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dimanche 28 août 2022

Maison bleue

  Dernières baignades, avant le refroidissement  annoncé. j'aurais aimé une transition douce, mais ce n'est pas le style du pays! Le lac se perdait dans une brume bleuâtre d'où se dégageaient à peine la rive de Veskovo et son église, pareille à une apparition, matérialisation allusive de la ville invisible de Kitej. Je nageais dans l'eau douce et un peu froide, dans ce bleu infini qui souffle au ciel de blanches bouffées, et songeait que d'ici quinze jours j'allais peut-etre rallumer le chauffage et ressortir vestes chaudes et chaussures. Le soir, je suis allée au bar du café, où il y avait un concert de jazz, surtout pour passer un moment sur la terrasse en contrebas, dans la douceur des derniers soirs d'été, dont tout le pays profite intensément car on sent que la fête est terminée, que la boutique enchantée va fermer, et les dorures qui apparaissent dans les feuillages indiquent les fastes liturgiques de la cérémonie finale qui nous laissera dans les ténèbres de novembre attendre les premiers flocons.


Ma chère voisine Ania m'a amené une équipe d'artisans compétents, sous la direction du patriarche Nourali, un ouzbek qui ressemble à Gengis Khan, et qui a une espèce de dignité antique malicieuse. Ils sont en train de préparer la maison pour la repeindre, car elle a été mal barbouillée, tout s'écaille. Nourali est patriote de la Russie, et il travaille honnêtement. Mes autres bonshommes ont disparu de la circulation, ils ont mieux à faire, pensant que j'attendrai patiemment qu'ils se décident à revenir. La maison vire au bleu, cela fait mieux ressortir les plantes. Je le trouve un peu vif, et je n'aurais pas disposé les losanges comme cela, je les aurais espacés, mais à moins de le faire moi-même... Pour la couleur, il n'est pas toujours facile d'évaluer ce que cela donnera une fois posé.

Ania voulait aller au musée de Pereslavl, aujourd'hui, et avec la chaleur, je n'en avais guère envie, mais comme elle est adorable, je l'ai emmenée. Les icônes sont à nouveau exposées, et elles sont de toute beauté. Elles viennent toutes de Pereslavl et des villages alentour, c'est dire la profusion d'icônes splendides qu'il devait y avoir à l'époque dans toute la Russie. Le contraste est brutal avec les icônes du XVII° siècle, déjà abâtardies par l'influence occidentale qui ne représente vraiment pas un progrès, ni sur le plan spirituel, ni sur le plan esthétique. Ce monde des icônes anciennes russes reflète un pays original et isolé qui avait développé une forme particulière de spiritualité et d'expression artistique, absolument méconnu de ses élites post pétroviennes jusqu'à nos jours inclus. 

Transfiguration


Il y aussi de très beaux bois sculptés, peu iconographiques, mais d'une puissante et expressive fraîcheur. L'origine de tous ces chefsd'oeuvre indique des églises disparues qui ont dû être détruites.



Le Christ de gauche me fait penser au prêtre ukrainien de notre cathédrale, le père Vassili

J'ai rencontré au bar deux jeunes femmes russes complètement francophones. L'une revient s'installer définitivement dans son pays, l'autre ne peut plus quitter la France, où elle a un mari et toute sa vie, les deux m'ont évoqué un climat délétère et étouffant, un "Paris, ville lumière" plongé dans une obscurité propice aux malandrins. Cela ne m'étonne pas vraiment, j'ai vu dès les années 70 l'émergence de ce nouveau type anthropologique qu'on appelait alors le gauchiste, et qui est devenu le bobo, mais le connard de droite existe aussi, bloqué dans un antisoviétisme ignare surgelé depuis des décennies, ou dans la détestation myope de l'islam, cause de tous nos problèmes. Je mettrai tout cela sous le vocable rhinocéros, le rhinocéros de Ionesco, un rhinocéros idéologique à la peau dure beaucoup plus borné et beaucoup plus brutal que son homonyme zoologique. Pas facile de vivre avec les rhinocéros quand on n'en est pas un.

Je vois bien sûr arriver sur mes fils de commentaires toutes sortes de trolls racontant absolument n'importe quoi sur les Douguine, sur la Russie, sur Poutine, c'est du niveau des frères Dalton de Lucky Luke: bête et méchant, et je ne sais même pas d'ailleurs d'où ils sortent, ils ne sont pas sur ma liste d'amis. Très bêtes, et très méchants, et contrairement aux Dalton, pas franchement rigolos. Cela me rappelle les horribles commentaires ukronazis sur les doryphores grillés, quand s'était produit cet holocauste de russophones dans la maison des syndicats d'Odessa, ou la chronique nécrologique du cafard bolchevique dont j'ai déjà parlé, à propos de la mort du poète Essénine. J'ai eu ma soeur au téléphone, elle me manque, et je me fais du souci pour tous ceux que j'aime et que j'ai laissés là bas, dans ce chaudron de sorcières qui se met à bouillir, touillé par des créatures des ténèbres en costar-brushing. Les gens normaux qui n'émigrent pas me disent qu'ils se sont mis à l'écart, dans leur petit village ou leur petite maison, et essaient d'oublier ce qui se passe autour d'eux. Oui, en effet, que faire d'autre?

J'ai été très touchée par la dernière vidéo de Slobodan, son briefing pour l'Antipresse. Il connaissait personnellement Daria Douguine et exprime le désarroi touchant d'un homme cultivé, fin et normal devant le déchaînement de calomnies, de plaisanteries ignobles, de poisseuses réjouissances de tricoteuses qui ont accueilli en occident ce vil assassinat. Il est toujours difficile et déroutant de voir ses semblables devenir pareils à ces insectes que dévorent de l'intérieur des parasites: un sac de peau grouillant de démons au point de ne plus avoir figure humaine, mais ces mufles grotesques et atroces qu'on voit aux personnages prêts à crucifier le Christ, sur les tableaux de la Renaissance. Je regarde le coeur serré le visage en plastique de celle qui a tué Daria Douguine. Nul doute qu'elle aurait pourtant moins manqué à l'humanité que cette jeune intellectuelle idéaliste et brillante. 

 


  

jeudi 25 août 2022

Epuisement de la bile

 


Le voisin avait fermé le trou par lequel se retrouvaient Nounours et Alba. Nounours rôdait comme une âme en peine, il a essayé de séduire Moustachon, qui lui a encore donné un coup de griffe. Puis il a disparu, ce qu'il fait de manière presque surnaturelle, pour un si gros chiot pataud. Et je l'ai vu couché avec son frère, il a trouvé un autre trou. La voisine Olga me dit que s'ils restent copains entre eux ils ne s'attachent pas à nous. Je ne crois pas que cela soit vrai, et ils sont jeunes, ils ont besoin de jouer.

Elle m'a dit aussi que c'était notre dernière semaine de chaleur, que nous allions nous retrouver direct à 15° dès le 1° septembre. Il fait un peu trop chaud, mais du coup, j'arrête de me plaindre. J'irai me baigner tous les jours jusqu'à dimanche.

Comme je le prévoyais, ils osent tout, et c'est à ça qu'on les reconnaît, les pourris de la presse otanesque et leurs Charlie bobos gogos mettent déjà le meurtre de Daria Douguine sur le dos de Poutine.  Quand je lis de pareilles choses je bénis le ciel des deux mains, quoiqu'il arrive, de me trouver ici, et de ne pas avoir à débattre de cela avec toutes sortes d'andouilles, bien qu'il y en ait même ici, mais c'est plus rare, surtout en province. L'Occident et son Ukraine, enfin sa colonie parée de ce nom, me font de plus en plus l'effet d'un trou puant peuplé de gnomes hystériques. L'ignominie des procédés ne cesse d'atteindre des abîmes et arrivée au fond, elle creuse, c'est comme ça d'ailleurs qu'on arrive en enfer. J'ai vu le témoignage d'un mercenaire étranger qui clame à ses pareils de ne surtout pas venir dans ce piège où ils seront hachés menu sans aucun moyen de revenir en arrière, puisqu'on leur tire dans le dos et qu'on leur détruit leur passeport. C'est ça, la mafia. Le capitalisme est devenu complètement mafieux. Cela aussi, Douguine l'analyse bien, c'est peut-être pour cela que la mort de sa fille fait tellement ricaner les démocrates? Ceux-là mêmes qui n'ont jamais remarqué les assassinats et les arrestations de journalistes en Ukraine, alors qu'ils continuent à pleurer sur Politkovskaïa, et accusent toujours sans preuves? Ils me font vomir jusqu'à épuisement de la bile. 




Un jeune homme que je connais par les réseaux sociaux vient hardiment de franchir la frontière russe, et je lui souhaite bonne chance, j'en connais un certain nombre qui méditent de faire pareil. J'espère seulement qu'ils en auront le temps. Je me fais beaucoup de souci pour ceux qui restent, qu'ils ne puissent partir, ou qu'ils s'y refusent, et je prie chaque jour pour la France et ceux que j'y ai laissés. Quand aux suppôts de satan, ils peuvent bien geler cet hiver et se faire hacher menu par les natzgvards recrutés dans la gendarmerie par le Méphisto des banques, ils n'auront que ce que mérite leur bêtise. Encore que je dis ça, mais faite comme je suis, je suis foutue de les plaindre quand ils commenceront à pleurnicher.

Il faut dire que résister psychologiquement à une propagande massive n'est pas simple, il y faut des anticorps et de l'entrainement, mais il y en a qui ont vraiment des dispositions pour la connerie immonde, une sorte d'affinité profonde avec les fourbes et les pervers qui les manipulent.

https://reseauinternational.net/ce-qui-se-passe-en-realite-en-ukraine-donbass-et-ailleurs-58/

https://twitter.com/paparabioso4/status/1562762490307842049

mercredi 24 août 2022

intrusion

 


Chaleur accablante, et même mon marécage souffre de la sècheresse. J'ai coincé Nounours chez moi, il venait déjà manger tous les matins, et si le portail était fermé, je le trouvais couché devant, mais il repartait quand même chez sa mère. Il est désormais trop gros pour passer sous le portail. Mais il a trouvé un trou dans la clôture pour aller voir son frère Alba chez le voisin de derrière, et Alba vient de même, ce qui ne me dérange pas, pourvu que personne n'aille se baguenauder dans la rue et que le cordon ombilical soit coupé. Il n'aime pas être seul, pépère, et pour l'instant, il n'arrive pas à comprendre comment monter les marches de la terrasse. Je les ai vus couchés ensemble chez le voisin. Ensuite j'ai entendu des cris affreux, et les ai vus détaler à travers mon jardin: c'est Moustachon qui les a mis en fuite, parce qu'ils essaient de jouer avec lui, et reçoivent régulièrement un coup de griffe. Ce sont des chiens très gentils, et ils ne saisissent pas trop pourquoi on les isole les uns des autres...  Pour l'instant, pas féroces, les gardiens, et Nounours n'est vraiment pas dominant, et tant mieux. Mais je crois que n'importe quel chien défend les siens, quand ça va mal.

Hier une artiste-peintre m'a amené deux bonnes femmes qui voulaient acheter mon livre, et je pense qu'il me faudra trouver une solution pour le diffuser autrement. En principe, Yarilo peut être acheté chez mon éditeur, mais je touche dessus un pourcentage réduit. Le blog, publié à Iaroslavl, n'est diffusé que par moi. Je commence à envisager, quand l'année 17 sera prête, de faire un tirage chez mon éditeur, avec l'année 16 incluse, des photos, et une belle édition, tout dépend du prix de l'opération. Cela me casse les pieds de vendre moi-même, cela prend beaucoup de temps, et puis je risque de devenir un but d'excursion, dont le livre est le prix! Ce que j'ai vu hier m'a glacé le sang. L'une des bonnes femmes m'avait déjà bondi une fois dessus, alors que je discutais avec Gilles au café, et ne m'avait plus lâchée. L'autre parle sans arrêt d'un ton péremptoire en me coupant la parole, à se demander pourquoi elle venait voir l'auteur, si c'était pour ne pas lui en laisser placer une. Entrant dans le salon avec le thé, je la vois debout face à mon divan, dont tous les coussins étaient disposés en rang d'oignons par dessus le dossier, je m'étonne, et elle me répond qu'elle a l'intention de les photographier. Je ne sais pas vous, mais moi, quand je vais prendre le thé chez quelqu'un, je me mets assez rarement à changer la disposition des lieux pour prendre des photos: la télé le fait, mais à part dans le cadre des tournages, je n'avais jamais vu ça, et même quand c'est la télé, pour des raisons professionnelles, ça m'énerve un brin. Elle se sert aussi elle-même dans les placards lorsqu'elle a besoin de quelque chose, sans doute pour m'éviter d'aller le chercher, mais on a l'impression de ne plus être chez soi. Après, elle m'a fait un cours sur Ivan le Terrible, et elle a déclaré d'un ton sans réplique que désormais, nous serions amies, comme si c'était vraiment une chance extraordinaire; et quand je les ai raccompagnées, elle s'est jetée sur mes framboisiers pour en casser la tige à pleines mains, clamant que sans cela, je n'aurais pas de fruits l'année prochaine! Cela m'a fortement rappelé les incursions de la voisine Violetta qui arrachait mes mauvaises herbes sans me consulter, détruisant mes fleurs par la même occasion. Au demeurant, j'ai tout a fait admis le conseil concernant les framboisiers, mais je n'aime pas trop voir de parfaits inconnus faire la loi chez moi, sans doute est-ce l'illustration de l'affirmation de Katia: les Russes ne connaissent pas les limites. Sacha a eu des problèmes de ce genre à Kourmych aussi, et quand elle a remis les emmerdeuses en place, elle s'est fait des ennemies mortelles, et c'est bien ce qui risque d'arriver avec cette "amie" intrusive. Ce comportement, que je trouve chez les femmes de ma génération, me semble le résultat du passage par le Komsomol, les jeunesses communistes: la conviction qu'il leur est légitime de se mêler de tout et de rééduquer tout le monde. Que c'est en quelque sorte leur mission sur terre.

Photos de Natacha Razouvakina, qui a fait une séance chez moi.









Je lis tant d'âneries sur la Russie, sur la malheureuse Daria Douguine et son pauvre père que j'en éprouve un découragement insondable. Tant de crétins intellectuels qui croient tout savoir et répétent seulement la doxa de leur presse distinguée, homologuée costar cravate et brushing! Pour ceux qui sont curieux de nature, je pose ce lien ici:

https://www.breizh-info.com/2022/08/23/207031/christian-bouchet-contrairement-a-ce-que-je-peux-lire-ici-et-la-alexandre-douguine-nest-pas-un-nationaliste-russe-bien-au-contraire-interview/?unapproved=116620&moderation-hash=89d8e43a3b965316fc3cd0488e94ec17#comment-116620

Je ne connais pas la pensée de Douguine à fond, loin de là, mais je sais qu'il n'est pas le "Raspoutine de Poutine" qui ne le consulte pas spécialement. Et qu'il n'a pas de morts sur la conscience, lui, ni de destruction de pays entiers, comme BHL et autres éminences grises de la république bananière française et de sa secte de franc-maçons plus ou moins mafieux. Il n'a vraiment rien fait qui justifie l'assassinat de sa fille sous ses yeux, ni les tombereaux de calomnies déversés sur eux pour insuffler aux Charlie de service que finalement, c'est bien fait pour eux, et même, qu'on n'en tue pas assez: passons vite à d'autres mauvais esprits.  Au fait, il y a beaucoup de monde, sur la liste "Mirotvorets" des Ukrainiens, ou disons des créatures  ainsi abusivement dénommées, qui ont triomphalement barré en rouge la photo de Daria. Des journalistes, des artistes, n'importe qui. Et même des enfants. Par leur bêtise et leur méchanceté, tous ces "ukronazis" et leurs soutiens occidentaux me font d'ailleurs énormément penser aux bolcheviques, est-ce un hasard? J'ai connu une trostkyste qui était devenue fasciste revendiquée. Il y a longtemps que pour moi, il s'agit d'un seul serpent avec plusieurs têtes. Et c'est aussi la conviction de Douguine. A qui le tour?

Je signale aussi cet article, qui fait bien le tour de la question: https://lesakerfrancophone.fr/des-terroristes-ukrainiens-assassinent-la-fille-du-philosophe-russe-alexandre-douguine?fbclid=IwAR2-sCSdDpeyAaTlx_0NH-5Q0m35kgThkcQROjO3s3Ca38-thefqMkeYQSk

Les Russes, à mon avis, ont tout essayé pour ne pas en arriver à une confrontation globale sans pour autant accepter des concessions impossibles à une Otanie de plus en plus insolente et délirante. Je pense que si les choses vont lentement en Ukraine, c'est d'abord parce qu'ils n'y font pas la guerre à la population, dont une partie leur est d'ailleurs acquise, et ce sont eux qui rebâtissent derrière, et aussi parce qu'ils éspèrent comme moi que les populations occidentales finiront par virer leur caste de vampires, au bord de l'effondrement. Cependant, cette caste de psychopathes hagards et de pervers narcissiques, qui sait que viendra le temps où ses membres ne pourront plus marcher dans la rue sans se faire lyncher, peut à présent provoquer n'importe quoi pour se sauver ou nous entraîner tous avec elle dans l'abîme. On le voit avec les bombardements de la centrale nucléaire, et avec l'assassinat ignoble d'une jeune intellectuelle sous les yeux de son père. A noter que tous les abrutis qui croient n'importe quoi sur les Russes, même quand le contraire a été amplement démontré, ou qu'on n'a aucune preuve sérieuse qui aille dans le sens de la propagande,  tiennent beaucoup, en l'occurrence, à ne pas condamner trop vite, sans les conclusions "d'enquêteurs neutres"! Sans doute va-t-on nous sortir que c'est encore Poutine qui a tué Daria Douguine. Je m'attends à tout.

lundi 22 août 2022

Retour à Kourmych

 


L'héroïque Sacha Viguilianskaïa, la belle Alexandrina, qui fait des miracles dans le village où ses ancêtres exerçaient leur ministère, fête l'inauguration du musée local, où elle a rassemblé des objets d'autrefois trouvés en restaurant l'église, ou donnés par des gens du cru. Objet d'une certaine hostilité sournoise, au début, et de potins invraisemblables, elle a gagné le coeur de nombreux habitants de cette bourgade qui maintenant la soutiennent et lui offrent son aide, mais elle subit aussi beaucoup de vexations et de trahisons. On fête le 650° anniversaire de la ville, appelons cela une ville, puisque c'est ce que c'était avant la révolution, une petite ville de marchands, avec un lycée. Il y avait cinq églises, il n'en reste plus que trois, dont celle de Sacha, qui était devenu un club, avec dancing et cinéma, et l'église saint Tikhon, en très mauvais état, mais on y célèbre à nouveau des liturgies. Le prêtre, le père Dmitri, au type tatar prononcé, fait des kilomètres quotidiennement pour remplir son office à différents endroits de la région.

Sacha, en l'honneur de cette fête, avait organisé pour la seconde fois depuis la révolution, une procession à travers la ville, d'une église à l'autre, et invité pour cela des représentants de la corporation des porte-bannières de Nijni-Novgorod. Cette confrérie avait son costume, un caftan bleu marine avec des franges et des pompons argentés ou dorés, et un intellectuel du coin a décidé de la restaurer, avec son apparat et ses coutumes, il espère que toute la Russie suivra son exemple. Il est fascinant de constater que si, en occident, les églises font tout pour se mettre à la page, l'Eglise orthodoxe ici fait de grands efforts pour retrouver les usages anciens. Il y a évidemment des modernistes, mais enfin dans l'ensemble, pour l'instant, le croyant cherche à retrouver son terreau d'origine.

La liturgie m'a semblé extrêmement fervente. Puis nous sommes partis, précédés de nos porte-bannières, par la rue lumineuse de cette bourgade délabrée, où subsistent de très jolies maisons, en plus ou moins mauvais état. La rue centrale porte le nom d'un bourreau bolchevique qui avait tellement exaspéré la population par ses exactions qu'on avait fini par l'assassiner, ce qui avait valu à la ville une répression sauvage, et une telle rééducation, que les grands-mères de mon âge vont encore porter des fleurs sur la tombe de cet individu, à quelques pas de la croix qui commémore ses victimes. Il faisait chaud mais de façon supportable, avec un vent violent et doux, la journée avait ce caractère de paix surnaturelle et radieuse que prend le temps à l'approche de l'automne. Il y avait très peu de monde dans les rues, nous marchions avec nos chants, nos icônes et nos bannières dans un pays fantôme, où tout prenait une captivante et étrange beauté; je ressentais l'arrachement puissant et calme de cette nef orthodoxe qui appareillait dans les décombres de ce qui fut, et le plus important actuellement me semblait de rester à bord. 

L'église de la Protection est très modeste, avec de charmantes iconostases et des icônes médiocres, mais celle de l'arrière grand oncle de Sacha, saint Alexis de Bortsourmani, offerte par un ami, m'a paru très belle, très lumineuse. Un artisan local a sculpté les Christ en croix que j'avais pris pour des exemplaires anciens naïfs et qui sont tellement plus touchants et vrais que le mauvais académisme ou le style Sofrimo.



      









Nous étions accompagnées par Artiom, baryton moscovite venu pour l'occasion, un grand type avenant et chaleureux qui a chanté pour l'ouverture du musée, et joué de l'accordéon. J'ai lâché l'affaire pour aller me reposer: le soir, Artiom et moi devions participer aux festivités de la ville. Se sont produits toutes sortes d'ensembles et de groupes, ce que j'ai vu était comme d'habitude du faux folklore insupportable, mais il paraît qu'il y avait des formations intéressantes. Quand notre tour est venu, après un repas pantagruélique avec les huiles locales, il y avait moins de monde, et c'était plutôt mieux pour moi, et puis le cognac bu auparavant m'avait bien décontractée. Nous avons eu un accueil enthousiaste. Une dame me faisait frénétiquement des coeurs avec ses doigts et m'envoyait des baisers!

Artiom

la manifestation vue par la télé locale:  https://rutube.ru/video/e95b328f5933f73925fd3177d87d0a10/?ysclid=l74r9wu75g542094640

Les invités de Sacha sont tous très sympathiques, son amie Maroussia vient d'adopter une chatonne perdue qui comprend bien son coup de chance et se blottit dans le cou de cette longue dame élégante et bouclée au sourire ironique et aux yeux blasés. Maroussia se fait un souci terrible pour l'orpheline, et craint que ne l'emportent les oiseaux de proie qui nichent dans le secteur, et que j'ai vu me couper la route sans complexes, des faucons ou des éperviers.Je suis retournée me baigner dans la merveilleuse rivière déserte, domaine des rapaces et des hérons.



Les parents de Sacha, le père Vladimir Viguilianski et son épouse, la célèbre poétesse et romancière Olessia Nikolaïeva, nous ont rejoints le lendemain, avec leur chauffeur Sergueï. Le père Vladimir a évoqué son grand-père français, Gustave Landau, fusillé à Katyn, comme nuisible et "espion polonais", parce qu'il correspondait avec ses parents réfugiés à Varsovie, et parce qu'en construisant la route de Minsk, il avait fait un petit détour pour des raisons techniques. A la question des enquêteurs: "Vous êtes polonais, ou français?" Il a répondu: "Je suis russe." Le père Vladimir est allé à Katyn pour apprendre tout cela, et m'a affirmé que c'étaient bien les soviétiques qui avaient fusillé les officiers polonais, et aussi des prisonniers politiques, comme son grand-père.

Artiom étant malade, j'ai assuré seule le concert au nouveau musée de Sacha, devant la population locale. Elle a entendu une vieille dire à l'autre: "Elle est plus russe que nous!" Les gens étaient très contents, car ils n'ont jamais l'occasion de voir ce genre de manifestations à Kourmych. Ils m'ont posé des tas de questions, évidemment, et quand j'ai évoqué le Donbass, et ma certitude, dès 2014, que l'attitude occidentale nous mènerait à la guerre, une connaissance libérale de Sacha s'est levée et elle est partie. Pourtant, c'est un fait, je le savais dès 2014 et dès 2014, j'avais vu combien délibérément et cyniquement on mentait sur la question et la dissimulait purement et simplement. Mais je me fiche maintenant complètement des humeurs des suppôts de satan, conscients ou inconscients.

le père Vladimir et Olessia au musée




le concert au musée https://vk.com/wall551636728_4131

J'ai appris l'horrible assassinat de Daria Douguina sous les yeux de son père. Sacha la connaissait personnellement. La presse française pourrie déverse sur son père des seaux d'eau sale, comme d'habitude. A cela, je répondrai en citant ce post d'un adversaire de Douguine: 

Je n'aime pas les idées politiques de Douguine et encore moins celle de son éditeur français, le sataniste Christian Bouchet. Mais il faut reconnaître qu'assassiner sa fille de trente ans est une belle saloperie. Une honte absolue. Comme les djihadistes soutenues par les mêmes commanditaires, le régime de Kiev prend un virage terroriste inquiétant. On ne tue pas un intellectuel et encore moins ses enfants, ont le combat sur le terrain des idées.

Une pensée pour lui et sa fille.

Pour moi, cet attentat jette un jour nouveau sur tous les autres, les prétendus attentats islamistes et tous les assassinats de lanceurs d'alertes, y compris ceux qu'on attribue généreusement aux chefs d'état qui gênent. C'est juste la caste qui gouverne l'occident qui est terroriste et fait marcher les Charlies et les concombres masqués en nous racontant des histoires de croquemitaine et en maniant avec perfidie l'inversion accusatoire. Cette caste est une vérole que l'humanité a attrapée. Notre survie dépend du sursaut vital de notre organisme dans son ensemble. Le jour où ces gens n'auront plus une place où se réfugier sur la planète tant le rejet sera massif et unanime, nous pourrons espérer que l'apocalypse n'est pas encore tout à fait pour demain.

Cet affreux événement m'a poursuivie pendant tout mon voyage de retour, qui fut pénible, cela commence à ne plus être de mon âge. Je conduis sans problème, mais je suis très fatiguée. Il faut dire que j'ai vu des vaches s'engager sur une route à quatre voies, et un malade mental me doubler par la droite pendant que je dépassais une file de camions... Et alors que j'étais enfin sur la route tranquille de Iouriev Polski, un écureuil s'est jeté sous mes roues, je n'ai pas pu l'éviter, et cela m'a poursuivie tout le reste de la journée.  


jeudi 18 août 2022

Escale à Mourom


Je suis partie à reculons pour Kourmych, où Sacha Viguilianskaïa fête le jubilé de la bourgade et l'ouverture de son musée. Aucune envie d'aller nulle part, et Nounours qui se précipite pour me dire bonjour avec des pattes boueuses au moment où je charge la bagnole... C'est terriblement loin, et je me suis perdue dans Vladimir, parce que les panneaux indiquaient une chose et le GPS une autre. Pour couper la route, j'ai fait un crochet par Mourom, seul endroit où j'ai trouvé un hôtel. Il me plaît beaucoup, cet hôtel, propre, pas cher, et dans un endroit très pittoresque. Comme par hasard, c'est la fête de la Transfiguration, et il est à deux pas du monastère du même nom, dont c'était par conséquent la fête votive, avec l'évêque local, un noble vieillard, et un choeur sensationnel. C'est un très joli monastère, on y a un peu abusé du marbre et de la fausse dorure, mais il est joyeux, paisible, avec des fleurs partout, et de vieilles églises restaurées, je dirais XVI° XVII°. J'ai assisté aux vigiles, et c'est toujours ça de pris. 

En me promenant, j'ai vu une église "en forme de tente", donc antérieure au schisme des vieux-croyants. Il y a de grosses bâtisses riches de très mauvais goût, et personne ne pense à restaurer une vieille maison de marchands plutôt que de bâtir un caca opulent. Mais dans l'ensemble, cela reste plein de charme, de fleurs capricieuses, de petites maisons, de coupoles perchées sur tout cela, translucides, aériennes, prêtes à s'élever dans le ciel. Je suis descendue par une passerelle assez raide jusqu'au quai, où m'attendait le restaurant Tchaïka, la mouette, seul endroit où l'on peut manger dans le prérimètre, et j'y étais déja venue, à mon premier passage dans cette ville. Bon, évidemment, pas très carémique. J'avais pris une délicieuse salade au poulet, Rita a mangé le poulet et moi les légumes et les croûtons.

De la terrasse, on voit l'Oka, rivière paisible qui baigne cette ville nonchalante et même somnolente où je reviendrais bien dessiner. C'est le calme et la douceur, et les gens sont très gentils, très obligeants. Cependant, il me semble qu'au XIX° siècle, au temps des marchands et de leurs péniches, cela devait grouiller de vie, ici, avec des airs d'accordéon, des gaillards qui dansaient, et des tsiganes...




Mourom by night

le monastère de la Transfiguration




vues du quartier




L'Oka




samedi 13 août 2022

La bicyclette

 


J'essaie d'aller chaque jour nager, car ce n'est pas seulement bon pour ma santé physique, mais pour mon état intérieur. Le trajet en vélo, par les chemins défoncés bordés de saules, de maisons et de jardinets où s'épanouissent flox, cosmos, dahlias et "boules d'or", les papillons et les oiseaux qui m'accompagnent, comme dans la chanson de Montand "la bicyclette": "faisant naître un bouquet changeant de libellules, de papillons et de reinettes", sauf que ce n'est pas la France, mais la Russie typique. Mon amie Claire est venue me voir et m'a parlé de la nostalgie qu'elle éprouve de ce qu'elle a à peine connu, la France vivante des petits commerces et des petites exploitations agricoles, des paroisses et des écoles de campagne, une ambiance qu'on retrouve ici, en toute nonchalante liberté, à Pereslavl Zalesski. Je rencontre des gens qui me saluent, les pêcheurs me demandent si l'eau est bonne, les vieux sportifs matinaux me grondent de ne pas venir assez régulièrement sacrifier au sain exercice: "Et alors, on ne vous a pas vue, hier? Il faut venir, on a encore une semaine d'été, après, on ne sait pas ce qui nous attend, l'eau "fleurit" déjà!"

Là où je laisse mon vélo,il y a un jardin potager, avec des pommes de terre et des choux, mais aussi des tournesols, des zinias, des dalhlias, des oeillets d'Inde, et autres fleurs disposées n'importe comment, d'ailleurs. Des chats se promènent. L'eau n'est pas si fraîche, mais comme les petits matins le sont de plus en plus, j'entre vite, je nage, et je ressens le froid plus tôt qu'auparavant, mais j'ai quand même le temps de glisser dans cette immensité bleue avec des canards flegmatiques, de voir jouer la lumière dans les saules liquides, et les nuages blancs s'effilocher entre les ailes rapides des mouettes.




Hier, un vieux crétin a failli écraser ma chienne. Beaucoup de moscovites qui ne peuvent plus aller à l'étranger se retrouvent ici, où ils conduisent et se conduisent très mal. Les grandes villes rendent les gens idiots. J'attendais une livraison, le type s'est arrêté sur la route pour me la délivrer, et je suis sortie la récupérer, suivie de Rita. Le vieil imbécile, dans une grosse bagnole, sur notre chemin écarté, au lieu d'attendre, ou a la rigueur de nous demander de nous pousser, s'est mis à forcer le passage, j'ai vu ma chienne disparaître sous le capot, sur lequel je me suis jetée en hurlant, et cette erreur de la nature nous a, de plus engueulés!

Les deux filles de Claire ont beaucoup apprécié Nounours et réciproquement. Elles ont joué avec lui, elles lui ont fait des câlins. Ce chien a le don d'apparaître sans bruit, il se matérialise tout d'un coup, une blanche présence au regard sentimental. Avec Ania, nous l'avons remis en présence de son frère César, et ils ont joué avec tant de joie...

Le soir, je suis allée au bar retrouver Gilles, Godfroy et Maxime, à la terrasse. Dania le balalaiker déchaînait les noctambules de Pereslavl au bord de la rivière. Un type bourré a demandé à Maxime si j'étais sa grand-mère, j'ai répondu que bien que vieille, je n'étais la grand-mère de personne. Et c'est vrai que je ne me sens pas du tout dans ce rôle.






vendredi 12 août 2022

Fils de paysans

 


J'ai reçu la visite d'une éditrice de Moscou, Elena, et d'un historien de Saint-Pétersbourg, Victor. Victor adore mes chroniques, il trouve que les traduire non seulement en russe mais en plusieurs langues serait une oeuvre de salut public, mais je pense qu'en Otanie, ce que je raconte n'a pas sa place, et ne poursuit son chemin que parce que cela reste encore au dessous des radars.

Il a fondé un musée Alexandre III, il est monarchiste, évidemment. Il m'a offert son livre sur Essénine, dont il est certain qu'il a été assassiné, et non suicidé. Il m'a dit que Maxime Gorki avait écrit à Boukharine, avant la révolution, que trop de fils de paysans devenaient des intellectuels, au détriment des prolétaires, et qu'il fallait surveiller cela. Ce qui d'ailleurs correspond à ce que me disent aussi les folkloristes, que les paysans lisaient les poèmes de Pouchkine ou Lermontov publiés dans les journaux et en faisaient des chants populaires. Victor déteste Maxime Gorki et Maïakovski, mais considère qu'Alexandre Blok, un moment égaré avec son malheureux poème des Douze, a connu un douloureux repentir et une fin tragique. Une brochure bolchevique de 1926 trace, en guise d'épitaphe, un acte d'accusation contre Essénine absolument répugnant et digne comme niveau de ce qu'on voit maintenant en Ukraine ou en occident, où je professe que s'est déplacé le mal qui sévissait alors ici:

 "Patriotisme chauvin et amour pour l'ancien mode de vie de la Russie paysanne;

Fils d'un village prospère, intellectuel plouc, d'origine à moitié koulak, n'a jamais pratiqué lui-même les travaux des champs. 

Conception de la vie religieuse et contemplative. 

Création de koulak religieux en vacances. 

Monstruosité idéologique et vide.

Crache sur tout ce qui lui était saint dans le passé. 

Propos antisémites en 1923.

A vu sa décompsition et sa pourriture. 

Essénie est un individualiste fini, hypertrophie de son ego. 

Essénine pendu au mur, c'est un symbole.

Il a quitté la vie  dans la pleine conscience de son inutilité et de  son désenchantement

oui le poète a raison, sa "poésie ne nous est plus nécessaire".

amour-propre maladif, stérilité créative, sur la base de sa monstruosité idéologique. 

pépiement amoureux de moineau.

Il a éclaté comme une bulle.

entouré de gens destinés à devenir le fumier de l'époque. 

Essenine n'a aucun avenir, il ne lui a fait aucun écho.

La révolution ne peut adopter Essénine

Il a toujours été réactionnaire

Ce n'est pas le poète des masses de travailleurs et de paysans. 

etc..."

Curieusement, j'ai entendu le même réquisitoire, de la part d'une crétine, dans ma fac des années 70, au cours de "conversation russe" toujours idéologiquement orientée d'une certaine Schatzmann. Moi qui la fermais toujours, car affligée des mêmes tares que le poète, je n'avais pas ma place dans la révolution, j'avais brusquement senti m'envahir une rage froide, et j'avais proféré dans un silence de mort et en entendant ma propre voix comme si elle appartenait à quelqu'un d'autre: "Tu es qui, pour juger Essénine? Vous êtes qui? C'est quoi votre idéologie et quelle belle jambe vous fera l'avenir radieux quand vous serez tous bouffés par les vers et plus oubliés qu'il ne le sera jamais?"


Victor m'a également offert un livre sur une des figures les plus sympathiques du Donbass, Alexeï Mozgovoï, lâchement assassiné par les Ukrainiens, il s'agit de son journal et de ses poèmes. C'est dire si, avec Victor, nous étions sur la même longueur d'onde. Nos avis divergent un peu sur Ivan le Terrible, mais je lui ai dit que j'avais écrit un roman, pas un document historique. Je le lui ai offert, dans la foulée, ainsi qu'à Elena. Ce sont deux idéalistes, de vrais idéalistes russes, pas des idéologues.

Justement, j'ai regardé hier l'entretien remarquable d'Etienne Chouard avec Ariane Bilheran et Slobodan sur le totalitarisme, émission de salut public à voir absolument. Slobodan déclare que les facs sont les pépinières du totalitarisme, et c'est parfaitement exact. J'en garde un souvenir cauchemardesque: toute la sinistre comédie du macronisme était déjà en place, toute l'abomination du bolchevisme au front bas qui apparaît dans cette épitaphe d'Essénine, toujours à l'oeuvre, et depuis des décennies, ces gens-là, qui ont confisqué la culture, sélectionnent leur intelligentsia officielle selon les critères exprimés ici, excluant avec toute la hargne du médiocre ceux qui ne sont pas compatibles. Pas étonnant que, comme me l'a fait remarquer l'historien Victor, le personnel politique occidental soit si lamentable. Il observe d'ailleurs, en introduction à cette épitaphe honteuse, que la haine bestiale et stupide dont elle relève est un milieu où le russe normal ne peut pas respirer. En effet, le Russe normal ne peut y respirer, c'est pourtant l'état d'esprit officiel qui règne en Ukraine, et de plus en plus en Europe occidentale. A noter que le communiste russe de base en est aujourd'hui généralement dépourvu! Il faut croire qu'il redevient un Russe normal.




Pendant notre conversation sur la terrasse, j'assistais à de blanches apparitions de Nounours. Il passe


dans la verdure, se roule dans l'herbe, me donne ses grosses pattes, c'est un énorme bébé d'une grande douceur. Je suis tellement sollicitée que je ne peux pas le prendre complètement pour l'instant, j'ai à l'horizon encore le voyage à Kourmych, où Sacha Viguilianskaïa m'a demandé de venir chanter pour le jubilé de la ville, ce qui implique de répéter... Kourmych, ce n'est vraiment pas la porte à côté et je passerai une nuit à Mourom, seul endroit où j'ai trouvé de la place, c'est une très jolie ville que j'ai vue trop vite.

Aujourd'hui, j'ai eu la visite de RT, qui m'avait interviewée l'été dernier avec Yann Sotty, pour les Français, cette très bonne émission a été bloquée avec la chaîne qui l'avait commandée. Cette fois, c'était Karim qui tournait pour le moyen orient, et cela passera là bas, avec des sous-titres arabes! Mais c'était aussi très sympa. Karim est égyptien, il a épousé une Russe et quitté Londres pour Moscou. Il m'a dit qu'il adorait mon jardin, qui lui rappelait le midi de la France, certes pas par la végétation, mais par la structure, et la terrasse. Ce n'est pas faux, et les thuyas, dont les Russes font grand usage et que je déteste partout où je les vois en rangs d'oignons, jouent chez moi le rôle de cyprès, une verticale opaque au milieu de végétations mouvantes et translucides...

Ils m'ont demandé de jouer et de chanter, ce que j'ai fait, dans le jardin. Les collaborateurs de Karim voulaient la chanson "le corbeau noir", il y en a plusieurs, j'ai opté pour celle que je travaille en ce moment avec Skountsev, "le corbeau noir de Donetsk", qui est on ne peut plus de circonstances.

Il a aussi trouvé ma maison ravissante, pleine de sens et d'âme, il était très content. Evidemment, escale au café la Forêt, mais Gilles n'y était pas. Il m'a fait découvrir dans une arrière cour un magasin qui ne paie pas de mine, où l'on vend toutes sortes d'excellents fruits et légumes pour des prix défiant toute concurrence, je m'étonne même que cela soit encore possible, et m'a offert des croissants de Frédéric, ancien confiseur et actuel concurrent de Gilles, qui a un point de vente au même endroit.

Les Ukrainiens bombardent une usine atomique, et cela peut très mal se terminer. 

https://mirastnews.net/2022/08/10/la-russie-a-demande-une-reunion-du-conseil-de-securite-de-lonu-en-raison-des-attaques-de-kyiv-contre-la-centrale-nucleaire-de-zaporozhye/

L'occident devient complètement fou, et l'Ukraine en est l'abcès, l'épicentre, le trou noir, le projet abominable. Je lis toutes ces nouvelles fantasmagoriques, toutes ces réflexions idiotes de rhinocéros hagards, et dehors, le jardin parcouru de lumière sous un ciel radieux où trainent de légers nuages, m'apporte les visites de l'innocent chiot blanc au gros nez sombre, sous des yeux pensifs et tendres; il m'offre ma dose quotidienne de framboises charnues, dispose à mes pieds des chats nonchalants, déploie dans le couchant des rondes de flox aux couleurs préraphaélites. Le soir, le vent murmure avec douceur, et le soleil brode d'argent des bouquets de feuilles à contre-jour qui tout à coup paraissent givrés en plein été. Si le truc explose, là bas, l'Europe sera rayée de la carte peut-être même jusqu'ici, mais je serai restée vivante jusqu'au dernier moment, dans mon ilôt de Pereslavl, loin de Babylone.

Slobodan est en Russie, et nous nous sommes parlés au téléphone, mais nous n'aurons pas le temps de nous rencontrer. En revanche, il a pu voir Dany et Iouri, qui regrettaient mon absence; pour se consoler, ils se sont fendu la pêche à faire des considérations pleines d'humour sur mes divers exploits. Il vaut mieux faire rire que pleurer.