sous-hommes."

Ce tableau correspond bien au personnel politique de toute l'UE, qui ne s'en cache même plus. Je suis donc confirmée dans tout ce que je pensais au sujet de cette affaire, et calmement certaine d'avoir choisi le bon camp. 

Nous avons envoyé une petite vidéo à Serioja le balalaiker, qui nous a répondu: "Coucou à tous les artistes! Je suis bien content qu'on ne vous ait pas enlevées, il nous aurait fallu payer une rançon ou aller vous chercher au fond des steppes. Si vous répétez l'opération, je pourrais vous accompagner,d'abord parce que vous n'avez pas froid aux yeux, et ensuite parce que certains de nos gars y sont déjà allés, et que les soldats nous achètent pas mal de balalaïkas, je ne sais pas ce qu'ils en font, s'ils s'en servent pour se taper dessus, mais c'est un fait, et un petit concert avec master class serait bien venu!"

Au retour, nous avons fait escale à Zadonsk, une jolie petite ville où j'avais autrefois séjourné, et qui se trouve à mi-chemin. Nous nous sommes inclinées sur les reliques de saint Tikhon de Zadonsk. La ville a a été fondée seulement au XIX° siècle, et comme en beaucoup d'endroits, marquée par les marchands. Les marchands et les paysans, c'était le socle du pays. Il y a bien des fautes de goût à Zadonsk, mais tout de même, quelle différence avec Pereslavl-Zalesski! La ville reste homogène est charmante, très propre, pimpante, et la "mise-en-valeur" si souvent catastrophique n'y a pas fait trop de dégâts. 


 








jeudi 10 juillet 2025

DEPASSEMENT

 5 juillet 2025



J'ai quitté Dokoutchaievsk, après une mauvaise nuit vrillée par les avions, et une sorte de bourdonnement sourd. Cela fait une impression singulière, quand on n'a jamais connu cela, de sentir le souffle métallique de cette bête tapie, et de penser que pendant tant d'années, le père Nikita et ceux qui l'entourent, en percevant ces grondements infernaux, n'étaient jamais sûrs que leur maison n'allait pas exploser, ou qu'ils ne seraient pas fauchés en allant faire leurs courses ou en arrosant le jardin.

Avant de rejoindre Lougansk, escale à Debaltsevo, après plus de deux heures de bagnole surchauffée. J'ai refait mon numéro, pour le même genre de public, plus des enfants. Je leur ai dit que c'était un honneur pour moi d'être reçue par le Donbass, qui était un exemple de résistance à la déshumanisation qu'on voulait nous imposer partout. Nous devions être à trois heures à Lougansk, pour le barbecue organisé par Fédia, mais impossible, on nous retenus pour le thé, et puis le vieux prêtre local, le père Miron, tenait à nous faire visiter son église, décorée par ses soins de fresques dans le style des images de communion solennelle de mon enfance, et il ne nous a pas fait grâce d'une seule icône. Il nous a raconté que l'explosion d'un obus ayant fait exploser toutes les vitres, il avait tout un hiver célébré dans le froid et le vent, et qu'un autre obus avait ouvert un cratère dans la cour. Il m'a remerciée avec effusion d'être venue: "Vous chantez comme ma mère, j'avais l'impression de l'entendre".

Le père Nikita ne déborde pas d'optimisme, enfin tout dépend du point de vue d'où l'on se place. En bref, il pense que nous vivons les derniers temps. Le starets Zossime disait que la Russie était elle aussi gangrénée par les créatures des ténèbres. Je risque: "Vous n'avez pas confiance en Poutine?

- Comment vous dire... Ce que je sais, c'est que le starets Ivan Krestiankine en avait une bonne opinion, et il ya beaucoup de choses que je n'ai pas la compétence d'apprécier. En plus de celles que j'ignore. Mais ce dont je suis sûr, c'est que négocier avec Zelenski et ses parrains occidentaux est extrêmement compliqué et n'a peut-être même pas de sens, car ils n'ont aucune parole et ne respectent rien. Ils sont toujours susceptibles de violer les traités ou de nous faire un coup en traître."

C'est aussi ce que je pense.

J'ai pris congé de lui avec chagrin et compassion, car il a dû s'appuyer le retour, un trajet de trois heures dans la chaleur ardente. Katia et Fédia estimaient en riant qu'il m'avait pressée comme un citron, mais il ne se ménage pas lui-même, et puis, il m'a ouvert des horizons spirituels. Tout-à-coup, l'ignoble soupe politique de ceux qui nous ont fait cette horreur reculait derrière une sorte de transfiguration par le dévouement quotidien et mutuel des uns envers les autres, par les actions concrètes des uns et des autres, par l'amour qui nous unissait tous. Notre seule issue m'apparaissait dans ce que je voyais ici. Dans cette tournée que m'avait imposée le père Nikita, alors que je suis peut-être au bord de la colique néphrétique, insomniaque et dolente. Dans ce qu'avait accompli Katia, pour aider son homme, et ceux qui combattent avec lui, et dans leur reconnaissance à notre égard, et même dans l'honnête sévérité de nos guides du Front Populaire. Les pourritures de la caste n'ont même pas idée de l'élévation morale que nous donnent ces épreuves, ni de cette affection qui naît entre leurs victimes qu'ils méprisent, du salut qu'elles trouvent dans le mal qu'ils nous font. 

Après le barbecue de Fédia, le sans-gêne bruyant de la table voisine, dans la cour de l'hôtel, nous a contraints à aller prendre le thé sur le balcon fumoir du premier étage. "A quelques kilomètres d'ici, nous mourons en masse, dit Fédia, et ceux-là font la fête comme si de rien n'était." 

Sur ce balcon soufflait une légère brise, des martinets viraient en criant, comme dans le midi de la France, les soirs d'été. "Il vaut mieux entendre ça que des drones,"observai-je.

Fédia nous explique que les drones donnent aux soldats des attaques de panique, que cette guerre ne ressemble à aucune autre. Un de ses camarades venait d'être gravement blessé, il a perdu les deux jambes et un bras. Lui-même se considère comme un miraculé, qui a plusieurs fois échappé à la mort. Lourd silence. "Nous allons continuer à prier... dis-je

- Oui. Car en effet, cela marche. Autrement, je ne m'explique pas comment j'en suis sorti jusque là."

Katia décide qu'elle refera le voyage: "C'est à nous de défendre et d'aider nos fiancés, nos maris, nos fils. Directement. Il y a trop de corruption chez les intermédiaires."

Je crois que cette perspective soutient le moral de Fédia, qui ne s'attendait pas à notre visite ni à la permission qu'elle lui a valu.