Hier, j’ai eu je ne sais combien de coups de fil me disant
que Rosie était dans le « sixième quartier », le quartier en béton
soviétique de Pereslavl, ce n’est pas la première fois, mais là, c’était sans
arrêt, même la dresseuse de chiens s’en est mêlée. Elle voudrait que je misse
Rosie à la chaîne ou en cage, et je ne sais plus quoi faire, car je sais très
bien qu’elle deviendrait enragée, et elle passe sous la clôture que j’ai faite
à grands frais. En fait, elle va faire la sortie des écoles, pour rencontrer
des enfants, elle s’ennuie ici, avec son énergie démentielle.
Je ne cesse de penser au petit chien que je n’ai pas pris.
Est-ce normal ? Je devrais être soulagée de ne pas avoir fait de connerie,
il n’en est rien.
Mon amie Lioudmila la juriste m’avait demandé de l’emmener, avec une copine qu’elle reçoit, voir la croix miraculeuse de Godenovo. J’ai
accepté, mais ce matin, pluie et froid humide, je n’en avais aucune envie,
d’autant plus que j’y étais allée il n’y a pas longtemps et que cela m’avait
fait mauvaise impression, avec ce projet de basilique sainte Sophie bis en
pleine campagne russe, ce qui est inutile et du dernier mauvais goût. Mais je
n’avais plus le choix.
Nous avons fait la route sous la pluie. Les arbres
jaunissent et rougissent à vue d’œil. Ils font leur fête dans la grisaille,
avant de s’endormir tout nus. L’église paysanne de Godenovo est très jolie,
légère, avec ses petites coupoles pareilles à des fleurs en bouton, elle n’a vraiment
pas besoin d’une énorme basilique juste à côté.
Je pensais à tout cela, en entrant dans la nef, et en jetant un regard
hostile au sol de marbre poli complètement déplacé qui me rappelle le sol d’un
hôtel de luxe ou d’un riche centre commercial. Mais puisque j’étais venue, il
fallait quand même aller vénérer la croix. Et donc j’y vais, je me prosterne,
je baise la vitre fermée, et tout à coup, j’ai ressenti un grand afflux de grâce,
comme une source jaillissant dans mon cœur, et les paroles de la prière de
Jésus me venaient spontanément, en cascade, et tout se bousculait dans mon
esprit, l’Ukraine, le schisme, le métropolite Onuphre pour lequel je venais de
commander des prières, mes péchés, mes craintes, mes espoirs, le petit chien,
la Russie, la France, mes chers défunts, tout était à la fois neutralisé et contenu
dans ces mots qui semblaient se succéder d’eux-mêmes en moi : « Seigneur
Jésus Christ, aie pitié de moi, pécheur… » Et je restais les yeux clos,
les mains posées sur la vitre, au contact de cette force, de cette mystérieuse
et puissante douceur qui se manifestait, comme souvent dans mon cas,
complètement par surprise, alors que je ne l’attendais pas, que j’étais même
dans un mauvais esprit, dans une humeur maussade. En entrant dans l’église,
je m’étais demandé si j’achèterais une reproduction en bois de la croix, et puis
j’avais pensé : « Non, je suis fauchée, et je ne veux rien
donner pour la basilique bis et le marbre poli ». Mais là, m’arrachant au
voisinage de la croix miraculeuse, j’ai volé jusqu’à la vendeuse de cierges
pour en acquérir une réplique.
Cette femme me regarde alors et me dit : « N’êtes-vous
pas de Pereslavl ?
- Heu… si on veut. J’y habite…
- Laurence ?
- Oui…
- Je suis la mère de Katia… »
Katia, quelle Katia ? J’en connais des Katia, Olga,
Irina, Lioudmila…
« La femme de Dima », me précise-t-elle. Ah oui,
Dima le cosaque qui a acheté ma datcha. Nous nous saluons, nous échangeons nos
numéros de téléphone. « Allez poser votre croix contre la Croix… Elle fait
des miracles, vous ne pouvez savoir le nombre de miracles que je vois… »
Je retourne à la Croix, maintenant, le gardien a ouvert la
vitre. Je peux y appliquer ma réplique : « Seigneur Jésus Christ, aie
pitié de moi »… Ah oui, c’est certain que la Croix de Godenovo a quelque
chose de spécial... Elle a ouvert une fontaine de joie dans mon cœur tourmenté.
Et cela, malgré la basilique et malgré le marbre poli. Il
paraît que les magnifiques dalles de fonte anciennes, arrachées pour
transformer cette église de campagne en salle des pas perdus d’hôtel new-yorkais,
sont toujours quelque part sur place, Lioudmila voulait me les montrer, mais j'avais froid sous la pluie et les voir m'aurait fait trop mal! En assistant
à la fin de la liturgie, je réalisais à quel point cela devait être plus beau avec
un sol sombre et mat, qui devait mettre naturellement en valeur l’iconostase dorée du XIX°
siècle… Mais mon amertume avait disparu
dans la douceur de ma rencontre avec la Croix. Le prêtre avait l’air extrêmement bon, joyeux,
il faisait plaisir à voir.
Alors ce fut une belle journée Laurence, merci de ce témoignage priant.
RépondreSupprimerQuel beau et profond témoignage 🙏🙏🙏💐🌷🌹amitie et bonne et douçe soiree
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