Translate

vendredi 28 septembre 2018

Coucher de soleil


Rosie me fait de nouveau la vie infernale, depuis que Violetta a bloqué les accès. Elle ronge tout ce qu’elle trouve dans le jardin, y compris la rampe d’escalier. Si par hasard elle sort, elle revient par le jardin de Violetta et aboie devant le grillage, m’obligeant à l’appeler dans la rue jusqu’à ce que ça lui effleure la cervelle de faire le tour. Avec les intempéries, c’est merveilleux. Le matin, elle me harcèle pour finir la bouffe des chats et ne regarde pas la sienne, il faut que la bouffe, quelle qu’elle soit, passe par la gamelle des chats pour l’intéresser.  Les imbéciles de chats mangeant à longueur de temps, et jamais tous ensemble, sauf le matin où ils me prennent d’assaut au réveil, elle s’attaque sans arrêt à leurs assiettes et après, je n’ai plus rien pour les nourrir.Je n’ai aucun contrôle sur cet être aberrant, qui ne pense qu’à me truander, ni aucun langage commun. Elle ne m’apporte pas la compagnie d’un chien qui comprend vraiment son maître autrement que pour tirer parti de ses faiblesses afin de satisfaire ses caprices. Elle me garde et elle empêche les chats étrangers de venir. C’est tout ce que je peux en dire de vraiment positif. Naturellement, je culpabilise, car elle vient me trouver avec sa baballe et me la fourre avec insistance dans les jambes, et je n’ai aucune envie de jouer avec elle, elle est trop grosse, trop brutale. Étonnant d’ailleurs qu’elle ne soit absolument jamais fatiguée.
Comme en fin d’après midi, le vent dispersait les nuages, j’ai décidé hier d’aller la promener. Je suis tombée sur la gardienne de chèvres, Nadia, qui a maintenant aussi des vaches, et j’ai passé un moment avec elle. Rosie aime jouer avec le bouc, Lavroucha. Nadia est un être surprenant. Elle connaît très bien les plantes et leurs propriétés médicinales, comme beaucoup de Russes. Et elle m’a longuement parlé de sa passion pour les couchers de soleil de sa ville natale : «Tu me dis que tu trouves notre ciel unique, pourquoi, à ton avis ?
- Je ne sais pas, les nuages sont colossaux, avec des architectures extraordinaires, et de magnifiques jeux de lumière et d’ombre.
- Le truc, c’est que s’interpénètrent plusieurs niveaux de nuages, plusieurs corps de bâtiments. Certains restent immobiles comme des rochers, là où ils sont, il n’y a pas de vent. Et d’autres sont déplacés à toute vitesse et attrapent la lumière, et ils changent de couleur et prennent toutes sortes de formes. Voir le soleil se coucher sur le lac, il y a des gens qui viennent tous les jours exprès pour cela. Moi, je me demande chaque jour ce que le Seigneur me prépare comme merveille. Et quand je la vois, je lui rends grâce, car il sait exactement ce qu’il faut m’envoyer.
- Tiens, en face de nous, cela devient vraiment beau, comme deux grandes ailes d’or qui s’ouvrent…
- Oui, les ailes d’un ange fort et puissant. »
Nous nous trouvions dans la cour de la « baraque » écroulée, qui a été en partie nettoyée des ordures que des cochons y jettent périodiquement. Elle y avait passé son enfance : «C’était une maison des années 50, elle avait été très bien construite, elle était agréable, et la cour était très bien entretenue, avec des fleurs, et des vieilles sur les bancs. Il y a quelques années, des gens avaient des projets immobiliers, ils ont fait partir les habitants, et puis cela ne s’est pas fait sans doute, et très rapidement, la maison a été pillée, et des cochons sont venus balancer des ordures en douce, le toit est tombé, et ainsi de suite. »
Des fleurs subsistent, des cosmos, des soucis, j’ai  pris des graines. « D’ici, ai-je dit à Nadia, le point de vue est jolisur la cour et la maison en briques, là bas, je pourrais faire une aquarelle…
- Et l’escalier en bois écroulé, devant, tu le garderais ?
- Sans doute, il est intéressant.
- Si tu enlèves l’escalier, tu auras une maison dans le lointain, avec les arbres de la cour, et si tu laisses l’escalier, tout le monde comprendra que voilà, c’est fini, la maison est morte. »
Nadia aime ses chèvres et ses vaches, elle aime sortir avec elles les promener. Je lui ai parlé d’Henri, qui regrettait de ne pas l’avoir vue et photographiée, sauf une fois, à la fin de son séjour, et si vite qu’il n’en avait pas eu le temps. « Oh, il fallait m’appeler, je serais revenue pour la photo ! Quelle gloire pour moi que les photos de mes chèvres partent en France ! »






jeudi 27 septembre 2018

Exaltation de la Croix



J’ai dîné ce soir avec le père Constantin qui m’avait apporté des « rapouchkas », des poissons du nord, et du lac Plechtcheïevo. Nous avons eu de grandes discussions littéraires, spirituelles et même politiques, disons que la politique rejoint la métaphysique et peut-être même l’eschatologie, avec  la trahison de Bartholomée et l’attaque de l’empire mondialiste contre l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne et le métropolite Onuphre.  Je trouve confirmation de mon intuition à son sujet : Dieu a placé à la tête de cette Eglise un homme providentiel, un saint homme. A la lumière de sa sainteté, les masques tombent, et il faut être singulièrement aveugle ou volontairement ignorant pour ne pas voir ce qui se passe. Si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise, il est martyrisé par ce pouvoir inique et ceux qui le téléguident,  son sang retombera sur la tête de ses assassins et des judas en soutane qui l’auront livré.
Ce matin, je me suis réveillée migraineuse et il pleuvait des cordes. J’ai commis le péché de rester chez moi comme une méduse au lieu d’aller à l’église, le jour de l’exaltation de la Croix… J’en ai pleuré devant les icônes, en pensant à tout cela, à tout ce qui menace les chrétiens et auquel je ne suis pas prête. Le père Placide avait raison de dire que sans Dieu, on ne peut rien.
Ma voisine Violetta a complètement bouclé les accès de Rosie. La clôture ressemble maintenant vraiment au mur de Berlin. Je m’en suis rendu compte au fait que Rosie détruisait méthodiquement les plessis qui bordent mes massifs, et arrachait les iris que j’avais plantés, elle a même commencé à ronger la rampe neuve de mon escalier : ne pouvant plus sortir, elle s’emmerde. J’ai fini par la lâcher un peu.  Mais elle s’est précipitée chez la voisine, et cette fois, sans pouvoir franchir l’obstacle pour revenir chez moi. Si elle doit rester enfermée dans le jardin, elle va tourner bourrique et moi aussi. J’imagine ce que cela donnerait si je la mettais à la chaîne ou dans un enclos… Tout le monde m’affirme que pas du tout, mais si… Elle a une énergie démentielle, besoin de parcourir des kilomètres, de jouer avec des chiens ou des gosses.
Pauvre Rosie, tout le monde en a marre.  A part mon voisin d’en face Nikolaï qui va à la pêche avec elle. Je suis partie la promener, car un vent de plus en plus violent bousculait et déchirait les nuages, et le soleil surgissait, avec de grandes mains bleues. Je suis allée jusqu‘au lac. Qu’il était vaste et beau, aéré, absorbant… Quelles couleurs, des verts sourds, profonds, des bleus célestes, et ces énormes nuées, ces escaliers éblouissants sur des falaises d’ombre, pareils à l’échelle de Jacob, que montaient et descendaient des anges de lumière... Je me suis assise sur une balançoire, j’aimais tant me balancer en regardant le ciel, quand j’étais enfant, chez mon grand-père, à l’Armençon, le ciel, le cerisier en fleurs, le ciel, le cerisier en fleurs…
Le lac écumait, crispé comme une grande étoffe riche et bouillonnante, et sur lui glissaient d’heureux canards, à quand la glace et la neige ? Bientôt, déjà, bientôt…
Rosie dansait sur le sable et venait fourrer son nez sur mes genoux.  Au retour, elle a trouvé un copain, et j’ai continué seule. Je suis entrée dans la seule boutique de Pereslavl où on trouve de jolies choses, des antiquités, mais aussi de beaux coupons de lin, des nappes et des dessus de lit, des vêtements de lin dans le style ancien, eh bien elle va sans doute fermer, elle ne fait pas recette, les gens préfèrent les horreurs de mauvais goût dénommées « souvenirs », ce fatras pseudo-folklorique qui a remplacé l’artisanat véritable. Je m’entends bien avec l’adorable vendeuse, nous avons discuté. Au supermarché voisin, je suis tombée sur la variante chinoise du con moderne, une équipe de touristes hagards, bruyants et encombrants. Et je suis repartie chez moi, derrière les grands nuages, de plus en plus noirs et fulgurants, de plus en plus fous, tandis que croissait le vent, un vent à décorner les bœufs, à m'emporter avec mon parapluie. Rosie m’attendait à l’arrivée, et le ciel était devenu si fantastique, que je l’ai photographié.
Est-il possible, mon Dieu que tout cela finisse, que toute cette beauté disparaisse, que nous ayons raison de toute cette fête de la vie que tu nous a créée et que nous ne savons qu'exploiter et souiller, tourmenter et détruire, de toutes les manières?



J'aime ces étangs que je rencontre un peu partout dans ma Camargue froide, avec les canards posés sur leurs miroirs d'argent.


et voici le lac





 


Et puis, le soir venu, le ciel:




mardi 25 septembre 2018

Des prières pour monseigneur Onuphre



La situation générale dans notre monde se dégrade à vitesse vertigineuse. Outre l'écologie absolument, fantastiquement désastreuse, il  n’est pas de jours sans viols, coups de couteaux ou lynchages en Europe, de la part d’envahisseurs que tout encourage à se conduire comme des cochons, ou plus simplement, comme des pirates, comme les Huns, les Turcs, les Mongols, les Sarrazins. Seulement autrefois, les seigneurs mouraient pour nous, aujourd’hui, ce sont eux qui nous livrent.
Quoique en l’occurrence, le mot de « seigneur » est beaucoup trop noble pour la bande d’usuriers, de mafieux et de pervers à l’œuvre de façon transnationale.
Ils essaient de faire pression sur les patriarches qui refusent de reconnaître l’autocéphalie de l’Ukraine et j'imagine les intimidations et les chantages auxquels ils doivent avoir recours. Un émissaire des ténèbres est venu d’Amérique tenter de gagner à sa vilaine cause le patriarche Ilyas de Géorgie, il paraît heureusement que c’est un saint homme. L'Athos a mis longtemps à se prononcer, et c'est l'higoumène du monastère Saint Paul, Parthène, qui l'a fait avec vigueur, contre l'ignoble manoeuvre des maîtres du monde. 

« Si l’Ukraine entre dans l’Europe, des choses encore pires que celles qui sont advenues à la Grèce s’y produiront. Aussi, nous devons être très prudents. Nous devons prier Dieu, la Très Pure Mère de Dieu, les saints. Seul le Seigneur peut nous délivrer de cette situation difficile dans laquelle nous nous trouvons maintenant ». Évoquant l’époque moderne en général, le père Parthène à déclaré : « La nouvelle époque va tout détruire. Elle détruira la famille, elle tentera de détruire l’Église, elle détruira tout de telle façon que rien ne restera. Les gens vont vers le mal, et ils le font à une vitesse vertigineuse. Qui peut contenir cette vitesse ? Seul le Dieu bon qui soutient le monde ». Et dans un avertissement donnant à réfléchir, il a ajouté : « Une tempête va venir qui sera plus terrible que le communisme… Ce qui est en train de venir maintenant est pire. Que le Seigneur nous sauve tous ! »

Je partage entièrement l'avis du père Parthène, il dit l'essentiel en peu de mots. Ce qui se prépare, ce qui se met en place est pire que tout ce que nous avons connu dans le genre, et ce n'est pas Poutine qui en est responsable, mais je crains qu'il ne soit pas assez fort  pour s'y opposer de façon efficace, car la Russie n'est pas exempte de métastases... il faut compter sur l'aide de Dieu.
On bave des calomnies sur les orthodoxes ukrainiens, on  a mis l’higoumène de la laure de Potchaïev sur « liste noire », et je viens de voir dans un article qu’on pourrait essayer de  « liquider » le métropolite Onuphre, ce que je redoute beaucoup.
L’octroi du tomos par Bartholomée déclenchera la saint Barthélémy des orthodoxes de là bas, dont leur président a déclaré qu’ils « n’étaient pas ukrainiens », ce qui signifie qu’on pourra les massacrer joyeusement, comme les « doryphores » et les « ouatinés » du Donbass…
En réalité, Porochenko n’a pas tort, les Ukrainiens, ce sont les citoyens illusoires d’un pays synthétique, à l’histoire falsifiée, ce ramassis d’hystériques haineux au folklore néonazi qui ont livré leur société à la ruine et à la guerre. Les fidèles du métropolite Onuphre, eux, les fervents et héroïques participants de ses processions impressionnantes, ce sont des petits-Russiens, enracinés là depuis la nuit des temps, partie intégrante de ces trois Russie dont le tsar portait la couronne.
Pendant ce temps, une partie des orthodoxes occidentaux emboîte le pas à Bartholomée avec une hargne incroyable. Comme quoi l’hypnose peut inspirer n’importe quel sentiment aux imbéciles et leur faire accepter, d’emblée et sans vérification, n’importe quelle infamie. Heureusement, il me semble que ce ne sont pas les plus nombreux.Et puis, ils ne savent pas, ils ne veulent d'ailleurs pas savoir, cela remet trop de choses en question. Mais le patriarche Bartholomée, lui, sait ce qu'il fait.
La grande vénération et l'amour des orthodoxes ukrainiens pour le métropolite Onuphre s'exprime dans ce post de Victor Startchikov, que j’ai trouvé sur facebook et que je cite plus bas.


"Je ne connais pas sur cette terre d'homme plus FORT, qui résiste à toutes les tentations, aux chantages, aux menaces. Je suis heureux que sa Béatitude ait un jour posé les mains sur ma tête pécheresse, ai béni le chapelet que moi, indigne, je tenais à la main. Je suis heureux de vivre avec lui sur la même terre et au même moment. C'est un exemple vivant pour nous tous. Comment vivre, lutter, rester dans la vérité et n'avoir peur de rien. Recueillez chacune de ses paroles, en elles est la force. Gloire à Dieu pour tout."

Ces gens se feront tuer derrière leur métropolite, pour la foi orthodoxe et pour la vérité. Ceux qui écoutent Bartholomée et ses supporters auront du sang sur les mains, je préfère être avec le métropolite Onuphre qu'avec eux, c'est pour moi une certitude. Et j'ai pris l'habitude de le mentionner chaque jour dans mes prières. Il est en ce moment l'Orthodoxie incarnée, son honneur, sa lumière, sa fermeté, et son amour.

dimanche 23 septembre 2018

Etoiles


Orage ce matin, pluie toute la journée, le moment de grâce est fini, je peux ranger les robes d’été et décrocher mon hamac…
Je me suis poussée pour aller à l’église, j’ai beaucoup de mal à y aller, je déteste être obligée de sortir le matin. Quand l’office est tôt, comme chez le père Valentin, je tombe du lit dans mes vêtements, me traîne somnolente et à neuf heures c’est terminé. Mais là ça commence à neuf heures…
Cependant, une fois sur place, j’étais au bord des larmes tant le chant des chérubins, qui a motivé pourtant les pires compositions religieuses de l’ère post Pierre le Grand, tout à coup m’émouvait. Il me rappelait les chants populaires, il était retenu et grave, avec quelque chose de tendre, il me contenait soudain toute la Russie.
Le père Constantin parle souvent de moi sur sa page facebook. Il m’a consacré tout un post :
--- Oh, où étais-je donc, hier soir ? … eh bien j’étais, mes amis, chez une réfugiée de la belle France, Laurence Guillon, qui vit à Pereslavl et chez laquelle on doit se rendre en évitant d’énormes flaques, le long d’une énorme baraque aux fenêtres obturées, comme je n’en voyais même pas dans notre zone de camps polaires. Une petite maison verte, modeste, mais aménagée avec un goût irréprochable, c’est là un atelier d’iconographe, où j’ai remarqué sur le mur une vielle à roue, ce que je n’avais vu jusqu’alors que dans « l’enfer des musiciens » de Boskh, et des gousli, et aussi, de vraies chaises paysannes peintes en vert avec des sièges paillés, les mêmes que quelquefois sur les tableaux de Van Gogh. Pendant notre conversation, j’ai appris un épisode, inconnu de moi jusqu’alors, du déracinement de tout ce qui était russe par l’internationale qui avait conquis notre pays. Il apparaît que fut convoqué par eux à Moscou un festival des vielleux, et quand ceux-ci  s’y rendirent, naturellement, on les arrêta  et on les fusilla jusqu‘au dernier. Détail que confièrent à Laurence ceux qui recueillent les miettes du folklore russe authentique, remplacé, dans les clubs de campagne, par des improvisations à base de matriochkas  et de bouleaux, au moment de la tout aussi légendaire « stagnation ». En gros, il était important non seulement de détruire la culture russe populaire, mais de la remplacer par cette honte, sous laquelle on la présentait. Nous avons parlé aussi de l’exode commençant des chrétiens occidentaux devenus orthodoxes, d’Amérique et d’Europe en Russie (il se trouve qu’à Rostov le Grand exerce maintenant son ministère un père qui fut un pasteur protestant aux USA, Américain de souche). Ici, au moins, on n’inculque pas aux enfants que l’homosexualité est la norme et ils peuvent décider librement de ce qu’ils sont : des petites filles ou des petits garçons. Et cette brève conversation (j’avais le lendemain matin un service épiscopal) s’acheva par des étoiles : il y en avait hier beaucoup. Laurence se plaignit que les étoiles  du sud de la France (la Provence ?), qui sont là bas plus nombreuses et plus grosses, lui manquaient, et pour admirer celles d’ici, elle est gênée par la vive lumière des lampadaires. Et je me suis souvenu à nouveau, bien sûr, de Van Gogh…
Cela m’a beaucoup touchée, car j’aime beaucoup Van Gogh, c’est sans doute mon peintre préféré, et celui qui me restitue le mieux la fascinante exubérance du midi.
Ce même prêtre dit ailleurs que je suis plus russe que les Russes, et un Russe d’origine arménienne trouve absurde qu’on veuille « devenir russe ». Or je n’ai pas essayé de devenir russe, et même, je pense être restée pas mal française. Je suis juste archaïque. Henri, par exemple, qui est profondément Français, est aussi profondément orthodoxe, et très sensible à la mentalité russe, parente de la sienne, parce qu’au fond, il est en prise, comme moi, avec notre passé paysan et chrétien médiéval, et c’est sur ce terrain que nos racines rencontrent celles des Russes et partagent la même sève.

le tableau de Van Gogh associé par le père Constantin à son récit. Oui, c'est bien ça...


...ой, где был я вчера (с)... а был я, друзья мои, у беженки из прекрасной Франции Лоранс Гийон, живущей в Переславле, идти к которой нужно, огибая огромные лужи, мимо огромного, с заколоченными окнами, барака, каких я не видел и в нашем лагерном Заполярье. Зеленый домик, скромный, но с безукоризненным вкусом отделанный, он же - иконописная мастерская, где на стене я приметил колесную лиру, виденную доселе лишь в "аду музыкантов" Босха и гусли, а также - настоящие, крашенные в синий цвет, крестьянские, с соломенными сиденьями стулья - те самые, что часто встречаются у Ван Гога. За разговором узнал неизвестный мне доселе эпизод из истории искоренения всего русского завоевавшими Россию интернационалистами. Оказывается, в Москве был объявлен ими фестиваль лирников и когда те туда съехались, их, разумеется, арестовали и расстреляли всех до единого. О чем поведали Лоранс собиратели последних крох аутентичного русского фольклора, замененного на сельскую клубную самодеятельность с кокошниками и березками в тоже уже легендарные теперь времена "застоя". В общем, важно было не только уничтожить русскую народную культуру, но и заменить ее на вот это позорище, за которое она выдавалась. Поговорили также о начинающемся исходе западных христиан, принимающих православие, из Америки и Европы в Россию (в Ростове Великом, оказывается, служит батюшка, что был в США протестантским пастором, природный американец). Здесь, по крайней мере, не внушают детям, что гомосексуализм - это нормально и они сами вольны решать, кто они: мальчики или девочки. А закончилась эта недолгая (на утро - архиерейская служба) встреча звездами: их вчера было много. Лоранс пожаловалась, что скучает по звездам юга Франции (Прованс?), которых там больше и они намного крупнее, а любоваться здешними ей мешают яркие фонари. И мне, конечно же, снова вспомнился Ван Гог...


samedi 22 septembre 2018

La cigarette du condamné


Je savoure les douceurs de cet été indien comme un condamné sa dernière cigarette. Et pourtant, tout en sachant que cela va prendre fin après-demain, cela semble éternel, ce miracle, cet air doré qui déteint sur les arbres et emporte au dessus des fleurs qui s’attardent des feuilles éclatantes, et puis  ces jolis papillons, les jeux des canards sur les reflets de l’eau. On ne peut croire que très vite, vont venir les intempéries, les frimas, la glace, la neige, et pour longtemps, que deviendra la minuscule coccinelle qui rampe sur l’icône que je peins, et l’oiseau qui exulte encore, tant qu’il le peut. Moi aussi, j’exulte tant que je le peux, c’est ce que j’ai fait toute ma vie, à la moindre occasion.
J’ai décidé d’aller me promener, et Rosie m’a suivie. J’ai longé la rivière, enchantée par ses dorures, ses soies et ses satins glissants, bleus et verts, et les canards dérivants. J’ai escaladé le « val » : que de lumière, et malgré tous les monstres bâtis ça et là, encore de beaux points de vue sur les églises. Ce qui sauve Pereslavl, malgré le saccage qu’en ont fait ses habitants, c’est la verdure l’été et la neige en hiver…
J’aurais voulu voir la ville quand le prince Alexandre y vivait, quand là où je marchais se dressaient les remparts de bois… Que la ville est ses habitants devaient alors être beaux, oui, il est difficile d'imaginer une telle beauté de nos jours, encore que moi, je l'imagine, ou la retrouve, je ne sais, c'est ce qui me rend la hideur et la cacophonie de notre époque si odieuses.
Je voulais finir ma promenade au café français, mais Rosie n’est pas du genre à m’attendre à la porte, et j’ai dû rentrer à la maison, avec plein de photos. Encore une journée, une journée d’été dans l’automne, de soleil dans tous ses trésors. 
Les gens du voisinage travaillaient dehors avec la fichue radio. Platon disait que pour connaître un peuple, il fallait écouter sa musique. La musique du peuple russe était la plus belle du monde, et il y a encore cent ans, elle devait bruire partout avec le  vent et les oiseaux, en harmonie avec ce qui brille, scintille, s’élance, dans l’eau et dans les airs. On l’a fait taire depuis, et parce qu’il a perdu sa musique, ce peuple a perdu une bonne partie de son âme, comme le peuple français, comme tous les peuples victimes de la modernité et de la mondialisation. 
Mais ici, malgré tout, dans l'air rose et blond du soir, on entend encore les carillons des cloches... Et c'est déjà quelque chose. 














vendredi 21 septembre 2018

Le 21 septembre

En France, c’est le premier jour de l’automne, en Russie, il commence le 1° septembre. Il a fait un temps ensoleillé merveilleux. Ce matin, en arrivant à l’église pour la fête de la Nativité de la Mère de Dieu, j’ai trouvé Rosie devant la porte, avec un petit garçon. Je n’avais qu’une peur, c’est qu’elle me suivît à l’intérieur. Je l’ai retrouvée à la sortie, mais impossible de la faire monter dans la voiture. Elle m’a poursuivie un moment, et puis elle a perdu ma trace.
La douceur de l’air et la lumière m’ont attirée dehors, je suis allée travailler sur mes icônes dans le jardin.  Avec Georgette qui faisait bouger la table, rien n’est parfait. Un oiseau chantait. Dire que dans trois semaines peut-être, il peut tomber les premiers flocons… Pauvres petits oiseaux russes. Et les papillons aussi voletaient alentour, insouciants, quelques fleurs s’épanouissent encore, les plus tardives. Ce répit ensoleillé et tiède va durer encore deux jours. Et puis ce sera fini : la pluie, dix douze degrés. Le chauffage.
Sur la fin de l’après-midi, j’ai vu revenir Rosie, mouillée et boueuse, elle a dû se baigner dans les étangs environnants. Je n’ai aucun contrôle sur sa vie. Au grand scandale de la dresseuse de chiens…
Des montgolfières sont passées en grand nombre, pareilles, au dessus des fils électriques, à un rassemblement d'oiseaux migrateurs: sans doute les dernières ou les avant-dernières de la saison.
Je fais beaucoup de plantations ou plutôt de transplantations, pour peu à peu structurer mon jardin. J'ai trouvé à l'arboretum de Pereslavl des plants et des conseils, diverses variétés de spirées, qui viennent bien. La vendeuse m'a dit d'essayer de planter des fruitiers nains, sur mon marécage, confirmant une idée que j'avais déjà eue: leur système racinaire étant moins développé, ils devraient rester au dessus de la nappe toute proche. Il est vrai qu'ils ne vivent pas très longtemps, une quinzaine d'années, mais il n'est pas sûr que je vive moi-même beaucoup plus. 
D'après un ami architecte, l’église du métropolite est un « monument historique d’importance fédérale », ce qui veut dire que pour le restaurer, il faut un projet homologué qui coûte une fortune et une entreprise homologuée qui coûte une fortune et fait généralement le genre de restauration merdique qui me rend malade à chaque pas. Mais l’état ne débloque pas d’argent, pour ces innombrables « monuments historiques d’importance fédérale », il les laisse pourrir. Cela dit, dans les divers monastères du coin, on n’a visiblement pas fait intervenir les instances en question, et pourtant, les églises du monastère saint Nicétas datent aussi d’Ivan le Terrible, ce dont à part les moines et les amateurs, tout le monde se foutait et se fout encore. Mais dans le cas qui nous occupe, l’évêque étant sur le coup, il y aura sûrement des solutions… Pour l’instant, un petit vieux essaie tout seul de fermer les fenêtres ouvertes à tous les vents et de balayer les crottes des pigeons qui se sentent chez eux sous la coupole.
D’après ce que j’ai compris, le fin du fin est d’attendre l’écroulement du monument historique qui permet aux entreprises de se déranger pour quelque chose de juteux et de radical dans le genre Disneyland qu’elles affectionnent.



mercredi 19 septembre 2018

Rencontre avec la Croix


Hier, j’ai eu je ne sais combien de coups de fil me disant que Rosie était dans le « sixième quartier », le quartier en béton soviétique de Pereslavl, ce n’est pas la première fois, mais là, c’était sans arrêt, même la dresseuse de chiens s’en est mêlée. Elle voudrait que je misse Rosie à la chaîne ou en cage, et je ne sais plus quoi faire, car je sais très bien qu’elle deviendrait enragée, et elle passe sous la clôture que j’ai faite à grands frais. En fait, elle va faire la sortie des écoles, pour rencontrer des enfants, elle s’ennuie ici, avec son énergie démentielle.
Je ne cesse de penser au petit chien que je n’ai pas pris. Est-ce normal ? Je devrais être soulagée de ne pas avoir fait de connerie, il n’en est rien. 
Mon amie Lioudmila la juriste m’avait demandé de l’emmener, avec une copine qu’elle reçoit, voir la croix miraculeuse de Godenovo. J’ai accepté, mais ce matin, pluie et froid humide, je n’en avais aucune envie, d’autant plus que j’y étais allée il n’y a pas longtemps et que cela m’avait fait mauvaise impression, avec ce projet de basilique sainte Sophie bis en pleine campagne russe, ce qui est inutile et du dernier mauvais goût. Mais je n’avais plus le choix.
Nous avons fait la route sous la pluie. Les arbres jaunissent et rougissent à vue d’œil. Ils font leur fête dans la grisaille, avant de s’endormir tout nus. L’église paysanne de Godenovo est très jolie, légère, avec ses petites coupoles pareilles à des fleurs en bouton, elle n’a vraiment pas besoin d’une énorme basilique juste à côté.  Je pensais à tout cela, en entrant dans la nef, et en jetant un regard hostile au sol de marbre poli complètement déplacé qui me rappelle le sol d’un hôtel de luxe ou d’un riche centre commercial. Mais puisque j’étais venue, il fallait quand même aller vénérer la croix. Et donc j’y vais, je me prosterne, je baise la vitre fermée, et tout à coup, j’ai ressenti un grand afflux de grâce, comme une source jaillissant dans mon cœur, et les paroles de la prière de Jésus me venaient spontanément, en cascade, et tout se bousculait dans mon esprit, l’Ukraine, le schisme, le métropolite Onuphre pour lequel je venais de commander des prières, mes péchés, mes craintes, mes espoirs, le petit chien, la Russie, la France, mes chers défunts, tout était à la fois neutralisé et contenu dans ces mots qui semblaient se succéder d’eux-mêmes en moi : « Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi, pécheur… » Et je restais les yeux clos, les mains posées sur la vitre, au contact de cette force, de cette mystérieuse et puissante douceur qui se manifestait, comme souvent dans mon cas, complètement par surprise, alors que je ne l’attendais pas, que j’étais même dans un mauvais esprit, dans une humeur maussade. En entrant dans l’église, je m’étais demandé si j’achèterais une reproduction en bois de la croix, et puis j’avais pensé : « Non, je suis fauchée, et je ne veux rien donner pour la basilique bis et le marbre poli ». Mais là, m’arrachant au voisinage de la croix miraculeuse, j’ai volé jusqu’à la vendeuse de cierges pour en acquérir une réplique.
Cette femme me regarde alors et me dit : « N’êtes-vous pas de Pereslavl ?
- Heu… si on veut. J’y habite…
- Laurence ?
- Oui…
- Je suis la mère de Katia… »
Katia, quelle Katia ? J’en connais des Katia, Olga, Irina, Lioudmila…
« La femme de Dima », me précise-t-elle. Ah oui, Dima le cosaque qui a acheté ma datcha. Nous nous saluons, nous échangeons nos numéros de téléphone. « Allez poser votre croix contre la Croix… Elle fait des miracles, vous ne pouvez savoir le nombre de miracles que je vois… »
Je retourne à la Croix, maintenant, le gardien a ouvert la vitre. Je peux y appliquer ma réplique : « Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi »… Ah oui, c’est certain que la Croix de Godenovo a quelque chose de spécial... Elle a ouvert une fontaine de joie dans mon cœur tourmenté.
Et cela, malgré la basilique et malgré le marbre poli. Il paraît que les magnifiques dalles de fonte anciennes, arrachées pour transformer cette église de campagne en salle des pas perdus d’hôtel new-yorkais,  sont toujours quelque part sur place, Lioudmila voulait me les montrer, mais j'avais froid sous la pluie et les voir m'aurait fait trop mal! En assistant à la fin de la liturgie, je réalisais à quel point cela devait être plus beau avec un sol sombre et mat, qui devait mettre naturellement en valeur l’iconostase dorée du XIX° siècle…  Mais mon amertume avait disparu dans la douceur de ma rencontre avec la Croix.  Le prêtre avait l’air extrêmement bon, joyeux, il faisait plaisir à voir.