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jeudi 13 août 2020

Critique de lecteur

 Un lecteur qui a pris la peine de lire mes livres à pris aussi celle de m'en faire une critique. Je prends celle de lui faire une réponse officielle !

J'ai terminé vos deux livres. J'ai pu constater que vous savez aussi bien faire un billet d'actualité pour votre blog qu'un roman historique (même si vos billets d'actualité se rattachent souvent à l'histoire). Yarilo est un très bon roman pagano-chrétien. Il m'a fait penser à un commentaire sur Tarass Boulba qui serait un roman tragique et triste s'il n'y avait cette fureur de vivre qui le traverse et porte les personnages. J'ai trouvé dans les passages sur le "méchant" Ivan des ressemblances avec les portraits de Staline. Je sais que vous n'aimez pas la comparaison mais vous l'avez subie, ça se sent, peut-être au travers du film soviétique, je ne l'ai pas encore vu. Par contre, je ne crois que Staline ait eu des moments de grâce comme le "bon" Ivan. J'ai particulièrement apprécié les scènes de repentir de Fédia. Je ne sais pas si c'est universel ou si les femmes réagissent différemment mais vous avez très bien retranscrit ce qu'un homme pense, englué dans le péché, en face de Dieu miséricordieux. L'angoisse, l'auto-accusation, l'absurdité de penser qu'on mérite le pardon ou qu'on mérite quoique ce soit d'autre que la damnation... Ces passages sont vraiment émouvants et auront un écho au moins chez tous les hommes qui vous liront et qui ne sont pas imperméables à la transcendance. 
Alors que Yarilo était un hymne à la vie, Parthène m'a semblé une sorte de bûchers des vanités et m'a laissé une impression étrange. Peut-être l'avez-vous voulu ainsi ? Il est aussi bien écrit mais la tension de la vie entre le péché et le repentir de Yarilo y est remplacée par la fin de toutes choses ou par un poids qui fait chuter toute chose. Une sorte de prologue de l'Ecclésiaste presque. Je suppose que la clef de lecture est la nuit d'agonie du tsar Ivan réunifié parce que c'est la partie lumineuse de cette suite. J'ai particulièrement apprécié la scène où Féodor ramène sa femme dans la chambre du tsar dont elle vient de s'enfuir afin que celui-ci ne refuse pas le pardon de Dieu devant le dernier spectacle de ses péchés.
Mais vous l'avez bien présenté comme un épilogue donc je pense que mes impressions sont cohérentes.

In Christo.

Le tsar est fréquemment comparé à Staline, parce que ce dernier se comparait à lui. Personnellement, la seule chose que je leur trouve en commun, c'est l'égrégore néfaste d'une police politique. Pour le reste, Ivan le Terrible, malgré des supplices spectaculaires, véridiques ou pas, a fait beaucoup moins de victimes et essentiellement dans la noblesse. S'il y a eu des victimes collatérales chez les paysans, ce n'étaient pas eux qui étaient visés, contrairement à ce qui s'est passé avec la collectivisation. C'était un tsar légitime, oint et couronné et non un dictateur. Il était croyant, cultivé, il avait du sens esthétique et il a laissé de magnifiques monuments, églises et monastères, au lieu de copies de l'empire states building et des monuments pompiers à sa propre gloire. Il était imprégné d'esprit médiéval, ce qui le rachète en partie. Le mien est tiraillé entre divers aspects de sa personnalité paradoxale, il est un peu pervers narcissique sur les bords, il aime séduire et dérouter. Le film soviétique présente un tsar idéal mais là encore, j'y ai vu un tsar, et pas un dictateur moderne, quand je l'ai decouvert à 16 ans. Peut-être d'ailleurs était-ce voulu, le sentiment monarchique, même dévoyé, restant vivace chez les Russes. 

Je me mets facilement à la place des hommes. D'abord je suis un garçon manqué. Flaubert disait "madame Bovary, c'est moi" et je pourrais dire de même que je suis Fédia Basmanov. Et puis je pense que lorsqu'on écrit un livre en se donnant à fond à l'expérience, on entre en contact avec absolument tous les aspects de l'humain, c'est peut-être ce que les auteurs ont en commun avec les acteurs. Si l'on n'opère pas cette fusion avec tous les aspects de l'humain, on reste au niveau de son nombril et si c'est très répandu, ce n'est pas forcément intéressant. En cela, le processus romanesque en lui-même me paraît un parcours initiatique et une transcendance qui en soi, m'intéressent autant que le résultat. 

Le deuxième roman est en effet un épilogue et la mort du tsar en est le centre, ce qui introduit fatalement une réflexion sur la mort et la vanité du pouvoir. Cependant, je ne dirais pas que la vie en est absente, elle s'exprime à travers le jeune protégé du tsar, qui est positif et lumineux, tout comme son père spirituel Féodor. Et la fin est une projection vers l'avenir. 

 




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mercredi 12 août 2020

Déja la fin...

 

Cela sent fortement l'automne, les feuilles commencent à jaunir, les buissons n'en font plus de nouvelles. Je ne suis pas sûre de pouvoir encore une fois retourner me baigner. Et j'ai l'impression de ne pas avoir vu passer cet été que l'on attend neuf mois, comme les enfants. Je ne prendrai plus de locataires, car cela me prive de la jouissance de mon jardin, où je les trouve installées, se faisant bronzer, ou dans mon hamac. J'attends leur départ avec impatience, j'aurais besoin de me sentir un peu chez moi avant que l'hiver ne revienne. Mais elles ont décidé de prolonger jusqu'à vendredi, je leur ai dit que j'attendais des amis, ce qui est vrai. 

J'ai plein de travail, avec les pommes et les légumes. Et en plus, les chats, ou plus certainement Georgette, la seule qui se refuse à aller faire ses besoins dehors, souillent régulièrement l'espèce de petit sas qui précède mon entrée, et où je range des tas de trucs, si on peut appeler cela ranger. J'ai nettoyé trois fois, ce matin. La caisse à chats ne lui suffit pas, elle va sous une étagère, et nettoyer à cet endroit m'oblige à des acrobaties, c'est affreux à dire, mais je la prends quasiment en grippe, avec son affection tyrannique et jalouse, et ses manies de vieille. Si elle le fait pour m'emmerder, c'est vraiment réussi, et au sens propre. Je la traite de tous les noms.

J'ai vu que les chèvres de Nadia avaient bouffé les pousses qu'avait faites mon aubépine. Or, j'ai besoin de cette aubépine, car elle peut me cacher d'éventuelles constructions disgracieuses. Et depuis plus de quinze jours, une noria incessante de camions apporte de la terre dans la partie encore sauvage de notre marécage. Nous avons du bruit, de la poussière, des odeurs d'essence, et à mon avis, nous aurons aussi une perturbation de l'écosystème du lac, qui est déjà bien assez malmené. Mais quand on veut faire du fric, de nos jours, rien ne vous arrête... Ma voisine m'a dit qu'on allait construire quatre maisons, quatre monstres là où nous avions des saules et des roseaux, et le ciel derrière l'isba de l'oncle Kolia. Je lui ai transmis l'accordéon réparé par Skountsev, et son mari tout content en a tiré quelques mesures, devant leur palissade.

Le père Basile m'a appelée au téléphone, sans doute trouvait-il nécessaire de me remonter le moral avec les bretelles. Il m'a dit qu'ayant failli mourir du Covid, il avait relativisé bien des choses, et qu'il se fichait complètement de la dictature numérique et des sombres desseins de la caste satanique, car ce qui comptait, c'était notre relation avec le Christ, et son triomphe assuré sur les forces des ténèbres. Certes, nous avons devant nous des temps difficiles, certes, nous aurons à résister, peut-être jusqu'au martyr, mais peu importe car Dieu est avec nous. Le mot foi signifie fidélité, restons fidèles quoiqu'il advienne. C'est là ce que nous devons chercher à faire, et témoigner, car le chrétien n'est pas une nouille, le chrétien est un prophète qui doit parler haut et fort, sans craindre de déplaire, et non se répandre en discours complaisants et politiquement corrects. Je lui ai dit que j'avais du mal à prier, que je faisais tant de choses, écrire, jouer des gousli, et puis le jardin, le ménage. "Vous savez, un chrétien doit être actif, et être aussi présent à son prochain. Peut-être que prier, pour vous, c'est jouer des gousli, d'ailleurs, le roi David en jouait aussi, et puis contempler la nature, faire du bien aux créatures qui vous entourent, trouver de la joie dans les moments que vous passez avec des amis, tout cela, si vous en éprouvez la gratitude requise, vous met en relation avec Dieu. Il ne faut pas tomber dans le piège qui consiste à prendre la vie spirituelle comme une fuite, et à l'aménager à son gré, à se faire une religion sur mesure, c'est un défaut qu'on rencontre assez souvent en France, d'ailleurs. Pour endurer les temps qui viennent, nous aurons besoin de communautés, d'entraide, de présence à l'autre".

C'est justement ce qui se dessine ici, et pas seulement ici, il se crée des communautés paysannes, mais même à l'intérieur de Pereslavl, les croyants se rassemblent, les cosaques... j'ai réfléchi à cela toute la journée et enfin réussi à finir mon roman Epitaphe, du moins son premier jet. 

 

lundi 10 août 2020

Bonheur du jour

En revenant de la rivière Vioska, où j'étais allée profiter de ce qui est peut-être notre dernier jour de chaleur, j'ai eu un coup de fil de la voisine Violetta. Elle voulait me donner des pommes, alors que j'en ai plein mon propre pommier, et que je vois arriver avec angoisse le moment de peler, cuire et sécher tout ça. Je suis néanmoins allée l'attendre près de la clôture, comptant récupérer un sac et rentrer, mais elle est arrivée avec deux énormes bassines de ces pommes, il m'a fallu chercher deux paquets pour les verser dedans, et elles roulaient dans l'herbe, de sorte que j'ai eu tout le temps de me faire dévorer par les moustiques, que la chaleur orageuse mettait très en forme...

Violetta doit avoir une récolte abondante, donc elle déverse des pommes sur tous ceux qui sont dans le périmètre, c'est très russe. Et cela ne lui vient pas à l'esprit que je n'ai pas envie de passer des journées entières à les peler et préparer, c'est ce qu'elle fait elle-même, elle n'imagine pas qu'on puisse les passer à autre chose, à la limite, elle trouve même sûrement cela immoral.

Au bord de la Vioska, il y avait pas mal de monde, tout le pays avait eu la même idée que moi. Quand on arrive à la mi-août, on ne sait pas ce qui peut se passer. Heureusement, c'était un public plutôt tranquille. J'ai nagé avec un bonheur infini. Je m'éloigne entre les rives frémissantes de roseaux, vers un horizon bordé de pins ténébreux, d'arbres échevelés, et toujours hanté de nuages extraordinaires, qui parfois voilent le soleil, et tout devient très sombre. Puis la lumière revient, les têtes éclatantes de ces vapeurs colossales reprennent leurs flamboiements neigeux, au dessus de leurs oripeaux foncés, et des mouettes passent, ou des rapaces, des libellules....

Les bonheurs de chaque jour, il ne faut pas les laisser passer, on ne sait pas s'ils reviendront, notre avenir n'est pas radieux, on se demande même s'il y en a encore un. 

A Moscou, après l'anniversaire du père Valentin, j'ai vu Skountsev, là où il enseigne, à l'autre bout de la ville. Nous devions travailler ensemble, la leçon fut comme d'habitude géniale. Mais comme il prenait ensuite l'autobus pour Volgograd, il m'a fallu le raccompagner à Podolsk, pour aller chercher ses affaires et l'accordéon des voisins qu'il avait réparé. Comme il arrive quand on ne connait pas l'itinéraire, que quelqu'un théoriquement vous l'indique et vous parle en même temps, et qu'on commence a être fatigué, j'ai failli percuter une voiture que je n'avais pas vue. C'était un taxi tadjik, ou azéri, un quadragénaire brutal et ventripotent, qui est sorti de sa caisse intacte comme un dingue, m'a injuriée et a délibérément cassé mon rétroviseur.

A Podolsk, il y a beaucoup de diversité d'Asie Centrale ou du Caucase, et dans Moscou en général, il y a aussi plus d'Africains qu'avant. Question masques, il y a des endroits où l'on est obligé de les mettre, les gens le font sans enthousiasme et sans conviction, à cause des amendes hallucinantes de Sobianine. A la Sberbank, la conseillère masquée m'a demandé de baisser mon torchon pour comparer ma tête et la photo du passeport. "Je peux carrément l'enlever, si vous voulez, je ne tiens pas du tout à ce truc". Elle a ri.

Chez Xioucha, comme je couvrais de mots caressants le doudou de sa petite dernière, Rita m'a fait une crise de jalousie. Je ne peux m'intéresser à personne d'autre qu'à elle, le malheur, c'est que plus ou moins tous mes animaux sont comme cela.

J'étais contente de voir Xioucha, le père Valentin, Dany, et tous les autres, mais aller à Moscou, pour moi, c'est de plus en plus la corvée. Quand j'avais seize ans, Moscou m'apparaissait comme le coeur mystique de la Russie, en quelque sorte son concentré, la ville aux quarante fois quarante églises, mais déjà, ce que j'avais découvert en 73, sous les slogans vainqueurs: "Nous ferons de Moscou une véritable ville communiste" m'avait paru si hideux et si triste que j'avais pleuré pendant huit jours, jusqu'à ce que qu'un ami historien me fasse faire le tour de ce qu'il subsistait de la capitale magique et dorée qu'avait célébrée Rainer Maria Rilke. Mais le libéralisme est en train de faire disparaître ce que le communisme avait encore épargné, et surtout, dans le monde entier, les capitales ne sont plus du tout le coeur des pays qu'elles occupent, c'est le mot, mais les tumeurs d'un seul cancer cosmopolite mondialiste réparti sur toute la planète, qui envoie partout ses métastases. Dans chaque capitale, on retrouve les mêmes féodaux mafieux, tous plus ou moins acoquinés et sortis de la même matrice, et puis leurs traîtres locaux, leurs esclaves et leurs hommes de mains importés. Et partout où ce n'est pas le cas, ou pas encore entièrement le cas, on installe une bonne petite révolution de couleur en soulevant toujours la même minorité de pantins hors sol qui mettent l'ensemble de la population dans une situation pire que la précédente. A Pereslavl, c'est encore la Russie, bien que Moscou y bave ses cottages en plastique.

Avant de repartir, je suis allée à l'église du père Valentin, pour la première fois depuis l'installation du Covid, et ensuite, Yana a voulu, avec une amie et sa fille, déjeuner au Gastroferma, où le café La Forêt a un comptoir. Nous y avons vu l'adorable Maxime, qui a tapé dans l'oeil de la jolie jeune fille à marier qui nous accompagnait, mais marié, il l'est déjà, et père de famille, il faudra trouver un autre gentil Français... L'amie de Yana, Marina, me disait, ce qui est vrai, que les situations globales les plus tragiques se vivent au jour le jour, avec les problèmes quotidiens, l'humour, une insouciance délibérée; destinée à nous protéger du vertige. 

Puis je suis passée chez mon amie Liouba. Son mari Nikolaï voulait me donner des planches à icônes dont il ne se servirait plus, pour cause d'accident vasculaire cérébral. Je m'attendais à trouver une ruine, mais pas du tout, Kolia est encore tout à fait présentable, il n'a même pas tellement vieilli. Liouba, comme elle me l'a fait remarquer, était toute grise, de vêtements comme de cheveux, mais elle non plus n'avait pas changé, ses vêtements gris et ses cheveux coupés au carré lui allaient très bien. Ils sont l'un et l'autre extrêmement bons, extrêmement pieux, et d'une autre époque.

L'une des planches est énorme, et conviendrait à une église, je vais en faire don à l'iconographe du monastère saint Nicétas.


vendredi 7 août 2020

Masques

 Il n'y a pas beaucoup de masques à Moscou, mais Sobianine ayant encore frappé, certains magasins les exigent. Il fait un temps à aller se baigner dans le lac. Je suis contente de voir tout le monde mais j'ai déjà hâte de rentrer.

J'ai appelé mon amie Liouba qui considère tout cela, comme moi, avec méfiance. Une amie de son gendre, mariée à un Français, a perdu son père, victime collatérale du Covid. En proie à une crise cardiaque, il a appelé les urgences qui l'ont emmené au centre des maladies infectieuses, et il est mort dans un couloir, parce que personne ne s'occupait de lui, nulle doute qu'il est allé grossir les statistiques. Églises fermées, flicage, amendes, répressions. Liouba, très pieuse, allait plus que jamais à l'église et communiait tous les dimanches. "Le Seigneur nous envoie le signe qu'il faut se tenir vigilant. Et les vieux qui sont sur la dernière ligne, et ont besoin plus que jamais des secours de la religion, ont disparu de l'église. Et quand ils venaient, la police les refoulait. L'important n'est-il pas, quand on est vieux, de mourir confessé et communie ? "

Elle m'a parlé de gens qui restaient des temps à la morgue, qu'on ne parvenait pas à enterrer décemment.

Recemment, une jeune femme m'a déclaré sur Facebook qu'il fallait s'habituer à vivre avec le masque. C'est-à-dire que sa cervelle a complètement intégré qu'on doit se promener avec un chiffon sur la gueule pour le restant de ses jours et que les gens comme moi sont des dangers publics. On peut donc imposer n'importe quel conditionnement à un certain type de gens. On commence à nous montrer des jolis dessins ou des couples le noir plus la blanche font l'amour comme les chiens pour ne pas mélanger leurs souffles, ou à travers une paroi. C'est l'amour ou plutôt la copulation, strictement au niveau des parties génitales, on se demande même pourquoi un partenaire est encore nécessaire. Et c'est sans doute la qu'on veut nous amener. Je pensais à la Bd satirique de Gotlieb et Alexis sur la Dame aux camélias ou Armand et Marguerite s'embrassaient à travers l'hygiaphone.... 

Quand j'ai découvert les affreux jeunes gens des facs soixante huitardes, je m'étonnais qu'ils ne parlassent que de Trotski et de Mao, qu'ils ne revassent pas de passions éperdues, d'amour éternel, d'exploits, de risque, qu'ils ne prissent pas plaisir au vin et à la musique et qu'ils n'ecrivissent pas de brûlants poèmes. C'étaient de petits crétins hargneux, envieux, qui detestaient tout ce qui dépassait le niveau de la merde et nous préparaient une société sinistre, à laquelle j'étais prête à tout pour me soustraire. Et je pensais avoir vu ce qu'il y avait de pire, mais maintenant, on a le crétin masqué, prêt à accepter n'importe quoi pour sa misérable survie, dans cette société de l'avenir technologique radieux. 

Mon cher filleul à vu naître son premier enfant, je lui souhaite de pouvoir encore trouver une niche écologique ou vivre normalement, c'est-à-dire pleinement, intensément, irrigué par l'air, le soleil, l'eau et la beauté du monde. 


Les 70 ans du père Valentin

 

Quand j'arrivai à Moscou en 94, je mis trois ans à trouver une paroisse stable. Un jour dans un passage souterrain, je donnai de l'argent à une vieille mendiante qui, me regardant, déclara : "il te faut prier l'icône de la Mère de Dieu" apaise mes chagrins". 

Pour Noël, je confiai mon appartement et ma chatte à une jeune étudiante française pendant mon séjour en France. Au retour, elle me présenta son amie Macha et celle-ci, apprenant que j'étais orthodoxe, s'écria: " Il faut absolument que vous rencontriez mon papa !" et l'appelant aussitôt, elle me passa le téléphone.

Le lendemain, je me retrouvai dans le bureau du père Valentin, dans son grand appartement stalinien bourré d'enfants, il en avait neuf. Le père Valentin avait un aspect noble et sévère et une voix profonde. Pendant notre grave entretien, toutes les cinq minutes, un museau différent se glissait dans l'entrebaillement de la porte sous tous les prétextes. Finalement, je vis le profil de sa femme, la matouchka Inna, son nez en trompette et son sourire narquois, qui n'y tenant plus, venait nous demander ce que nous attendions pour aller prendre le thé. Ce fut le début de mon amitié et de mon adoption par la famille Asmus, infiniment chaleureuse, farfelue et pittoresque.

Le père Valentin m'ayant invitée à me confesser auprès de lui, je me rendis dans sa paroisse, Saint Nicolas des Forgerons, dont le principal objet sacré était une ancienne icône miraculeuse de la Mère de Dieu "apaise mes chagrins"....

C'est ce que j'ai raconté hier soir pour l'anniversaire de ce même père Valentin, dans un restaurant italien qui rassemblait sa famille. Tout le monde y est allé de son hommage et pour finir on a chante en chœur d'anciennes chansons patriotiques du XIX siècle et des romances. Les enfants ont eux-même des enfants et l'âge que j'avais quand je les ai tous rencontrés.

Au retour, Xioucha qui était pompette à dit à son père qu'il était paranoïaque. "Et pourtant, je m'occupe pourtant bien de toi, et je ne te dis pas 99%...

- de ce que je fais ! n'ai-je pu m'empêcher de suggérer.

- Lolo, vous êtes une frantsouskaia kakachka, une merde française ! Mais je vous adore, j'adore les Français et leur répartie de merde ! "


mercredi 5 août 2020

Tryptique

Hier, j'ai vu arriver mon amie Yana, son mari Génia, et un ami à eux, Denis, tous trois artistes peintres. Nous nous sommes retrouvés au café la Forêt, et Génia m'a brusquement annoncé qu'il avait un cadeau pour moi. Il a sorti un paquet plat, qu'il a défait: c'était un ancien tryptique dont manque un volet, celui de saint Jean Baptiste, avec le Christ et la Mère de Dieu, en bronze émaillé. J'ai été si saisie que j'en ai eu les larmes aux yeux. N'était l'absence de saint Jean Baptiste, le tryptique est en parfait état, il est très beau. Ces icônes étaient en général des icônes de vieux croyants. J'ai pensé à mon ami belge Nicolas, qui les collectionne. Le cadeau provenait de la collection du père de Yana qui les recueillait à l'époque soviétique.
Puis nous sommes allés rejoindre Olga et Oleg, qui ont une datcha près du monastère saint Nicolas, et avec lesquels je m'entends très bien. Nous devions aller nous baigner au lac, avant de dîner. Par un raccourci, ce n'est pas très loin de chez eux. Nous sommes passés devant une énorme maison disgracieuse plantée dans un endroit qui aurait dû rester sauvage, à l'approche du lac, sur un terrain marécageux dont cette masse perturbe l'écosystème. C'est celle de la procureure, qui l'a imposée à la mairie, et s'est dédouanée en promettant d'aménager un parc avec des jeux pour les enfants, qui tombe en putréfaction au milieu du marécage, et dont personne n'avait vraiment besoin.
Cependant l'endroit où nous nous sommes baignées, nous les femmes qui avions un maillot, pendant que les hommes restaient pudiquement à fumer sur le ponton, était très beau, et nous nagions à la rencontre des nuages avec la vue sur le clocher des Quarante Martyrs, et au loin le monastère saint Nicétas, tout blanc sur la berge bleu foncé.
Olga nous a raconté qu'il y a des années, elle avait fait un rêve, sur cet endroit, elle nageait au dessus de pièces Napoléon en or, et voyait la Mère de Dieu qui lui faisait signe de venir à l'horizon du lac. Puis elle la précédait jusqu'à la colline d'Alexandre, lui indiquant d'aller y faire son salut, et dans la file de pèlerins qui s'élevait, un homme chauve l'attendait. Or par la suite, elle a rencontré Oleg, qui n'a plus de cheveux, comme l'homme du rêve. De plus, elle a appris qu'on soupçonnait dans le lac la présence d'un trésor laissé par les Français, et chaque année, les prêtres vont bénir les eaux en procession. J'ai trouvé ce rêve superbe.
Quand nous nous sommes rapprochées de la berge, j'ai entendu les cris déchirants de Ritoulia, qui guettait le large, car j'avais disparu derrière les roseaux. D'après nos hommes, elle s'était même jetée à l'eau, dont elle a peur, pour essayer de me rejoindre, mais elle n'était pas allée bien loin.

photo Génia
Nous avons beaucoup discuté ensuite sur la terrasse décorée par une abondante vigne vierge, façon vitrail art nouveau. Nous avons parlé de la Russie et de la France que tout le monde avait visitée, et Olga parle français et connaît pas mal notre pays. Nous étions tous d'accord sur les manipulations du covid et les tentatives d'installer une dictature mondiale et de faire disparaître les populations de civilisation chrétienne, qui gênent les corporations et leurs intérêts uniquement mercantiles. Pour le reste, mon slavophilisme n'agréait pas vraiment Denis, qui est certainement libéral et pense que les Russes n'auraient jamais rien fait de bien sans les étrangers. Olga disait qu'à Paris, discutant avec un ami sans précautions politiquement correctes, elle avait senti son malaise, et la désapprobation de l'entourage, elle avait senti qu'elle touchait à des tabous, qu'elle compromettait leur équilibre, car le programme inculqué avait tellement pénétré leur psychisme que de le remettre en question pouvait le faire exploser. C'est ce qu'un autre ami, dans une lettre, appelle les verrous psychologiques consécutifs à des décennies de conditionnement sournois. "Les gens pareillement programmés deviennent vite agressifs, parce que le programme leur sert de structure" a conclu Olga. En effet, et s'ils sont à ce point programmables, c'est qu'on a effacé leurs repères culturels et spirituels et brisé le lien transgénérationnel, la tradition. Elle m'a dit qu'une telle pression devait être éprouvante pour les gens qui ne partageaient pas le point de vue admis; car toute réelle discussion était impossible. C'est là d'ailleurs un des symptômes du totalitarisme. J'ai passé toute ma jeunesse sous cette pression qui était grande dans les milieux "culturels" dès les années 70, peut-être même avant.
Olga est très intelligente, très pénétrante, et c'est un vrai bonheur pour moi de m'entretenir avec elle.





dimanche 2 août 2020

Le contrat


J'ai trouvé un oiseau mort dans la cuisine, ce matin au réveil. C'est l'oeuvre de Monsieur Moustachon, le plus adorable des chatons, si débonnaire avec tous les autres animaux, si éperdument épris de la créature qui a pris en pitié sa bonne bouille intelligente, innocente et charmeuse. Il tue tout ce qui bouge avec une adresse extraordinaire, et j'en suis malade. Mon geste charitable a causé la perte de je ne sais combien de passereaux.
Je suis allée à l'église en me poussant, et pourtant, une fois sur place, j'ai senti tout le bien que me faisaient la liturgie, et la présence de cette assemblée bienveillante et touchante. J'ai vu les enfants Rimm, Dounia, Gricha et Fédia qui sont gracieusement venus me saluer. J'ai dit à Gricha: "Voilà notre hardi cosaque", et il est resté très sérieux, mais j'ai vu qu'il n'en pouvait plus de fierté.
Puis je suis allée au café français, dans l'arrière-salle discrète, on se croirait à Chicago au moment de la prohibition. Dans tout Pereslavl, les masques sont, Dieu merci, vraiment rares. A Moscou, en revanche, d'après Dany, on recommence à mettre la pression, à coller des amendes aux commerces tolérants, et à traquer les gens qui ne sont pas masqués jusqu'aux yeux, de bonnes âmes jouent les redresseurs de torts et les dénonciateurs, comme en France, le pays des droits de l'homme, et c'est le même genre de public bobo ou coco. Parallèlement, je vois Sobianine affirmer pour la deuxième fois qu'il n'y aura pas de seconde vague, ni de confinement. Allez comprendre. Ce qui est sûr à mes yeux, c'est que tout cela pue et que les gens assez neuneus pour faire confiance aux autorités, de quelque pays qu'elles soient, de nos jours, auront un réveil difficile. Quand je vois ce qui se passe en France, mon coeur se serre. Ces gens qui enfilent docilement leur muselière, sans être alertés par le fait qu'au plus fort de la crise, provoquée ou non, amplifiée à dessein ou non, les masques étaient introuvables, le gouvernement punissait ceux qui en vendaient et proclamait qu'ils étaient inutiles, et maintenant, on le leur rive sur la gueule, en plein été caniculaire, et en fin d'épidémie, et tout le monde se plie à la chose sans questions, et même fait la police avec ceux qui s'en posent. Vous ne trouvez pas bizarre que l'on ait commencé, en haut lieu, à nous prédire "une deuxième vague" dans deux mois, et deux mois plus tard talam, talam, masquez vous tous partout? Les gens ont peur du virus, mais j'aurais bien plus peur, à leur place, du gouvernement, des médias, des médecins vendus aux labos. Pendant ce temps, la diversité qui tabasse, égorge, viole tous les jours que Dieu fait s'en fout complètement, des masques, à part ceux qu'elle met de toute éternité sur la figure de ses femmes. Et elle continue à arriver par bateaux entiers, sans masque, et sans tests, et sans quarantaine. Les masqués à sa merci continuent de trouver ça normal. Je vois des victimes sanglotantes s'étonner d'en avoir pris plein la gueule, et de ne rencontrer aucune aide, aucun soutien, elles qui étaient de si gentils membres actifs du camp du bien,  appliqués au vivre ensemble, si ouverts à la diversité, comment est-ce possible? N'est-ce pas le comble de l'injustice? Et elles continuent à traiter de fachos ceux que leur sort indigne, c'est proprement fascinant. En revanche le masque, alors ça, les gars, c'est capital, et on ne saurait être assez sévère avec les contrevenants, dès lors qu'ils n'appartiennent pas aux communautés qui en sont dispensées, mais plus simplement à la communauté nationale du franchouillard d'origine. Vous êtes prêts à les porter toute votre vie? Surveillés en permanence par les caméras, les applications de traçage, les voisins obligeants, quand vous ne serez pas coursés, écrasés et tabassés par les "jeunes"? Privés de vos restaurants, cafés et petits commerces, de vos artisans, de tout ce qui faisait notre art de vivre et qui est voué à la disparition par les maîtres du monde? Le nombre de victimes du covid, toujours changeant et toujours flou, et très peu fiable, justifie-t-il de mener désormais une telle existence? Et le jour où l'on vous fera le chantage, rester enfermés et masqués ou accepter n'importe quel vaccin douteux administré par des dingues et des mafieux, vous n'aurez pas l'ombre d'un soupçon et d'une hésitation avant de vous y soumettre? Moi si, et même en Russie, où l'on nous annonce un "vaccin russe", pour la bonne raison que tout est trop louche, trop incohérent, trop suspect, et que je ne crois pas à un vaccin bricolé à la va vite, pour des virus qui mutent tout le temps, alors qu'on s'applique à dénigrer et supprimer un traitement qui marche et qui est notoirement sans danger.
Un communiste me parle de civisme, je considère que dans son cas, c'est plutôt du suivisme. Mais c'est là qu'on voit la profonde parenté entre totalitarisme capitaliste et totalitarisme communiste. On la voit de plus en plus nettement. Cette complicité de la gauche avec une oligarchie de milliardaires délirants. Cette foi aveugle, plus intolérante, fanatique et meurtrière que toutes les religions, surtout chrétiennes, abhorrées de ses sectateurs, dans le Progrès technique, qui pourtant apparaît de plus en plus clairement comme un marché de dupes, un pacte avec le diable. Cette haine de la nature, de ses lois, de sa réalité, de la création et de son Créateur. Une haine de la nature qui est au fond une haine de la vie et de tous ceux qui y tiennent, au nom d'une survivance mécanique et contrôlée dans un enfer hors sol, bétonné et surveillé, où l'on nous transforme en biomasse anonyme et hagarde.
J'ai rêvé de ma mère, il y a quelques jours. Il me semblait qu'elle n'était pas morte, mais perdue, je la cherchais avec angoisse. Hier, j'avais besoin de faire un petit travail de couture, et ne trouvant pas ce qu'il fallait, je suis allée explorer sa boîte à ouvrage, qui est venue jusqu'ici avec mon déménagement. Je l'ai ouverte, je l'ai trouvée telle qu'elle l'avait laissée il y a plus de dix ans, car elle ne s'en servait plus quand elle était malade. Cela m'a rappelé le jour où j'avais vu, quinze ans après sa mort, le porte-monnaie de ma grand-mère là où elle le gardait, dans le tiroir de la table de la cuisine, mon grand-père n'ayant jamais eu le courage de l'en retirer. Je me trouvais en Russie, avec sur les genoux la boîte à ouvrage de maman, ses dés, une pile, un couvercle de boîte, un taille-crayons échoués là, presque la trace invisible de ses gestes. Je pensais à toute cette Atlantide française derrière moi, engloutie par l'océan noir du malheur que personne n'a su voir venir ni empêcher de déferler, malgré les avertissements des Cassandre conspuées. Et je ne sais même pas si je reverrai ceux que j'aime là bas, et vers qui l'enfant indestructible que j'ai toujours conservé en moi voudrait pouvoir encore courir pour se cacher, mais ils ne peuvent désormais plus rien pour lui.
Cependant, à l'église, j'ai senti le soutien de l'autre monde, ou de l'origine du monde, le soutien divin. Dans la panique et la tristesse, il se manifestait avec une discrète assurance. Sur le plan spirituel, je n'aurai pas réalisé grand chose, mais la seule chose que je peux dire, c'est que je me confie, c'est que je fais confiance. Je me mets entre les mains de Dieu. Comme tous ceux que je retrouve à la cathédrale le dimanche. C'est cela notre contrat,et c'est le seul que je sois vraiment capable de respecter.