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vendredi 16 novembre 2018

L'hospice d'Ilinskoïé


Lioudmila m’a demandé de l’emmener à côté d’Ouglitch pour déposer une vieille dans un hospice. Je râlais comme un pou, parce que je devais aller les attendre en bas de chez elles à 8 heures et me dépêcher le matin devient au dessus de mes forces. Tout en laissant rouspéter mon démon, je prêtais attention à la voix navrée de mon ange : « Tu as l’occasion de faire quelque chose pour les autres, cela t’arrive-t-il si souvent, vieille égoïste ? Tu as la chance d’être chez toi, et cette pauvre vieille s’en va à l’hospice, tu vas la fermer, ta gueule ? »
Donc, je suis arrivée au lieu du rendez-vous pour m’entendre dire que la vieille s’était oubliée et qu’il fallait attendre qu’elle eut fini de prendre son petit-déjeuner. La vieille n’a en fait que 12 ans de plus que moi, et elle a dû être jolie. J’ai refait avec elle, Lioudmila et Rita , le trajet de Borissoglebsk, en allant 40 km plus loin, presque jusqu’à Ouglitch, cela sentait le bout du monde, l’avantage, c’est que ces villages oubliés entre champs et forêts n’ont pas trop été défigurés par la tuile métallique et le siding, les isbas sont délabrées mais toujours charmantes, avec des dentelles de bois et des couleurs passées.
Nous sommes arrivées dans celui d’Ilinskoïé, où était l’hospice. Notre grand-mère n’avait pas trop mauvais moral, elle trouvait l’endroit tranquille. Oui, il était on ne peut plus tranquille… au milieu de nulle part, comme on dit en Amérique.
Lioudmila est allée s’occuper de l’admission. Je suis allée implorer le personnel de me donner l’accès aux toilettes, et j’ai discuté avec les infirmières. Gentilles et humaines. Elles se sont renseignées auprès de moi sur la grand-mère, enfin dans la mesure où je pouvais en dire quelque chose : « Elle marche seule ?
- Oui, elle marche.
- Et la tête ?
- Ca a l’air d’aller. »
J’ai promené Rita, petit pipi. Dans la grisaille sourde du matin lourd d'une neige qui se refuse à tomber, l’église avait l’air du seul point de lumière auquel on pouvait se raccrocher dans le coin : des coupoles dorées qui brillaient gaiement, fraichement restaurées.
Au retour, Lioudmila était triste. Elle ne sait pas quoi faire avec sa vieille, qui est sa voisine. C’est une femme sans défense, choyée toute sa vie par un mari attentif mort il y a huit ans. Des Arméniens ont commencé à faire de grandes démonstrations d’amitié à cette veuve, et ils ont fini par lui proposer de leur faire une donation de son appartement, dont elle reste théoriquement usufruitière, en échange de bons soins.  Et un soir, Lioudmila a vu arriver la vieille : «J’ai faim, je n’ai pas mangé depuis trois jours… » Dans l’appartement, plus rien, plus de vaisselle, plus de linge, plus de vêtements, comme si on l’avait déménagé, et la vieille ne s’y supporte plus, elle a peur.
Lioudmila a pris sa voisine chez elle, mais son appartement est minuscule, elle y vit avec sa fille et sa mère. La vieille lui a proposé de venir s'installer dans le sien. Mais il appartient aux Arméniens…  et de plus,  il est inhabitable sans meubles ni électroménager.
La solution est de dénoncer la donation, puisque les Arméniens ne respectent pas le contrat. Mais que faire, en attendant, de cette grand-mère ? D’après ce que Lioudmila raconte, elle a certainement une maladie dégénérative, même si elle reste assez autonome, et capable de converser.
La vieille elle-même ne veut plus rester seule, et envisageait l’hospice assez sereinement. Cependant, si celui d’Ilinskoïe fait bonne impression, on sera probablement obligé de l’envoyer dans un internat, et Dieu sait comment il sera.
Je raccompagne Lioudmila dans une semaine, voir comment cela se passe.
L’équipée m’avait également profondément remuée et me rappelait ce que j’ai vécu avec ma mère. «Un imbécile m’a accusée sur Facebook d’être partie en Russie pour sauver ma peau, ai-je confié à Lioudmila, mais ce n’est évidemment pas la raison, car il n’y a plus grand-chose à sauver, même ici, on n’est pas à l’abri, et en fin de compte, mourir, par exemple, fusillée dans une procession m’éviterait la maison de retraite… la fin de ma mère m’a rendue fataliste par rapport à la mienne.
- Nous t’éviterons cela !
- Tu sais Lioudmila, c’est très dur à vivre. Avec maman je n’ai pas tenu très bien le coup, et c’était l’être que j’aimais le plus au monde. Je compte sur Dieu pour arranger les choses au mieux. Je me dis que si maman a vécu cela, c’est que Dieu voulait lui faciliter le passage. Mon amie moniale, dont la mère était morte folle, avait été prise en stop, en Grèce, par saint Païssios. Et celui-ci lui avait dit : «Les gens comme ta mère vont directement au ciel. Il n’y a rien de pire que de perdre la tête et c’est une maladie qui les dépouille de tout, de sorte qu’ils passent comme une lettre à la poste. » Maman avait une bonté rare, mais elle en voulait à Dieu de la mort de mon père et ne voulait pas revenir à lui. Elle avait un certain orgueil, et ses filles étaient tout pour elle. La maladie l’a privée de tout, de son orgueil et de ses filles, et l’a laissée absolument démunie, elle est sortie de la vie comme elle y était entrée : comme un petit enfant. Dieu va-t-il demander des comptes à un petit enfant ? Un jour que, dans un éclair de lucidité, elle se désespérait d’être séparée de moi dans l’au-delà parce que j’étais croyante et pas elle, je lui avais répondu : « D’abord, personne ne sait qui de nous deux passera première, et puis, si tu vois le Christ devant toi, tout d’un coup, maman, quand tu passeras de l’autre côté, vas-tu te détourner de lui ? Si tu le vois devant toi ?
- Oh non, non… bien sûr que non. Je lui dirai : « bonjour monsieur, je m’appelle Michelle Pleynet… »
Elle me répétait aussi : « Dieu me pardonnera bien, je pardonne à tout le monde, alors lui d’autant plus… »
Lioudmila m’a déclaré : « Pour Dieu, la bonté couvre pas mal de choses, j’en suis persuadée ».


jeudi 15 novembre 2018

La mouche et l'abeille



Le prêtre de l’église du Signe, le père Alexeï, m’a contactée parce qu’il a vu le rédac chef de Thomas, Gourbolikov, et que celui-ci lui a parlé de moi. De son côté, Dany, à Paris, à la rue Daru, a rencontré l’évêque de Pereslavl, monseigneur Théodore, le monde orthodoxe est petit…
J'ai reçu aussi un coup-de-fil d'une femme que j'avais connue quand j'avais ma datcha, "la comtesse", qui était effectivement comtesse, de Saint-Pétersbourg. Elle vit maintenant à Pereslavl, dans sa maison de famille, à côté du monastère saint Théodore.
Je suis contente de me faire des amis sur place, car depuis que j’ai Rita, je ne sais plus comment aller à Moscou. Elle n’est pas propre. Bien sûr, elle comprend que lorsqu’elle fait pipi dehors, elle a une « vkousniachka » et se précipite vers l’armoire où je garde les friandises pour chien, mais elle n’a pas le réflexe de demander à sortir, ni même de sortir seule à travers la chatière, ce que faisait Doggie. Elle est contente de sortir, maintenant, elle aboie joyeusement dans le jardin. Mais pas sans moi…
Je l’ai emmenée promener hier avec Rosie, et elle marche beaucoup plus volontiers. Rosie la défend, pour elle, elle fait partie du troupeau, avec moi et les quatre chats. Rosie monte la garde avec un air très compétent. Elle fait des rondes jour et nuit, inspecte même la maison, c’est comme si j’avais un flic à domicile. Au retour de la promenade, nous sommes passées devant un chemin au bout duquel vivent des chiens errants, que je n’avais pas vus depuis longtemps. Rita a fait mine de s’y engager, et bien qu’il n’y eût personne à l’horizon, Rosie s’est précipitée pour la décourager, en tournant autour d’elle et la mordillant, si bien que je l’ai prise dans son sac. La minute suivante, les chiens sont arrivés. Et Rosie est restée sur le chemin pour leur barrer le passage tandis que je m’éloignais avec Rita…
Tout était gelé, terne, mais très graphique, avec ces fleurs sèches devenues une sorte d’écume terreuse qui moutonne, gorgée des graines des floraisons futures, sous les branches nues . Il y a de plus en plus d’ordures, partout, de bouteilles en plastique, les gens ont-ils plaisir encore à venir pique-niquer dans une décharge en apportant, à chaque fois, leur contribution à ce désastre ? Leurs maisons elles-mêmes, qui pullulent insolemment et sans autorisation sur l’escarpement et cachent le monastère tout en cassant l’ambiance, ressemblent à de gros déchets de plastique, et sans doute que leur âme aussi, prend cette allure-là… sinon, ils vivraient et construiraient autrement.
Le lac gelé a pris cet aspect laiteux et opalescent qu’il a en hiver. La neige se fait attendre, mais elle recouvrira bientôt miséricordieusement la plupart des disgrâces. Dans le marais, un arbre brisé étale de grandes ailes osseuses de ptérodactyle, Rosie va et vient, elle casse la glace pour boire là où il y a encore de l'eau dessous, et cherche des proies, en sautant verticalement comme un renard polaire. Rita me suit comme mon ombre, mais trottine et renifle. 
Les commentaires des communistes, sur Facebook, me glacent le sang. Youri Shoubine en a de toutes sortes, sa page est une sorte de forum, où il admet tout le monde, entrant patiemment en discussion avec n’importe quel imbécile, ce que je n’ai pas le courage de faire, et lorsque cela m’arrive, j’ai du mal à rester sereine. En cela, pourtant, il répond aux désirs du patriarche, qui nous demande de ne pas laisser internet aux trolls... Il a mis la photo d’archive d’une des innombrables victimes des purges, une folle en Christ de 90 ans, fusillée au terme des joyeusetés que l’on sait, emprisonnement, interrogatoires musclés… « Elle a eu ce qu’elle méritait », écrit une communiste. Et en dehors de son âge, qui à lui seul aurait pu décider des juges humains à la laisser mourir tranquille, qu’avait-t-elle fait qui méritât cela ? Des gens venaient la voir avec vénération dans son appartement et lui demander des conseils spirituels… En effet, la mort était pour cela un châtiment trop doux. La mentalité idéologique est une maladie mentale. Parce qu’à côté de cela, il y a des gens, sympathisants communistes par horreur du libéralisme ou par amour de la justice (il y en a quelques uns), qui admettent et regrettent ce qui s’est passé. Mais le vrai pur et dur ne regrette rien, il ne demande qu’à recommencer les délations, les exécutions, il partirait joyeux garder la chiourme, toute personne qui lui paraît se mettre en travers de son illusion forcenée et de son idolâtrie des bourreaux est un ennemi mortel à exterminer, du tsarévitch Alexis jusqu’à la vieille folle-en-Christ, en passant par les paysans, les vielleux, les cosaques et les poètes. J’avais une amie orthodoxe qui me disait dans les années 90, à propos des vieux qui défilaient avec la photo de Staline : « Je ne les plains pas, ce sont eux qui ont laissé s’installer tout cela et qui y ont contribué, ils en récoltent maintenant les fruits. Les vieux normaux, leurs familles et leurs paroisses s'occupent d’eux. »
Un autre communiste, en commentaire à un article que j'ai traduit sur les turpitudes de l'abominable "patriarche" Philarète, (et c'est effectivement Iznogoud, le vizir qui voulait être calife à la place du calife, en beaucoup moins drôle), décrète que Staline avait bien raison de tenir les popes avec un collier de fer. C'est-à-dire qu'il voit en Philarète, qui, avant de se rabattre sur les néonazis, avait construit toute sa carrière en mouchardant pour le KGB, soit pour les organes de son cher pouvoir communiste, et envoyé les prêtres et hiérarques ukrainiens en taule par paquets entiers, la justification du martyre et de la persécution de tous les saints prêtres et laïques des répressions bolcheviques et staliniennes. Mais il ne voit pas la gueule de l'apparatchik pourri Koutchma, cauteleux et vicieux jusqu'à la moelle, lui aussi pur produit de son régime bien-aimé. Et il ignore le métropolite Onuphre, ses hiérarques fidèles et les 60% d'orthodoxes ukrainiens qui n'ont jamais trempé dans ces magouilles et en souffrent même tous les jours. Cela me rappelle l'histoire de la mouche et de l'abeille, l'une trouvant toujours la merde, et l'autre les fleurs, de par leurs natures respectives.







mercredi 14 novembre 2018

« Quels canons ! » : Porochenko a exigé du métropolite Onuphre qu’il reconnaisse la primauté de Constantinople



Les médias affirment qu’entre le président Porochenko et le représentant de l’Eglise Ukrainienne  Onuphre a eu lieu une conversation téléphonique « très émotionnelle ». « Quels canons ! Quels canons ! » aurait crié le président au métropolite, après que celui-ci lui eut déclaré qu’il ne s’apprêtait pas à reconnaître la primauté de Constantinople dans la question de l’autocéphalie.
Rappelons que la veille, le président Porochenko avait manqué la rencontre avec les archevêques de l’Eglise Ukrainienne. Celle-ci devait avoir lieu dans la Laure des Grottes de Kiev, mais le chef de l’état ukrainien ne s’y est pas montré.
D’après les données de la presse, Porochenko a téléphoné au métropolite Onuphre quand celui-ci était avec d’autres hiérarques ukrainiens. Le saint père lui-même, pendant la discussion, restait calme, bien que le président lui demandât de « faire machine arrière » et de reconnaître la décision du patriarche Bartholomée sur l’Ukraine.
En ce qui concerne Porochenko, il aurait « hurlé si fort dans le récepteur que ses paroles parvenaient à de nombreux hiérarques présents dans la salle ».
Cet épisode est rapporté par la publication Strana: https://strana.ua/news/171265-podrobnosti-sobora-upts-hde-mitropolit-onufrij-hovoril-po-telefonu-s-poroshenko.html avec un lien qui renvoie à la source de l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne.

trad. L. Guillon

 
Quand l'archevêque Jonas a proposé à sa Béatitude Onuphre de regarder le film
"le Moine et le démon", celui-ci a répondu: "CE CINEMA-LA, JE LE VOIS TOUS LES JOURS"!

D’Issoudun à Pereslavl à cheval.




Mon amie Sophie caresse le projet de venir me retrouver à Pereslavl sur une jument de race cosaque kabarde, pour prouver l’endurance de ces chevaux, dont on voudrait développer l’élevage. Son voyage a aussi des aspects spirituels, car elle compte aller, sur le trajet, de lieu orthodoxe en lieu orthodoxe, mémoriels, car elle le fait en hommage au corps expéditionnaire russe de 1914 et aux soldats de l’armée russe qui ont péri pendant la seconde guerre mondiale. Et écologiques, car elle compte en chemin collecter des graines anciennes et en échanger. Elle compte aussi témoigner de ce qu'elle verra en chemin, au moyen de récits, photos et dessins.  Le but ultime étant de s’installer éventuellement en Russie, après cette prise de contact pour le moins inhabituelle, pour s’occuper de chevaux et de permaculture. Elle compte partir avec une bannière à l’effigie de la Mère de Dieu, afin d'annoncer la couleur. Et elle cherche des coéquipiers, assez fous pour faire cela avec elle, car par les temps qui courent, la traversée de l’Europe n’est plus une promenade et il vaut mieux être plusieurs… 
Elle en a semble-t-il trouvé au moins un, en la personne d’Alexeï, qui vit pas loin d’ici, et qui est un cavalier épris d’aventure.
Ce qui sera peut-être encore plus difficile à trouver, c’est l’argent pour acheter la jument. Un crow founding est ouvert.
Elle a pris contact avec un écrivain, Jean-Louis Gouraud qui a déjà accompli cet exploit et lui a donné des conseils utiles. Voici son livre, pour ceux que l’expérience intéresse. Il reprend en hommage le titre d'un récit du grand écrivain russe Leskov: le pèlerin enchanté.
 A noter qu’une douzaine de cosaques a fait le voyage inverse, sur la trace de leurs ancêtres de 1812, en 2012, pour le bicentenaire de l’événement. Leur expédition a pratiquement été complètement passée sous silence par les médias français. Pourtant, c’était un hommage, car les cosaques adorent leur ennemi Napoléon,  et me chantent invariablement « le tombeau de Napoléon » pour mon anniversaire, supposant que je partage leur enthousiasme pour le conquérant de la République, devenue Empire éphémère. Le voyage de Sophie sera une réponse au leur, puisqu'elle le fera dans l'autre sens sur une jument cosaque.
  



lundi 12 novembre 2018

A la rencontre de la sainte Russie

Le magnifique portail du monastère
J'étais conviée hier matin à la liturgie dominicale du monastère saint Boris et saint Gleb, à Borissoglebsk. C'est à une heure de chez moi, pas loin de Rostov. Mais je n'accepterai plus de me déplacer le matin. Je mets des heures à émerger, je suis complètement au ralenti, me presser la matin, je ne peux plus, je commence même à comprendre ma tante Jackie qui ne prenait aucun rendez-vous le matin. Je suis devenue physiquement incapable de me presser. Déjà rien que pour me déplier et sortir de mon lit, ça me prend dix minutes. Et puis bien sûr, au moment de partir, je cherche mes clés, mes gants et la serrure du cadenas du portail est bloquée par le gel...
Par dessus le marché, j'ai loupé l'embranchement de la route de Borissoglebsk, qui se prend, comme on dit ici, "à travers l'oreille gauche", il faut vraiment deviner qu'on doit tout à coup tourner à gauche sur une espèce de poche, et ensuite revenir en arrière prendre le passage à niveau et la route peu engageante qui le traverse.
Pourtant, par la suite, cette route s'avère très jolie, et elle était inondée de soleil, un soleil froid et pur d'hiver provençal, par jour de mistral.
Le monastère est absolument magnifique, la bourgade autour encore assez intacte, avec de jolies maisons typiques. Le monastère... pratiquement rien de postérieur au XVII° siècle, une architecture russe sans mélange, féerique comme à Rostov, qui, du temps de l'union soviétique, avait été complètement profanée, ce qui a laissé des traces regrettables, et deux bâtiments sont irrécupérables. Un tel joyau aurait dû être choyé par le gouvernement, par le peuple tout entier. C'est une architecture unique, qui n'a rien à voir avec la répétition idiote des modèles gréco-latins ni avec le béton-verre universel à qui on sacrifie tant de fric.
J'étais tellement en retard que je craignais de ne plus trouver personne, mais les offices monastiques sont tellement longs, que j'ai eu droit à un bonus de trois quarts d'heure. Je suis entrée dans cette église (du temps de Vassili III, père d'Ivan le Terrible, début XVI° siècle) et je suis tombée dans un état second: tout était beau, délabré, mais beau, aucun détail de mauvais goût, des restes de fresques académiques, mais si passées, sombres et malmenées qu'elles en prenaient un mystère brumeux et tragique, bien que paisible, et cette iconostase de bois clair et chaud, récupérée quelque part, ces icônes disparates, mais toutes VRAIES, sincères et simples. Et non seulement cette merveilleuse église restait noble et authentique, mais le chœur chantait des chants très anciens, sans fioritures, avec des voix naturelles, et non cette affectation académique pompeuse qui me crispe. Au dessus de l'higoumène en vêtements dorés, deux bannières détachaient leurs dentelles métalliques sur ce bois doucement ardent, et si usé, si maltraité lui aussi, et pourtant plus splendide, dans son héroïque, rustique et simple résistance, que tous les cacas boursouflés et dorés que j'ai vu défigurer jusqu'alors nombre d"églises "restaurées". Tétanisée, j'ai dit à Vassili Tomachinski, qui m'avait invitée et accueillie: "Ici, c'est la Russie, c'est vraiment la Russie, c'est la sainte Russie. En haillons, et couverte de cicatrices, mais vraiment elle-même".
Après l'office, je suis allée m'incliner sur les reliques des fondateurs du monastère, et sur celles de saint Irinarque, dont la célèbre procession de cinq jours a lieu de tous les étés. Pour vénérer la châsse de saint Irinarque, il faut enfiler les deux croix de fer reliées par d'énormes chaînes qu'il portait en permanence. Une fois prosternée avec ça, j'ai bien cru que je n'allais plus jamais pouvoir me relever.
L'higoumène Jean m'a ensuite signifié qu'il voulait me faire un cadeau. Je l'ai suivi jusqu'à sa résidence, et en l'attendant, j'ai écouté Vassili Tomachinski me faire l'historique du monastère. Je m'emplissais de toute cette grâce, de ces dentelles de briques, de ces arches, de ces imbrications de formes légères et si simples, si originales, de ces coupoles inégales, aux floraisons inaltérables, et les cloches sonnaient dans la lumière. Le père Jean est revenu avec un sac bourré de livres, il m'a fait Noël avant l'heure. Il y a là deux livres d'art sur le monastère et la procession, un gros livre intitulé "Sainte Russie, garde la foi orthodoxe", des brochures diverses sur le même genre de thème, des DVD, et deux paquets d'infusion d'épilobe ramassée sur le trajet de la procession, naturellement. "Vous n'avez pas encore participé à la procession?
- Non, père, car j'ai beaucoup de mal à marcher... je voulais venir cet été, mais j'ai reculé à cause de cela, et je suis allée aux Solovki.
- Mais voyons, voyons! Il suffit d'y aller, les gens y vont tous, à n'importe quel âge et dans n'importe quel état, en patinette, en fauteuil roulant! J'ai connu un sportif qui avait eu un accident et tirait la jambe, quand il a bu l'eau de la source, il a oublié ses douleurs!
- Ah, alors... j'avais pensé la suivre à vélo, mais mon père spirituel m'a dit que ce ne serait peut-être pas très traditionnel...
- Venez en vélo, aucun problème, vous avez ma bénédiction..."
avec Vassili Tomachinski
Cet higoumène m'a beaucoup plu, il semble très bon, plein d'humour, d'une sorte de tendresse malicieuse. Mais je n'ai rien compris à son sermon. Il marmonne et il est inaudible. Quand ses paroissiens le lui font observer, il répond qu'ils n'ont qu'à se nettoyer les oreilles.
Je suis allée ensuite avec Vassili chez Alexeï. La fille d'Alexeï vit à Paris, elle est mariée avec un journaliste français du Point (je n'ai pas fait de commentaires...) Il vit dans une isba bleue aux fenêtres sculptées. Nous avons discuté des problèmes avec le patriarche Bartholomée, des paroisses françaises, et j'ai raconté la visite d'Henri et Patricia et leurs impressions. "En réalité, a observé Vassili Tomachinski, malgré tout, il reste quelque chose de nous, de notre foi, et quand j'entends ce genre de témoignages, je me dis que nous avons sans doute encore quelque chose à apporter, un rôle à jouer...
- J'en suis convaincue. Un rôle eschatologique."
  Puis nous avons rejoint Lioudmila,Pavlovna, que j'avais connue cet été et qui voulait déjà m'embarquer dans la procession (à laquelle je n'échapperai pas l'année prochaine...) C'est une femme intelligente et fine, elle fait partie des ces dames qui, avec l'âge, prennent un air de vieilles fées, comme l'artiste peintre Elena Vassilieva, et elle aussi y est allée de son cadeau: une icône ancienne, assez abîmée, que je n'oserais pas restaurer moi-même, mais je vais essayer de trouver quelqu'un...
Lioudmila Pavlovna a un poêle russe ancien couvert de céramiques. Chaque carreau est orné d'un losange bleu, mais ces losanges étant faits à main levée sont tous différents, sous leur apparente unité, ce qui leur donne une vie extraordinaire.
Après quoi, j'ai fait la connaissance d'Elena, qui est belge et vit sur place. Une petite dame toute ronde avec une canne, et l'air d'une moniale. En fait elle a la nationalité belge, mais ses parents sont des émigrés russes.
Elle m'a fait faire le tour de son domaine, un ancien monastère où quelques novices s'efforcent de restaurer les ruines qui subsistent. Elle prend cela très à cœur. Les églises étaient entourées d'un  cimetière, dont il ne subsiste que deux pierres tombales, et où reposaient les gens du coin. Pour faire un château d'eau, ce qui, si j'ai bien compris n'était pas autorisé, on a profité de son absence pour creuser dans ce qui était le cimetière, et revenant de Belgique, elle a trouvé devant chez elle des caisses d'ossements. Avec les paroissiens, elle a enfoui tous ces restes chrétiennement, et refermé la fosse avant le retour des ouvriers. "Ces maisons, par ici, me dit-elle, sont construites sur des ossements et beaucoup de pierres tombales ont été utilisées pour les fondations." Cette façon de traiter ses ancêtres comme un tas d'ordures semblent l'émouvoir tout particulièrement.
Il y avait beaucoup d'étoiles, dans le ciel de Borissoglebsk quand je me suis décidée à rentrer, et un croissant orange au ras des forêts, comme sur un tableau de Vroubel, ou une illustration de Bilibine.
Aujourd'hui, j'ai reçu la visite de Sacha Joukovski et de son fils Timocha, en route pour leur datcha, à 40 km d'ici. Sacha est folkloriste, sa femme également, les enfants ont grandi là dedans, ils ont un ensemble familial et se produisent tous ensemble. Élevés sévèrement, dans la religion orthodoxe, la musique traditionnelle et le respect du pater familias, les enfants de Sacha sont très attachants, équilibrés, et toujours avenants.
Sacha m'a raconté que dans la région de Borissoglebsk, il y avait un village qui se mourait autour de son église délabrée, et un homme riche qui y avait ses racines, a commandé la restauration de l'église à un entrepreneur local. A l'issue de la restauration, il a posé un autre paquet de fric sur la table: "Bon, maintenant, il faut un prêtre pour cette église, pars étudier au séminaire.
- Qui ça, moi?
- Et qui d'autre? Tu feras très bien l'affaire."
Devenu prêtre, l'entrepreneur a commencé à restaurer des maisons et avec l'homme riche, à remonter l'agriculture locale: bétail et même chevaux, ils ont à présent un centre d'hippothérapie et toutes sortes d'activités artisanales. Quand quelqu'un veut acheter dans ce village, l'administration locale dit: "allez voir le père Vladimir, et vous achèterez s'il vous le permet!"
J'avais acheté des gâteaux du café français, et Timocha n'osait pas les goûter. Il en avait très envie mais semblait voir dans ce produit raffiné de la civilisation occidentale quelque chose de décidément trop recherché, trop sybarite. "Prend-en la moitié, je mangerai l'autre", lui dit son père.
Le garçon a mangé sa moitié avec délices. "Alors Timocha, ça te plaît quand même?
- C'est... c'est indescriptible! Mais justement, c'est trop! C'est trop!"
Un ascète!

c'est là que vit le père higoumène

Ici, c'est le XVII° siècle, plus orné. Chaque carré est orné d'un carreau de céramique central.

Au fond de l'allée, la cellule de saint Irinarque.



Sortie de l'église




Les boutiques collées contre l'enceinte du monastère se sont conservées.
On y vendait autrefois des produits du monastère ou des objets de piété.

j'ai remarqué partout que pour installer un mas de téléphonie mobile, on choisissait obligatoirement
les parages immédiats d'un monastère ou d'une église. C'est quasiment un réflexe. Celui-ci se voit de
l'intérieur, où on voudrait pouvoir l'oublier.

                            

samedi 10 novembre 2018

L’EGLISE ORTHODOXE RUSSE HORS FRONTIÈRES : LE PATRIARCHE BARTHOLOMEE N’EST PAS LIBRE DE SES ACTES, DERRIERE LUI SE TIENNENT DES FORCES PARTICULIÈRES, ÉLOIGNÉES DE L’EGLISE DU CHRIST ;

Je publie en complément du précédent article et en intégral, cet article traduit pour orthomonde:
http://www.orthomonde.fr/index.php/journal/86-le-patriarche-bartholomee-nest-pas-libre-de-ses-actes?fbclid=IwAR1e1H4YspyMmwGCQ7j4uTNnl4YMkzVNbFdNypRRQX3Li3Na8Lsfr36MTzc


Sur la demande de la rédaction, l’archiprêtre Seraphim Gan, en charge des affaires de la chancellerie du Synode épiscopal, secrétaire du Premier hiérarque de l’Eglise Russe Hors Frontières, a commenté les décisions du patriarche Bartholomée et donné son appréciation des actes du Phanar.
- Nos pensées, nos profondes inquiétudes et nos prières brûlantes accompagnent sa Béatitude le métropolite Onuphre,  les archipasteurs, les pasteurs, les habitants et les pèlerins des laures des Grottes de Kiev, de Potchaïev et Sviatogorsk, les moines et les laïcs et de toute l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne, cœur de l’Orthodoxie de la sainte Russie. Notre Eglise Orthodoxe Ukrainienne n’est pas seulement le cœur de toute l’Eglise Russe mais aussi de chacune de ses parties autonomes, y compris l’Eglise Russe Hors Frontières.
Sur une fresque de l’église commémorative saint Séraphin de Sea Cliff  (New-York USA), où j’ai la divine grâce d’accomplir mon ministère, est représentée toute l’histoire de la sainteté et de la piété de notre peuple qui a toujours conservé Dieu, de nos ancêtres, depuis le baptistère de Kiev jusqu’à la restauration de la plénitude de la communion fraternelle à l’intérieur d’une Eglise Orthodoxe Russe unie : le Premier Primat de l'Église Russe à l'étranger, le métropolite Antoine (Khrapovitski), qui a créé et consacré la cathédrale de la Sainte Trinité de la Dormition de la laure de Pochaïev, et qui, après l'assassinat du prêtre martyr Vladimir (Bogoïavlenski),  lui a succédé à la chaire  métropolitaine de Kiev ; l’archevêque Vitali (Maximenko) qui, quelques jours avant le meurtre du métropolite Vladimir, en 1918, avait célébré avec le futur nouveau martyr un acathiste dans la grande église de la laure des Grottes de Kiev et avait dirigé pendant de nombreuses années la fraternité typographique de la laure de Potchaïev. L’archevêque Vitali, alors archimandrite,  avait réussi, avec l’aide de Dieu, à faire passer la frontière à la fraternité typographique de la laure de Potchaïev, qui avait continué à remplir son office écclésial, social et missionnaire dans la diaspora.
La fraternité typographique de Potchaïev imprimait, au début dans la Russie de Priachev, puis en Allemagne et aux Etats-Unis,  une littérature spirituelle et morale, théologique et liturgique non seulement pour les enfants de l’Eglise dispersés après la révolution et la guerre civile, mais aussi pour ceux qui aspiraient à une instruction spirituelle dans leur pays. Cette oeuvre véritablement sainte fut ensuite poursuivie par le métropolite Laur, recteur de bienheureuse mémoire du monastère de la sainte Trinité à Jordanville (New-York), ami spirituel de sa Béatitude le métropolite Onuphre, avec lequel il communiait aux mêmes sacrements. Comme on le sait, saint Jean (Maximovitch), grand archipasteur et thaumaturge de lEglise Russe Hors Frontières, naquit, étudia et acquit sa formation spirituelle sur le territoire de l’actuelle Eglise Orthodoxe Ukrainienne. De sorte que nous gardons très proches de nos cœurs  l’Eglise Orthodoxe sur la sainte terre ukrainienne, et tout ce qui lui est lié.
C’est pourquoi, quand sa Sainteté le patriarche Bartholomée a déclaré pas plus tard qu’hier, et qui plus est à plusieurs reprises, qu’il reconnaissait comme chef canonique de tous les orthodoxes d’Ukraine le seul métropolite Onuphre, et a solennellement promis, devant la haute assemblée  des primats et des représentants des Eglises Locales Orthodoxes, de ne pas se mêler des affaires de l’Eglise Orthodoxe sœur d’Ukraine, cela fit éclore en nous la joie du Seigneur et la paix spirituelle au sujet du destin des croyants orthodoxes d’Ukraine, du respect pour le patriarche Bartholomée qui, comme il le semblait alors, avait profondément compris la situation et gardait et défendait avec amour l’Eglise canonique.
Or aujourd’hui, il ignore sa Béatitude le métropolite Onuphre, respecté de tous, archipasteur, pasteur et toute l’assemblée de plusieurs millions de fidèles enfants de l’Eglise, ainsi que de nombreux saints et bienheureux primats-confrères des saintes Eglises de Dieu. Et cela éveille dans notre milieu, pour le moins, le désarroi et des sentiments anxieux.
Il convient de remarquer que le patriarcat de Constantinople a, tout à fait récemment, entièrement soutenu et même confirmé notre position à l’égard de Mikhaïl Denissenko et de ses activités.
C’est pourquoi les actions actuelles de Constantinople nous obligent à soupçonner que sa Sainteté n’est pas libre de ses actes, que derrière ces derniers se tiennent des forces particulières, très éloignées de l’Eglise du Christ,  et qui poursuivent leurs buts maléfiques. Et cela est si amer !
Quand nous voyons dans les églises du « patriarcat de Kiev » des icônes du saint grand martyr Georges le Victorieux  terrassant l’aigle à deux têtes, et autres représentations du même genre, quand nous entendons proférer depuis l’ambon des déclarations politiques et toutes sortes d’autres discours destinés à alimenter les passions et le conflit national, il devient clair que le prédicateur du schisme Philarète et ses sectateurs ne cherchent pas la paix, ni l’unité des orthodoxes dans le Christ, mais le pouvoir, l’influence, la vaine gloire de ce monde et l’accomplissement de quelques buts qui sont les leurs et n’ont rien à voir avec l’Eglise. A l’observation de la conduite et du ministère de sa Béatitude le métropolite Onuphre, à l’écoute de ses homélies et à la lecture de ses interviews, nous voyons qu’il appelle à la prière continuelle, à l’amour fraternel, à la paix de l’âme et au véritable patriotisme, exprimé dans une vie selon l'évangile et l’amour du prochain. A mon avis, c’est le signe que sa Béatitude se trouve du côté de la Vérité de Dieu, vers qui il guide par son exemple son troupeau empli de l’amour divin de l’Eglise Orthodoxe d’Ukraine. Et si dans les conditions actuelles difficiles  de la vie ecclésiale d’Ukraine quelqu’un veut garder la vérité ou la cherche, alors qu’il s’accroche à la mante de sa Béatitude, et tout sera parfait !
Cependant, nous ne perdons pas courage et avec la foi du cœur et l’humilité nous prions pour que la situation créée soit révélatrice de la vérité de Dieu et des vrais ascètes et gardiens de la Sainte Orthodoxie sur la terre ukrainienne, qui font et portent dignement l’œuvre du Christ. La principale affaire de tous les orthodoxes est de ne pas exacerber les passions, mais de prier, de se confier à Dieu, en prenant l’épreuve actuelle comme donnée par Lui et comme la possibilité de servir l’Eglise, et de dire la vérité d’une façon absolument paisible, comme le fit le Précurseur du Seigneur Jean envers Hérode qui, comme on le  sait, n’agissait pas justement. Si nous essayons d’agir précisément comme cela, alors je crois que le Seigneur, selon l’expression du Psalmiste, « donnera Sa forteresse aux hommes et la bénédiction de la paix »,  ce que je souhaite de tout mon cœur à nos frères et nos sœurs par le sang.
Agréez l'assurance de mon indéfectible amour dans le Seigneur, avec l'accolade des confesseurs de la foi dans l'Église orthodoxe ukrainienne.
l’archiprêtre Séraphim Gan, chef  du bureau du Synode des Evêques, secrétaire du Premier Hiérarque de l’Eglise Russe Hors-Frontières.

vendredi 9 novembre 2018

Le choix du père Mark Tyson



le père Mark Tyson
Récemment, j’ai publié sur la page Facebook que j’ai ouverte en soutien au métropolite de Kiev Onuphre l’interview du père Mark Tyson, prêtre américain converti à l’orthodoxie,  qui a décidé de passer de l’omophore du patriarche Bartholomée, à l’issue des décisions de celui-ci concernant l’Ukraine,  à l’Eglise Russe Hors Frontières. 

Dans cet article, une phrase m’a particulièrement frappée :
Malheureusement, le relativisme a pénétré toute notre société occidentale. – votre vérité est ce que vous croyez, mais le pat. Bartholomée a une vérité différente, et c’est tout aussi valable. C’est le genre de raisonnement qu’on entend tout le temps chez les gens de l’ouest. Leur saint patron est Pilate avec sa célèbre question : « Qu’est-ce que la vérité ? »
A la suite de mes prises de position, j’ai reçu une lettre d’une paroissienne du monastère de Solan, sous l’omophore du patriarche Bartholomée, qui, me reprochant de prendre parti, m’annonçait qu’elle se désabonnait de mon blog .
Une autre paroissienne, avec laquelle j’ai de très bonnes relations, m’exprimait un peu la même chose d’une manière beaucoup moins radicale, et je comprends que la situation ne soit pas facile à vivre, quand on est près d’un monastère auquel on est attaché et qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à l’horizon immédiat. Donc, ainsi que je l’ai répondu à la première paroissienne, chacun son choix. Je serais restée sur place qu’il n’aurait pas été pour moi très simple.
Cependant, une des raisons de mon  départ se trouve dans la phrase du père Tyson. Je ne suis pas en phase avec la mentalité de Ponce Pilate. Tout le monde il est gentil, tout le monde il a raison, il ne faut faire de peine à personne, et surtout ne pas savoir, et ne pas prendre parti, ne pas « sombrer dans l’extrémisme », où l’on vous met très vite dès lors qu’on dit simplement les choses telles qu’elles sont.
Comme j’expliquais cela au père Antoni, qui m’a demandé de traduire des articles sur ce thème et de les publier aussi dans mon blog, il m’a répondu : » Laurence, la question est simple : ou l’orthodoxie est une niche psychologique confortable, une sorte de produit complexe recherché dans le supermarché religieux, ou l’orthodoxie est la voie authentique de la vie en Christ, de la joie dans la tristesse, du port de la croix, de la vérité, des douleurs et des consolations. Qu’en pensent les lecteurs de votre blog ? »
Personnellement, j’ai horreur des conflits, je déteste l’inconfort et je suis un excellent exemple de petite nature européenne, incapable d’ailleurs des jeunes et des séances de prières que respectent mes anciens coreligionnaires du Gard, et à plus forte raison les Russes, mais je sais qu’en cela, je n’ai pas raison, et que devant le choix Onuphre et ses fidèles d’un côté, Porochenko, Philarète et leurs églises à folklore nazi, soutenus par le trio patriarche Bartholomée, archevêque Job et métropolite Emmanuel, de l’autre, il convient de faire comme le père Tyson. Dire oui ou non. Pas oui mais, et pas non mais, ni les uns ont raison mais les autres n’ont pas tort.
D’autant plus que les choses sont très visibles, quand on veut bien les regarder telles qu’elles sont et non pas au travers des prismes d’interprétation proposés par une propagande unanime qui n’a rien d’orthodoxe.
Le père Tyson n’a pas pu s’empêcher de les voir : 
C’est sûr. J’ai un peu suivi l’affaire ukrainienne, sur votre site, en fait. Je me souviens d’une vidéo que vous avez postée sur un pauvre prêtre ukrainien qui officiait à l’extérieur, en vêtements rouges, et ce type en colère est venu l’inonder de peinture rouge. C’était supposé symboliser tout le sang ukrainien répandu par les « Moskals ». Cela m’a vraiment dérangé, mais c’était quelque chose qui était placé bas sur mon radar. Je n’avais pas de conception, pas d’idée, jamais, dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pensé que le pat. Bartholomée allait reconnaître un renégat aussi absolu que Philarète, et ceux de ce genre.

Et aussi: - Il y a une quinzaine de jours, dans la région d’Ivano-Frantovsk, des gens du groupe radical Secteur Droit ont pris une église d’assaut, brisé un certain nombre de bras et de jambes, tapé un homme sur le crâne, lui causant un traumatisme, et ont physiquement jeté le prêtre à la rue. Ils ont changé les serrures et dit que maintenant, c’était une église du patriarcat de Kiev. Est-ce que c’est de la propagande russe ? Cela a été attesté par des douzaines de gens qui ont tous rapporté cela. On a posté une vidéo. Cela n’est pas vraiment arrivé ? Et j’adore quand les Ukrainiens disent que les provocateurs sont des agents du FSB. Eh bien alors capturez-en quelques uns et interrogez-les, et trouvez qui ils sont et d’où ils viennent. Laissez-moi rire. C’est une plaisanterie.

Et encore: Elle est venue baiser la croix et je lui ai dit: “Christos Voskres,” [“le Christ est ressuscité”]  et elle a dit : “Як наш Патриарх Филарет сказал, Украина воскреснет, як Христос воскресил [“comme le dit notre patriarche Philarète, l’Ukraine va ressusciter comme le Christ l’a fait ”]. Je suis resté sans voix. Je suis juste resté là, la bouche ouverte. Même alors, je savais qui était le patriarche Philarète et j’ai pensé : « Cette femme met l’Ukraine avant le Christ". C’était une sorte de préfiguration de ce qui allait venir.

Dans ce contexte, la déclaration de l’archevêque Job prend un caractère particulièrement odieux : Il est aussi très important que par la décision du Synode du 11 octobre, l’acte de 1686 ait été aboli. D’un point de vue canonique, cela veut dire que le patriarcat de Moscou n’existe plus en Ukraine aujourd’hui. Tous les hiérarques sont de facto des hiérarques du trône oecuménique, en accord avec cette decision du synode, et maintenant, ils doivent attendre les directives du Patriarcat oecuménique concernant leur fonctionnement ultérieur et leur existence dans la perspective de l’octroi de l’autocéphalie à l’Eglise Orthodoxe d’Ukraine.

Ces paroles sont vraiment très appréciées des fidèles de l’Eglise Ukrainienne implantés depuis des siècles et qu’un prélat étranger efface d’un trait de plume, alors que le clergé unanime, avec son troupeau, se resserre autour du Pasteur exemplaire qu’est le métropolite Onuphre, je le lis tous les jours dans les fils de commentaires des réseaux sociaux. Il est à noter que lorsque, dans les années 90, Philarète avait soumis cette question de l’autocéphalie au concile des évêques russes, elle avait été suspendue du fait du refus massif des hiérarques ukrainiens eux-mêmes de l'envisager, car ils se souvenaient de ce qui était arrivé à leur Eglise, lorsqu’une pareille autonomie l’avait mise au pouvoir des Polonais et de l’Eglise de Rome. Avec une pareille bénédiction, le « Secteur Droit », (« Pravy Sektor »), peut maintenant s’en donner à cœur joie et Porochenko, qui n’est ukrainien que de faux nom, comme toute son équipe, et sert des intérêts qui ne sont absolument pas ukrainiens, peut décréter que les « représentants de l’Eglise Ukrainienne du Patriarcat de Moscou » doivent quitter l’Ukraine. Où cette Eglise se trouve depuis l’aube du christianisme en Russie. Où ses fidèles, y compris dans les parties russes incorporées arbitrairement dans l’Ukraine par les soviétiques, y ont leurs ancêtres depuis des siècles.

Je m’associe à ce que dit le père Tyson pour expliquer son choix qui est aussi le mien:
Je ne me flatte pas de la sensibilité de ma conscience et je ne juge personne de ceux qui restent avec le patriarche œcuménique. J’aime beaucoup de prêtres dans le PE, dont certain sont mes proches en Dieu, qui ont baptisé mes enfants, ou j’ai baptisé les leurs, de sorte que là n’est pas la question. Je ne me suis pas éloigné pour regarder de haut ceux qui sont restés avec Constantinople. C’était ma décision particulière et il y avait une ligne que je ne pouvais franchir.  
J’ai pensé à ceci, si je reste, combien de temps vais-je tenir? Peut-être jusqu’à ce que le sang coule entre les bâtiments de la laure des Grottes de Kiev ou de celle de Potchaïev ? Peut-être jusqu’à ce que quelqu’un tire sur le métropolite Onuphre pendant une procession ? Quelle est la ligne réelle que je me serais tracée si je n’avais pas franchi cette ligne particulière? Je voulais quitter l’ascenseur au sol, avant qu’il ne s’élevât,  quand j’aurais peut-être eu à me dire, « Bon, quarante-sept personnes ont été tuées, mais je vais attendre jusqu’à ce qu’il y en ait cinquante » Vraiment, où est la ligne si vous ne reculez pas immédiatement ? Personnellement, je ne sais pas. Je ne sais pas ce que le cœur des autres personnes leur dicte et je ne les juge pas, mais je sais ce que mon cœur m’a dit.

Et je partage sa vision du développement ultérieur des choses:
Cette histoire avec l’Ukraine, c’est le premier pas. Je pense que nous allons voir ce patriarcat devenir le porte-drapeau des valeurs et des idéaux occidentaux. L’environnementalisme du patriarche en est déjà un exemple. De même que la nouvelle règle exclusive au PE sur les prêtres qui peuvent divorcer et se remarier… tout en restant prêtres ! Qui sait où cela va nous mener ? Mettons les choses ainsi: nous pourrions très bien voir le patriarcat s’aligner sur bon nombre des choses que nous avons vues dans les Eglises Episcopales et Catholiques romaines, ce qui sera très acceptable pour les élites occidentales d’une manière qui ne peut correspondre à la mentalité traditionnelle orthodoxe.  
Ce qui va dans le sens des prédictions du père Séraphim Rose, également américain, dans son livre “l’Orthodoxie et la Religion du Futur”.
Et ce choix étant ferme, je ne m’abstiendrai pas de témoigner, car je ne crois pas que la présence du métropolite Onuphre en Ukraine soit un hasard. Elle est providentielle, il a été placé là comme une bannière, pour orienter les gens dans la confusion : ici est l’homme du Seigneur, celui qui accomplit Ses œuvres.
« Quand je regarde mon iconostase domestique, je n’y vois pas un seul homme qui aurait vécu une vie pieuse « stagnante » et qui serait entré dans le Royaume de la lumière. Sur chaque icône, c’est un martyr qui me regarde, sanglant ou non. Nous connaissons bien l’algorithme de l’« oeuvre » du diable contre l’Eglise. Il est simple jusqu’à la naïveté, et par là-même, extrêmement efficace. Dans les premiers temps de la chrétienté, satan criait dans les médias de l’époque, que «les chrétiens sont des pervers et des cannibales», que « durant leurs assemblées, ils sacrifient de jeunes enfants, boivent leur sang et ensuite commettent la luxure ».
Assurément, comment, après cela, ne pas livrer les chrétiens aux lions de l’amphithéâtre ? Il y a cent ans, satan enseignait de nouveau que les chrétiens ont «un clergé réactionnaire», que ce sont des «complices de l’impérialisme» et «des ennemis de la révolution». D’après le témoignage de ses contemporains, la seule mention de l’Eglise et du Christ rendait Lénine furieux. Vingt ans plus tard, on fusillait le clergé pour les motifs suivants : «liens avec les contre-révolutionnaires», «collaboration avec l’espionnage étranger», «organisation de rassemblements ayant pour objet le renversement du pouvoir soviétique», «complicité avec les services spéciaux occidentaux». Au seuil du XXIème siècle, les arguments de satan sont toujours les mêmes : «agents du Kremlin», «membres du KGB», «complices de l’agresseur». Le disque n’a pas changé et on reconnaît l’écriture. » écrit le métropolite Onuphre dans un article intitulé : 
dans la vie de l’Eglise, les meilleurs moments sont les temps de persécution

Je pense pour finir que le métropolite du Monténégro Amphiloque a une juste vision des choses. Je suis personnellement monarchiste, le meurtre de notre roi de France et du tsar de Russie nous ont livrés aux mafias toutes puissantes et aux serviteurs du démon, mais cela s’est produit parce que la fin des temps est proche, et dans cette situation de fin des temps, l’Eglise doit s’adapter, pour ne pas prêter le flanc aux mains mises, infiltrations douteuses, intimidations, chantages, corruptions et tentations diverse :
…l’Église orthodoxe contemporaine doit revenir au modèle de fonctionnement des temps du christianisme primitif : « Par la chute de Constantinople en 1453 et la mort en martyr du tsar Nicolas et de sa famille en 1918, la période constantinienne de l’histoire de l’Église est achevée. La première Rome est tombée dans l’hérésie en proclamant le dogme de la fusion des concepts impérial et apostolique, la période de la seconde et de la troisième Rome en tant qu’empires est passée, la ‘strate impériale’ est terminée, selon l’expression du célèbre théologien Alexandre Schmemann ». « À mon sens, l’Église doit revenir aujourd’hui à la période précédant l’empereur Constantin, avant le IVème siècle, et, comme le déclare absolument à juste titre le Patriarcat de Moscou, l’Église doit résoudre toutes les questions au concile panorthodoxe, de la même façon qu’on les a résolues au premier concile apostolique. C’est la seule façon de résoudre à l’avenir les problèmes dans l’Église orthodoxe, et cela, le patriarche de Constantinople doit en prendre conscience : le temps est passé, l’Église doit fonctionner indépendamment et librement, comme cela était le cas du temps des premiers siècles de l’Église apostolique, de façon panorthodoxe », a déclaré le métropolite. À la question posée par Tass, qui demande si la révision de la décision du Patriarcat de Constantinople au sujet de l’Ukraine serait possible dans le cadre du concile œcuménique, le métropolite a répondu : « Bien sûr, c’est possible, pourquoi pas ?