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lundi 18 juin 2018

Du passé faisons table rase et place au business

la laure de la Trinité saint Serge

J'ai trouvé sur une page facebook le post suivant:
LE MINISTRE DE LA CULTURE EN TANT QUE DIAGNOSTIC

 « A la fin de 1964, "l'épuration  " de Moscou et de sa région allait bon train, en prévision de la mise au point et de la confirmation du nouveau plan général de reconstruction de la capitale. Cela nous obligea à rencontrer le ministre de la culture de l'URSS d'alors, E.A Fourtseva. Il nous était parvenu les nouvelles inquiétantes du démantèlement des églises de Souzdal, Vladimir, Pskov, Kalouga, Toula, Viazma. Le Mosoblsoviet essayait de déclasser l'ensemble de monuments de la laure de la Trinité Saint Serge. A Zagorsk (maintenant Serguiev Possad) on avait démantelé une église en bois du XVII° siècle sur le mont Iline. On avait fait sauter un marché du XVIII° siècle à Romanov sur la Volga (maintenant Toutaïev).
Dans la salle de réception de la ministre, on nous avertit que nous n'avions pas plus de dix minutes à notre disposition. Piotr Dmitrievitch (Baranovski) essaya d'expliquer quelque chose au collaborateur de la ministre, mais celui-ci, avec un geste des mains habituel, ouvrit la porte et nous nous retrouvâmes dans un vaste bureau. Yekaterina Alexeïevna  nous proposa de nous asseoir et demanda tout de suite ce qui nous amenait. Piotr Dmitrievitch commença à expliquer combien la situation était regrettable avec les monuments d'architecture. Yekaterina Alexeïevna fit la grimace, nous démontrant son complet déplaisir, et, interrompant Baranovski, lui dit qu'à son avis il y avait trop de monuments dans le pays et qu'on ne pouvait s'occuper de tous et qu'il n'y avait pas de raison de le faire. Le gouvernement avait des problèmes plus importants que la conservation des monuments. Ici, elle répéta une expression très courante à l'époque: "Nous approchons du communisme, et les gens ne savent pas où vivre!" A l'effroi de Baranovski et de toutes les personnes présentes, elle se mit à parler des intentions de détruire tout ce qui empêchait de construire des villes communistes. Quelqu'un de la commission demanda à Fourtseva ce que devait être, à son avis, une ville communiste. Elle répondit que les architectes le savaient mieux qu'elle, mais bien sûr, sans églises."

(Des mémoires du prof. A.S. Trofimov// Piotr Baranovski. Travaux, souvenirs de ses contemporains. M. 1996. P.186)

D'où l'on voit qu'il est très excessif de considérer l'URSS comme un conservatoire des traditions qui se perdaient en occident sous l'influence du matérialisme consumériste. Si cela s'est produit, c'est le résultat des effets secondaires de la grande catastrophe culturelle et humaine subie par le pays. C'est la fine fleur de l'architecture russe du passé, ou plutôt ce qu'il en restait après les destructions énormes des décennies précédentes, que ce ministre de la culture projetait sans frémir de sacrifier au triste béton de la ville communiste idéale. On voit par la même occasion, d'où provient le fonctionnaire actuel, si empressé de sacrifier ce qui a été miraculeusement épargné non plus au projet communiste mais aux projets immobiliers juteux des promoteurs, comme par exemple ici, à Pereslavl, sur la rive du lac, près du monastère saint Nicétas. Quand mon père Valentin disait à sa femme, devenue communiste par réaction au libéralisme, que ceux qui la scandalisaient alors étaient les mêmes apparatchiks qui la scandalisaient, au temps du communisme, quand elle était dissidente, il avait parfaitement raison. Entre le libéralisme capitaliste prédateur et le communisme qui faisait table rase de tout ce qui pouvait remémorer aux gens l'âme de leur pays, sa poésie et sa beauté, je ne vois pas de différence, ils s'entendent très bien, ils procèdent l'un de l'autre. Il est pour moi évident que cette Fourtseva n'avait plus rien de russe, à part peut-être son type physique et sa langue, c'était un mutant, comme le Français abruti qui rend "les religions" responsables de tous les malheurs humains, crache sur le "moyen âge", appelle son fils Parker ou Kévin et n'a jamais rien connu d'autre que la musique de merde importée ou la presse people. Ces gens-là, purs produits de la modernité, n'hésitent devant aucune destruction, plus rien n'est sacré à leurs yeux et par conséquent, même le sens de la patrie est chez eux très atrophié et remplacé par une conception purement idéologique ou des intérêts financiers.

МИНИСТР КУЛЬТУРЫ КАК ДИАГНОЗ

«На исходе 1964 г. полным ходом шла «чистка» Москвы и Подмосковья в преддверии разработки и утверждения нового генерального плана реконструкции столицы. Это заставило нас искать встречи с тогдашним министром культуры СССР Е.А. Фурцевой.
Поступали тревожные известия о разборке храмов в Суздале, Владимире, Пскове, Калуге, Туле, Вязьме. Мособлсовет пытался снять с охраны ансамбль памятников Троице-Сергиевой лавры. В Загорске (ныне Сергиев Посад) разобрали деревянную церковь ХVII в. на Ильинской горе. Были взорваны торговые ряды ХVIII в г. Романове на Волге (ныне г. Тутаев).
В приемной министра предупредили, что в нашем распоряжении будет не более 10 минут. Петр Дмитриевич [Барановский] попытался что-то объяснить помощнику министра, но тот привычным взмахом руки открыл дверь, и мы сразу очутились в просторном кабинете. Екатерина Алексеевна предложила сесть и сразу же спросила, что заставило нас прийти к ней. Петр Дмитриевич начал говорить о том, как неблагополучно у нас обстоят дела с памятниками архитектуры.
Екатерина Алексеевна сделала гримасу, обозначавшую полное неудовольствие, и, прервав Барановского, сказала, что, по ее мнению, памятников у нас в стране слишком много и всеми ими заниматься невозможно, да и ни к чему. У государства есть вопросы поважней сохранения памятников. Тут она повторила весьма расхожее в то время выражение: “Мы подходим к коммунизму, а людям жить негде!” К ужасу Барановского да и всех присутствующих, она стала говорить о намерении снести все, что нам мешает строить коммунистические города. Кто-то из комиссии спросил Фурцеву, каким же должны быть, по ее мнению, коммунистические города. Она ответила, что архитекторы должны это лучше знать, но уж конечно без церквей».
(Из воспоминаний проф. А.С. Трофимова // Петр Барановский. Труды, воспоминания современников. М. 1996. С. 186)


mercredi 13 juin 2018

La destruction de l’âme russe en tant qu’essence même du libéralisme



Un article de Mikhaïl Smoline pour Tsargrad. Je l'ai traduit pour attirer l'attention sur le fait que les forces de destruction à l'oeuvre en Russie opèrent de la même manière que chez nous et ceux qui en sont les vecteurs semblent issus du même élevage et avoir les mêmes commanditaires.
la sainte Trinité, bronze de Nikolaï Moukhine érigé à Yaroslavl

La conscience libérale a de manière ontologique, profonde, essentielle un rapport négatif au code orthodoxe de conduite morale et elle est hostile au rôle civilisationnel du monde russe.
Les valeurs de la Russie et la russophobie
La russophobie en Russie traverse une évolution déterminée, passant des grossières attaques émotionnelles aux tentatives de justifier sa haine par des opinions « objectives ».
Il y a dix ou quinze ans, dans les journaux moscovites de l’élite, on pouvait lire des recommandations de ce type :
« Il est temps de démolir la Russie. Tout le monde respirerait mieux dans le monde si la nation russe était finie. Même les Russes vivraient mieux, si demain il ne fallait plus tirer de soi un gouvernement national, mais si l’on pouvait terminer comme un petit peuple pareil aux Vods, aux Khanti ou aux Avars ».
Et un peu plus loin :
« La logique qui dirige maintenant mon ( ?) peuple s’apparente à celle d’un chien enragé. Le chien enragé est mortellement malade, il lui reste trois ou maximum sept jours à vivre… Il court sans savoir où il va, d’une démarche erratique caractéristique, produit une bave empoisonnée et se jette sur le premier venu. Avec cela, le chien souffre beaucoup, et ses souffrances cesseront quand on lui tirera un coup de fusil ».
C’est un extrait du regrettable article de Valeri Paniouchkine de la revue « GQ » (février 2005).
La russophobie de ce personnage, lauréat pour son œuvre du prix « la Plume d’or de Russie », dérive d’une misanthropie enfantine.
« Un jour, reconnaît-il dans un autre article, quand j’étais petit, je suis entré avec maman dans le métro à l’heure de pointe, j’ai vu une énorme foule de gens mal habillés qui sentaient mauvais et j’ai dit : « Maman, je ne veux pas aller dans le métro. Il y a là beaucoup de monde, je ne les aime pas». « Représente-toi, m’a dit maman, qu’ils sont tous d’anciens enfants et de futurs défunts. Et il te sera plus facile de les aimer. » A dire vrai, cette phrase de maman me réconcilie jusqu’à présent avec la nessécité de vivre parmi des gens mal habillés qui sentent mauvais » (Valeri Paniouchkine. Le refus// Journal « Gazeta » du 14 avril 2006).
S’étant de la sorte réconcilié avec les gens en tant que « futurs défunts », le libéral Paniouchkine essaya ensuite de gagner de l’argent autour des événements de « YUKOS », en écrivant un livre panégyrique « Mikhaïl Khodorovski. Le détenu du silence ». Mais au milieu des années 2000, sous l’effet, d’après ses propres paroles, de pressions excessives dans le domaine du journalisme politique, il se mit à écrire… de façon correcte. Il se mit à écrire des articles « larmoyants » sur les enfants malades, mais sans laisser passer l’occasion de persifler le « royaume des ténèbres » dans lequel il continue à souffrir depuis déjà un demi-siècle.
Les temps changent, et maintenant, la russophobie revêt l’aspect de rélexions « objectives » sur la nuisance de la « restauration orthodoxe », sur « l’impasse » et les « revers stratégiques » de la civilisation orthodoxe.
On peut prendre comme exemple l’article de l’ancien conseiller du président A.N. Hillarionov « l’erreur stratégique des deux Vladimir ».
Il est agacé même par les résolutions lointaines, non libérales, non libertaires de la Fédération de Russie du genre de la loi fédérale N° 327 de 2010, selon laquelle on construit et répare des églises.
Son antipathie pour l’Orthodoxie est consciente et porte un caractère général. De plus, la dominante orthodoxe du monde russe est bien comprise par Hillarionov. Il écrit ainsi dans son article, que :
« L’orthodoxie (comme toute autre religion) ce n’est pas seulement un système de représentations et de croyances, pas seulement des objets d’art et des modèles d’architecture, mais avant tout un choix déterminé de règles de conduite entre les croyants eux-mêmes, entre croyants et incroyants, entre les gens et le pouvoir. Ce code est un des plus puissants et des plus durables dans le temps et la force d’influence sur les divers aspects de l’existence humaine ».
Or ce « code de comportement dont les racines plongent dans leur attachement confessionnel » s’avère négatif dans son influence sur « le développement politique du pays ». Bien qu’on parle plus loin d’économie et absolument pas de politique.
La conclusion est la suivante :
« Le code de comportement qui se base sur les valeurs orthodoxes s’est révélé peu favorable au maintien d’un rythme élevé de croissance économique et, semble-t-il, est l’un des plus importants facteurs du retard économique prolongé des pays orthodoxes. »
Sont pris pour idéal les pays protestants (à 100%) et on indique que le PIB des pays orthodoxes est en moyenne deux fois plus lent.
L’auteur regrette qu’en Russie n’ait pas eu lieu la Réforme ou les réformes catholiques du Concile Vatican II et en tire la conclusion que « Vladimir le Quatrième (Poutine) (avec ses conseillers ou sans eux) accomplit une restauration orthodoxe alors que l’insuccès stratégique de l’orthodoxie, qui a contribué et contribue à l’accroissement du retard économique de la Russie par rapport aux pays plus performants est devenu plus qu’évident ». Tout cela n’est pas nouveau. En gros, ce n’est que la répétition de ce que dit depuis déjà plus de quinze ans Vladimir Pozner. En 2003, déjà, il affirmait dans son interview que « en Russie, les problèmes sont historiques. C’est le rôle fatal de l’Eglise Orthodoxe Russe. L’Orthodoxie a été le frein du développement du pays » (V.V.Pozner. Interview pour l’hebdomadaire « Kaloujski Perekriostok », 2003. Publié sur le site « Rousskoïe Niebo » le 24 juin 2003).
Tout en ce monde est tôt ou tard soumis à des changements, seule ne change pas cette « règle » libérale, avec laquelle on prend stratégiquement la fausse mesure du monde russe.
Le problème de notre libéralisme réside dans son rationalisme matérialiste et son athéisme métaphysique, à l’aune desquels la valeur de la Russie est nulle et suscite un agacement visible.
Maintenant, on nous propose une révolution à la sauce de l’efficacité. Fait la révolution, rejette le « code de comportement » orthodoxe et atteint « la fortune désirée », la richesse.
On ne nous propose déjà aucun sens, aucun idéal. Oui, à proprement parler, il n’est même pas expliqué comment, ayant rejeté un code de comportement, passer au suivant, visiblement « protestant ». Carrément comme le diable tenta le Christ, lui offrant le pouvoir sur le monde.
Comment peut-on échanger l’un, qui existe depuis plus de mille ans, contre l’autre, qu’on n’a jamais aprtagé, qui nous est extérieur ? Ou bien l’Occident va-t-il encore nous aider ?
M. Weber écrivait à propos de l’éthique protestante :
« Si Dieu vous montre cette voie, par laquelle vous pouvez sans dommage pour votre âme et sans nuire aux autres, d’une façon légale gagner plus d’argent, et que vous la refusez et choisissez une voie moins rentable, alors vous faites par làmême obstacle à l’un des buts de votre vocation, vous refusez d’être dirrigé par Dieu et de recevoir ses dons, afin d’avoir la possibilité de les utiliser pour son bien, quand Il le désirera. Ce n’est pas pour la satisfaction de la chair ou les joies pécheresses, qu’il vous faut travailler et vous enrichir, mais pour Dieu ».
(M .Weber. L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme).
Mais pourtant l’éthique protestante elle-même n’est pas dans un état statique, elle n’est pas dans le vide et connaît depuis longtemps les problèmes de la pression croissante de l’athéisme et de l’individualisme humaiste, qui travaille seulement pour lui-même. Et met seulement lui-même au centre du monde.
Le Dieu de la bible a interdit aux protestants les moyens malhonnêtes de s’enrichir, a interdit le gel des salaires, a interdit de régner sur ses subordonnés avec cruauté, le sentiment du devoir obligeait les protestants à travailler, et le droit défendiat leur travail des atteintes extérieures.
Le monde de l’économie actuel ressemble plus à une jungle, dans laquelle se déroulent d’infinies guerres économiques et pas seulement économiques. Qu’est-il resté là de « l’éthique protestante », à laquelle on nous propose de nous convertir ? Vaut-il la peine de passer du code orthodoxe au code protestant, que l’Occident lui-même a renié, se trouvant dans le stade final de ce processus ? L’éthique de l’Occident contemporain et particulièrement les relations économiques réciproques ont depuis longtemps pris congé non seulement de l’éthique chrétienne du catholicisme, mais aussi du protestantisme. La proposition de nos libertaires retarde de cent ans, c’est sûr. Le protestantisme s’est décomposé sous nos yeux, on ne peut plus se convertir à rien…
La différence entre les éthiques orthodoxe et protestante
Ici, il convient de remarquer une différence fondamentale ente les éthiques protestante et orthodoxe. Non dans le domaine économique mais justement dans celui de la vision du monde, ce qui est beaucoup plus important et plus relatif à sa cause première.
Le protestantisme, dans son évolution historique, est la renaissance de l’éthique de l’ancien Testament. Pour les théologiens protestants, Jésus Christ n’est guère plus qu’un rabbin juif, qui se contentait d’interpréter la loi vétérotestamentaire et n’apportait rien de nouveau à l’éthique vétérotestamentaire. De là découle l’économocentrisme de tout le monde occidental, n’ayant, par essence, d’autres buts que de gagner de l’argent.
Le Christ, en tant que Nouveau Législateur, d’un point de vue orthodoxe, ne parle pas de ce que doit ou ne doit pas faire l’homme durant sa vie terrestre, mais l’appelle au perfectionnement, à la déification, cela n’a rien à voir avec l’activité économique.
La loi du nouveau Testament est comparée par les théologiens orthodoxes à une nouvelle plante, pleine de verdeur, de fleurs et de fruits, et celle de l’ancien Testament à la graine d’où elle a cru et s’est développée.
L’incitation à se convertir à « l’éthique protestante », c’est l’incitation à couper l’arbre orthodoxe, à anéantir la civilisation orthodoxe et à chercher chez les « semenciers » occidentaux quelque vielle semence vétérotestamentaire sans aucun espoir qu’elle puisse jamais pousser dans notre « terreau ». Et d’essayer de vivre seulement d’économie, d’égoïsme individuel.
Soit dit en passant, c’est là la négation métaphysique de la venue du Christ dans le monde. C’est à travers le rachat de nos péchés qu’il nous a donné une nouvelle loi morale : «Agissez envers les autres comme vous voudriez les voir envers avec vous » (Mat. 7,12). La loi de l’amour du prochain, et non celle de son exploitation économique sans cesse perfectionnée.
Et qu’est-ce d’autre, à proprement parler, qu’une économie accomplie, sinon une exploitation accomplie ? Comment peut-on atteindre le bénéfice maximum sans exploitation maximum ? La vie n’a pas de sens, si elle se limite au travail, le gain de la quantité d’argent la plus grande possible.
Et bien sûr, nos indicateurs économiques ne vont jamais dépasser ceux des sociétés dans lesquelles l’individualisme égoïste se débrouille sans le moindre christianisme. Mais n’est-il pas suicidaire d’échanger le Christ contre Mammon ?
Le libéralisme amoral et son éthique raciste.
Les nombreuses bizarreries des libéraux russes contemporains, leur mépris envers la Russie et sa dominante civilisationnelle orthodoxe ne sont incompréhensibles que jusqu’au moment où l’on commence à prendre conscience de leur hostilité fondamentale à la moralité orthodoxe dans sa totalité.
L’hostilité ontologique des libéraux et des socialistes à la Russie orthodoxe provient d’une très simple référence. Nos libéraux se permettent ce qui ne correspond pas aux normes de la moralité chrétienne.
Ils proclament d’un côté le principe de la pleine liberté, et de l’autre, la limitent pour ceux qu’ils considèrent comme « à leur façon, inférieurs ».
Par essence, chez les libéraux et, ce qui est encore plus caractéristique, chez les libertaires, se dessine une "éthique raciale » particulière. Il y a les « seigneurs » et il y a « la foule », il y a les « personnes libres » et les « non libres », il y a les leaders et ceux qui ne le sont pas. Et à tous est donné un degré différent d’inégalité éthique.
Pour la morale libérale, il existe des droits moraux de la personne à l’usage des élus et, selon la règle, on prêche l’inégalité morale entre les gens. J’appelerais même la morale libérale un racisme nietszchéen ou éthique. Pour les libéraux, comme pour la majorité de leurs variantes contemporaines, l’éthique chrétienne est juste une morale d’esclave, tandis que la compassion et la pitié pour les gens sont l’apanage des faibles natures. Le regard libéral sur l’homme manifeste l’autonomie complète de la morale libérale par rapport à Dieu, à la religion, jusqu’à l’anarchisme moral absolu.
L’homme est réellement créé libre, mais pour le développement maximum en lui des aspirations matérialistes à gagner « tout l’or du monde ». Ce n’est pas logique, pour la raison déjà que l’homme est mortel, et tous les « biens » qu’il a reçus resteront, après sa mort, inutilisés. Pourquoi, se demande-t-on, construire alors toute sa vie en vue d’une aspiration à ce qu’on ne peut pas utiliser dans la mesure désirée ?
Cela signifie que la vie de l’homme ne peut se construire autour de l’économie. Les exigences matérielles ne requièrent pas l’homme tout entier, tout son temps, toutes ses forces vitales.
Le roi Salomon disait déjà : « Crains Dieu et respecte ses commandements, parce qu’en cela est tout ce qu’il faut à l’homme » (Eccl.12,13).
Est-ce qu’un juste accompli, dans la compréhension chrétienne, ressemble à tous ces « surhommes », « super personnalités », imaginés par toutes sortes de philosophes antichrétiens depuis Nietzsche jusqu’à nos jours ?
Ayn Rand, illustration des convictions de nos libéraux.
Pour les gens extérieurs à la religion, il est très important de trouver quelque système de vision du monde qu’ils puissent ressentir comme étant leur pensée. Le vide antichrétien exige l’intervention d’idées antichrétiennes correspondantes.
Pour nos libertaires, tels qu’Illarionov, l’un des gourous de « l’individualisme » s’avère l’anarchiste éthique radicale anglaise, fondatrice de ladite philosophie de « l’objectivisme », l’Américaine d’origine juive Ayn Rand (1905-1982). En 1926, elle quitta l’URSS, mais emporta avec elle bon nombre de dogmes marxistes matérialistes.
L’essence de son « éthique objective », à en juger par l’interview d’Ayn Rand dans la revue « Play-Boy » est dans la déclaration de l’un des héros de son roman « l’Atlante » qui dit :
« Je jure par ma vie et mon amour pour elle que je n’en viendrai jamais à vivre pour quelqu’un d’autre ni n’exigerai de l’autre qu’il vive pour moi. »
Pour la majorité des antichrétiens, la raison est le principal instrument de la survie, et la rationalité en devient la principale qualité. De là découle que l’homme doit vivre exclusivement pour lui-même. Son but principal est l’aspiration à son prorpe bonheur, et il n’a pas le droit de se sacrifier pour qui que ce soit. C’est le reniement complet des vérités évangéliques au nom d’un égoïsme érigé en absolu.
Le péché originel est nié. L’homme se déclare incapable de ressentir sa faute, c’est-à-dire sa nature pécheresse.
Se proclame « amour véritable » l’égoïsme pur qui ne doit apporter que le bonheur et le plaisir. On appelle amour non l’abnégation mais « l’affirmation profonde de vos propres exigences et valeurs ».
Il est caractéristique que le signe du dollar, en tant que symbole de la monnaie d’un pays libre, s’avère celui de l’esprit libre dans son système philosophique.
Ayn Rand était une antichrétienne agressive.
« Je considère la croix, disait-elle, comme le symbole d’un idéal apporté en sacrifice au non-idéal… Il (le Christ) a reçu la mort sur la croix non pour ses propres péchés mais pour ceux des autres, gens non idéaux. Autrement dit, l’homme d’une vertu idéale fut crucifié au nom d’autres gens vicieux, et on attend qu’ils reçoivent ce sacrifice. Si j’étais chrétienne, rien ne m’indignerait plus que l’idée même du sacrifice de l'idéal au non-idéal, de la vertu au vice. Et au nom de ce symbole, on exige des gens qu’ils se sacrifient à ceux qui sont pires qu’eux-mêmes. C’est précisément pourquoi cette symbolique est utilisée. Et c’est cela qui est une torture. »
En gros, elle considérait la foi comme nuisible « à la vie humaine, dans la mesure où elle est la négation de la raison ».
Dans le domaine politique, c’était une libertaire radicale. L’unique utilité qu’elle reconnaissait au gouvernement était « seulement… la défense des doits de la personne ». Rand se dressait contre le service militaire, le considérant comme une violation du droit à la vie.
En même temps, elle affirmait que tout pays libéral « libre » pouvait s’introduire sur le territoire d’une dictature, sans respecter les droits de l’homme. Ces pays, d’après elle, se touvent « hors la loi » et non « pas le droit de prétendre à quelque droit que ce soit ».
De sorte que l’exportation marxiste de la révolution dans d’autres pays était caractéristique aussi de le conscience des diffuseurs de « démocratie ».
Rand considérait que « la Russie devait reconnaître la Tchétchénie ». D’ailleurs nos libéraux étaient toujours d’accord avec elle.
L’un de nos activistes libéraux, Illarionov, déjà dans les années 1995 avait intitulé presque mot pour mot son article dans les « Moskovskikh vedomostiakh » : La Russie doit reconnaître l’indépendance de la Tchétchénie ».
Voici quelques passages de cet article :
« La Russie porte la pleine responsabilité des destructions colossales imposées au peuple et à l’économie de la République tchétchène. La poursuite de la guerre ne fait qu’augmenter le prix que le peuple russe va payer pour la reconstruction du minimum indispensable à l’existence humaine en Tchétchénie… Comme la responsabilité des crimes nazis fut partagée par tous les Allemands, la responsabilité de l’aventure tchétchène sera inévitablement portée et étendue à toute la Russie, à tout le peuple russe ».
Illarionov, d’ailleurs, a réitéré son appel à la séparation de la Tchétchénie de la Russie il y a relativement peu de temps, en 2016.
Pour résumer ce qui est dit plus haut, je remarquerai que la conscience libérale a une relation ontologiquement, profondément, essentiellement négative au code de conduite morale orthodoxe et elle est hostile au rôle civilisationnel de la Russie dans le monde russe. Et rien ne sépare mieux un véritable libéral de la Russie que l’enseignement de Jésus Christ avec son prêche de l’amour du prochain.
Et les libéraux grandis chez nous ont si peu envie d’aimer les Russes…

Jour polaire

Ayant bu trop de thé avec Xioucha, je n'ai pas pu m'endormir avant trois heures du matin, ce qui m'a permis de constater que l'aube pointait déjà à deux heures: il y a bien déjà un net phénomène de nuit polaire et de jour polaire à Pereslavl.
2 heures du matin



Je suis complètement vaseuse, et pourtant, on ne peut pas dire que j'ai fait l'hôtesse empressée, c'est plutôt Xioucha et son Igor qui m'ont aidée à résoudre toutes sortes de problèmes. Je suis devenue pathologiquement incapable d'affronter les ennuis quotidiens.
Mon jardin réclame mon attention, et je n'arrive pas à faire face, il faut que je trouve une organisation qui limite mes interventions au minimum, soit des arbustes à fleurs, des fleurs grandes et solides, qui font de grosses touffes, poussent toutes seules et limitent les zones de tonte et de désherbage: astilbes, hémérocalles, roses trémières, fougères, hostas, iris d'eau, lupins, hortensias, spirées...
J'ai vu ce matin que les baies des chèvrefeuilles comestibles étaient mûres. C'est un délicieux petit fruit acidulé. Mes chèvrefeuilles comestibles sont encore très petits. Ils sont commercialisés maintenant par le catalogue français Briand sous le nom de baies de mai. Ils ne supportent ni la sécheresse ni le mistral, j'avais essayé à Pierrelatte.
la palissade est entièrement bleue

les lupins

hosta


Des fleurs comme cela fleurissaient chez maman, mais beaucoup plus tôt.

La baie de mai ou chèvrefeuille comestible

J'ai attaqué le livre du père Valentin "Ivan le Terrible comme type religieux". C’est un thème intéressant, car en effet, la coexistence chez le tsar de ses traits de caractère bien connus avec un sentiment religieux réel mérite réflexion... L’auteur ne trouve pas à Ivan l’excuse de l’enfance martyre et dit qu’il est le seul à l'évoquer vraiment, qu’il a bénéficié d’un entourage aimant jusqu’à huit ans, que sa personnalité était formée et que son problème était plutôt l’absence totale d’éducation, la permissivité complète, mises à part les obligations de passer des heures en réceptions et rituels qui évidemment n’étaient pas de son âge, les mauvaises fréquentations, les gens qui l’encourageaient dans ses travers, et qu’aucun boïar n’aurait songé à le renverser ou à le tuer, que les luttes politiques concernaient la régence et la prééminence auprès de lui. Il le représente comme un vrai petit con cruel et débauché de la jeunesse dorée jusqu’à l’incendie de Moscou et la révolte qui l’a suivi, événements qui ont produit sur lui une sorte de révélation mystique. Je dois dire que les informations sur ce personnage sont si contradictoires qu’on s’y perd un peu. D’Anastassia, il dit qu’elle était extrêmement pieuse et entièrement soumise à lui, ce qui lui convenait très bien et explique pourquoi il en avait gardé le souvenir du seul amour de sa vie. Il ne croit pas que son veuvage ait joué un rôle clé dans la modification de son règne. Cependant, à travers les témoignages des étrangers, on a du tsar avec Anastassia une image presque idéale, et après Anastassia, apparaît le sombre tyran. Je penche plutôt pour ma version d'Anastassia qui était sans nul doute pieuse, et soumise, mais aussi intelligente, forte et équilibrante. 
Dans sa chronologie de la vie d’Ivan, il fait mourir Fédia avant Novgorod. Ailleurs, je crois chez Catherine Durand-Cheynet, il tombait en disgrâce après Novgorod. Et je me souviens que sa fin n’était pas claire : éxécuté après la décapitation de son père ou envoyé avec sa famille à Kirillobelozersk où il serait mort quelques années plus tard, de maladie.
Je crois que l’auteur veut s’élever contre la tendance de certains patriotes orthodoxes russes à canoniser le tsar, et il publie en fin de livre une lettre du patriarche Alexis qui va dans le même sens. Je partage ce point de vue, tout ce que j’ai lu de contradictoire ne permet pas de penser raisonnablement qu’il ait été un souverain idéal et encore moins un saint… Et l’on a beau dire que les étrangers le calomnient, sans doute ne comprennent-ils pas la Russie, la religion orthodoxe, les Polonais méprisent l'une et l'autre, certains passages sonnent pourtant vrai, et certains témoins ne me semblent pas faux. Ils ne font en tous cas pas de propagande, à une époque où la presse, Dieu merci, n’existait pas. Ils racontent ce qu’ils voient, rapportent ce qu’ils entendent, à travers leurs préjugés naturellement, et en fonction de leur auditoire. Mais je lui voyais une sorte de fragilité secrète ulcérée, et cela n’est pas le point de vue de ce livre. A vrai dire moi-même je n’en suis pas sûre. Ses lettres donnent l’impression d’un homme sombre, sarcastique, pas spécialement fragile,  sauf quand il évoque son enfance ou sa femme, ou cette nostalgie qu’il manifeste de la vie monastique et de son pèlerinage de jeunesse à Saint Cyrille. Mais je réserve mon opinion, qui peut être encore déroutée. 
Je crois qu’il faut que j’assume le côté légendaire, littéraire et recréé de mon livre, quitte à continuer à explorer l’époque. Pour comprendre ce "beau monstre" qui m'interpelle à travers les siècles et ne me lâche pas. Peut-être que celui à qui j’aurai le mieux rendu justice, c’est Fédia. Car je  sens qu’il a été victime de son père, et que c’est probablement pour sauver ses fils qu’il a fait ce que lui ordonnait le tsar... C'est sans doute bien lui l'âme en peine orthodoxe du XVI° siècle, morte tragiquement et dans une grande tristesse qui, selon le rêve de Pierre-René Mélon à mon sujet, me suit pratiquement depuis l'enfance et attendait de moi une réparation que je lui ai donnée peut-être au delà de ce qu'elle méritait vraiment, mais qu'est-ce que le mérite, à l'aune de l'amour chrétien ou de l'amour tout court?

mardi 12 juin 2018

12 juin.

La fête du 12 juin et ses jours fériés m'ont amené des visiteurs. Sveta est venue avec son mari Vinner me remettre des affaires que la vente de ma datcha avait jetées dans leur garage, soit un coffre de l'armée en bois, trouvé dans la rue par un ami et contenant une boîte en écorce de bouleau tressée magnifique, achetée à Pereslavl, et dont je n'ai jamais trouvé l'équivalent. Tout ce qu'on vend dans le genre et partout est affreux, dénaturé, n'a plus rien à voir avec une véritable tradition populaire et l'auteur de ma boîte lui-même s'était mis à produire de la merde, avec petits chats, petits garçons, petits filles dégoulinants de sirop, tout l'attirail du "souvenir" qui remplace partout l'art populaire et contribue à justifier le mépris dans lequel on le tient. Et puis une autre boîte en écorce de bouleau, peinte celle-là de motifs traditionnels du nord. Il y avait également une planche à découper de facture industrielle que j'avais achetée à l'épicerie de Férapontovo, dans le nord, à la vendeuse qui la décorait devant moi de motifs traditionnels authentiques et me l'avait vendue en me recommandant de la vernir moi-même, ce que je n'avais pas fait, et elle a un peu souffert, lors d'un écoulement d'eau le long du mur où elle se trouvait. J'ai retrouvé des choses que je croyais perdues à jamais, des livres, une paire de bottes fourrées finlandaises chaudes, confortables et chic que j'avais acquises du temps de ma splendeur, des objets qui me venaient de maman, ma boîte à couture en noyer qu'elle avait rangée chez moi avec amour et qu'un oncle m'avait offerte quand j'avais 18 ans... Les déménagements sont vraiment des naufrages et voilà que le ressac de la vie m'apporte ces épaves sur la plage de ma vieillesse!




Sveta et Vinner ont passé leur temps à me faire du bricolage. Dans la foulée, sont arrivés Xioucha et Igor, avec la cadette de Xioucha, Nina. Nina pleurait sans arrêt. D'abord elle a peur de la pluie et pas de chance, le mois de juin est pourri et pluvieux. Pour la distraire, nous sommes tous partis en vélo, profitant d'une éclaircie, pour le lac: quel magnifique spectacle, sauvez le lac et ce qui reste de Pereslavl, saint Alexandre Nevski, saint Nicétas et en général tout ce que compte de saints la terre "imprégnée de prières" de ce lieu vénérable!
Au retour, nous avons pris le chemin de "l'éléphant rose" qui est malheureusement devenu gris, ce qui ne le rend pas plus joli mais beaucoup moins rigolo, car Igor pensait y trouver l'endroit où il pourrait louer une barque le lendemain. A côté, c'était la fête "populaire", c'est-à-dire d'énormes structures en plastique gonflé avec des toboggans, une musique tonitruante, moche et étrangère, même si les paroles étaient en russe passablement abâtardi, et la vente de toutes sortes d'accessoires et de ballons fluorescents et clignotants. Nous sommes entrés au café français qui, exceptionnellement, n'était pas fermé en raison de l'affluence. Les jeunes serveurs affichaient des airs complètement consternés. Je les aime bien et j'ai fait mon possible pour ne pas ajouter à leur désespoir, mais quand même, une fois de temps en temps dépasser l'heure de fermeture sacro-sainte, dans le commerce, c'est quasiment inscrit dans le contrat, c'est comme cela, même à l'école j'ai fait des heures sup! Et j'ai pensé à Didier, que cette mentalité exaspère...
Mon regard est tombé sur un couple, la fille de dos, l'homme devant elle, un blond bien slave qui la regardait avec une sorte de désir attendri et d'émerveillement enivré: cela existe encore... Bonne chance à cet amoureux.
Xioucha m'a offert de la part de son père, qui est mon père spirituel, un livre sur Ivan le Terrible. Quelle délicate attention... Le père Valentin est un centre de documentation à lui tout seul, je ne sais comment il se retrouve dans sa bibliothèque, peut-être aussi vaste que celle d'Ivan le Terrible lui-même, et qui a transformé son bureau et sa chambre en un labyrinthe d'étagères, ni dans son propre cerveau, où tout cela est emmagasiné et ressort quand il le faut, le guidant infailliblement vers le livre nécessaire dans cet incroyable amoncellement...

Igor, Xioucha et Nina

Igor fait mine de jeter Nina à l'eau, ce qu'elle apprécie moyennement.
Il la surnomme "grand-mère".







mardi 5 juin 2018

Saint Nicétas

Au monastère saint Nicétas
Je suis donc allée à Petrovskoïé en évacuateur, avec un joyeux retraité qui avait mon âge et se tordait de rire parce que je lui avais dit que j'étais une vieille et que j'avais du mal à monter dans son camion. Il m'a aidée à boucler ma ceinture: "Allez, il faut bien que quelqu'un vous fasse la cour, puisque vous vous trouvez vieille!"
A Petrovskoïé, tout le monde me regardait d'un air goguenard, surtout l'inspecteur: ils n'ont pas souvent de personnages qui font immatriculer leur voiture trois fois en six mois, est-ce ma faute, s'ils ont de tels usages? "Oh, m'a dit la  dame qui m'a remis les nouvelles plaques, vous avez de la chance c'est encore un numéro miroir." (191). Et un type qui attendait son tour derrière moi me les prend des mains pour les admirer: "Quelle beauté!" me dit-il avec tendresse. Je dois dire que je n'ai pas trop bien compris ni la valeur du numéro miroir, ni la beauté des plaques d'immatriculation!
Chez moi, les trois loustics de Yaroslavl qui avaient fait ma barrière étaient revenus s'occuper de l'auvent. Je pourrai abriter la voiture cet hiver, et aussi le vélo, la brouette et autres glingues. Je les ai trouvés qui m'attendaient sur mon salon de jardin, et ils voulaient un café que je leur ai servi. En échange des thés et cafés, ils m'ont rendu quelques petits services.
Après le joli mois de mai que nous avons eu et dont j'ai bien fait de profiter eh bien c'est déjà l'automne. On se gèle tellement que j'envisage de rallumer le chauffage. J'ai ressorti une petite doudoune.
Dans l'après-midi, j'ai vu arriver ma nouvelle amie de Filonovo, Katia, Yekaterina Igorievna, qui m'apportait des plants de fleurs, et une dame à qui elle avait donné rendez-vous chez moi et qui venait de Borissoglebsk, à 80 km d'ici, un monastère contemporain d'Ivan le Terrible que je rêve d'aller visiter. Cette dame, Lioudmila,  m'a paru très fine, très intelligente et très distinguée, avec un éclair malicieux dans l'oeil. Elle s'occupe d'une revue orthodoxe locale, "Kovtcheg", l'arche. Elle m'a conviée à me joindre à une procession de 5 jours qui a lieu chaque année à Borissoglebsk: "Mais avec mon arthrose?
- Il y a une voiture qui suit, avec du personnel médical. Et puis vous savez, les gens viennent en chaise roulante, avec des béquilles et l'on en voit parfois qui se mettent à cavaler comme des lapins..."
Ensuite, j'ai suivi Katia au monastère saint Nicétas, c'est justement aujourd'hui la saint Nicétas le Stylite. J'ai prié saint Nicétas et saint Alexandre Nevski de repousser les promoteurs et les fonctionnaires locaux loin de ces terres sacrées et magnifiques, car saint Nicétas est bien le plus beau monastère de Pereslavl.
Les moines chantent avec sobriété et ferveur. L'église a été restaurée plus ou moins bien, mais l'iconostase est équilibrée, simple, en bois clair. En revanche, une affreuse barrière de bois peinte façon malachite m'a fait cuire les yeux pendant tout l'office. Le sol est également affreux, sans doute par manque de moyens, mais un choix de couleur plus heureux est toujours possible. Toujours est-il que le monastère semble apprécier quand même la simplicité, la pureté, et cela me plaît. Il y a un bon choix de livres religieux. L'église était complètement ruinée à l'issue de la période soviétique, je m'en souviens, j'avais visité les lieux en 99. Elle avait été bâtie par Ivan le Terrible, ce qui ne lui avait pas valu d'être épargnée. Elle conservait encore une ou deux coupoles couvertes de tuiles de bois essentées, comme il est de tradition dans le nord. Elle les a perdues dans le processus de restauration, sans doute était-il trop cher de les restituer. L'office était très long, avec lecture de l'acathiste à saint Nicétas, et sermon de l'évêque. J'avais très mal au genou. Je suis allée m'asseoir, mais je n'entendais plus grand chose. Par la fenêtre, je voyais tournoyer des mouettes dans le ciel nuageux monumental, au dessus des remparts blancs.
Dans l'assistance, beaucoup d'hommes, et des figures qu'on croirait issues d'un roman de Dostoïevski ou de nouvelles de Leskov, dans le genre barbu mystique.
Je n'ai pas tenu jusqu'à la fin. Debout, j'avais trop mal, assise, je ne participais plus. Alors je suis partie. En sortant, je me suis retrouvée face à ce ciel exaltant qui me faisait signe lorsque j'étais à l'intérieur, ce fascinant ciel nordique plein de lueurs. Saint Nicétas, saint Alexandre, ne laissez pas des richards et des fonctionnaires sans âme, sans entrailles, sans foi ni loi ni patrie, nous priver de ces lieux que vous avez habités et aimés, d'encore une réserve de beauté dans le monde hideux qu'ils nous font.

dimanche 3 juin 2018

Orages et papiers

passage de montgolfière
  

Je pense beaucoup à cette petite égise de Tverdilkovo et à tous ces gens, le pur Génia et sa famille, le hiéromoine Gouri, Yekaterina Igorievna … Il me semble avoir débouché là sur un milieu qui va bien me convenir.  Je voulais aller au monastère Nikitski, ce matin, mais je ne peux utiliser la voiture : le délai de mon visa et de mon enregistrement ayant expiré avant que je n’ai le RVP, le visa de 3 ans et l’enregistrement suivant, je n’ai pas pu prolonger l’enregistrement de la voiture, et on a signalé son numéro de plaque comme étant recherché, de sorte que si j’ai un accrochage je peux avoir des problèmes, ou si je tombe sur un contrôle de flic. Demain, j’ai rendez-vous une fois de plus à Petrovskoïé pour régulariser et j’y vais avec un évacuateur…
Enfin cette fois-ci, avec un délai de 3 ans, je devrais avoir la paix…
Je ne peux pas utiliser mon vélo, car Rosie m’a visiblement percé un pneu, et pour le faire réparer il faut emporter la roue en voiture chez le réparateur, et il faut aussi dévisser cette roue ou plier le vélo, je n’y arrive pas.
Et y aller à pied, c’est un peu loin, surtout avec de l’arthrose.
Reste le taxi, mais je n’ai que des coupures de mille roubles et ici, il faut de la monnaie sinon ils sont furieux.
 Les icônes sont ma meilleure façon de prier, elles m’apportent la paix intérieure, et j'y retourne. Je les fais en écoutant réciter les psaumes par les moines de Valaam. Leurs voix sont si paisibles et comme habitées par quelque chose de saint, et à force, je commence même à comprendre le contenu.
Dans l’après-midi, Nina est arrivée à l’improviste pour faire mon jardin, ce qui n’entrait pas du tout dans mes plans. Je voulais peindre, faire de la musique, le temps était très orageux, avec des moustiques déchaînés. Rosie, d’ailleurs, dans ces cas-là, revient dans la maison, pour avoir la paix. L’orage et les feux d’artifice la font également rentrer. 
Nina a voulu absolument tondre le jardin, et je tremblais qu’elle ne me coupe quelque chose, d’ailleurs, à certains endroits, je m’accommode très bien des hautes herbes. Puis elle s’est attaquée aux branches sèches, aux branches basses et m’a donné des tas de conseils… Et elle est repartie aussitôt à Kostroma. 
C'était très gentil, et en même temps, je me sens dépossédée de mon jardin et de la façon dont j'entends l'organiser. C'est le problème des femmes russes: un peu intrusives... Je cherche à faire un jardin qui me permette de garder des zones sauvages, qui soit facile à gérer, et j'agis par petites touches prudentes...

Le ciel ce soir


dimanche 27 mai 2018

Trinité à Tverdilkovo


Aujourd’hui, c’était une de mes fêtes  préférées, la Pentecôte, qu’ici on appelle la Trinité, une des fêtes dites du Saint Esprit, et celle-ci en rappelle la descente sur les apôtres..
Néanmoins, mon inertie intérieure est telle que je ne m’y étais absolument pas préparée. J’avais juste lu la veille dans le livre du père Costa de Beauregard « Prie comme tu respires », des considérations qui s’appliquaient tout à fait à mon cas.
J’avais rendez-vous au village de Tverdilkovo avec Génia et sa famille, Génia étant l’homme qui défend avec foi, douceur et détermination les quarante hectares de parc naturel autour du monastère saint Nicétas, de la source du même, et les berges du lac immortalisées dans le film « Alexandre Nevski », contre l’avidité et la grossière bêtise des promoteurs moscovites et des fonctionnaires locaux. Nous ne nous étions jamais rencontrés, mais le contact a été immédiat.
Le village se trouve dans la direction de Iouriev Polski, après celui de Filimonovo, où le cosaque Boris a un terrain où il voudrait fonder une communauté en permaculture. Les paysages sont magnifiques, vallonnés, très ouverts, avec de grands prés, des bosquets à l’infini sous le grand ciel du nord en perpétuelle débâcle, avec ces églises couleur des nuages qui surgissent comme des apparitions, au dessus de la verdure et des isbas colorées.  En chemin, je ruminais mon état spirituel lamentable et m’adressais à Dieu : « Seigneur, j’ai bien compris que je suis tout à fait minable, tire-moi donc du trou ! »
Je suis arrivée par un vent vigoureux, émerveillée par l’endroit. L’église est en cours de restauration, très simple, et ce dénuement lui évite les dérives de mauvais goût toujours possibles. Elle était jonchée de foin coupé, comme toujours ici à la Trinité. J’étais en retard, mais le prêtre aussi, c’est un hiéromoine, le père Gouri. Je suis ressortie pour regarder ces jolies maisonnettes russes, l’humble petit cimetière, et me suis retrouvée en train de converser avec deux vieilles, car les gens sont là bas très chaleureux. Elles visitaient leurs tombes, comme c’est  l’usage pour cette fête, et commentaient l’existence des uns et des autres, comme mon grand-père ou ma cousine Dany en de telles circonstances. J’avisais une rangée de magnifiques consoudes bleues que Nina me déconseillait pour chez moi. «Ca fait partir les orties, me dit une des vieilles, là où elle pousse, plus d’orties. » Je lui demande : «A qui est consacrée l’église ?
- A la Trinité, répond-elle
- C’est quoi, la Trinité ? Sophia, Nadejda, Lioubov?demande sa copine.
- C’est tiens, regarde ! » Elle fait le signe de croix : « Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ! » Puis elle ajoute : «Quand même, et dire que nous n’avons même pas une icône de la Trinité, dans l’église !"
Plus tard la même vieille, me louant Pereslavl, en attribuait la fondation à Pierre le Grand.  «Non, dis-je, c’était bien avant, Alexandre Nevski y est né.
- Bon, mais il a fait la flotte russe, à Pereslavl.
- Oui, ça d’accord. Et puis Ivan le Terrible y a beaucoup construit.
- Lui, il a tué son fils, alors je ne l’aime pas.
- Pierre le Grand aussi a tué son fils.
- Jamais entendu dire. »
Il l’a même fait périr avec préméditation sous le knout, alors qu’Ivan le Terrible ne voulait pas tuer le sien… Mais c’est comme ça, l’occidentaliste Pierre est toujours présenté sous un bon jour par les intellectuels et les instituteurs.
De retour dans l’église, je vois arriver notre hiéromoine Gouri, petit homme assez insignifiant, et voilà Génia qui nous fait un discours : «C’est une grande fête, aujourd’hui, et que vous vous soyez ou non préparés, allez vous confesser au père Gouri, il vous dira si vous pouvez communier ou non mais vous aurez au moins soulagé votre âme ».
J’opère un repli prudent vers l’extérieur et tombe sur la femme de Génia, Ira, qui me dit avec chaleur la même chose. « Je crains un peu les hiéromoines, lui dis-je, ils sont souvent raides comme la justice !
- Pas notre père Gouri ! »
Je retourne dans l’église, qui me plaît beaucoup à tous égards, ainsi que ses paroissiens, et me souviens de ma prière de tout à l’heure : «Tire-moi du trou ! »  Je prends mon courage à deux mains et vais trouver le père Gouri, et me surprend à parler, parler, et lui écoute sans rien dire, mais avec une grande douceur. «Si vous n’avez pas d’énergie et que tout cela vous pèse, c’est peut être aussi que cela n’est plus de votre âge, vous avez fait beaucoup d’efforts pour vous installer ici, allez communier. »
Il m'a rappelé un prêtre que j'avais vu chez le père Valentin. A première vue, je l'avais trouvé très laid, un peu ridicule, une vraie tête de savant Cosinus à lunettes hirsute. Et puis je m'étais rendue compte au bout de quelques temps que j'étais en train de lui raconter toute ma vie avec les détails et que j'éprouvais une vraie libération à le faire. J'avais demandé ensuite au père Valentin qui était cet homme étonnant. "Oh m'avait-il répondu, c'est quasiment un saint".
J’avais la sensation d’avoir trouvé ma niche spirituelle dans le coin. Mais en réalité, je l’ai su plus tard en discutant avec Génia et les autres, la niche est beaucoup plus près de moi que le merveilleux village, c’est ce même monastère saint Nicétas, dont l’higoumène est le père spirituel de tous ceux qui m’entouraient là bas, c’est aussi celui de mon plombier, d’ailleurs. Le frère du père Boris que l’on considère déjà comme un saint, le père Dimitri. A la suite de son frère, il se met en quatre pour restaurer les églises des villages du coin. Les moines viennent à tour de rôle officier une fois par mois.
Celle de Tverdilkovo a deux néomartyrs de Russie en attente de canonisation, un hiéromoine, le père Barsanuphe, fusillé en1937 et un jeune prêtre marié d’une grande beauté, Alexandre, je crois, mais je n’ai pas eu le temps de lire ce qu’on en dit, il semble avoir été fusillé en 42.
Après la liturgie, tout le monde, c‘est à dire une dizaine de vieilles et quelques moscovites en vacance, mange ensemble ce qu’ont apporté les uns et les autres, surtout Génia et sa femme Ira. J’ai fait connaissance avec une dame, Yekaterina Igorievna, qui écrit pour les enfants, elle est biologiste et a une datcha à Filimonovo. C’est une spécialiste de l’évêque chirurgien saint Luc de Crimée.
Nous sommes montés sur le clocher, pour regarder le panorama, à perte de vue ces ondulations de terre, vertes et bleues. Puis ma nouvelle amie m’a invitée à Filimonovo, dans son isba décorée. Nous avons bavardé à n’en plus finir, car nous nous sommes entendues sur presque tous les sujets.  Elle trouve qu’un adulte qui n’a pas sauvegardé son enfance n’a aucun intérêt.  Elle connaissait beaucoup de choses sur l’imprimeur d’Ivan le Terrible, Ivan Fiodorov, qui était un homme étonnant, un idéaliste et un lettré, car elle avait écrit à son propos une histoire pour les enfants. Ses livres se vendent bien, et c’est parfait, car elle s’efforce de rendre aux enfants ce dont la politique mondialiste, qui s’efforce partout d’imposer ses dikats,  cherche à les priver : leur lien avec leurs parents, leur sol, leur histoire, leur culture.
Elle trouve les gens de Pereslavl très sauvegardés, simples et bons et souvent très croyants, ce qui me paraît exact.
Sa maison était envahie par les moustiques, ce qui m’a réconciliée avec mon marécage, où ils sont finalement moins présents ! Elle est juste en face du terrain du cosaque Boris.
Pendant que nous jacassions, son mari m’avait déterré un plant de rose trémière…
Avant de me quitter, Génia et sa femme m’ont dit : «Vous savez, maintenant que l’on vous tient, on ne vous lâche plus ! »
En réalité, j’ai le plus grand respect pour à peu près toutes les paroisses et gens d’église que j’ai vus ici, mais il arrive que l’on se sente chez soi, ou pas. Il semble que dans l’orbite du père Dimitri, que je ne connais pas encore, j’ai des chances d’être à la place qui me convient…
Cette journée de la Trinité s'achève, après un gros et bref orage, par un bel arc-en-ciel.

Cette jolie maison est à vendre.

L'église de la Trinité à Tverdilkovo

au cimetière

gros spitz?

Deux paroissiennes arrivent avec leurs branches de bouleaux





La maison de Yekaterina Igorievna

Le terrain du cosaque

La village de Filimonovo

L'église de Loutchinskoïé