La maison en face de chez moi conserve encore son chien assis et ses jolis encadrements de fenêtres. |
Accédant à une demande posée en commentaire, et bien que je ne sois pas
spécialiste, je vais faire un petit topo sur les maisons traditionnelles et les
maisons moches.
Ce qu’on appelle une datcha, c’est une résidence secondaire,
une maison de vacances, ce qui va de la cabane à la maison de luxe.
Une isba est une habitation paysanne. Il en est de très
grandes, comme celles que j’ai visitées en Carélie.
isba de Carélie |
Celles que je vois habituellement par ici sont des « isbas
à 5 murs » : 4 murs extérieurs, un mur intérieur qui sépare la pièce
à vivre de ce qu’’on appelle les « seni », une sorte d’antichambre où
l’on se déshabille, héberge des animaux, range des outils etc. Ces isbas sont
prolongées par une grange. Elles sont souvent flanquées d’une ou deux vérandas,
pièces occupées seulement l’été. L’hiver on se replie dans la pièce à vivre,
pourvue d’un poêle russe en briques, avec des étagères sur lesquelles on peut
dormir. Ces places étaient réservées aux vieux, aux malades, aux enfants, ce
sont les plus chaudes, les autres dormaient sur des bancs.
intérieur traditionnel d'une isba russe |
L’isba traditionnelle est en bois, avec un soubassement en
briques pour éviter qu’elle ne prenne du gîte ou ne s’enfonce dans la terre,
car ici, c’est un océan de terre, où les constructions flottent. Autrefois,
elle avait un toit de chaume, de tuiles de bois, ou de zinc.
Il était d’usage de la décorer de toutes les manières :
encadrements de fenêtres sculptés et peints, fresques extérieures ou
intérieures, chacun y allait de son imagination personnelle, ce que j’évoque
dans l’histoire de la petite vieille dont le mari avait sculpté sur le fronton
un coq et une poule les représentant tous les deux. Il existe une célèbre « maisons
aux lions » avec des lions peints sur les murs.
décorations extérieures, photo d'Elena Kuznetsova |
Décorations intérieures
|
Il y avait aussi en Russie des maisons en briques, des
palais en briques, comme celui de la famille Romanov, qu’on peut voir à Moscou,
derrière saint Basile le Bienheureux, avec souvent un étage en bois, et des
pièces voûtées au rez-de-chaussée. Un esthète s’en ai fait bâtir un ici, et c’est
très réussi. Les maisons de marchands sont bâties aussi sur ce modèle, le
rez-de-chaussée en briques, l’étage en bois, et en voit encore à Pereslavl.
Maison de marchands au rez-de-chaussée en briques et à l'étage en bois |
Le paysan russe faisait preuve d’une imagination fabuleuse
et donnait à son environnement quelque chose de fantastique. Il se
confectionnait des vêtements féériques, il faisait de la musique, savait des
centaines de chansons et de vers spirituels ou épopées.
La modernité passant par là, toutes ces créations
merveilleuses sont discréditées au profit du kitsch industriel, c’est un
phénomène affligeant et universel qui mériterait l’attention des philosophes et
même des théologiens. Entrent dans ce réflexe le prestige de la ville, qui
méprise la campagne, ce que j’appellerais la culture de prof : n’est
valable que ce qui se passe dans les musées, les bibliothèques et les salles de
concert. Cette culture de prof était la référence soviétique, beaucoup d’intellectuels
en sont pétris et ne s’intéresseraient pour rien au monde à la tradition orale
et aux créations populaires. Je me souviens d’un film où une institutrice
sanglotait en écoutant Tchaïkovski à la radio mais considérait comme sans
intérêt la guitare des gars du village.
Ensuite le prestige de ce qui est exotique et étranger, c’est
ce que nous voyons à l’œuvre en France, avec les prénoms américains et les
festivals de jazz et de country dans des bleds où l’on préférerait crever
plutôt que d’organiser un festival de biniou ou de vielle à roue.
Puis le besoin d’étaler son fric, de « faire riche »,
que ce soit ou non justifié par une situation financière en rapport. On
construit, selon ses moyens, des châteaux américains plus ou moins solides,
dans des matériaux plus ou moins chers. Cela va de l’énorme bâtisse à l’isba
modifiée par une façade appliquée, façon maison Potemkine : l’isba reste
derrière, le décor est devant, avec ses tours et ses murs en plastique.
La substitution du faux au vrai. Pourquoi s’emmerder à
repeindre des planches quand on peut mettre du plastique éternel ? C’est
pourquoi l’on recourt au « siding », technique canadienne qui
consiste à remplacer les lattes de bois par des lattes en plastique teinté,
même plus besoin de peindre. La maison a l’air de sortir d’une droguerie où l’on
vend des poubelles ou des bassines, ou bien d’une boîte de Lego : elle n’a
plus rien de vivant, et en plus, le plastique semble mal vieillir et le bois
pourrir dessous, si j’en crois la façade d’un de ces monstres, souillée par des
traces noirâtres. On n’a pas les moyens de se payer une grille en or, du
plastique doré en jettera bien autant. On aime aussi la fausse pierre, le bois
est trop humble, et trop local, en Europe, les gens ont des maisons en pierre,
eh bien on fera semblant d’avoir de la pierre, et pour pas cher. On fait de la maison
en toc. Et même des encadrements de fenêtre « sculptés » en plastique,
pour suppléer à l’inconvénient de leur disparition pour cause de siding.
La flemme, la facilité, le manque d’argent : ça ne
coûte pas cher, c’est vite fait, cela n’exige pas d’entretien.
Il est évident que les isbas demandent souvent à être
aménagées pour répondre à des normes de confort moderne. Les gens cherchent à
les agrandir, et il y a des moyens pour le faire, sans saboter la maison. On
peut transformer la grange en partie habitée, dans le prolongement. Aménager
les combles. Isoler les vérandas. Et cela dans le respect du style et des
matériaux locaux. Certains ajoutent des ailes de chaque côté, c’est le cas de
la mienne. Bâtir dans le prolongement me paraît préférable.
isba avec deux vérandas |
Les toits traditionnels sont perdus depuis un moment. A l’époque
soviétique, on recourait abondamment à la tôle d’éverite, au point que l’un de
mes amis folkloristes me disait qu’elle était devenue traditionnelle. L’éverite,
ce n’est pas ravissant, mais c’était un moindre mal, car ce matériau modeste se
fondait dans le paysage et les nuages. La tôle d’acier reflétait le ciel,
devenait parfois bleue foncée. Le zinc est actuellement ce qui irait le mieux,
mais c’est cher, et les gens étant fauchés, c’est un détail qui compte.
Tout le monde s’est naturellement rué sur la tuile
métallique laquée de couleurs inaltérables et violentes, qui ne se patinent
pas, comme le zinc peint. Avec une préférence marquée pour le rouge sang de bœuf,
le bleu électrique qui viennent achever le tableau offert par le plastique du
siding. La mienne est verte, c’est un moindre mal, je l’aurais souhaitée mate,
il paraît que le revêtement mat est moins solide.
Le problème n’étant pas la couleur, la couleur a toujours
été largement employée en Russie, mais la nature de cette couleur et du
matériau qui en est le support.
Si l’on veut une vraiment grande maison, on pourrait
aménager une maison de marchands existante ou bien construire sur le même
modèle, de façon à s’intégrer dans ce qui existe déjà, mais ce serait trop
simple et n’en jetterait pas assez, il faut absolument qu’il y ait des tours,
quatre ou cinq étages, que ce soit gros, boursouflé et que cela écrase toutes
les maisons voisines.
Un esthète a cependant construit, dans le village où j’avais
ma datcha, une villa sur le modèle des maisons seigneuriales du XIX°siècle, je
l’en remercie du fond du cœur, mais le village est néanmoins défiguré par je ne
sais combien de cottages pleins de tours aux toits criards.
A noter que les gens du pays appréciaient que j’aie refait
mon isba avec discrétion, dans le style russe, et la montraient en exemple à un
militaire qui s’était fait construire un gros machin disgracieux.
Il n’est pas exclu de mes représentations idéales de construire
du contemporain, quand il se soucie de s’intégrer au reste et de recourir à des
matériaux naturels et locaux. Mais cela n’en jette pas assez, même quand c’est
cher, cela ne fait pas riche.isba recouverte de "siding" |
Ici, on a bâti un palais du XVI° siècle très crédible. |