Rosie
me fait de nouveau la vie infernale, depuis que Violetta a bloqué les accès.
Elle ronge tout ce qu’elle trouve dans le jardin, y compris la rampe
d’escalier. Si par hasard elle sort, elle revient par le jardin de Violetta et
aboie devant le grillage, m’obligeant à l’appeler dans la rue jusqu’à ce que ça
lui effleure la cervelle de faire le tour. Avec les intempéries, c’est
merveilleux. Le matin, elle me harcèle pour finir la bouffe des chats et ne
regarde pas la sienne, il faut que la bouffe, quelle qu’elle soit, passe par la
gamelle des chats pour l’intéresser. Les
imbéciles de chats mangeant à longueur de temps, et jamais tous ensemble, sauf
le matin où ils me prennent d’assaut au réveil, elle s’attaque sans arrêt à
leurs assiettes et après, je n’ai plus rien pour les nourrir.Je n’ai aucun
contrôle sur cet être aberrant, qui ne pense qu’à me truander, ni aucun langage
commun. Elle ne m’apporte pas la compagnie d’un chien qui comprend vraiment son
maître autrement que pour tirer parti de ses faiblesses afin de satisfaire ses
caprices. Elle me garde et elle empêche les chats étrangers de venir. C’est
tout ce que je peux en dire de vraiment positif. Naturellement, je culpabilise,
car elle vient me trouver avec sa baballe et me la fourre avec insistance dans
les jambes, et je n’ai aucune envie de jouer avec elle, elle est trop grosse,
trop brutale. Étonnant d’ailleurs qu’elle ne soit absolument jamais fatiguée.
Comme
en fin d’après midi, le vent dispersait les nuages, j’ai décidé hier d’aller la
promener. Je suis tombée sur la gardienne de chèvres, Nadia, qui a maintenant
aussi des vaches, et j’ai passé un moment avec elle. Rosie aime jouer avec le
bouc, Lavroucha. Nadia est un être surprenant. Elle connaît très bien les plantes
et leurs propriétés médicinales, comme beaucoup de Russes. Et elle m’a longuement
parlé de sa passion pour les couchers de soleil de sa ville natale : «Tu
me dis que tu trouves notre ciel unique, pourquoi, à ton avis ?
-
Je ne sais pas, les nuages sont colossaux, avec des architectures
extraordinaires, et de magnifiques jeux de lumière et d’ombre.
-
Le truc, c’est que s’interpénètrent plusieurs niveaux de nuages, plusieurs
corps de bâtiments. Certains restent immobiles comme des rochers, là où ils
sont, il n’y a pas de vent. Et d’autres sont déplacés à toute vitesse et
attrapent la lumière, et ils changent de couleur et prennent toutes sortes de
formes. Voir le soleil se coucher sur le lac, il y a des gens qui viennent tous
les jours exprès pour cela. Moi, je me demande chaque jour ce que le Seigneur
me prépare comme merveille. Et quand je la vois, je lui rends grâce, car il
sait exactement ce qu’il faut m’envoyer.
-
Tiens, en face de nous, cela devient vraiment beau, comme deux grandes ailes d’or
qui s’ouvrent…
-
Oui, les ailes d’un ange fort et puissant. »
Nous
nous trouvions dans la cour de la « baraque » écroulée, qui a été en
partie nettoyée des ordures que des cochons y jettent périodiquement. Elle y
avait passé son enfance : «C’était une maison des années 50, elle avait
été très bien construite, elle était agréable, et la cour était très bien
entretenue, avec des fleurs, et des vieilles sur les bancs. Il y a quelques
années, des gens avaient des projets immobiliers, ils ont fait partir les
habitants, et puis cela ne s’est pas fait sans doute, et très rapidement, la
maison a été pillée, et des cochons sont venus balancer des ordures en douce,
le toit est tombé, et ainsi de suite. »
Des
fleurs subsistent, des cosmos, des soucis, j’ai
pris des graines. « D’ici, ai-je dit à Nadia, le point de vue est
jolisur la cour et la maison en briques, là bas, je pourrais faire une
aquarelle…
-
Et l’escalier en bois écroulé, devant, tu le garderais ?
-
Sans doute, il est intéressant.
-
Si tu enlèves l’escalier, tu auras une maison dans le lointain, avec les arbres
de la cour, et si tu laisses l’escalier, tout le monde comprendra que voilà, c’est
fini, la maison est morte. »
Nadia
aime ses chèvres et ses vaches, elle aime sortir avec elles les promener. Je
lui ai parlé d’Henri, qui regrettait de ne pas l’avoir vue et photographiée,
sauf une fois, à la fin de son séjour, et si vite qu’il n’en avait pas eu le
temps. « Oh, il fallait m’appeler, je serais revenue pour la photo !
Quelle gloire pour moi que les photos de mes chèvres partent en France ! »
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