Il souffle un vent aigre, et j'ai fait la rencontre que je redoute toujours, le chien famélique par un temps à ne pas mettre un chien dehors.
J’ai enfin Internet et
j’ai appelé ma tante, sur Skype. Elle suit mon blog avec passion et imprime les pages pour les
envoyer à sa soeur. Elles font ce que faisait maman, ces dernières survivantes de
la merveilleuse entité des filles Pleynet, ce bouquet de fées qui se penchaient sur mon enfance.
Elle trouve que j’ai
une voix tonique, que j’ai l’air bien dans ma peau, et c’est vrai, je pense que
je suis à ma place, et que j’accomplis un témoignage, pour les Russes qui
voient que j’ai choisi leur pays, et pour les Français qui le connaissent mal. Cependant, j’ai
vraiment l’impression d’avoir changé de planète. Il me semble être partie
depuis très longtemps. Cavillargues, ce joli village de pierres et de tuiles,
les chemins que je parcourais à vélo, dans la lumière du midi, avec alentour
les collines, les vignes, les pins parasols, la garrigue, m’apparaissent comme
un souvenir lointain ou un rêve. Je pense à mon noyau d'orthodoxes, autour du beau monastère de Solan, à l'avenir inquiétant de l'Europe. Fallait-il en avoir, de la méchanceté et de la vilenie, pour nous préparer une telle fin!
Ici, le climat est rude, la lumière rare en
cette saison, les rues défoncées et détrempées, les maisons hideuses, car les
isbas pittoresques sont peu à peu remplacées par des horreurs prétentieuses, ou
défigurées. Il reste des oasis de beauté, la rivière Troubej, les églises, le
lac, mais tout cela est très menacé par la cupidité, l’inculture, la brutalité
des fonctionnaires plus ou moins véreux. Et pourtant, comme dit mon plombier,
la Russie a une richesse inépuisable, ce sont les gens, le peuple russe
mystérieusement solidaire, et qui reste constitué d’individus aux personnalités
affirmées, colorées, souvent préoccupées de questions profondes et unies par un
sentiment familial d’appartenance à la même communauté historique, culturelle,
spirituelle, tout ce que déteste la clique de trotskistes et d’usuriers qui
cherchent à s’emparer du monde et à détruire les peuples européens. Ici, tout
reste possible, une réelle rédemption succédant à une telle chute dans les
abominations du XX° siècle et de la modernité que ce pays n’aurait, en
principe, pas dû s’en remettre. Chez nous, le ferment spirituel n’agit plus, il
n’y a plus de levain dans la pâte, peut-être parce que l’Eglise a trahi, alors
qu’ici, elle est restée ferme à travers les persécutions, elle a gardé sa
tradition, son enracinement millénaire, sa foi médiévale, virile.
Les habitants de
Pereslavl me touchent par leur spontanéité, leur sincérité, leur bienveillance.
La Russie ne fait pas semblant, on la trouve parfois brute de fonderie, mais
quand elle vous sourit, c’est du fond du cœur.