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jeudi 27 février 2025

La croix du jour

 


Soleil radieux, pour la fin de ce drôle d'hiver. Je suis allée dessiner sur l'escarpement, au dessus du marécage. Le lac est encore gelé, luminescent, immaculé. Le soleil y descendait comme un ange, portant la croix du jour.

  Benjamin le Suisse m’a invitée à venir manger la fondue qu’il m’avait confisquée quand ses compatriotes étaient là. Nous avons passé une bonne soirée, sa femme est au sanatorium, son petit garçon est vraiment éveillé et intelligent. Leur chatte abyssine, extraordinairement jolie, une petite princesse dorée et charmeuse, venait de mettre au monde un chaton mort. Mais à son agitation, et aux bosses que je sentais dans son ventre, j’ai vu qu’il y avait encore des colis à délivrer. Et le lendemain, Benjamin m’a dit au téléphone qu’elle avait eu deux bébés bien vivants pendant la nuit

Devant une vue très pittoresque de Rostov, publiée sur VK, j’ai tout de suite pensé : « pourvu que personne ne détruise les deux maisons du premier plan ou ne les défigure ! » Et parmi les commentaires, j'en ai lu qui vibraient de haine pour tous ceux qui s’extasient sur les maisons typiques et « se goinfrent dans les mégapoles ». Les gens qui s’expriment là ne voient absolument pas l’harmonie modeste, poétique et vivante de ce coin de ville, mais que les « croix des églises sont seules à briller sur cette misère » ! Pourtant, à Rostov, justement, les croix ne brillent pas tellement, elles sont plutôt rouillées, tout le magnifique kremlin nécessiterait des réparations, tout comme les isbas. Mais non, ceux-là détestent autant les unes que les autres, c’est-à-dire qu’en fin de compte, ils détestent la Russie, la Russie originale et fantasque qu’on leur a appris à renier pendant plusieurs générations, c’est sans doute aussi une des clés de la mentalité des libéraux, ou de celle des Ukrainiens qui veulent devenir européens à tout prix, de tous ces gens qui renient leur nature de Russes. Je reconnaissais la méchanceté, l'envie ulcérée, le mépris de la paysannerie d’autrefois que je vois parfois dans les commentaires qui accompagnent les publications des folkloristes et des jeunes gens qui font le retour à la terre, par exemple. Il est impossible pour certains d’entretenir, de réparer, d’aménager tout ce qui peut rappeler les moujiks, les popes, les cosaques et tout ce qui fait vieux et « médiéval », ou simplement rural, la laideur et la vulgarité contemporaines leur sont devenues complètement intrinsèques, c’est leur élément et ils s’y complaisent, rien ne doit venir leur rappeler qu'il existe autre chose. Leurs réfléxions ne laissant pas entrevoir une nature généreuse et compatissante, j’en conclus que c’est là le trésor qu’ils se préparent à emporter dans un enfer dont ils ont déjà l’habitude, puisqu’ils haïssent ce qui est beau, simple et vivant, et tous ceux qui y sont encore sensibles. Peut-être même qu’une fois qu’ils y aboutiront, ils ne s’en apercevront même pas, qu'ils y prendront même du galon, comme dans le livre « mes aventures posthumes » de Voznessenskaïa.

Vue de Rostov...

Pratiquement le même jour, j'ai vu avec consternation un article qui annonçait la chose suivante: 

LE GOUVERNEMENT RUSSE EST-IL EN TRAIN D’ANNULER LA RUSSIE ? Maintenant, vous allez avoir un choc car c'est difficile à croire (j'en ai eu un moi-même), mais vous pouvez le constater par vous-même sur le site Web du gouvernement. gouvernement.ru/docs/all/1...# Le 27 décembre, juste avant le Nouvel An, le gouvernement de la Fédération de Russie, à l'instigation du ministère de la Culture, a adopté une nouvelle version du règlement sur les zones de protection des sites du patrimoine culturel. normativ.kontur.ru/document?m... Elle entre en vigueur le 1er mars et supprime d'un seul coup les zones de protection de toute une série de types et de genres de sites du patrimoine culturel : des milliers de sites archéologiques, d'anciennes forteresses et colonies, des nécropoles, des champs de bataille, des sites commémoratifs, des monuments et des mémoriaux de guerre. Le décret détruit purement et simplement le système de protection des paysages culturels et des villes historiques qui existe depuis au moins les années 1940. Ils s’attaquent à ce qu’il y a de plus précieux, à la beauté et aux sanctuaires nationaux : les plus beaux paysages, les anciennes colonies et les tumulus funéraires – témoins de la naissance de l’État russe, de la formation de la culture russe et des cultures d’autres peuples, des villes anciennes. Ils frappent nos tombes ancestrales, nos nécropoles et les tombes de nos ancêtres talentueux et héroïques. Le gouvernement lève également l'interdiction de construire dans les zones naturelles protégées, autorise la construction d'installations linéaires dans les zones protégées et lève l'interdiction de démolir des objets urbains de valeur dans les zones protégées des villes historiques. Le gouvernement ne nous a pas oubliés non plus : il est désormais interdit aux citoyens de proposer des initiatives visant à développer des zones de protection, ce qui est contraire à la Constitution de la Fédération de Russie, mais les droits des promoteurs sont expressément énoncés. Sans plus de cérémonie ni d’explication, Mikhaïl Michoustine annule même les zones protégées des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO – les pétroglyphes du lac Onega et de la mer Blanche !

Pourtant, c'est en principe pour "le monde russe" que les jeunes gens vont combattre sur le front, ou bien j'ai mal compris? C'est quoi, le monde russe?

Depuis quelques temps, ce doit être l'âge, je suis fatiguée de m'indigner et de me battre contre les moulins à vent de la bêtise inlassable. Mais je n'aimerais pas naître maintenant dans le monde qu'ils nous font.

En Europe, c’est le crépuscule des odieux. La Van der Layen et toute sa compagnie continuent à faire tourner leur petit moulin comme si de rien n’était, tandis que tout s’écroule autour d’eux et se modifie à une vitesse vertigineuse. Ces gens ont mis nos pays bénis des dieux dans une telle merde et avec une telle vitesse que leurs habitants, si inquiets qu’ils puissent être, ne voient pas assez massivement l’ampleur du problème. Les commentaires des gogos bobos accompagnent de leurs murmures convenus les incantations de leurs chefs, dans leur tentative obstinée de dénier le réel jusqu’au bout. Les autres vivent le nez dans leur guidon. Ce qui est d’ailleurs plus compréhensible. Macron ne m’aura décidément jamais déçue, il se surpasse dans l’infâmie et descend toujours plus bas dans la honte, justifiant l’affreuse impression qu’il m’avait faite au premier regard.

Avec ses collaborateurs, Slobodan étudie, comme dit Nicolas Bonnal, en entomologiste, notre déclin et l’avènement d’un nouveau monde qui n’est peut-être qu’une ultime convulsion apocalyptique. Son dernier article envisage des sortes de dynasties naissantes, pour succéder à l’épisode révolutionnaire et « démocratique » des deux derniers siècles. «La famille est tout» est la devise des clans, des mafias et de la noblesse. L’élite contre-révolutionnaire américaine tient des trois à la fois. » écrit-il dans son Antipresse. La démocratie, je n’y crois plus, personnellement, depuis longtemps. Je pense que nous assistons à la mort d’une illusion. C’était jouable en Suisse, ou à Novgorod, dans des endroits restreints où tout le monde se connaît, et encore, la liberté et l’égalité, ce n’était pas pour n’importe qui. Autrement, l'idée démocratique, c’est tôt ou tard la porte ouverte aux oligarchies mafieuses. Des gens comme Etienne Chouard préconisent une démocratie véritable, où tous les citoyens prennent en main le gouvernement et l’édiction des lois, mais je n’y crois pas beaucoup ; parce que les « citoyens » sont loin d’être tous compétents pour cela, moi la première, d’ailleurs. Je suis monarchiste, parce que dans la monarchie, le pouvoir a des contre-pouvoirs organiques et installés depuis des siècles, qui ont fait leurs preuves. Le monarque n’a pas beosin d’intriguer pour arriver au faîte de l’Etat. Le citoyen ordinaire peut s’occuper d’autre chose que de politique. Mais comme le remarquait déjà Chateaubriand, on a cassé le moule.

Slobodan prête attention à l’importance des enfants pour la nouvelle élite conservatrice. On dirait qu’ils sont préparés, comme des princes héritiers, à prendre la suite de leurs puissants parents. C’est une pente naturelle de l‘être humain, en effet. On voyait aussi cela se produire au temps des mérovingiens. Je me souviens des chroniques de Grégoire de Tours, de tous les règlements de compte des joyeux barbares blonds, entre frères, cousins, belles-mères, à grand renfort d’yeux crevés et de tonsures monastiques forcées...  Ces gens-là ont fini, avec la patiente éducation chrétienne de leurs femmes et de leurs mères, par constituer une aristocratie fort convenable, mais justement, le christianisme n’est plus au programme, et on lui veut la peau.

Pierre-Yves Rougeron met à plat la situation européenne et en particulier française, avec une lucidité implacable, ce n’est plus de l’analyse politique, c’est une autopsie. Et dans quelle langue française percutante et précise... Le nombre d’ahuris diplômés qui ne comprennent rien et continuent à se raconter des histoires et à écouter celles qu’on leur raconte, dans la peur panique de voir ce qu’ils verront le jour où ils ouvriront les yeux... Mais ils ne les ouvriront que devant le couteau du boucher, et encore pas sûr.

https://youtu.be/-rzXhQisLLg?si=aFv93REzaNyAFEZX

Thierry Meyssan, avec sérénité et douceur, fait la même chose en ce qui concerne l’affaire ukrainienne. 

https://www.voltairenet.org/article221849.html?fbclid=IwY2xjawItAKlleHRuA2FlbQIxMQABHVcQilpDpguQ8ygPIHWaB9Ncn7TtbStWeB3oEmb4kWVD7o8Z9rUbCsRdOw_aem_7UB-fsSEIclsrKEWMJeA2A

lundi 24 février 2025

Utopies


Une jeune actrice que j’avais rencontrée par une amie m’a invitée à un spectacle patriotique, « Tiorkine est vivant », où le héros d’un poème de Tvardovski, le soldat Vassili Tiorkine, revient sur terre, pour combattre au Donbass. Cela se passait à la maison de la culture, et la salle était pleine. Les rangs du fond étaient occupés par les cadets du lycée orthodoxe saint Alexis, et de jeunes soldats de la garnison locale. Le reste, c’était des familles, des personnalités de Pereslavl.

Le spectacle était très enlevé, et très émouvant, avec des chansons de la dernière guerre, mais aussi des chansons contemporaines de qualité, la « route russe » d’Igor Rasteriaiev revenait comme un leit-motiv, avec aussi des motifs traditionnels, et l’action de la pièce en vers était traversée par des documents authentiques, des témoignages, notemment celui d’un prêtre qui avait vu, en rêve, des soldats tués qui venaient lui rendre visite dans des uniformes blancs, croyants et incroyants, et lui dire que tout allait bien pour eux dans l’autre monde, et les acteurs, pendant ce temps, étaient lentement revêtus de capes immaculées. J’étais émerveillée de voir quelque chose d’aussi résolument russe, généreux, humain, et pas seulement moi. La salle a réagi avec tant d’enthousiasme que la directrice artistique de la troupe l’en a remerciée avec émotion. Un type est monté sur la scène s’agenouiller devant les acteurs. On est venu leur porter des fleurs, on a repris en choeur le refrain de la « route russe », on a photographié les comédiens avec les cadets et les soldats, puis avec les personnalités présentes, et aussi avec moi, dans la foulée... Nous avions tous la larme à l’oeil. Le spectacle se donne d’habitude à Moscou, où il n’avait jamais rencontré un tel accueil, et tout d’un coup, je me suis dit que, malgré tous les ravages opérés par le mauvais goût dans Pereslavl, l’essentiel était pourtant sauvé : cette pureté, cette humanité, cette sincérité, ce sens de la solidarité, cet enthousiasme pour les qualités morales supérieures, pour le sacrifice et l’héroïsme, toute la salle était soudée, indépendamment des opinions ou des origines.

Katia venait de féliciter le « Chat », pour la fête des défenseurs de la patrie, et je me suis jointe à elle. Au restaurant, où nous sommes allées ensemble, elle m’a dit que c’était très dur pour lui, et qu’il s’étonnait de n’avoir pas plus de ressources et de ne pas arriver même à prier convenablement. Mais en ce qui me concerne, quand je suis malade à l’hôpital, je ressens exactement la même chose. Quand j’étais coincée là-bas par le covid, je me trouvais aussi bien peu de ressources, j’avais des idées noires, je répétais des prières d’une façon mécanique. C’est seulement après que j’ai recueilli les bénéfices spirituels de cette épreuve.

avec Nadia Bakhtirina
Avant d'aller voir ce spectacle, je suis tombée, sur facebook, sur ce message de Natalia Routkevitch, déjà ancien mais très intéressant. D'abord parce que j'ai traduit Alexandre Panarine, qu'elle cite. Très hostile au bolchevisme, très lucide sur les crimes des révolutionnaires, qu'il décrit minutieusement, et sur la nature russophobe de ces gens majoritaiement non russes, il considérait que la Russie, capable de tout avaler, avait russifié le machin horrible et l'avait rendu supportable. Il considérait qu'il n'aurait pas fallu y toucher, si on excepte, évidemment, la fin des persécutions religieuses. Mais c'est bien justement ce que reproche à la Russie la caste globaliste au pouvoir en occident qui se cramponne à son fauteuil vacillant: d'avoir survécu à l'injection léthale, et d'avoir russifié tout cela. 

J'ai toujours détesté Custine, et les gens qui connaissent la Russie ne peuvent que le trouver de très mauvaise foi, du reste la liberté est un de ces concepts idéologiques qu'on met à toutes les sauces et qu'il est difficile de définir. Nombre de gogos bobos se croient libres dans une France devenue irrespirable à force de contraintes absurdes, parce qu'on fait semblant de leur demander leur avis tous les cinq ans, au cours d'éléctions complètement truquées, avec des candidats d'opposition bidon. Je ne suis pas nostalgique de l'URSS, pour toutes sortes de raisons que j'ai maintes fois exposées; et cependant, je comprends ce point de vue, car sans être communiste, je trouvais dans les films soviétiques que j'allais voir au Cosmos une innocence, une simplicité, une humanité et une ferveur qui manquaient à mon univers des années soixante-dix, et aussi à la gauche française essentiellement troskiste, non nationalisé par la Russie, à laquelle j'avais affaire de tous les côtés. D'autre part, beaucoup de Français éprouvent, version capitaliste, la même nostalgie pour la France des années cinquante, encore bien de chez nous, encore rurale, encore simple et bon enfant, encore humaine et normale. 

Cela dit, je ne pense pas que nous devions regretter les utopies. Les utopies se transforment obligatoirement en dystopies dont finit heureusement par triompher la vie, comme à Tchernobyl, où des champignons noirs mystérieux dévorent la radioactivité et réparent les dégâts causés par l'Homme. Les utopies ont toutes pour origine l'idée absurde d'un paradis sur terre exigeant le sacrifice massif de ceux qui font obstacle, par des opinions divergentes ou une inaptitude ontologique à s'y adapter, à son installation. Elles sont le résultat de l'abandon du sacré, de l'ubris prométhéenne du matérialisme progressiste, quelle que soit l'idéologie politique dont il s'affuble. Et de la cupidité, de la soif de pouvoir pathologiques des prédateurs qui les utilisent fatalement à leur profit. 

Cela étant, je préconiserais pour l'ensemble du monde, un retour à ce qu'un intellectuel japonais qualifiait de "digne pauvreté". A un contrôle étatique des ressources d'interêt général, des infrastructures d'intérêt national, et bien sûr, des banques. Quand tout cela tombe en des mains privées, cela revient, de nos jours, à livrer les peuples à des crocodiles dont les appétits ne connaissent aucun frein. En ce qui concerne la Russie, je suis hostile au révisionnisme et aux blanchiment des rouges pratiqué, par exemple, par Prilepine, mais je pense que faire totalement abstraction du communisme n'est pas possible non plus, revenir à la monarchie sous sa forme précédente n'est pas actuellement pensable, et sans doute qu'une forme non utopique et adoucie de socialisme serait l'issue pour un pays qui ne se retrouvera jamais dans le capitalisme brutal qu'on a essayé de lui imposer.

 Natalia Routkevitch

LA FIN DE L'UTOPIE
Trente ans.
Cela fait trente ans, jour pour jour, que le pays où moi-même, mes parents et plusieurs de mes grands-parents étions nés et avions grandi a été rayé de la carte.
Le 25 décembre, à 19h32 le drapeau soviétique a été enlevé du Kremlin de Moscou et remplacé par le drapeau de la Fédération de Russie. Le même jour Mikhaïl Gorbatchev a démissionné. Le 26 décembre 1991, le Parlement soviétique (Soviet Suprême) a pris acte par une résolution de la disparition de l'Union soviétique.
Ainsi, pour la deuxième fois en l'espace de 74 ans, les Russes se sont retrouvés brutalement dessaisis de leur État; en 1991, comme avant, en 1917, la minorité active et agissante avait imposé sa volonté de rupture radicale au reste de la population.
Un peu sonnés par la tournure qu'avaient pris les évènements, échappés au contrôle de l'apprenti sorcier Gorbatchev, nous étions toutefois, en ce 26 décembre, pleins d'espoirs et plutôt confiants en l'avenir. A l'époque on pensait qu'on allait garder des liens étroits avec les ex-républiques au sein d'une nouvelle union, la Communauté des Etats Indépendants (même si ceux qui l'avaient conçue savaient qu'il n'en serait rien). Nous entrions en 1992, citoyens d'un nouveau pays et d'une nouvelle union, faisant enfin partie du "monde libre" et désireux de réussir notre "transition démocratique".
Nous ne nous doutions pas que la décennie à venir allait nous apporter un lot de tragédies : un appauvrissement spectaculaire, des guerres, des attentats, une menace d'éclatement total de ce qui restait de l'Etat russe, la dépopulation, l'atomisation, la criminalité rampante et la disparition du cadre légal au profit de la loi de la pègre... Nous ne savions pas que les services publics seraient démolis, que l'espérance de vie de nos hommes allait dégringoler pour descendre en dessous de 60 ans, que la natalité allait chuter, que nous verrions nos grand-mères réduites à ramasser des bouteilles vides pour pouvoir se faire un peu d'argent en les portant à la consigne, que le pays entier allait se transformer en un énorme marché de rue, un royaume de chacun pour soi…
Nous ne pouvions pas savoir que c'était une "étape dure mais nécessaire" sur le chemin vers la société démocratique, comme les experts du FMI nous l'ont expliqué doctement quelques mois plus tard.
Nous ne savions pas non plus que notre jeune démocratie ne vivrait pas longtemps, que le premier coup y serait porté en 1993, avec le carnage du Parlement, et le second, qui la transformerait définitivement en un ordre autoritaire, dirigé par la "Famille" et ses oligarques, en 1996. Faut-il s'étonner qu'au bout de quelques années d'une telle "transition démocratique", le mot même de la "démocratie libérale" a acquis chez nous une connotation péjorative et sert surtout à qualifier un régime comprador.
Est-ce ce rêve trahi qui nourrit la nostalgie de l'URSS qui n'a jamais disparu et qui est, trente ans après l'effondrement, encore plus prégnante que dans les années précédentes ?
En septembre 2021, près de la moitié des Russes ont déclaré que le système politique soviétique était préférable à tous les autres, et presque deux tiers – que le système économique le plus juste, c'était la planification et la distribution par l'État.
Ces réponses laissent perplexes. En trente ans, les Russes ne se sont-ils pas complètement adaptés au marché en devenant des consommateurs passionnés ? Sont-ils amnésiques ? Ont-ils oublié le poids de l'idéologie, les repressions terribles des années staliniennes, les privations de toute sorte ?
Faut-il voir dans cette nostalgie de la dictature une énième manifestation du caractère national tel qu'il a été décrit par marquis de Custine, déjà en 1839: " Tandis que d'autres nations ont supporté l'oppression, la nation russe l'a aimée, elle l'aime encore, et l'on peut dire des Russes qu'ils sont ivres d'esclavage... Pour se laver du sacrifice impie de toute liberté politique et personnelle, l'esclave, à genoux, rêve la domination du monde. "
On trouvera, sans difficulté, des variations de ce même diagnostic dans les écrits de moult écrivains et publicistes contemporains (occidentaux ou russophones) qui dépeignent "l'homme rouge" exactement sous les mêmes traits que de Custine, en voyant dans le "fanatisme d'obéissance" le trait essentiel du peuple russe.
Les observateurs peu satisfaits de cette explication un brin sommaire iront chercher d'autres motifs au vague et confus sentiment de manque, et découvriront, avec surprise, que la nostalgie de l'URSS est loin d'être systématiquement couplée chez les Russes avec une sympathie pour le communisme ou les mouvements de gauche en général.
L'URSS dont beaucoup d'ex-Soviétiques se souviennent avec un pincement au cœur n'est pas (ou n'est pas que) celle des brochures du marxisme-léninisme et des affiches de propagande. Ils ne se reconnaissent pas non plus dans le miroir tendu par la post-modernité, dans cette image qui semble sortir des opus d'Ayn Rand: celle d'un Goulag géant, de la société complètement asservie par un Etat totalitaire, de la médiocrité standardisée, d'initiative proscrite…
Les repressions, la collectivisation, les famines, la guerre civile et la grande guerre patriotique restent des traumatismes collectifs de tout un peuple, profondément ancrés dans la mémoire collective. Chaque famille porte, dans sa chair, de très nombreux deuils qu'elle n'est pas prête d'oublier. Mais on ne comprendra jamais l'Union Soviétique, son évolution, ni cette nostalgie qui tient, même trente ans plus tard, ses anciens habitants si on réduit 74 ans de l'existence du pays à l'image d'un camp de travail forcé et au Livre noir du communisme.
L'homme soviétique aurait pu (et selon de nombreux concepteurs du marxisme-léninisme, aurait dû) devenir un être unidimensionnel, formaté par sa conscience de classe. Mais, il en a été autrement: il a échappé à ce cadre étroit qui lui a été réservé par les idéologues. Passant de l'antithèse à la synthèse, la société soviétique a fini par digérer l'abstraction communiste à sa façon, l'adapter à ses racines, la remplir par un contenu spirituel ancré dans le réel.
Comme le dit le philosophe soviétique Alexandre Panarine, le peuple a triomphé de l'idéologie, en retrouvant ses origines ; en se servant des possibilités du nouveau système, il s'est approprié l'héritage culturel national (mais aussi des chefs d’œuvre mondiaux).
Ainsi, l'homme soviétique a été façonné autant par l'idéologie dominante que par Pouchkine, Tolstoï, Lermontov et d'autres auteurs classiques.
La Grande guerre patriotique a suscité, elle aussi, le nécessaire retour aux racines: elle a ressoudé le peuple autour d'un objectif surhumain et a ainsi "achevé la formation de l'homme soviétique en tant que type culturel et historique spécial, combinant l'idéal international de la lutte ouvrière avec la grande idée nationale".
L'homme soviétique n'était pas libre. Il vivait dans un cadre surveillé, des maintes restrictions pesaient sur lui. Des esclaves formatés par le régime totalitaire - voilà ce que nous étions selon le discours qui s'est imposé dans l'espace public dès la fin des années 1980 et qui hâtait l'avènement de la démocratie libérale et du marché qui, seuls, pourraient nous libérer.
Pourtant, ce régime "totalitaire" a donné au monde des chefs d'œuvre de culture – littéraires, poétiques, musicaux, cinématographiques - qui comptent parmi les plus grands du XXème siècle. Ils ne sont pas le fruit des êtres formatés et soumis mais des personnes ayant une vie intérieure très riche et une grande liberté d'esprit qui, souvent, paraît très supérieure à celle des nombreux contemporains qui semblent confondre la superficialité et la liberté dont ils ne connaissent pas le prix et dont ils sont psychologiquement, intérieurement incapables.
Le système qui imposait à l'homme soviétique des limites contraignantes, lui fournissait en même temps les clés pour dépasser ces limites et les contester. Institué par une norme collective rigide, l'homme soviétique avait une solidité et une ouverture d'esprit suffisantes pour se concevoir en tant qu'individu autonome. Il pouvait comprendre l'étroitesse de l'idéologie officielle, en rire, plus ou moins secrètement, en fonction de l'époque.
Lorsque, peu après son émigration, Joseph Brodsky revendique son statut de "poète soviétique", il affirme qu'il n'aurait jamais pu devenir ce qu'il était devenu s'il avait grandi en Occident, dont le matérialisme consumériste lui répugne.
L'homme soviétique qui était régulièrement aux prises avec l'idéologie officielle a dû aussi faire face aux multiples manquements du système qui lui fournissait des services publics corrects et un emploi garanti, mais assez peu de biens de consommation courante dont le manque est devenu particulièrement cruel à la fin des années 1980.
Cet homme a donc été forcé d'élaborer moult stratégies de survie et de solidarité. On a moqué ou pris en pitié les Soviétiques, dont le pays "avait des chars mais pas de beurre" mais, aujourd'hui, ce sont eux qui rigolent en entendant des appels de plus en plus persistants à réduire la consommation, à privilégier le local, à recycler, à se passer d'emballages individuels... Tout cela, ils savent le faire parfaitement, tout comme éviter le gaspillage, faire du troc, prendre très rarement l'avion, se servir uniquement des transports en commun, cultiver son potager, confectionner ses vêtements, savoir réparer ses appareils, etc.
Celui qu'on a appelé avec dédain "un assisté éternel" a été, au quotidien, le roi de la débrouille : doté de multiples savoirs pratiques, il était nettement plus autonome que n'importe quel homme contemporain. Et même s'il est devenu, depuis trente ans, un consommateur assidu, il se rappelle fort bien de cette époque où il savait bricoler et se contenter de peu sans forcément être malheureux. Ce n'est sans doute pas ce qui lui manque le plus mais il n'a pas oublié de quoi la vie avant l'avalanche consumériste avait-elle été faite.
Ce qui lui manque certainement plus que la frugalité forcée, c'est une relative égalité sociale et des liens de solidarité très forts qui existaient aussi bien au niveau familial qu'au niveau des quartiers ou des cercles amicaux.
De tout ça, l'homme post-soviétique a gardé un souvenir ému, et il regrette de ne pas pouvoir le revivre. Il sait bien que ce passé est révolu; la nostalgie des temps soviétiques n'équivaut pas à la volonté de reconstruire l'URSS. Elle correspond à de besoins émotionnels parfois assez clairs et parfois inavoués.
Plus que la confiscation de leur Etat, c'est la représentation de ce membre amputé comme un membre entièrement gangréné qui a fait naître, dans la société russe, une contre-réaction qui aujourd'hui terrifie tant d'observateurs qui crient au retour du soviétisme.
La vision univoque et manichéenne imposée par les gagnants de l'histoire dans les années 1990 ainsi que l'attitude de l'Occident vis-à-vis de la puissance qui s'était auto-détruite ont déclenché, dans les années 2000, un violent retour de balancier, et ont mis en branle une volonté de réhabiliter, voire d'édulcorer et de pétrifier ce passé.
Enfin, les espoirs nés lors de la perestroïka font aussi partie des souvenirs très forts qui remontent régulièrement à la surface chez ceux qui les ont nourris et qui leur laissent, aujourd'hui, un goût amer. Nous nous rappelons, avec une émotion particulière, l'effervescence des années 1980, la période où l'on a cru qu'on prenait, enfin, en main notre destin collectif.
Il y a trente ans, nous pensions accéder enfin à la modernité, pouvoir choisir librement le type de société pour y vivre harmonieusement dans la liberté, l'égalité et la fraternité.
Nous ne savions pas qu'à ce moment même l'humanité basculait pour sortir de la modernité; que les individus et collectivités autonomes quittaient la scène pour céder leur place à des systèmes automatiques et cybernétiques, que le politique était en train d'être remplacé par l'économie, et les "grands récits" par la logique des systèmes qui pensent et décident à notre place. Nous ne pouvions pas imaginer que les années 1985-1991, où tout s'écroulait et tout manquait, resteraient pour nous les années probablement les plus libres et les plus enthousiasmantes de notre histoire politique. Que la foi en la force créatrice des individus réunis autour d'un projet national ne serait plus jamais aussi forte dans les décennies à venir …
La nostalgie que l'on éprouve aujourd'hui, c'est aussi la nostalgie de ce "moment moderne" raté; de nos rêves inaccomplis et de la possibilité du rêve en tant que tel.
1991 c'était l'année qui a vu sombrer l'utopie soviétique, mais peut-être aussi l'Utopie en tant que telle.
Karl Mannheim qui a décrit l'utopie comme une force motrice nécessaire à toute action collective a présagé cette disparition et a prévenu qu'elle porterait un coup décisif à la volonté humaine de façonner l'histoire et au politique en tant que tel.
Dans "Idéologie et utopie", il écrit: "Toutes les fois que l’utopie disparaît, l’histoire cesse d’être un processus menant à une fin dernière. Le cadre de référence selon lequel nous évaluons les faits se dissipe et nous restons avec une suite d’événements tous équivalents. […] Le concept du temps historique qui conduisait à des époques qualitativement différentes, disparaît… La disparition de l’utopie amène un état de choses statique dans lequel l’homme lui-même n’est plus qu’une chose. […] « Un tel éloignement de l’élément chiliastique à l’égard de tout ce qui touche à la politique et à la culture […] priverait le monde de signification et de vie. "
La nostalgie de l'URSS qui n'a jamais disparu en trente ans satisfait plusieurs besoins sociaux et remplit plusieurs fonctions.
Elle a été une réponse de la société aux dislocations identitaires majeures qui ont suivi l'effondrement, à la perte par les Russes de leurs repères psychologiques, sociaux et moraux.
Quand les convictions fondamentales d'un peuple sont ébranlées, la nostalgie collective sert à restaurer un sentiment de continuité socio-historique, d'appartenance à un "nous" durable, ainsi qu'à amortir les chocs du présent.
Cette nostalgie a été une réaction à la crise de confiance nationale, à l'humiliation vécue.
Si elle perdure aussi longtemps et soit aussi forte, c'est aussi parce que l'on est collectivement incapables de trouver dans le présent et dans l'avenir des projets suffisamment porteurs et fédérateurs. Ainsi, plutôt que se projeter dans l'avenir, on préfère se réfugier dans le passé, souvent idéalisé ou romanisé, où l'on pense trouver l'unité et le réconfort.
La nostalgie qui s'empare des peuples est entraînée par le déclin de foi en progrès, la crise de capacité d'action collective, l'apathie politique grandissante. Sans images idéales d'un monde meilleur, qu'il soit situé dans le passé ou dans le futur, notre monde serait dépourvu de tout sens de la vie, affirmait Mannheim. Ayant peu d'illusions quant à la possibilité d'un monde meilleur dans le futur, peu d'espérances d'avoir un impact sur le cours des choses, de reprendre le contrôle "des processus et des flux", que nous reste-t-il sauf à chercher le sens dans le passé?
On dirait, qu'en la matière, les ex-Soviétiques ne sont pas une exception.

jeudi 20 février 2025

Encore l'hôpital

 


Ma jeune amie est partie ce matin la larme à l’oeil. Elle se plaît beaucoup à Pereslavl, et il lui était dur de s’en aller. Je dois dire que nous nous sommes bien entendues, et je suis heureuse qu’elle vienne vivre ici, d’autant plus qu’elle ne sera pas loin. Nous avons visité son isba, avec les entrepreneurs qui feront sans doute les travaux et un architecte. On peut faire quelque chose de très joli et de très agréable à vivre. 

Avant cette visite, j’avais eu un saignement de nez au café français, cela m’arrive de temps en temps. J’ai pensé à de la tension, mais je n’en avais pas particulièrement. J’ai pris de l’aspirine cardio, le soir, comme on me l’a prescrit il y a déjà longtemps et peut-être prématurément, d’ailleurs. Et tout-à-coup, j’ai recommencé à saigner du nez, dans de telles proportions que nous avons appelé les urgences. Le jeune médecin m’a embarquée à l’hôpital. Un vieux chirurgien, devant l’ampleur du phénomène, a commencé à engueuler le garçon, qui, pourtant, avait agi avec décision, et m’a mis une espèce de drain dans le nez, cela s’est arrêté. On m’a gardée sous surveillance jusqu’à hier, fait des injections et des analyses. Il ne me reste plus qu’à aller chez la généraliste et l’ORL, il paraît qu’il y en a un très bien, ici.

Comme d’habitude quand je suis à l’hôpital, je deviens positivement enragée. Je me rends compte avec consternation que je n’ai aucune patience, ni aucune ressource intérieure. J’essaie de prier, mais j’ai l’impression de répéter des mantras. La première nuit, j’avais peur et trop chaud, je n’ai pas dormi. Le lendemain, j’étais plutôt somnolente. Dans les moments où je faisais surface, je m’ennuyais comme un rat mort. Je n’avais rien emporté, le médecin ne m’en avait pas laissé le temps, et il avait eu raison, j’ai perdu beaucoup de sang, je ne savais pas qu’on pouvait en perdre autant, la salle de bains ressemblait à une scène de crime. S’il n’était pas venu, je serais peut-être morte bêtement d’un saignement de nez, alors que dans la journée, je me sentais bien, en forme, entre le café et la visite de la maison, à mille lieues d'imaginer que je terminerais la soirée à l'hosto. 

Le lendemain, j’allais mieux, et les heures n'avaient pas de fin. J’avais demandé à Tania de me faire parvenir Chateaubriand, mais je n’arrivais pas à me concentrer dessus. Je lui avais demandé aussi d’autres affaires, un mug, une cuillère, un pyjama, des pantoufles, du PQ, elle m’a dit ensuite que je devrais préparer un sac hôpital au cas où j’aurais encore besoin d’y aller, et elle a raison, il faut tout avoir avec soi. Comme il est interdit de circuler en chaussures de ville, là-bas dedans, je marchais en chaussettes, jusqu’à l’arrivée des pantoufles, et je me suis fait engueuler par la fille de salle, comment était-il possible de marcher pieds nus ici? 

"Parce que je n'avais pas de pantoufles, je suis arrivée en urgence!

- Eh bien mettez vos chaussures!

- Mais c'est interdit!

- Mettez les quand même!"

Une autre m'a engueulée le lendemain, parce que j'avais mes chaussures de ville dans la chambre, posées dans un coin. Les infirmières étaient extrêmement gentilles, et le chirurgien, finalement, aussi. Ils ont fait tout ce qu’il fallait faire, ils m’ont soignée, je ne sais pas ce qu’il serait advenu de moi sans eux, alors l'hôpital de Pereslavl n'est peut-être pas toujours le top du top, mais je suis contente qu'il existe, et que lorsqu'on appelle les urgences, on les voit arriver dans le quart d'heure. Le reste est entre les mains de Dieu...

C’est dur pour moi de partager une chambre avec d’autres malades, mais comme chaque fois, je suis amenée à m’y intéresser. Il y avait une jeune femme récemment opérée, qui me faisait profiter de ses provisions, en toute simplicité. Une vieille qu’on faisait jeûner depuis trois jours, je n’ai pas bien compris pour quelle raison. Une quatrième malade, qui jeûnait aussi, la réprimandait souvent, d’un ton protecteur et exaspéré que je commençais à trouver gênant, et puis tout-à-coup, la voilà qui déclare : « Je vous demande de me pardonner, je ne devrais pas vous parler comme cela. Oui, j’ai vraiment tort. C’est que je suis très nerveuse... »

Et la vieille, qui était restée impassible sous les remontrances : « Cela n’a aucune importance, ne vous en faites pas ».

Son interlocutrice, convulsée d’angoisse, partit faire des examens, et au retour, elle fondit en larmes : cela n’avait rien à voir avec la mauvaise chute qui l'avait amenée ici, mais on lui avait trouvé d’autres problèmes, qui d’ailleurs pouvaient se soigner sans opération. Le chirurgien lui avait parlé comme s’il avait été « son propre père ». « Quand on vieillit, lui dis-je, on n’a pas toujours des pathologies très graves, mais sans arrêt quelque chose qui ne va pas et qui nous amène chez le médecin ou à l’hôpital ». Elle m’a regardée avec une espèce de reconnaissance : « Oui, oui, c’est vrai, et peur de tomber ! Faites attention à vous, cela vient si vite!"

On lui déconseille le sucre, mais elle ne parvient pas à s’en passer tout-à-fait : « Cela atténue le stress, et le stress non plus, n’est pas bon pour la santé ! »

Cette femme m’a touchée, elle semblait écorchée vive, et cette capacité à demander pardon me paraît tout-à-fait belle, et russe, de même que la simplicité avec laquelle la vieille le lui a accordé.

Je l’ai revue quand je suis venue chercher mon ordonnance, aujourd’hui, nous avons échangé avec sympathie. A l’entrée, on m’a fait le coup du masque, que le personnel fait parfois semblant de porter, et des chaussons de plastique par dessus les chaussures de ville, mais comme ils n’en fournissent pas, j’ai fait comme tous les autres, j’en ai pris d’usagés dans la poubelle près de la sortie ! Ca en fait, du plastique dans la nature, toutes ces saloperies...

Je pressens que ma sinusite chronique, assortie de crises d’éternuements périodiques, a pu fragiliser des vaisseaux, et que l’un d’eux a cédé, peut-être sous l’effet du froid, et comme je prenais de l’aspirine cardio, je me suis retrouvée dans la situation d’un hémophile. Je verrai ce que me dira l’ORL...

Quand tout cela est arrivé, et jusqu’à l’hôpital, je n’ai pas eu tellement peur, mais cela m’a laissé une angoisse latente. Mourir n’est sûrement pas drôle, il le faudra bien un jour, et je crois n’avoir aucun courage physique. Cela m’inquiète aussi de ne pas trouver de ressources en moi dès que je suis enfermée dans un lieu de ce genre. Et puis je suis très fatiguée, forcément, j'en suis restée un peu anémique...

Ce qui se passe sur le plan géopolitique laisse pantois et procure une certaine satisfaction amère aux vilains "complotistes" dont je suis. Les malfaiteurs sont démasqués les uns après les autres, ils s’agitent comme des poulets sans tête, de Macron à Zelenski, en passant par von der Layen, et toute l’affreuse clique. Trump et Musk s’en prennent à Soros et à sa mafia, et je suis contente qu’ils nous en débarrassent, quelle que soit la politique qu’ils adopteront par la suite. Mais je reste méfiante, je n’ai aucune confiance dans les Anglosaxons, ce sont des visages pâles à la langue fourchue. Je dirais que Trump considère l’Ukraine et le deuxième Israël comme une mauvaise affaire dont il faut sortir pour passer à autre chose, et il en veut à toute notre brillante classe politico-médiatique de l’avoir vilipendé et d’avoir marché dans les manoeuvres déloyales de ses adversaires. Néanmoins, tous ces pantins continuent à moudre le même grain, à prodiguer les mêmes grimaces, à répéter les mêmes incantations, et il y a encore suffisemment d’abrutis pour se cramponner à ce qu’on leur a inculqué pendant des décennies, à leur cher formatage, sans lequel ils vont se liquéfier comme des méduses que la vague ne porte plus et qui vont s'échouer sur une plage. A cette satisfaction de voir la déconfiture de tous ces fantoches se mêle une espèce de répugnance et presque de pitié. Mon filleul m’avait raconté qu’enfant, au lycée, il était persécuté par une bande de « jeunes issus de la diversité », puis devenu un adolescent rugbyman musclé, il s’était trouvé nez à nez et seul à seul avec le chef de ces voyous, prêt à lui faire payer ses méfaits. Il l’avait vu alors tomber à quatre pattes et ramper devant lui, mort de peur, et cela l’avait empli d’un tel dégoût qu’il n’avait pas pu écraser cette limace. De même le père de Dany, à la Libération, était parti flinguer le concierge qui avait envoyé toute sa famille périr en déportation, mais le voyant à genoux, avec tous ses gosses autour de lui, il s’en était détourné, écoeuré. Ce serait assez ma réaction, devant ces blattes qui courent partout sous leurs brushings et leurs costumes, en débitant des absurdités, ces petits malfrats privés de leur gros parrain et de leurs trente deniers, et je ne parle pas de tous les intellectuels à bonne conscience, de tous les histrions qui nous ont assourdis de leurs discours péremptoires et ne pourront bientôt plus faire un pas dans la rue sans prendre des pierres et des tomates pourries, comme l’indigne «présidente » géorgienne, cet agent de l'étranger, sorti par son peuple à coups de pieds au cul, et qui, ayant eu l’impudence de revenir, se fait accueillir par une volée  d’oeufs pas frais bien méritée. Ce serait pathétique et grotesque, si ce carnaval n'avait causé tant de malheurs et détruit tant de vies.


samedi 15 février 2025

666

 

Mon amie rapatriée se plaît beaucoup au café la Forêt, elle s'entend bien avec Gilles et Lika. Nous y avons passé pas mal de temps, entre les différentes démarches. Voici la photo de ce que nous avons vu dans la rue, au sortir de notre quartier général. Je me demande si le numéro a été délibérément choisi ou si c'est un hasard! Discutant aujourd'hui sur Skype avec mon cousin Jean-Marc de Marseille, je voyais les platanes chargés de ces perruches vertes qui ont envahi le midi et chassent tous les autres oiseaux; et je pensais aux romans de Voznessenskaïa sur l'apocalypse. A travers l'écran, outre les perruches et la bonne tête de Jean-Marc, m'arrivaient un ciel violemment bleu, une lumière impossible.

Nous avons ouvert un compte avec le tout nouveau passeport russe de ma visiteuse, afin de lui permettre de retirer l’argent liquide qu’elle avait commandé pour acheter sa maison, mais voilà que le document, retiré la veille, n’apparaît pas encore sur l’ordinateur de la banque, il faut donc aller demander un certificat de validité au bureau des passeports et revenir faire l’opération, en plus de tout le reste, l’acte de vente, l’enregistrement dudit etc... Nous avons couru des heures d'un bout de la ville à l'autre, et finalement, tout s'est conclu. Nous sommes allées fêter cela au café français, où Gilles nous a tracé un tableau effrayant des travaux qui attendaient la nouvelle propriétaire, aux prises bientôt avec tout un tas de filous à l'affût... 

Rita au café
Hier, nous sommes allées, avec Tania, le matin à la liturgie pour l’anniversaire du père Serge, recteur de l’église du Signe, proche de sa future maison. C'est une jolie petite église contemporaine, avec des fresques et de belles icônes. Il y avait l’évêque et presque tout le clergé du pays. Je suis tombée à nouveau sur le vieux prêtre que je comprends mal, le père Guennadi. Il est du genre à vous cuisiner. « Tu dis que tu es irritable, mais qu’est-ce qui t’irrite ?

- Les gens, mes chats, les événements... je suis fatiguée.

- Fatiguée de quoi ?

- D’être vieille !

- Quand on est vieux, on a déjà eu la chance de ne pas mourir jeune.

- C’est certain. »

Il me dit que l’irritation vient souvent de l’orgueil et que les nouvelles sur internet ont un défaut que Théophane le reclus dénonçait chez les lecteurs de journaux de son époque, elles nous poussent à juger les autres. C’est un fait.

Monseigneur Théoctyste a dit une pannychide pour l’âme d’Elena Chadounts. Il est très affecté par sa mort, comme toute la ville, on peut le dire.

Ensuite, repas en commun, avec le clergé, le choeur, dont Katia, et tout un tas de vieilles, dont moi ! J’ai félicité le père Serge, et j’ai présenté mon amie, en expliquant son origine russe, le pays d’où elle venait, ses projets. « Eh bien, père Serge, à dit l’évêque d’un air réjoui, j’ai l’impression qu’il va te falloir apprendre le français !"

Ensuite, nous avions rendez-vous chez Ania et ses parents, au village de Bolchié Sokolniki. Ils nous avaient fait, comme d’habitude, une bouffe grandiose, dans leur tiède maison de rondins, avec un poêle de briques et la grosse chienne Groucha. Grigori Borissovitch a sorti toutes ses boissons d’homme, car ma visiteuse ne crache pas dessus. Moi, j’étais au volant, et je ne digère pas forcément tout cela. Mais il y en avait de fort tentantes, la vodka au raifort, à la baie de viorne aubier... Grigori Borissovitch est un vieux mécréant communiste, mais il nous a confié que l’endroit le plus beau qu’il eût vu aux USA était un monastère orthodoxe russe au Texas, dans un lieu naturel sublime où il s’inscrivait parfaitement, et qu’hier, aux funérailles d’Elena Chadounts, il avait pensé devant le monastère saint Nicolas : « Quelle splendeur, et quelle chance qu’il nous reste encore des lieux de beauté comme celui-ci ! » Il nous a confié que la beauté de l’Europe, lorsqu’il y était en poste, l’avait subjugué, et qu’il nous trouvait du mérite de l’avoir quittée pour venir ici, même si, d’un certain point de vue, l’évolution des choses justifiait tout à fait que nous le fissions.

J'ai fait une promenade dans le marécage, à la lisière duquel, malheureusement, les constructions monstrueuses se reproduisent à grande vitesse. Mais sur le lac, on ne les voit presque plus. Il restait un peu de givre, le soleil balayait de ses grands rayons dorés le dessous violacé du brouillard qu'il repoussait comme une bête nonchalante au delà des berges d'argent dépoli. Les roseaux illuminés semblaient des buissons de cierges posés sur la glace d'un blanc chatoyant.


 

Ce qui se passe avec l'Europe me serre le coeur. J'ai vu des photos d'une villa ancienne abandonnée dont les murs sont couverts de tags, et c'est bien pire que la vétusté et la ruine, c'est la marque de la bête tracée sur notre passé de raffinement et de noblesse. Que dirait Chateaubriand devant des choses pareilles? Un pauvre type m'écrit des commentaires furibonds sur l'Ukraine "indépendante", sur les "esclaves nord-coréens de Poutine," sur "l'impérialisme russe", sur l'Europe livrée aux appétits de conquête des barbares eurasiatiques, on croit rêver... Mais les barbares sont là, et ce ne sont pas des eurasiens, l'impérialisme sévit, mais ce n'est vraiment pas celui des Russes, qui n'ont que faire de l'Europe, et voudraient simplement qu'on arrêtât de leur casser les pieds par Ukrainiens interposés. Quand aux nord-coréens, c'est de la pure fantaisie. Il y a eu en Russie une immigration nord-coréenne assez importante, mais c'était il y a bien longtemps, et ces gens-là sont désormais intégrés. Et puis il y a des bouriates et des yakoutes, eux aussi sont russes...

Trump trouve sans doute que l'Ukraine a été une mauvais affaire qu'il faut régler pour, cinq cents milles morts plus tard, passer à autre chose. Les laquais de l'Empire trépignent et pleurnichent. Leurs troupeaux de gogos continuent de délirer, sans voir que le paysage a dramatiquement changé ni qu'on les mène en bateau tout droit vers leur perte. J'essaie de ne pas réagir quand je lis des bêtises monumentales et scandaleuses. Cela fait perdre trop de temps, et le bobo-gogo est incorrigible.     

mardi 11 février 2025

Givre

 

arbres d'argent


Trois jours durant, toute notre région est restée cristallisée par le givre, sous un brouillard mat et uni, je n'avais jamais vu cela. Je suis allée me promener dans le marécage, pas un bruit, pas un souffle, pas une âme, des arbres d’argent dans la grisaille, pareils à de précieux fantômes, et quelques mésanges venues voleter tout près de moi, puis le carillon d’une église. J’ai fait un dessin, mes doigts s’engourdissaient, car la température baisse. 

De Pereslavl à Iaroslavl, où je suis allée me produire, conduite par Katia, c’était le même étrange enchantement, des hectares et des hectares de forêts, de sapins, de bouleaux, d’herbes folles brusquement transformés en végétations métalliques précieuses, sous un ciel bas, et très peu de neige, sur la terre brune. 

Je devais chanter, et surtout parler, dans une église de Iaroslavl, que son prêtre essaie de restaurer. Pour l’instant, elle abrite un centre culturel, et lorsqu’on s’élève sur l’escalier de fer, on voit sur les murs des traces de fresques médiévales, car elle date du XVI° siècle, ce qui n’a pas empêché le pouvoir soviétique d’y installer une usine, peut-être même l’a-t-il fait d’autant plus volontiers. Le prêtre célèbre dans la première moitié de l’édifice, et puis dans l’église voisine.

Il y avait pas mal de monde, et j’ai raconté ma vie, à la demande générale, ce dont on m’a remerciée avec effusion et émotion, j’en suis même étonnée. Une vieille dame m’a offert un morceau du chêne de Mambré qu’elle avait rapporté de Jérusalem. Une petite Moldave, réfugiée en Russie, m’a posé des questions profondes, elle a chanté, d’une très jolie voix et sans singeries désolantes, une belle chanson « dans cette langue russe qui est devenue la mienne ».  Deux jeunes gens sont venus me dire tout le bien que leur avait fait mon témoignage de spiritualité et de sincérité, et je ne me sentais pas très digne de l’affection et de l’admiration qu’on me manifestait, mais j’avais tout à coup l’impression de ne pas avoir vécu pour rien, d’apporter quelque chose aux autres. Je voyais aussi dans ce public des raisons d’espérer en la permanence et la résistance de la Russie. Elle a encore des réserves de pureté et de ferveur.

Ces jeunes gens, m’ont contactée le lendemain, ils étaient à Pereslavl, et prévoyaient une soirée musicale dans le local d’Irina, qui enseigne le yoga. J’y suis allée. C’est à côté des bains de vapeur publics. La rue était sombre et déserte, froide et humide, et j’ai découvert, à mon arrivée, une grande pièce chaude et vide, où des bougies étaient allumées à même le sol, autour de bouquets de fleurs blanches, et d’Ira qui se livrait à la préparation en règle d’une cérémonie du thé ; cela sentait les huiles essentielles, tout le monde était assis en tailleur sur des nattes, ce que je ne suis plus capable de faire. J’avais l’impression de retrouver les années soixante-dix sans les joints. Ici, la musique suffit. Tout cela est très new age, bien sûr, mais je trouve déjà bien que ces jeunes personnes éprouvent le besoin de créer un espace poétique odorant, de jouer de la musique ensemble, au lieu d’écouter de la merde préfabriquée qui détruit les neurones. J’ai donc improvisé avec mes deux garçons. Et cela m’est très utile, car la musique ne doit pas être en permanence une occupation solitaire, or beaucoup de gens qui prétendent faire du folklore ne sont pas dans l’esprit requis, et je n’ai pas envie de participer. Je m’étonnais d’être là, à mon âge, mais pour me rassurer, il y avait quand même un autre vieillard, venu avec sa guitare, dont il jouait très bien. La démarche est la même que pour le folklore : écouter les autres, et rechercher ensemble une sorte de transe créative collective et un autre niveau de conscience. C’est juste qu’ils ne connaissent pas leur tradition. Mais j’ai songé : si les processus sont les mêmes, la renaissance spontanée d’une création commune, de cette autre façon plus immédiate et plus profonde de communiquer, est toujours possible. Il y faudra du temps, mais tout ceci est si profondément ancré dans l’humain que cela reviendra toujours, sous une forme ou une autre. Et moi, j’ai ainsi la possibilité de jouer avec eux, ce qui est plus motivant que de le faire seule, dans la seule perspective de me produire quand on m’invite...




La directrice du musée de Pereslavl, la très honorable Héléna Chadounts, est morte accidentellement d'une chute dans son escalier. Je me suis rendue aux funérailles de cette femme irremplaçable. Tout le pays était là. Elle a été ensevelie au monastère saint Nicolas.