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jeudi 29 mars 2018

La ville invisible de Kitej

Aujourd'hui, j'ai décidé de faire du tourisme et d'aller à Rostov, Rostov le Grand, célèbre pour ses carillons. Ici, quand on a du soleil, il faut en profiter...
De loin, c'est magnifique, le Kremlin de Rostov, et le monastère Spasso-Iakovlevski-Dmitriev (du Sauveur, de saint Jacques et de saint Dmitri réunis): un rêve, ces architectures féeriques posées sur le lac, la voilà surgie, la ville invisible de Kitej, on a peine à croire à une telle splendeur. Mais la ville de Rostov, comme celle de Pereslavl, a été terriblement abîmée. Autour des merveilleux sites, ce ne sont que baraques hétéroclites, nouvelles maisons banales et sans style, châteaux Disneyland, structures métalliques incompréhensibles, et le tout dégage une impression de délabrement et d'abandon.
J'ai commencé par le monastère. Le gardien qui m'a reçue était extraordinairement gentil, un type d'une cinquantaine d'années, encore pas mal, avec un visage comme je n'en vois qu'ici, un air de simplicité bienveillante, de douceur et de franchise.
Je me suis laissée aller à acheter une broche dans le style typique de Rostov, je n'en raffole pas, car peut-être c'était bien au XIX° siècle, mais ça sent maintenant l'artisanat pour touriste. Puis, encouragée par la bonne dame du magasin, j'ai entamé l'escalade des remparts, puis de la tour de guet, avec un vertige affreux et mon genou peu fiable.
Mais ça valait le coup. Ces architectures blanches et fantastiques, que leurs bulbes gonflés et brillants semblent prêts à emporter dans les airs, baignent dans l'infinie lumière immaculée du lac et l'azur sous lequel il se perd. C'est un autre monde. C'est la ville invisible de Kitej. Tous les héros et les saints de la sainte Russie sont là, tout près, et le silence est plein des carillons enfuis, il en est encore bercé, et d'ailleurs, les cloches du monastère se sont mises à tinter doucement, un bref salut, un mouvement d'ailes.
Le gardien m'a entretenue des émissions de Nikita Mikhalkov, question politique, nous étions sur la même fréquence. Il m'a interrogée sur la France avec un air inquiet et concerné. Que Dieu bénisse cet homme adorable! Il m'a expliqué comment parvenir au kremlin en suivant la berge du lac, car le coup d'oeil était plus beau.
Le kremlin donne une idée de ce que c'était la Russie quand elle était couverte uniquement de ce genre de constructions: cela ne ressemble à rien d'autre au monde, c'est la magie de la Russie, une magie si prenante, si poétique, si mystique qu'il fallait au diable s'acharner dessus avec la rare méchanceté dont il a fait preuve à l'égard de ce pays.
Ce kremlin a servi au tournage d'une très amusante comédie soviétique, "Ivan Vassiliévitch change de profession", qui relate comment, à la suite d'une mauvaise manipulation d'une machine à voyager dans le temps, Ivan Vassiliévitch, odieux petit fonctionnaire soviétique, se trouve parachuté chez Ivan le Terrible, dont il est le sosie, tandis qu'Ivan le Terrible se retrouve dans le Moscou des années 60.
Le kremlin de Rostov pouvait seul encore restituer la résidence du tsar de façon crédible, car le Kremlin de Moscou a subi lui aussi bien des avanies. Les allusions au film sont partout, et j'ai l'impression que c'est cela que voient les gens, et pas la ville invisible de Kitej, dont je suis la citoyenne nostalgique.
Ce Kremlin, cet ensemble unique et splendide aurait grand besoin de réparation. Mais si l'on trouve de l'argent pour propulser dans le ciel moscovite des étuis péniens de béton et de verre de 200 mètres de haut, on n'en a visiblement pas pour l'architecture unique irremplaçable du XVI° et du XVII° siècles.
Visiter Rostov m'a ouvert les yeux sur ce qu'est une ville de "l'Anneau d'Or", vitrine autrefois du tourisme soviétique. C'est une ville où l'on n'a pas tout détruit: on a laissé quelque chose. Quelques monastères, un ou deux palais, un kremlin. Où l'on a fait des musées. Des parkings pour les autobus. Deux ou trois restaurants "typiques". Et où l'on vend des souvenirs industriels affreux censés représenter les objets du passé. Pour le reste, on détruit ce qu'on veut et l'on construit n'importe quoi sans se soucier une minute d'harmoniser avec ce qui existe déjà. soyez encore contents qu'on n'ai pas dynamité davantage: il est là le kremlin, non? Celui de Serpoukhov n'a pas eu cette chance...
J'ai fait le tour du "marché des métiers": les joailleries de Rostov (finift), des chaussettes tricotées multicolores et d'horribles babioles d'un mauvais goût insoutenable, absolument rien d'authentique. Pourtant, il doit y avoir de vrais et bons artisans, où vendent-ils?

Le monastère


portes du ciel

Et la voilà surgie, la ville invisible de Kitej, l'arche russe lancée vers le ciel...


La porte du kremlin






3 commentaires:

  1. Merci Laurence ! Un récit intéressant et de superbes photos !!

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  2. Superbes photos, Laurence, ça sent l'artiste :)

    Je reste chaque fois un peu étonné, pour ne pas dire bluffé par votre style d'écriture, qui allie simplicité, et élégance. Oui, bon, je suis un peu jaloux, en somme.

    L'écriture, ce n'est pas l'érudition, ce n'est pas mettre des mots savants bout à bout, ou ébaubir le lecteur avec des formules fulgurantes. C'est savoir raconter le vrai, jusqu'à nous faire pratiquement réaliser le voyage jusque dans cette campagne russe.

    Bonne fête de Pâques :)

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    1. Merci, je suis touchée du compliment. Bonne fête de Pâques à vous aussi.

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