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mardi 13 août 2024

Marcher sur l'eau

 



C’est l’anniversaire de maman. Elle aurait 95 ans. Je donnerais cher pour prendre le thé avec elle en mangeant des gâteaux. Tout les matins, je regarde de mon lit le portrait que j’avais fait d’elle, il y a très longtemps. Il lui ressemble beaucoup. Elle y figure avec sa chatte siamoise Moumoune. 

Vera est partie ce matin. Elle n’en menait pas large. Elle m’a dit qu’elle ne se supportait plus en Suisse, que les gens étaient étriqués et intérieurement morts, prêts à tout supporter avec enthousiasme et même à dénoncer leurs voisins. Elle reviendra bientôt, je pense. Nous avons dîné avec Marianna et Volodia vendredi soir,  fait hier une fondue, avec Gilles et Lika. Puis des amis de Moscou ont débarqué, et puis aujourd’hui, je devais voir Lisa Fiodorova qui était de passage. En plus des amis, il y a beaucoup de gens qui veulent me rencontrer, et je me sens prise d’assaut, j’ai beaucoup de mal à trouver du temps pour travailler, pour remplir mes tâches quotidiennes, c’est trop...

Samedi, j’étais encore invitée par une communauté religieuse de Moscou, en pèlerinage ici, à chanter et raconter ma vie. Ils étaient tous très gentils, et posaient des questions intéressantes, mais complexes, touchant à la spiritualité, au destin de la Russie, à l’Orthodoxie. J’ai parlé pendant plus de deux heures, et ensuite, ils m’ont retenue à déjeuner, et j’ai encore soutenu de longues discussions. Je n’en pouvais plus, mais j'étais touchée par l'amour général qui m'était témoigné, touchée et même un peu ébahie. Au moment où je partais, deux jeunes femmes ont voulu me filmer pour des vieux dont elles s’occuppent et qui ne trouvent plus de sens à leur vie. Je n’étais pas très à l’aise, parce que je ne savais pas dans quelle situation étaient ces personnes. Quand j’étais à l’hôpital avec le covid, je ne pétais pas la forme, ni physiquement, ni moralement... Elles me parlaient de mon énergie, et je ne m’en sentais pas des réserves si immenses. J’ai répondu que cette énergie n’était probablement pas la mienne.


Le soir, je suis allée faire un tour au lac, avec Katia. Le temps avait bien fraîchi, il soufflait un vent humide et aigre, mais le coucher de soleil était, comme d’habitude, splendide, et nous dévoilait cette contrée grandiose, suspendue au dessus des eaux, d’une beauté étrange et majestueuse. Curieusement, le gros nuage qui barrait l’horizon avait deux yeux brûlants, comme celui que j’avais vu la fois précédente. Dans son ombre apparaissait tout un paysage complexe qui s’en détachait à peine.   Nous parlions de la guerre, de la vilenie, de la cruauté, du satanisme impudent de nos ennemis, et je lui ai dit : « Katia, ils sont entrés en Russie par surprise, et ils y ont commis les pires forfaits, comme ils le font depuis le Maïdan, mais voyez, je ne suis pas une bonne orthodoxe, et cependant, j’ai quand même la foi, car je suis persuadée qu’ils ne peuvent pas gagner cette guerre, ils ne le peuvent pas, parce qu’ils sont trop abjects. Dieu ne peut pas supporter longtemps des gnomes pareils. Ou alors, c’est que le Christ chausse déjà ses sandales pour le second Avènement. »

Elle m’a pris le bras : « Oui, Laurence, vous avez raison ! »

Elle a écrit sur sa page: "J'apprends, ces derniers temps, à seulement concilier l'espérance et la foi avec la totale absence de toute espèce d'attente. J'apprends à marcher sur l'eau."

Учусь в последнее время только одному - сочетать надежду и веру с полным отсутствием каких-либо ожиданий. Учусь хождению по водам.

Elle se fait du souci pour Fiodor. Il lui a dit qu’ils avaient tous très peur, et pourtant, avant d’entrer dans l’armée, il était dans la police... J’ai lu chez Tatiana Joukova que les soldats pour lesquels elle a pris sur elle de prier sont tous vivants, depuis plusieurs mois qu’elle s’y applique.



A cause de cette incursion sur le sol russe, certains triomphent et d’autres paniquent, et j’essaie de rester calme; d'ailleurs, depuis le premier jour que j'ai passé ici, j'ai l'impression d'être rassemblée comme je ne l'avais jamais été auparavant. On dirait, à entendre les uns et les autres, que la voie est ouverte jusqu’à Moscou ou Vladivostok, c’est bien loin d’être le cas. Un de mes correspondants me parle de foire au fake news, il est très circonspect, et je m’efforce de le rester. Un autre parle de "défaite russe", quelle défaite? Ce qui me consterne, dans l'affaire, c'est le mal que ces démons ont eu le temps de faire aux civils, comme d'habitude, mais ils n'ont pas gagné la guerre. Je pense que l’évènement a déjà un effet mobilisateur, et fait sortir aussi de leur trou quelques cancrelats de plus, comme l’oligarque Deripaska, avec sa tête de pourri intégral et ses déclarations indignes. Les gens ont vu qu’on les traiterait comme des animaux de laboratoire, ou les indiens d’Amérique, ou les Palestiniens, que de « l’occident collectif » on ne peut attendre que du sang et des larmes, des tortures et des viols, des parjures et des blasphèmes. La présence de Français dans ce mauvais coup est pour moi un sujet permanent de honte. 

L’affreux petit cabot vert-de-gris a déclaré à l’Orthodoxie la guerre totale, avec le soutien du bellâtre de Paris et de toute la clique infernale dont il est l’émanation. Il s’est trouvé des misérables pour arrêter et juger le métropolite Arséni, et pour prétendre que l’admirable métropolite Longin, qui vient d’avoir un accident, était sous l’emprise de l’alcool...

Ce rammassis de banderistes, de trotskistes, de mafieux et de mercenaires n’ira pas jusqu’à Moscou, mais je sens de plus en plus craquer les amarres qui retiennent notre navire, et je ne sais pas dans quelles tempêtes nous allons nous retrouver. Comment les démons de l’Empire ont-ils pu nous laisser en paix si longtemps ? Peut-être parce que l’URSS les tenait en respect, ils étaient obligés de ménager leurs satrapies inconscientes et d’en laisser les habitants s’amollir dans la société de consommation, la vulgarité et l’hédonisme de bas étage. Mais là, fini de rire, vingt ans de taule pour des opinions exprimées sur les réseaux sociaux en Angleterre, les assassins et violeurs de fillettes et de grands-mères prennent moins cher.  Et en avant les passeports vaccinaux et les QR codes, le cauchemar de science-fiction. L’Europe arrive à l’affreuse destination que lui ont préparée tous ces philanthropes et tous ces humanistes qui lui voulaient tellement de bien.

Youtube va être interdit sur le territoire russe, ce que je trouve complètement idiot, mais je n’y peux pas grand chose. Alors j’essaie de sauver les meubles et de faire passer mes vidéos préférées sur VK. J’ai l’impression de jouer au jeu de «qu’est-ce que vous allez emporter sur une île déserte ? » D’autant plus que je n’ai pas le temps d’écouter et de regarder, je survole. Défilent quinze ou vingt ans de vie, les 3D, Micha, mes chansons, celles des autres, et celles qui me parlent de la France perdue, de la douce France, de celle de mon enfance, de ma famille... Brel, Brassens, Nougaro, Ferré, Trenet, Cora Vaucaire, Fréhel, que tout cela me paraît à la fois famillier et vertigineusement loin, comme le son de l’orchestre sur le Titanic, à travers le fracas des vagues, devait résonner aux oreilles de ceux qui s’éloignaient en chaloupe.







4 commentaires:

  1. Des milliers de kms nous séparent...rien que des kms...prions!!!!

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    1. La mère Hypandia dit que nous sommes toujours ensemble...

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  2. "Dieu ne peut pas supporter longtemps des gnomes pareils. Ou alors, c’est que le Christ chausse déjà ses sandales pour le second Avènement. »Merci...!

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  3. Le portrait de votre maman est vraiment très bon, et l'une de vos photos du lac (celle avec les arbres au milieu) est belle comme un Corot… Bravo !

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