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lundi 2 mars 2020

Liouba

Liouba, Nikolaï et mon père Valentin, en 98, dans mon appartement de fonction
J'avais à Moscou une amie que j'aimais profondément, Liouba. Je la connais depuis très longtemps. J'avais d'abord rencontré sa fille Ania, alors toute jeune, à Paris, à l'église de la rue Pétel. Elle m'avait chargée de porter des cadeaux à ses parents quand j'irais à Moscou. C'est comme ça que j'avais rencontré Liouba, et son mari Nikolaï, peintre d'icônes.
C'est ensuite par Nikolaï, en séjour à Paris, que j'avais eu l'adresse personnelle de Skountsev. Il avait donné un concert, avec ses cosaques dans la paroisse que fréquentait Nikolaï, et ils avaient échangé leurs coordonnées. Or je rêvais de rencontrer Skountsev, après avoir écouté un disque de lui.
Et je ne sais comment cela s'est produit, mais je n'ai pas appelé Liouba pendant des années. Je suis partie en France, je venais à Moscou une fois par an, à un moment je n'avais plus son numéro, elle avait déménagé, nous nous sommes revues une fois, elle m'avait catégoriquement déconseillé de revenir, et quand je suis revenue, je ne l'appelais pas pour ne pas me casser le moral, et puis le temps a passé, et je ne l'appelais pas parce que j'avais honte. Je me disais que je le ferais pour lui souhaiter la bonne année, puis ayant laissé passer le moment, je me donnai comme date le dimanche du pardon, moment très indiqué. Et je l'ai fait, j'ai appelé et retrouvé Liouba.
Liouba est à moitié yakoute, elle a un type tout à fait asiatique. Comme beaucoup de Yakoutes, c'est une patriote russe, monarchiste et très orthodoxe. Quand je dis très orthodoxe, je ne veux pas dire une bigote militante, mais un être profondément bon, qui ne juge jamais, qui ne se met jamais en colère, comprend tout avec une rare lucidité, une grande sagesse, et une espèce de paix intérieure étonnante. J'ai souvent trouvé auprès d'elle des réponses à mes questions spirituelles. J'ai souvent aussi fait le point sur des événements de ma vie. Bref je me demande bien quel démon m'empêchait de renouer avec un des êtres les plus lumineux qu'il m'eût été donné de rencontrer. C'est peut-être ainsi que mon jeune ami Sérioja, que j'aimais comme un filleul ou un neveu, me laisse sans nouvelles depuis quatre ans...
Elle était visiblement très heureuse de m'entendre et ô combien réciproquement! Les enfants d'Ania, au mariage de laquelle j'avais assisté, sont étudiants à Londres. Leurs parents ont quitté Paris à cause du climat dangereux dans les écoles. Il leur semblait qu'il pouvait arriver n'importe quoi à leurs garçons, que le personnel enseignant ne contrôlait plus rien. Je suis un peu étonnée qu'à Londres, il n'en soit pas de même...
Que je sois partie à mon âge, et pour Pereslavl Zalesski, que j'ai même envisagé de déménager à Férapontovo (je le lui ai dit en l'assurant que je m'en sentais désormais incapable), que je conduise, tout cela lui paraît incroyable. Son mari ne sort plus de l'appartement, il a peur de tomber, et elle-même ne se sent plus du tout de voyager pour aller voir son frère en Yakoutie ou sa fille à Londres, ce qu'elle faisait régulièrement. Je lui ai dit que les exhortations du père Placide avaient beaucoup joué dans ma décision et une fois le processus lancé, c'est marche ou crève. Cependant, si elle m'avait déconseillé de revenir, cette fois, elle comprenait tout à fait le père Placide. Sans doute a-t-elle suivi de près, par sa fille Ania, les changements dramatiques que subit la France.
Pourtant, elle a fait preuve d'une extraordinaire ténacité pour arracher au plan de démolition des édiles moscovites l'immeuble des années 20 où elle avait acheté l'appartement où elle est à présent. Calmement, avec persévérance, sans jamais répondre aux insultes ni aux menaces ni se décourager devant l'inertie des copropriétaires.
Liouba et moi avons donc pris ces cinq dernières années, en accomplissant nos derniers exploits, un bon coup de vieux...
Aujourd'hui, j'ai d'ailleurs eu un choc au supermarché Magnit, où je voulais passer par les caisses automatiques pour éviter une file de chariots. La préposée aux caisses automatiques m'a presque rudoyée: "Où allez-vous? Vous n'y arriverez jamais toute seule, voyons!"
Je suis restée bouche bée. Car si, j'y arrive toute seule, parfois ça merde, parce que c'est un système nul en soi, mais j'y arrive. La préposée a extrait de la file une vieille complètement décatie pour l'emmener aux caisses automatiques et l'assister. Puis elle est revenue me chercher en me parlant comme à une débile mentale pour me trainer à la caisse numéro 5, qu'elle venait d'ouvrir.
J'ai eu un bon aperçu de ce qu'on doit éprouver dans un EPHAD ou une maison de retraite.
Parce que moi, à part les genoux qui me rendent presque invalide, je n'arrive pas du tout à me coller dans la tête que je suis âgée. Enfin j'en suis naturellement consciente, et n'en éprouve aucun complexe, mais que vieille soit synonyme de neuneu, je conteste avec vigueur.
Dans un fil de commentaires russe, un contradicteur souligne le fait que je suis âgée comme si cela ne me donnait pas droit à la parole. Etant donné que c'est le carême et que je veux éviter de polémiquer, j'ai retenu tout ce que j'avais à lui dire sur la question, moins par charité que pour éviter de souiller d'emblée ma robe de pénitente!.
Le soir, après une journée de jeune quasi total (j'ai bu des jus de légumes et mangé deux petites prosphores), je me suis rendue à l'église pour le canon de saint André de Crète. Premier jour. Il y avait mon évêque. Il s'est réjoui; "Ah vous êtes venue, cette fois!" Eh oui. J'ai séché l'office du pardon, mais je suis venue au Canon. Nous aimons tellement notre évêque que c'est la ruée pour avoir sa bénédiction, quand il arrive et quand il repart. D'ailleurs Liouba, à Moscou, a entendu parler de lui:"Ah vous avez Théoctyste! Oui, on sent à ses remarques que c'est un homme aussi intelligent qu'humain, et vous avez de la chance de l'avoir à Pereslavl!"
J'aurais bien voulu m'agenouiller, et j'ai même essayé de le faire, mais c'est devenu vraiment difficile. C'est comme ça, on passe un seuil, et fini, les jambes ne répondent plus, on peut améliorer ça, bien sûr, mais quand même, après 70 ans, "le surplus n'est que peine et douleur", il faut s'habituer à cette idée.
Sur ce tableau, Liouba est à gauche. A droite, c'est son amie Lioudmila

dimanche 1 mars 2020

La déploration d'Adam

 "Paradis, mon paradis"
déploration d'Adam

La maslenitsa prend fin, c'est le dimanche de la déploration d'Adam, les vêpres du pardon, et le carême, dans lequel je n'ai pas vraiment envie d'entrer, je le confesse. J'essaie de lire le triode en français que j'ai récupéré; où il y a toutes les prophéties, épîtres, extraits de l'évangile, offices principaux détaillés.
Un ami orthodoxe, beaucoup plus orthodoxe que moi, rejette tout ce qui est ascétique, l'univers est joie, innocence, nous sommes ici pour danser et exulter dans une transe poétique, ce que j'ai pensé moi-même et souvent pense encore, je ne suis pas du tout portée sur l'ascétisme, ou plus exactement, je ne le comprends pas. Cependant, après tout un long chemin de vie que je n'ai d'ailleurs pas vu passer et où je n'ai pas du tout exulté aussi souvent que je l'aurais voulu, j'inclinerais à penser que si nous sommes ici pour exulter, tout est fait pour nous en empêcher dans les sociétés humaines, ou alors il faut retourner au temps des chasseurs cueilleurs peut-être. Le paganisme, c'était mon état naturel quand j'étais enfant, le christianisme neuneu et froid, sucré et morne dont j'avais la démonstration dans les églises post-conciliaires n'était vraiment pas ma tasse de thé. J'aimais la Grèce solaire, ses épopées, ses tragédies, ses dieux et ses déesses; jusqu'à la découverte de la Russie, où ce paganisme se transfigurait dans un chistianisme vibrant, symbolique et médiéval. Mais tout ce qu'on m'a donné à lire d'ascétique, non, vraiment... la plupart du temps, cela me détourne plus de Dieu que cela ne m'y conduit.
Je ne peux pas dissocier Dieu de sa création, je ne peux pas l'imaginer comme une sorte d'architecte, dans son bureau, je pense qu'il crée avec tout son être, avec son Souffle, "que tout souffle loue le Seigneur", et que tout ce qui vit lui est relié. Aussi j'ai du mal à concilier cela avec le mépris de la chair, au sens large, le mépris de la matière, car au fond, la matière même me semble un phénomène d'ordre spirituel. L'appréhension du divin passe pour moi par l'expérience des sens, mon être est un récepteur traversé par ce qu'il voit, entend, perçoit.
 Il y a quand même une question que je me pose, choisit-on une religion parce qu'elle nous plaît? Peut-il arriver qu'elle ne nous plaise pas, mais qu'elle soit vraie?
A un moment, je m'étais détournée de l'orthodoxie pour la "spiritualité personnelle" prônée par les intellectuels français. Et je me livrais à toutes sortes d'expériences extatiques, de type fumage de joint, danse déchaînée, dessins mystérieux tracés en état second, je cherchais l'au delà des choses, comme disait Rilke.
Et juste à ce moment-là, j'avais fait un rêve étonnant. Je me trouvais dans un jardin au clair de lune, en pleine extase païenne avec quelques jolies copines que j'avais alors. Et nous dansions. A ce moment-là, je commençais à entendre des cris, des sifflets, je voyais s'approcher une foule hostile qui poursuivait un homme seul, un barbu. Prise de panique, je tentai de m'enfuir, pour ne pas affronter cette meute, et je courai, le barbu derrière moi, la foule derrière le barbu. "Quand va-t-il cesser de me suivre? me disais-je. A cause de lui, je vais me faire lyncher par cette meute!" Et pour sauver ma peau, je plongeai dans un buisson. Mais presque aussitôt, je vis le barbu me rejoindre. "Va-t-en, va-t-en!" lui criai-je, en lui jetant de la terre à la figure. Et tout à coup, m'apparut son visage bouleversé, un visage si noble, avec des yeux pleins de bonté et de reproche incrédule, et je fus submergée de honte et de douleur.
Puis je vis quelques temps plus tard, dans une pinède la nature se transfigurer. Je ramassais du bois, comme bien souvent, dans cette pinède, et tout à coup, je me mis à entendre chaque son avec une netteté particulière, au sein d'une sorte de symphonie que formaient ensemble tous ces bruits pourtant fortuits. Ils étaient fortuits, et pourtant, tous ensemble, ils se complétaient pour former une liturgie mystérieuse. Levant les yeux, je vis qu'il en était de même de tous les détails des arbres et des buissons alentour. Leur  beauté se révélait avec une intensité inconnue, et m'apparaissait comme un tout, fait de ces mille composantes individuelles profondément reliées par un même souffle, par la même lumière. Alors je me souvins de saint Séraphin de Sarov, je fis mon signe de croix et je dis le Notre Père...
Après cela, j'avais renoué avec l'eglise, je n'y allais que rarement, car j'étais loin, mais j'appelais régulièrement le père Barsanuphe et je n'ai plus ensuite jamais vraiment perdu le contact.
Les révélations que j'ai eues ensuite n'avaient plus la nature pour cadre, mais précisément l'église, et concernaient le mystère du temps, et la présence du Saint Esprit dans le prêtre qui officie. Elles n'étaient pas provoquées par la beauté de la nature et ma communion avec elle, mais par la communion verticale et transversale, dans l'eucharistie, avec les croyants qui m'entouraient, et ceux de tous les siècles précédents, au même moment, j'avais compris, comme dans le livre "les quatre vies d'Arséni", à quel point le temps était une notion relative, et que c'était la grande erreur de notre époque de matérialisme imbécile que de vouloir "faire du passé table rase", car le présent n'est que l'écume superficielle du passé, supprimer le passé, c'est supprimer le présent et ne lui donner aucun avenir...
La dernière et la plus intense avait eu lieu dans la cuisine de mon appartement moscovite. Après avoir longuement écouté le récit des cauchemars d'une personne proche en grave dépression, et lui avoir conseillé de ne pas se fier aux seuls médicaments pour traiter son problème, à mon avis existentiel, j'avais en raccrochant le téléphone, été prise d'une véritable panique, comme si elle m'avait refilé ses démons comme des puces, et j'avais commencé à chercher mon flacon de lexomil, puis y avais renoncé: "Tu viens de lui expliquer que les médicaments ne sont pas la solution, va donc plutôt prier..." ce que j'avais fait. Et m'était tombé dessus une paix, une béatitude d'un autre monde, quelque chose qui n'avait rien à voir pour moi avec quoique ce soit de connu. Quelque chose qui n'existait pas sur cette terre, comme si d'une certaine façon, au lieu de me trouver dans l'exultation de la vie naturelle, j'étais passée de l'autre côté de la mort, et m'y étais trouvée bien, dans une paix inexprimable, une joie constante et étale, une certitude absolue. Dans cet état, je faisais la vaisselle et j'allais au boulot, et absolument plus rien ne me pesait ni ne m'irritait, et cela me dura une semaine entière.
Cependant, je continue à prier plus facilement dans la nature que dans les églises, et la crise de mon ami m'a replacée devant des dilemnes qui m'ont accompagnée toute ma vie, qu'on retrouve d'ailleurs dans Yarilo. Mais j'ai connu les moments que je viens de décrire, et bien que ces moments de grâce soient volatils comme le parfum d'un flacon ouvert, je les ai connus. Dans cet ordre. La nature. L'église. La cuisine de mon appartement. Qui plus est, l'un des moments dans l'église a eu lieu à l'issue d'un carême que j'avais fait l'effort de respecter à peu près, et l'autre, à un moment de révolte et de détresse, mais qui coïncidait exactement avec le trentième anniversaire de mon entrée dans l'Eglise Orthodoxe, pour la Théophanie. Pour la Théophanie, j'avais vu que mon père Valentin était réellement investi du Saint Esprit quand il officiait.
Que cela contrarie ou non certains de mes sentiments ou représentations, qu'à l'intérieur du christianisme, même orthodoxe, certaines choses me paraissent incompréhensibles ou contradictoires, voire choquantes, reste que Dieu est venu plusieurs fois me mettre sur sa voie. Et certes, je ne serai jamais une ascète, mais n'y a-t-il pas toutes sortes de manière de vivre sa foi, n'y a-t-il pas "plusieurs demeures dans la maison du Père"? Et irai-je retourner en arrière, alors que j'ai été guidée de la nature jusqu'à ma cuisine pour me montrer que oui, la nature est révélatrice, comme le poème l'est du poète, mais que quelque chose plus loin est plus fondamental, et peut être trouvé partout, et nous prépare à l'autre côté?
Le premier mars est en Russie le premier jour du printemps; et il est cette année bleu et radieux, ce premier mars, encore frais, mais empreint d'une sorte de douceur lumineuse et méditative. J'ai eu la joie de voir monseigneur Théoctyste officier à la cathédrale. Et le voilà qui, dans son sermon, évoque saint Laurent, mon saint patron. Arrêté par les Romains, le diacre Laurent se voit demander où est son trésor, car les Romains pensaient que les chrétiens cachaient des richesses. Et Laurent de répondre "les veuves et les orphelins, voilà mon trésor", ce qui lui valut son supplice. "Là où est votre trésor, là est votre coeur", disait le Christ. Et monseigneur d'expliquer: "Quand votre trésor n'est pas Dieu, cela peut être un trésor très honorable, mais ce n'est pas Dieu. Ainsi un bonhomme, au temps de l'union soviétique, avait économisé toute sa vie pour s'acheter une voiture et voyager à la retraite. Il s'achète sa voiture. Mais à la première égratignure sur la carrosserie, il meurt d'une crise cardiaque. C'est que tout son être était passé dans la voiture. Je vous invite donc pendant ce carême à essayer de faire en sorte que votre trésor soit davantage Dieu, et un peu moins la voiture, où tout ce qui peut en tenir lieu".
En me bénissant, il m'a demandé si j'étais prête pour le carême, il a utilisé une expression militaire que je n'ai absolument pas comprise et que m'ont obligemment expliquée ensuite de bonnes petites vieilles, quelque chose comme "les équipements sont-ils prêts" ou êtes-vous prête pour l'assaut", non, pas du tout, pas du tout prête, ne jamais être prête est même ma marque distinctive. Je pourrais signer mes oeuvres Parthène la Folle, comme Ivan le Terrible.
Le chant des chérubins qu'affectionne le choeur de la cathédrale n'est pas traditionnel, mais il est très recueilli et je l'aime beaucoup. J'avais envie de pleurer. Car la terre entière craque de partout comme un bateau ivre, j'ai repoussé le voyage que je prévoyais de faire en France, pour toutes sortes de raisons, mais aussi la situation, si menaçante; sera-ce encore possible? Je pensais aux miens, je pensais à mon pauvre pays, à la pauvre Grèce, à la pauvre Serbie, prises dans les rêts de l'UE, de l'OTAN et de leurs maîtres sataniques, j'étais prise d'un effroi métaphysique. Dans la montée des ténèbres, me restent les sanctuaires de Pereslavl, l'évêque Théoctyste, et mon père Valentin à Moscou, son église et ses prêtres.
De plus, le premier mars est aussi l'anniversaire du décès de maman, Elle était morte, il y a six ans, juste au début du carême, de sorte que tout le carême avait correspondu aux quarante jours que met l'âme à gagner son ultime destination, et je l'avais accompagnée en lisant l'acathiste pour les défunts.

samedi 29 février 2020

Maslenitsa à Davydovo

Comme l'année dernière, Nous sommes allées, avec Katia, fêter la maslenitsa au village de Davydovo, mais nous y avions rendez-vous avec Liéna de Rostov, quelques unes de ses élèves, dont les petites Américaines du père Gleason, le journaliste Vassia de Borissoglebski, et nous y avons retrouvé le père Alexandre de Rostov. Le temps était un peu comparable, bâtard, à la fois froid, glissant et boueux, mais le ciel plus translucide, avec des lueurs et des nuances. L'église m'a fait un effet irréel, comme souvent en Russie, où elles prennent la couleur des nuages, car elles sont souvent blanches ou bleues, avec des coupoles argentées, dorées, métalliques, leurs formes évoquent quelque chose de végétal, de féérique. Elles sont, surtout aujourd'hui, parfois la seule beauté du village, son rêve de perfection et de dépassement, son issue vers le haut, une sorte de nef en partance pour la Beauté qui est au delà de la beauté.
A Davydovo, on fête la maslenitsa, sans concerts, loin de la parodie de mauvais goût tonitruant qui sévit trop souvent ailleurs et notemment à Pereslavl. On sent évidemment que les gens se réapproprient tout cela comme ils peuvent. Mais ils se le réapproprient.
J'ai parlé avec le père Alexandre des ennuis que lui causent sa défense d'un site des environs sur lequel de gros requins ont des vues dévastatrices. Partout la cupidité et l'épaisse vulgarité piétinent ce qu'il reste de poésie, de sacré, ou pour dire plus brièvement et complètement, de vie.
Le père Vladimir m'a demandé de venir chanter avec ma vielle des vers spirituels pendant le carême, et je le ferai avec notre ensemble, et Liéna, naturellement. Comme nous prenions froid, malgré le thé et les crêpes à la confiture de courge (je ne connaissais pas, très bon, la confiture de courge), nous avons décidé d'aller dans un restaurant de Borissoglebsk, pour nous réchauffer.
Au passage, j'ai acheté un tapis circulaire traditionnel, tressé avec des chutes de tissus. Les couleurs en étaient très jolies.
Le restaurant s'appellait l'Arche, la décoration intérieure était vraiment grandiose... Des fausses pierres cernées de marron, avec une fresque d'animaux préhistoriques sur fond vert salade. Nous avons demandé la permission de chanter à table. Arrive une dame, qui se présente comme l'organisatrice des manifestations culturelles locales, et nous invite à un festival de folklore fin juillet, début août. Et la patronne nous a distribué des pirojki gratuitement pour nous remercier d'avoir mis de l'ambiance!
Nous ne chantons en réalité pas assez souvent ensemble dans le cadre des repas, des rencontres amicales, comme cela se faisait autrefois. Car il se constitue petit à petit un répertoire commun de gens qui ont l'habitude les uns des autres, c'est le cas de mes cosaques de Moscou, depuis le temps qu'ils chantent en toutes occasions, ils sont devenus quasiment un seul organisme. Le problème est que nous sommes un peu dispersés, les unes à Pereslavl, les autres à Rostov ou à Borissoglebsk.
Rita adore les crêpes. Mais les réjouissances dans la rue ne sont pas son truc, elle grelottait et ne quittait pas son sac ouatiné!
Katia vient de faire l'acquisition d'une voiture russe tout terrain "patriotique", mais comme elle n'a pas conduit depuis treize ans, elle ne s'est pas lancée dans l'expédition à Davydovo cette fois-ci...

Je discutais avec ma tante Mano des amis que j'ai ici, qui sont généralement hauts en couleurs, et vrais, qui ont une personnalité unique et affirmée. Je me souviens que dès ma jeunesse des années 70, il m'avait semblé que les gens de cette sorte, qui existaient aussi en France, appartenaient tous aux générations antérieures, et cela autour de moi comme dans l'art, la littérature ou la chanson. Elle m'a dit: "Je reconnais qu'avec les Russes, tu as pris l'habitude des alcools forts, non seulement au propre, mais au figuré"!


Katia

Vassia, Maxime, Liéna et Katia
La fête filmée par Vassili Tomachinski

mercredi 26 février 2020

Cheveux

Il faisait - 9 ce matin, et la neige est tombée en abondance, fini l'avant-goût de printemps et du reste, je crains qu'après avoir eu le mois de mars tout l'hiver, nous n'ayons le mois d'octobre tout l'été!
Mais enfin ne soyons pas pessimistes... D'ailleurs je suis allée rêver sur un catalogue de plantes, commander des hostas, du houblon, pour recouvrir le grillage, mais l'année dernière j'y ai déjà planté de la vigne vierge, on verra ce que ça donne; et j'ai aussi déjà du houblon, qui poussait de lui-même, mais pas le classique, le japonais, qui ne donne pas ces petites pendeloques qui rappellent des décorations de Noël et qui font tout le charme du houblon. Et puis je vais essayer de planter des fruitiers nains, un pommier et un mirabellier, car leur système racinaire n'étant pas aussi étendu, ils resteront peut-être au dessus de la nappe phréatique trop proche.
Je projetais d'aller en France, après Pâques, mais je suis l'évolution de la grippe chinoise, sans panique mais avec prudence. Je m'approche de l'âge auquel Attali rêve d'euthanasier les pauvres seniors en surnombre, et je ne suis pas pressée, car mon dernier chat a une espérance de vie de vingt ans, et puis maintenant que j'ai la paix et que je peux écrire, je voudrais enfin le faire. Car je n'en reviens pas mais j'ai relativement la paix. La seule corvée dont je dois encore m'occuper, c'est l'hôpital pour mes genoux. J'ai même réussi à payer mes impôts russes par internet, et cela fut étonnement facile.
J'ai publié un reportage sur la fête de Pâques chez des vieux-croyants et une dame s'indigne de leurs "voiles islamiques", elle voit rouge dès qu'elle aperçoit une tête féminine couverte et des têtes masculines découvertes. Les vieux-croyants en sont restés pour beaucoup de choses au XVII° siècle russe, comme les amish. (https://orthodoxe-ordinaire.blogspot.com/2020/02/un-avant-gout-de-la-joie-venir.html) Mais même dans les églises orthodoxes ordinaires, on met un foulard. Et le reportage se passe essentiellement à l'église. Les femmes se couvrent la tête à l'église, les hommes, au contraire, enlèvent leurs chapeaux. En Russie, il n'y a pas de scandale autour du "voile islamique", les femmes orthodoxes portent des foulards, les paysannes portent des foulards, le climat incite tout le monde à se couvrir la tête, le foulard n'est pas un argument politique, dans un sens comme dans l'autre. Il n'y a pas, en Russie, la même opposition entre les musulmans et les chrétiens. Cela fait des siècles qu'ils se côtoient, avec évidemment de grands conflits, mais enfin, ils se connaissent. Je déteste le voile intégral, et tout le cirque impudent qui consiste à imposer en France un islam inoculé, dont personne ne veut. Mais je dois avouer que lorsque tout cela a commencé, dans les années 90, j'avais un peu de mal à comprendre pourquoi on en faisait un tel plat, à l'époque, c'était la gauche qui en faisait un plat, surtout. Et je voyais à l'horizon se profiler le prétexte pour persécuter les croix, les crèches et les tenues des religieuses, ce que nous avons du reste aujourd'hui. Ma mère portait un foulard dans les années 50, j'en ai porté dans les années 70 ainsi que des turbans, et maintenant, en France, je n'oserais plus le faire, ou bien je me sentirais tenue de le faire pour circuler tranquille, dans un cas comme dans l'autre, c'est devenu un casus belli complètement délirant.
Les musulmans en Russie, je commence à le constater, ont un certain respect pour les orthodoxes. Ils n'en ont pas pour les libéraux qui en rajoutent dans le débraillé et la provocation, pour faire mieux en ce domaine que les Européens, comme c'est souvent le cas chez les occidentalistes russes. Et même, j'en vois soutenir les orthodoxes, en butte aux attaques de ces mêmes libéraux anticléricaux souvent déchainés.
Peut-être parce que les orthodoxes restent fermes sur leurs traditions?
Auparavant en Russie, les filles non mariées montraient leurs cheveux, elles les cachaient une fois mariées. Les hommes eux-mêmes avaient la tête couverte la plupart du temps, mais se découvraient à l'église, tandis que les femmes au contraire, se couvraient. Cependant, même si, au moyen âge, la femme russe était moins libre que la femme française, elle n'avait pas le statut d'une femme musulmane.
Le port du foulard sur la tête découle du fameux texte de saint Paul sur la question. Texte un brin dépassé sans doute. Pour saint Paul, la chevelure des femmes était quelque chose de visiblement très érotique, aujourd'hui, les femmes ont presque toutes les cheveux courts, et montrent tellement leur anatomie, que leur chevelure n'inspire plus les mêmes idées aux hommes. On pourrait aussi penser que ce n'est quand même pas la faute des femmes si les messieurs ne peuvent contrôler mieux leur lubricité. Mais néanmoins, je n'irais pas me battre pour revendiquer le droit d'aller tête nue à l'église. Cela ne me paraît vraiment pas important. Sans compter que l'attitude chrétienne est d'abord l'humilité. donc je mets mon foulard avec humilité, sans me sentir le moins du monde diminuée.
Pour dire le fond de ma pensée, je suis étonnée de voir revendiquer le droit d'être débraillé, impudique, d'avoir des moeurs dissolues, de baiser facile sans jamais s'engager, de massacrer les foetus des enfants conçus au hasard, et la société obtenue à l'issue de plusieurs décennies d'un tel comportement, largement préconisé par toute une propagande, ne provoque pas mon adhésion enthousiaste. J'avoue même comprendre le mépris qu'elle inspire à des populations traditionnelles et les signaux qu'elle envoie à des types agressifs à moitié sauvages venus dans un esprit de conquête et de revanche.
Je vois parfois des hommes de droite exhiber des dessins de pin-ups débraillées, dépoitraillées, avec des minijupes tricolores,un saucisson et une bouteille de pinard, qui proclament: c'est ça la France. C'est-à-dire que tout ce que nous avons à opposer aux conquérants exotiques et à leur religion intolérante et oppressive, c'est une bombasse à la cuisse légère, la bouffe et la boisson. Pas les cathédrales, pas les églises romanes et leur esprit, pas notre culture, notre langue, notre spiritualité bien oubliées, pas nos héros, bien vilipendés, mais l'hédonisme idiot des cinquante dernières années de rinçage de cervelle et de débauche médiocre érigée en principe universel. Parce que non seulement nous nous sommes mis à quatre pattes pour grogner et fouir et pour copuler mais en plus, nous avons la prétention de présenter ce modèle à la terre entière, et de l'imposer par la force de l'OTAN à des populations pas forcément d'accord, même quand elles n'appartiennent pas à l'islam agressif qui est en train de nous bouffer, mais par exemple à la moitié orthodoxe de l'Europe.
On attend le sursaut, mais d'où viendrait-il?
Lorsque je regarde les jeunes folkloristes, ici, les filles ont souvent des foulards ou des coiffes sur la tête, elles portent des robes et des jupes, les garçons des pantalons et des bottes, et ils n'ont pas les mêmes danses, bien qu'ils dansent aussi ensemble, car il y a des danses mixtes, forcément. Même les chansons sont sexuées, il y a des chansons féminines, des chansons masculines et des chansons qu'on peut chanter ensemble. Mais qu'ils sont donc tous beaux, et purs, tellement plus beaux et plus purs que les malheureux ados élevés dans le culte de la mégère et du bandit, gavés de sous-culture de masse importée, qui s'ennuient dans leurs fringues grotesques, tirent des gueules de cent pieds de long, se jettent sur l'alcool et la drogue et commettent bien souvent des méfaits pour défouler leur rancoeur intrinsèque d'avoir été fabriqués aussi médiocres et aussi paumés. D'ailleurs il arrive que les derniers, intégrant les rangs des premiers, soient complètement transfigurés, et euphoriques, peut-être parce que là aussi, il y a quelque chose de plus vital et de plus important que de montrer ou non ses cheveux ou son cul?


lundi 24 février 2020

Maslenitsa

Petit séjour à Moscou, pour ma leçon avec Skountsev. Je l'ai retrouvé dans son centre d'activités du nord de Boutovo, à l'autre bout de la ville. Il a pris la vielle de Vassia et y a apporté des modifications qui auraient sans doute arraché des hurlements à son concepteur. Mais je dois dire que j'arrive à chanter avec, ce qui m'était plus difficile avant, comme il me l'a dit: "je t'ai remplacé les cordes métalliques par des cordes naturelles, ce son européen métallique par un tendre son russe." Et puis il a fait en sorte que la clé qui commande le bourdon soit placé de mon côté, afin que je puisse facilement passer de quarte en quinte et en octave. Nous avons pris le thé ensemble, et il m'a confirmé que le folklore connaissait de plus en plus de succès dans la jeunesse. Et que cela s'accompagnait d'un retour aux traditions russes. Cela correspond à mes propres observations et au contenu d'un petit film documentaire avec des sous-titres anglais que je place en fin de chronique. Film où j'ai trouvé des choses que j'ai observées: le folklore unit les gens qui le pratiquent, les jeunes y trouvent une communauté, ils sont recentrés, leur vie y gagne en intensité et en chaleur humaine, et ils y trouvent ce qui nous manque à tous, une inépuisable source de créativité. J'en avais parlé l'avant-veille dans le roman que j'écris maintenant, et mis dans la bouche d'un de mes héros plus ou moins le discours que tient un jeune amateur de break dance qui a trouvé mieux dans la danse russe, sa danse traditionnelle à laquelle on s'acharne à substituer, comme partout ailleurs, des ersatz étrangers qu'on nous fait passer pour très chics.
Skountsev me dit, ce que j'ai remarqué aussi, que les gens riches sont ceux qui détestent le plus leur pays, comme chez nous, et qu'ils élèvent leurs gosses dans la haine de leur propre culture, les envoyant faire leurs études en Europe ou en Amérique et contribuant à grossir les rangs de cette caste internationale de poux gorgés de sang et de fric qui cherchent à anéantir tout ce qui est enraciné et traditionnel.
Le retour à la terre le fait sourire: "J'ai essayé, les gens n'ont pas besoin de nous et nous prennent pour des débiles, assez tordus pour laisser la ville où ils ont la chance de vivre pour aller récolter des vieilles chansons dans les campagnes disgraciées...
- Tu ne m'étonnes pas, chez vous comme chez nous, cela fait des temps que l'on répète aux gens dès l'enfance que seuls les imbéciles restent à la campagne, que tout métier stupide vaut mieux que d'être "au cul des vaches" comme disait mon grand-père. N'empêche que c'est pourtant la seule solution si nous voulons retrouver un avenir. C'est pourquoi procéder par installation de communautés n'est sans doute pas une mauvaise idée, tant que le pouvoir laisse faire. En France, par exemple, deux choses me gênent. D'abord l'état s'en mêlera forcément et s'en mêle déjà, dès que la chose prend trop d'ampleur et peut compromettre les trafics des lobbys de l'agro-alimentaire, et puis ces communautés de Français se croiraient la plupart du temps déshonorés de retourner aux traditions françaises en même temps qu'à la terre. Ils font de la musique exotique, africaine, indienne, ils sont chamanistes ou bouddhistes, coupés de leurs ancêtres, de leur foi et de tout ce qui a fait notre pays. Alors que les Russes, à part ceux qui sont néopaïens, et ça nous avons aussi, lorsqu'ils retournent à la terre, retournent au folklore, aux traditions russes et à la foi orthodoxe, ou vieille-croyante. C'est pourquoi j'ai davantage d'espoir pour la Russie que pour la France. Quand tu vois que même le pape aspire à nous voir disparaître dans un magma mondialiste..."
D'après lui, les vieux-croyants eux-mêmes ont toutefois du mal à maintenir leur genre de vie préservé contre les assauts de la modernité. Les filles partent en ville où elles se font violer ou séduire et deviennent comme les autres. Mais je pense que la lutte est notre seule façon de rester dignes et vrais, et ce que le folklore apporte aux jeunes et même aux moins jeunes, c'est le début du salut, de la dignité et de la noblesse, du sens retrouvés.
Skountsev envisage de venir me voir, et même de conduire un stage d'initiation au folklore, si je parviens à organiser cela avec Katia.

 "Musique native"(sous-titres anglais)

C'était à l'église le dimanche du Jugement Dernier et aujourd'hui commence la semaine grasse avant le carême ou maslenitsa. Crêpes à volonté et même quasiment obligatoires. A l'église, ça sentait déjà le carême. Les prêtres étaient habillés de brocart violet, c'était extrêmemement beau, car les étoffes étaient de qualité, elles rappelaient des tissus anciens aux reflets sourds sur un fond sombre. Aux vêpres on a chanté "sur les fleuves de Babylone". Je me suis confessée à mon père Valentin, et c'est le père Théodore qui m'a communiée sous le nom de "Lavrentia". Je regardais mon père Valentin et son équipe, et mon coeur se dilatait d'amour pour eux.
A la maison, on finissait les viandes et les charcuteries, et on commençait les crêpes. Ce sont les filles de Liéna qui les font, et elles s'en sortent très bien. J'ai parlé au père Valentin de mon sentiment de faiblesse et d'inachèvement spirituel, que je ne combats plus tellement, parce que j'ai l'impression que c'est peine perdue, et que peut-être la même chose n'est pas demandée à tout le monde. "Plus on vieillit et plus il est difficile de se réformer... m'a-t-il répondu.
- Oui, a renchéri Liéna à ma grande suprise, vous avez l'impression de faire des efforts pour lesquels vous n'êtes pas prévue et qui ne vous mènent pas là où il faut, eh bien si ça peut vous rassurer, moi aussi, il faut tenir compte de ce que l'on est".
Liéna parait souvent plutôt rigide, c'est pourquoi je ne m'attendais pas à cet aveu. Et je l'ai vue un jour retenir ses larmes quand je lui ai raconté que j'avais perdu le seul bébé que j'ai conçu (hors mariage) de ma vie...
Le père Valentin, me raccompagnant à ma voiture, m'a reproché de ne pas rester assez longtemps. Mais je n'avais pas d'affaires assez chaudes pour le temps qui a de nouveau changé. Le printemps précoce est revenu à la norme de fin d'hiver. Je lui ai dit que je reviendrais régulièrement prendre des cours avec Skountsev. Et sur la route, je réalisais à quel point je l'aimais, lui et sa famille, à quel point ils faisaient tous partie de moi. Et aussi les prêtres de notre paroisse, et les fidèles, et tout leur pays, toute la Russie que je recommande à Dieu. Je regardais défiler ces forêts, de chaque côté de la route, je regardais les nuages qui laissaient transparaître le ciel, et je ressentais combien ce paysage qui n'était pas celui où j'ai grandi, et qui me manque souvent, m'était pourtant cher, ce Nord mythique, dont j'ai pris depuis longtemps la direction et qui m'a avalée.


mercredi 19 février 2020

Pavlenski, fol-en-Christ?

Voici un passage qui vaut le détour et qu'on m'a communiqué sur facebook. Comment dire n'importe quoi avec un aplomb prétentieux sur un sujet qu'on ne connait pas et qu'on ne peut absolument pas comprendre, parce qu'on n'est plus équipé des récepteurs nécessaires. Quand l'auteur  de cette déclaration dit que personne ne sait ce qu'est un fol-en-Christ en France, à part les orthodoxes, en effet, personne ne le sait, mais il ne le sait pas davantage lui-même. Comme il en discute avec beaucoup d'autorité, des tas de gens vont le croire. Et c'est si souvent que je vois ce genre de choses, qui aggrave le tohu-bohu de bêtises abrutissantes dont le bon peuple est de plus en plus gavé! Voici ce texte :

Affaire Benjamin Griveaux, qui est Piotr Pavlenski ? Piotr Pavlenski est un fol-en-christ, il s'agit d'une secte du Christianisme dont les membres abandonnent leurs biens matériels et mènent une vie de transgression des conventions sociales dans un esprit religieux. Sa variante Russe (Le iourodivy, юродивый) s'accompagne de pratiques hybrides entre Christianisme Orthodoxe et Chamanisme. Ce sont des prédicateurs un peu fous mais généralement pacifistes. Piotr Pavlenski s'est fait connaitre en Russie au travers de ses prédictions comme tous les fols-en-christ. En Europe il est classé comme opposant à Poutine comme tous ceux qui critiquent la Russie en somme. Mais les Fols-en-Christ sont des opposants à tout par nature. Bref c'est un fou, en Russie, pour protester contre je ne sais quoi et pour démontrer sa foi en Dieu, il s'était fait clouer les couilles sur la place rouge (cf image plus bas), puis les juges Russes ayant l'habitude des fols-en-christ l'ont relâché avec une petit condamnation pour exhibitionnisme et trouble à l'ordre public. Immédiatement l'Europe l'a édifié en héros anti-poutine et lui ont accordé un asile politique en France alors qu'il n'avait pas de problème particulier avec la Russie. Aussi tôt en France, en bon Fol-en-Christ qu'il est, il a pratiqué ses prédictions chamaniques puis déclaré que la France était un pays de merde, contrôlé par les banques, il s'est donc logiquement fait photographier en train de foutre le feu à la porte de la banque de France (cf photo plus bas). Évidemment il s'est fait arrêter et condamner sous des charges plus lourdes qu'en Russie et à peu près la même condamnation légère après intervention de ses soutiens énarques, les juges ne comprenant pas cet idiot fanatique, car personne ne sait ce qu'est un fol-en-christ en France, mais surtout après un incendie volontaire. Bref, il a ainsi, au travers de son image d'opposant, connu toute la classe politique en tant que héros anti-poutine alors qu'il n'est anti rien ou anti tout, puisque Fol-en-Christ, et dans son cas aussi un zozo décérébré. Et c'est probablement au cours de ces rencontres avec nos crétins de l'ENA qu'il a connu Griveaux et sa maitresse avec laquelle il faisait toutes ses conneries qui ne regardent que lui d'ailleurs, mais passons. Mais s'il y a une chose à comprendre sur les fols-en-christs c'est que c'est par le dénudement et la transgression qu'ils démontrent leur foi en Dieu et atteignent l'art de la divination, les milieux partouzards ont donc beaucoup de ces croyants bizarres, c'est probablement comme ça qu'il a entretenu des relations "amicales" avec la maitresse de Griveaux. En tant que mentor religieux avec qui on se met à poils et on se confesse, sans acte sexuel attention, sans quoi les révélations ne viennent pas (mais c'est un détail d'abstinent ça et qui ne concerne pas les Khlyts par exemple qui sont plus durs dans la transgression, vous comprendrez plus bas). Il semble à présent qu'après s'être fait jeter par Griveaux, la maitresse, lors de confessions à Pavlenski , lui ait donné toutes ces preuves qu'il a utilisées en bon fol-en-christ qu'il est. N'oubliez pas l'importance de la transgression dans leur pensée. Bref, il se retrouve maintenant accusé d'être pro-russe, parce qu'à chaque fois qu'il se passe qqc en occident, il faut accuser Poutine. Mais même Pavlenski a déclaré ne plus être lié à la Russie, ni être pro Français, ni vouloir aider Hidalgo, c'est pour Dieu qu'il fait ça ... Mais ici, ils partent en banane. Autre fol-en-christ connu : Raspoutine qui dans son cas était aussi Khlyst, une autre variante Orthodoxe de ces croyances les khlysts considéraient la débauche comme une sorte d'étape purificatrice sur le chemin de la rédemption. Ils rejetèrent les Écritures et la vénération des saints et croyaient en une communication directe avec un saint esprit, incarné en chacun. Cette idéologie gnostique s'accompagnait du rejet du clergé, mais les membres de la secte pouvaient, s'ils le souhaitaient, librement se rapprocher de l'Église traditionnelle sans devoir changer leurs croyances, c'était le cas de Raspoutine par exemple. Voilà, circulez, il n'y a rien à voir, c'est un non événement, juste une ordinaire affaire de cul ...

Avant d'examiner point par point ce tissu de bêtises, je donnerai  la définition qui figure au dos du livre manifestement devenu introuvable "les fols-en-Christ" d'Irina Goraïnoff: 

La folie d'amour de Dieu pour l'homme, la "folie de la Croix", les injonctions impossibles du Sermon sur la Montagne ont suscité une étrange forme de sainteté, la "folie en Christ" que l'on trouve partout dans le monde chrétien, mais qui est devenue une tradition constante et reconnue dans l'Eglise orthodoxe, plus particulièrement en Russie. 
Simulant la folie ou réellement animé d'une véritable folie évangélique face à tous les pharisaïsmes, le "fol-en-Christ" témoigne du monde à l'envers des Béatitudes par une espèce d'humour supérieur, tantôt tragique et tantôt bouffon. On le trouve parmi les prostituées et les "publicains" de son époque. Il lui arrive de jeter des pierres sur les maisons des bien-pensants. En Russie, au XVI° siècle, la folie-en-Christ a même pris l'allure d'un prophétisme politique et social: les "fols" affrontent le tsar le plus terrible, lui offrent de la viande crue en carême, distribuent aux pauvres les biens des spéculateurs.
Le fou, à travers la plus déconcertante marginalité, apparaît comme totalement libre.

 il s'agit d'une secte du Christianisme dont les membres abandonnent leurs biens matériels et mènent une vie de transgression des conventions sociales dans un esprit religieux. Sa variante Russe (Le iourodivy, юродивый) s'accompagne de pratiques hybrides entre Christianisme Orthodoxe et Chamanisme. Ce sont des prédicateurs un peu fous mais généralement pacifistes
Cette forme de sainteté parfaitement orthodoxe qui connut beaucoup de cas illustres, comme saint Basile le Bienheureux ou Nicolas le fol-en-Christ qui arrêta Ivan le Terrible à Pskov, ou encore Xénia de Pétersbourg, n'a absolument rien de sectaire, ni rien de chamanique, comme nous l'indique la citation donnée plus haut. Saint Gabriel de Géorgie qui brûla publiquement un portrait de Lénine, en est une des illustrations les plus récentes. Piotr Pavlenski qui, à ma connaissance, n'est pas spécialement croyant, n'a rien d'un fol-en-Christ et tout d'un dingue authentique des plus malsains, entre anarchisme et nihilisme, folies d'ordre idéologique et non spirituel . C'est parce qu'il se présentait comme un opposant de Poutine que les imbéciles au pouvoir lui ont fait si bon accueil

 Mais s'il y a une chose à comprendre sur les fols-en-christs c'est que c'est par le dénuement et la transgression qu'ils démontrent leur foi en Dieu et atteignent l'art de la divination, les milieux partouzards ont donc beaucoup de ces croyants bizarres, c'est probablement comme ça qu'il a entretenu des relations "amicales" avec la maitresse de Griveaux. 
Aucun fol-en-Christ n'a jamais été partouzard, ni saint Basile le Bienheureux, ni Xénia de Saint-Pétersbourg, ni Gabriel de Géorgie, je n'ai jamais entendu dire une chose pareille, sauf ici, de la part de cet individu, qui raconte avec complaisance de grosses salades sur un sujet qu'il ne connaît absolument pas.
Autre fol-en-christ connu : Raspoutine qui dans son cas était aussi Khlyst, une autre variante Orthodoxe de ces croyances les khlysts considéraient la débauche comme une sorte d'étape purificatrice sur le chemin de la rédemption. Ils rejetèrent les Écritures et la vénération des saints et croyaient en une communication directe avec un saint esprit, incarné en chacun. Cette idéologie gnostique s'accompagnait du rejet du clergé, mais les membres de la secte pouvaient, s'ils le souhaitaient, librement se rapprocher de l'Église traditionnelle sans devoir changer leurs croyances, c'était le cas de Raspoutine par exemple.
Raspoutine n'a jamais été considéré comme un fol-en-Christ, plutôt comme une sorte de "starets" ce qui n'est absolument pas la même chose, et qu'il n'était pas non plus d'ailleurs. C'était peut-être plutôt un "extrasens", un guérisseur. J'aime bien le ils croyaient en une communication directe avec un saint esprit, incarné en chacun qui prouve la solidité et la profondeur des connaissances de l'individu en la matière. Cela assorti d'un idéologie gnostique qui fait savant et qui étaye. 

Pour moi, il est clair que Pavlenski est juste un taré, un de ces personnages qui ressortent quand on leur en donne licence et que des gens sont assez cons pour leur accorder de l'importance. Or c'est ce qu'a fait notre classe politico-médiatique en lui donnant un statut de dissident et en l'accueillant à bras ouverts. Elle récolte ce qu'elle a semé. Demain, ce sont tous les jihadistes et les bandits qu'elle protège qui lui témoigneront leur reconnaissance, et cela sera pour elle certainement un retour de bâton plus sévère que la farce pitoyable offerte par Pavlenski.  

Je recommande à ceux qui ont envie de savoir ce qu'est vraiment un fol-en-Christ de lire le magnifique roman de Vodolazkine "les Quatre Vies d'Arséni" chez Fayard. Ou de regarder ce petit dessin animé sans sous-titres parce que sans paroles, mais très compréhensible. 

 

dimanche 16 février 2020

La beauté


« Poursuivez l’amour. Recherchez l'amour de Dieu chaque jour. Avec l'amour vient toute la multitude des bienfaits et des vertus. Vous aimez de sorte que vous êtes aimés des autres en retour. Donnez à Dieu tout votre cœur, afin que vous demeuriez dans l’amour :
"Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui." (1 Jean 4:16).


Vous devez faire preuve de beaucoup d'attention dans vos relations l’un avec l’autre et vous respecter mutuellement en tant que personnes sacrées, en tant qu'images de Dieu. Ne focalisez jamais votre regard vers le corps ou vers sa beauté, mais vers l'âme.
Faites attention au sentiment d'amour, car lorsque le cœur n'est pas réchauffé par la prière pure, l'amour risque de devenir charnel et contre nature. Il court le risque d'enténébrer l'intellect et de brûler le cœur.
Nous devons vérifier chaque jour que notre amour procède toujours bien de celui qui nous lie au Christ.

Celui qui veille à garder pur l'amour, sera protégé des pièges du diable qui essaie lentement - lentement de transformer l'amour chrétien en un amour ordinaire et simplement émotionnel. »

St PAÏSSIOS
ma mère...
 J'aime beaucoup saint Païssios,  mais quand je lis ce genre de textes, je me demande au fond si je suis vraiment chrétienne. Je comprends qu'un moine qui veut complètement se consacrer à l'amour total et universel ne puisse s'embarrasser d'une famille, le père Barsanuphe me disait: "J'ai renoncé au fromage pour avoir le dessert." Ca je comprends. Mais que veut dire: "l'amour risque de devenir charnel et contre nature?" Car l'amour charnel est éminemment naturel, comme tout nous le démontre partout. Tout, les fleurs, les oiseaux, les insectes, les mammifères et nous mêmes. S'il y a une chose qui me parait vraiment naturelle, vitale et tyrannique, c'est bien celle-là, c'est même de ne pas s'y livrer qui n'est pas naturel, et qui vous le rappelle par des crises de tristesse profonde, de détresse sans remède et des manifestations psychosomatiques diverses. 
Saint Paul en remet une couche dans l'épître que j'ai lue ce matin. "Le corps n'est pas fait pour la fornication". Eh bien si quand même, un peu, et du reste ailleurs, il écrit avec réalisme qu'il vaut mieux se marier que de brûler. Je suis prête à entendre toutes les explications qu'on voudra bien me donner, car je ne les ai pratiquement jamais obtenues. Dieu fabrique deux êtres différents et complémentaires, un homme, une femme, complémentaires physiquement et intellectuellement, sans doute même spirituellement. Complémentaires comme la prise du fer à repasser mâle et la prise à repasser femelle utilisées par ma tante Renée, il y a fort longtemps, pour m'expliquer concrètement ce que je savais au fond déjà, tellement c'est simple et logique. Il s'est arrangé en plus pour que l'opération soit le résultat d'un enivrement mutuel intense et d'un acte qui prévoit, en principe, si l'on fait abstraction de tous les procédés barbares inventés par la bigoterie du XIX° siècle pour rendre la chose mécanique et sinistre comme un film porno, d'un plaisir tout aussi intense. C'est prévu pour ça, c'est inscrit dans notre chair, et même, ce plaisir contribue à favoriser la procréation à laquelle nous étions invités à participer de façon furtive, triste, moche et probablement douloureuse par cette même bigoterie. Evidemment, un phénomène aussi puissant engendre toutes sortes de dérives et de vices, mais cela est un autre débat. Séparer le corps d'une de ses fonctions me paraît une étrange gymnastique cérébrale et même, à la limite, séparer le corps et ses fonctions de l'âme à laquelle il sert de matrice. Il ne viendrait pas à l'idée d'interdire de regarder la beauté de la nature que nous percevons par les yeux ou bien de nous dire de fermer nos oreilles aux magnifiques chants d'église, ou à la musique classique, de ce côté-là, pas de problèmes. Notre équipement naturel et les joies qu'ils nous procurent ne sont ici pas trop remis en question, et Dieu sait que j'ai regardé de tous mes yeux et écouté de toutes mes oreilles, et je continue à le faire. 
Encore que là aussi, cela pose question. Ne focalisez pas sur la beauté, ne regardez que l'âme, comme si, souvent, l'une n'était pas fonction de l'autre! Effectivement, il y a des gens qui sont très beaux d'aspect et peu reluisant à l'intérieur, mais je ne crois pas que cela soit systématique. Quand le prince Muichkine est tétanisé par la beauté de l'apparemment infernale Nastasia Philippovna, il saisit que son âme est plus noble qu'elle n'en a l'air. La "beauté" d'un être vil est souvent vulgaire et déplaisante. Si l'on regarde par exemple Macron, il a techniquement des traits plutôt harmonieux, et nombre d'imbéciles ont voté pour lui parce qu'ils le trouvaient beau. Or il a tellement l'air d'un traître, d'un personnage à la fois vaniteux, arrogant et plein de bassesse, que personnellement, il ne m'aurait jamais rien inspiré de licencieux. Il existe aussi des beautés fatales, ce qu'on appelle la beauté du diable, qui nous ramènent à l'exemple de Nastasia Philippovna, ou bien de Stavroguine, qui n'est pas absolument dénué de noblesse, mais si enfoncé dans le péché, qu'après avoir succombé, Lisa lui déclare que si elle restait avec lui, elle aurait l'impression de vivre avec une araignée.
Enfin cette beauté, qu'on nous demande de ne pas regarder, elle est elle-même l'oeuvre de Dieu, elle est à mes yeux un mystère qui m'a toujours éblouie. Enfant, je regardais les gens beaux avec ravissement, et j'en avais beaucoup autour de moi. Pourquoi Dieu a-t-il fait les gens beaux si ce n'est pour qu'ils soient attirés les uns par les autres, en vertu de leur complémentarité et pour obtenir un enfant qui devrait être conçu dans le bonheur intense et la tendresse mutuelle au lieu de l'être par une martyre rigide qui ferme les yeux en pensant à la France?
Je n'ai jamais vraiment parlé de cela à fond avec mon père spirituel, et j'avais même entrepris de le faire sous forme d'essai sur la question, mais il m'avait dit un jour qu'au delà de la dimension naturelle il fallait atteindre la dimension surnaturelle. Cela, je peux le comprendre, c'est ce que le père Barsanuphe m'avait exprimé avec son histoire de fromage et de dessert. Et le père Barsanuphe ne condamnait absolument pas la "chair" et son péché. Il m'expliquait que le but du mariage, c'était avant tout l'amour et que rien n'était péché entre un homme et une femme que l'Eglise avait unis. Il m'aurait répondu autrement que je ne me serais d'ailleurs pas convertie, tellement la pudibonderie me révulse. Mais dans ce passage du naturel au surnaturel, pourquoi effectuer des catégories et opérer des exclusions? L'amour inférieur, supérieur et tout ça? L'amour, c'est l'amour.
Dans le livre dont j'ai parlé hier, Arséni commence par vivre avec une jeune fille un amour total, mais il a tellement peur de la perdre qu'il finit par la mettre en danger de mort, et de perdition, et c'est après sa perte que cet amour devient surnaturel. Ce n'est pas le contraire, l'amour de Dieu qui devient charnel et ordinaire. Cet amour de Dieu, il n'est pas si facile à atteindre, et quand on n'est pas moine, quand on n'a pas renoncé au fromage pour le dessert, il nous arrive par toutes sortes de canaux inattendus, comme dit ma tante Mano, la vie n'est pas conformiste. Dieu non plus.
Ce qui me gêne, c'est ces séparations, ces catégories et ces hiérarchies pratiquées dans le tissu du créé, celui du vivant, et celui du divin dont il procède.
C'est pourquoi d'ailleurs pas mal de textes religieux me découragent et m'ennuient, quand ils n'ont pas de dimension poétique. Quand l'Esprit n'y est pas vraiment, qui unit toutes choses et souffle où il veut.