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samedi 19 juin 2021

Les prolongements infinis

 


La généraliste que j'avais ne travaille plus au centre de diagnostic, ce qui m'a beaucoup contrariée, les médecins, c'est comme les confesseurs, je n'aime pas trop en changer. Mais celle qui lui a succédé semble très bien. Elle prépare sa retraite à Pereslavl et exerce encore à Moscou. Elle m'a ordonné des examens, et m'a donné son numéro personnel. Elle soigne aussi par les massages. Elle m'a palpé la colonne vertébrale, sur la table, et j'en éprouvais déjà une sorte de soulagement général. Pour le reste, rien de tragique, et heureusement. Car je vois le moment où les non conformes et les pas assez riches ne seront plus soignés, bien contents si nous ne nous retrouvons pas parqués dans des camps. J'étais très inquiète, au début de l'opération Covid, l'année dernière, non à cause du virus, mais parce que cela semblait déclencher ici une sorte de coup d'état. Sobianine se comportait à Moscou comme un seigneur mafieux dans son fief. Poutine semblait méconnaissable, et surtout extrêmement absent. Puis, alors que la France se transformait en asile de fous qui me rappelait le Rhinocéros de Ionesco, j'observais qu'en fin de compte, la Russie faisait plutôt semblant. J'aurais préféré qu'à la façon de Loukatchenko, elle ignorât carrément tout le cirque de la pieuvre mondialiste. Mais les pressions de la caste étant ce qu'elles sont, je me disais, comme beaucoup de Russes, que Poutine finassait, gagnait du temps, louvoyait.

Or voilà que par l'intermédiaire de Sobianine, l'offensive des psychopathes mondialistes se déchaîne sur la Russie. Vaccination obligatoire pour Moscou et les villes de plus d'un million d'habitants. Le cirque recommence, de plus en plus sinistre, et la caste ne cache même plus ses intentions, soutenues en cela par trop d'imbéciles confiants ou de mesquins avides de jouer les redresseurs de torts. Je ne comprends pas comment il est possible de ne pas voir ce qui se passe, et encore moins comment on peut approuver cela avec enthousiasme, et même la joie mauvaise de voir mettre au pas les récalcitrants, c'est comme un cauchemar. Et Poutine, comme dit Dany, soit il ne peut rien faire, soit il est dans le coup. Contrairement à ce qu'on nous fait croire, il a peu de pouvoir sur ce qui se passe à l'intérieur du pays.

Il me semble que les Russe sont moins prêts que les Français à accepter des vexations et des contraintes inacceptables, peut-être ont-ils déjà trop soupé du totalitarisme dans lequel la France se précipite. Ils croient aussi moins systématiquement ce que racontent les médias. Et pour tout dire, leurs médias sont quand même moins unilatéraux que les médias français.Néanmoins, les pressentiment sinistres ne me lachaient pas hier soir et je ne parvenais pas à aller  dormir. J'ai regardé Regain, parce que Dany l'a beaucoup aimé et moi, dans ma jeunesse, pas du tout. J'avais adoré le livre, j'étais une fan de Giono. Il y avait dans le livre une exultation de la vie, une extase païenne qui semblaient absentes du film. Mon beau-père me disait: "les gens pensent tous que le midi c'est Pagnol, alors que le vrai midi, c'est Giono."

Néanmoins, a notre époque horrible, le film m'a fait retrouver un monde encore normal, celui qu'incarnait mon beau-père. Des gens dignes, simples, humains qui aimaient la terre. Il n'y a même pas une centaine d'années entre ce film et nous, entre Giono et nous, quand je le lisais, ce monde-là existait encore. Il a été si radicalement, insidieusement et impitoyablement détruit que l'on se retrouve au bord de la fracture, de la crevasse qui nous sépare de lui et nous interdit tout retour en arrière, en train de se frotter les yeux avec angoisse, et devant, c'est quoi ? L'enfer transhumaniste, la termitiere bétonnée, le Mordor.

Encore que le Mordor et ses émissaires infernaux aient une certaine grandeur par rapport aux démons auxquels nous avons affaire, tous ces répugnants vieillards génocidaires qui se prennent pour des surhommes et ressemblent à des morts vivants, ces goules politiciennes en tailleur Chanel, ces jeunes gens insipides, froids et propres sur eux qui semblent le produit de copulations virtuelles entre un ordinateur et une imprimante.

Au matin, je suis partie me baigner à l'embouchure de la rivière Troubej. Malgré la lèpre de la laideur contemporaine, subsiste ici quelque chose de vivant et de normal qui disparaît de Moscou, défigurée et incarcérée par Sobianine et ses prédécesseurs dans le verre et le béton. Des barques et des pêcheurs sur les berges, des massifs spontanés de fleurs gracieuses, des bonshommes qui sortent torse nu les arroser, des mamans avec des poussettes.

C'était le samedi des défunts et près de l'église des 40 martyrs se déroulait l'office correspondant. Je suis entrée dans l'eau fraîche, émaillée de fleurs aquatiques, et traversée par une paisible famille de canards. Les chants, les prières et l'encens me parvenaient par bouffées. J'avais choisi la baignade plutôt que l'église, parce que je n'ai pas de parents orthodoxes défunts et qu'on ne sait pas de quoi demain sera fait, si ça se trouve, dans dix jours c'est l'automne. J'avais gagné les deux, la baignade et l'office. J'avais vraiment une impression de grâce. Tout était si harmonieux et complémentaire, tandis que je m'éloignais vers le large du lac, agité de courtes vagues souples d'un bleu verdâtre, sous un ciel profond que hantaient à peine quelques petits nuages blancs. Pendant que tous les démons de la caste s'efforcent de supprimer la vie,  la mutilent ou la contrefont, ici, elle s'obstine, entre l'église et les barques. Des mouettes passaient en craquant, pareilles à des brèches immaculées qui s'ouvraient et se refermaient sur un autre monde. Je me disais que chaque moment de cette sorte qui m'était donné était une victoire sur la mort, sur cette prison en forme de tableau Excel que referment sur la Création de Dieu des malades en costar. C'était cela qui valait la peine d'être vécu. Dommage que trop souvent, les pêcheurs et les promeneurs de Pereslavl, les adolescents et leurs radios, ne s'en rendent pas compte, et rêvent de la "belle vie" qui n'est que la contrefaçon de la vie.

De retour sur la berge, j'entendais la fin de l'office: "Accorde le repos, Seigneur, à tes serviteurs là ou il n'y a plus ni maux, ni chagrins, ni soupirs, mais la Vie éternelle". Elle était là, la Vie éternelle, mystérieuse, immense, adorable et si simple, elle commençait avec les craquelures tourbillonnantes des mouettes, avec les chants et l'encens mêlés au murmure du vent, avec le lac et ses lointains, les barques prêtes à appareiller pour ce fin fond des choses qui en est le sens.

Pour oublier l'horreur totalitaire en marche, je prends chaque jour de ce bel été ma dose de Vie éternelle, mes prémices du paradis, du Prolongement infini dans lequel j'essaie de m'inscrire, c'est là ma prière. 



La vidéo de la Procession du sixième dimanche de Pâques, que l'éparchie a publié:



12 commentaires:

  1. Réponses
    1. Comment vous dire? Je suis effrayée. Mais vos textes ne sont pas très rassurants non plus!

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  2. Vincent Villemont20 juin 2021 à 05:42

    Très beau texte.
    Le Midi de Giono n'existe plus, hélas, mais Giono voyait déjà le Midi de son temps comme une pale survivance de ce qu'il avait été pendant des siècles, avant qu'il ne soit soudainement atteint et dévitalisé par le processus industrialiste.

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    1. Oui, bien sûr. C'est dans son roman le Grand Troupeau qu'il montre la façon dont on a assassiné la paysannerie,l'Union européenne a achevé le travail.

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  3. vous décrivez bien ce que je ressens, depuis longtemps m'habite la fin du film fahrenheit 451 où chaque personne est la représentation d'un lire à conserver précieusement.... ET dans ma petite maison dans la verdure je suis un peu la transmission vis à vis des jeunes qui viennent me voir --- c'est la fin d'un cycle qui a commencé bien avant la guerre mais tous mes questionnements ont pris sens .... MAINTENANT il faut qu'un nouveau cycle commence, j'espère le voir

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    1. Vous faites oeuvre utile, peut-être la seule possible.Je me sens également investie de cette mission de témoignage.

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  4. Je ne vois pas de vidéo de Procession....

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  5. https://www.youtube.com/watch?v=-Dhyg0cy2OU anti-utopie alfa-beta gamma-delta.......Iakov.

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  6. " là, la Vie éternelle, mystérieuse, immense, adorable et si simple, elle commençait avec les craquelures tourbillonnantes des mouettes, avec les chants et l'encens mêlés au murmure du vent, avec le lac et ses lointains, les barques prêtes à appareiller pour ce fin fond des choses qui en est le sens. Pour oublier l'horreur totalitaire en marche, je prends chaque jour de ce bel été ma dose de Vie éternelle, mes prémices du paradis, du Prolongement infini dans lequel j'essaie de m'inscrire, c'est là ma prière." Comme tu as raison ! Magnifique ton style ! Vibrant dans le refus indigné de la laideur et la barbarie humaines, vibrant dans la célébration émerveillée de la beauté et de la pureté de la nature… Continue de vibrer ma sœur ! Le style c'est la femme ! C'est la vraie vie qu'on ne pourra nous enlever, elle est trop enracinée en nous.

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  7. "... Plus fondamentalement, la vie spirituelle, qu'elle soit ordonnée autour d'une religion, chantée par la poésie ou simplement ressentie à travers l'émoi d'une contemplation, doit constituer le cœur de toute existence, comme de toute résistance. C'est en préservant en chacun cette part secrète, nourrie par le dialogue intérieur avec la beauté du monde, que cette existence peut enfin trouver sa plénitude.
    Et alors, l'individu, mutilé par une époque qui l'a coupé de toute transcendance, redeviendra une personne, c'est-à-dire l'union d'un esprit et d'un corps".

    Extrait de l'ouvrage collectif "Résister à la modernité" - Philitt 2014-2020 Ed. du Rocher

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