J'ai passé les vigiles de l'Annonciation au monastère Fiodorovski, parce que Katia m'avait affirmé que notre évêque allait y officier, alors que j'avais vu qu'il serait à la cathédrale. C'est moi qui avais raison, pas d'évêque. Cependant, les soeurs m'ont fait un accueil touchant, et le nouveau prêtre, le père Igor, m'a fait très bonne impression. Je lui ai dit que les provinciaux me paraissaient beaucoup plus sensés et fermes que les moscovites, et il m'a répondu (il est de Khabarovsk) que les moscovites étaient des pieds tendres.
Katia m'avait raconté la veille que l'higoumène Pantaléimon, aimé de tous pour son intelligence, son humour, sa jeunesse et son beau regard lumineux, était revenu de Moscou en tançant ses ouailles de ne pas porter de masque, de ne pas rester chez elles, et il a même essayé d'en faire porter un à une de ses vieilles paroissiennes qui l'a jeté par terre.
Le lendemain, à l'église de l'Annonciation du monastère saint Nicolas, où officiait bien, cette fois, l'évêque, il y avait tellement de monde que je n'arrivais pas à m'asseoir, tous les orthodoxes de Pereslavl semblaient s'être réunis. L'office a été long, et je souffrais, mais la ferveur était grande, le credo et le notre Père chantés à pleine voix par toute l'assistance, et je pense qu'absolument tout le monde a communié. Quand je suis allée embrasser la croix, l'évêque me l'a simplement posée sur la tête, avec un sourire de connivence affectueuse.
En rentrant chez moi, j'ai vu que dans son homélie, un écclésiastique de ma connaissance avait dit à ses fidèles, dans une autre région: "Bientôt, ce ne sera plus de masques dont vous aurez besoin mais de pampers, car vous ferez tous dans votre froc".
Je peux dire que la province ne reçoit pas tellement les exhortations du patriarche, du métropolite Hilarion et du métropolite Tikhon Cherkounov. On ne les critique pas, mais le courant ne passe pas, et on prend des airs lointains, des airs d'entre deux airs, comme disait ma mère. Les gens sont calmes, déterminés, on sent en arrière-plan la longue expérience des persécutions, l'écho de la mentalité des Russes du XVII°, ligués contre les Polonais derrière Minine et Pojarski. Les babouchkas, les mères de famille à nombreuse marmaille, les cosaques agenouillés, respirent la mobilisation, et se prodiguent des encouragements affectueux réciproques. Tout le monde est profondément complotistes: le virus est exploité par la caste supranationale pour installer la dictature mondiale de l'Antéchrist et marquer les gens du signe de la bête, soit la puce électronique, en détruisant les peuples encore homogènes et les Eglises résistantes. Et nous, nous devons trouver le moyen d'éviter çà. Pas de marque de la bête.
Il est vrai que l'homélie de l'évêque allait dans le sens du patriarche, qui souffre tellement d'avoir à nous dire de ne pas aller à l'église qu'il en verse des larmes, et je crois qu'elles sont sincères. En même temps, il ne nous dissuade pas d'y aller non plus, car dans toute la région de Iaroslavl, il y a un cas de coronavirus à Rybinsk, et 4 ou 5 à Iaroslavl, aucun à Pereslavl Zalesski. Ce n'est quand même pas la peste bubonique, où les gens mouraient par villages entiers.
Bien entendu, nous serions dans un autre contexte politique, sur la planète entière, que nous réagirions peut-être différemment. Mais avec la méfiance que j'ai accumulée depuis plus de 30 ans, depuis la première guerre d'Irak, en passant par la seconde, précédée du 11 septembre, l'opération yougoslave et celle d'Ukraine, sans oublier la Lybie, les monstrueuses intoxications médiatiques que j'ai vues à l'oeuvre, je me retrouve aussi complotiste que la population orthodoxe de Pereslavl Zalesski, et bien contente de vivre tout cela avec elle.
Une amie Russe, soeur d'une célèbre politologue, m'a adressé une conférence de virologues russes dont voici le lien.
http://pravosudija.net/article/novyy-koronavirus-sars-cov-2-fakty-i-feyki?fbclid=IwAR3dxn9brILFw01TLXCVkn3ULxNa_0UKgfzxYHOOLzKFDnsvf_MQFjp1pLo
Je ne la traduirai pas, mais Xavier Moreau la mentionne sur la vidéo suivante, qui fait le point de l'hystérie alarmiste et de la désinformation occidentale au sujet de la Russie, prenant ses sources dans une certaine presse, qui lui est proche, qui sort du même chaudron, et qui a, comme la nôtre intérêt à terroriser les gens au delà de toute expression.
Il dit d'autre part que la Russie a beaucoup moins de victimes, car elle était bien préparée par la tradition soviétique de lutte contre les épidémies, et je la salue, quand quelque chose de soviétique est bien, il n'y a pas de raison de le cacher. En effet, je me souviens que les écoles russes fermaient systématiquement, dès qu'une maladie contagieuse était dans l'air, et qu'un enfant susceptible d'être malade restait à la maison, ce qui provoquait les railleries de mes collègues du lycée habitués à voir des enfants français venir très enrhumés, voire même avec de la fièvre, bourrés d'antibiotiques,parce que les parents ne savaient pas qu'en faire.
Néanmoins, malgré le nombre restreints de victimes, les sages mesures soviétiques, un traitement comparable à celui du docteur Raoult que chez nous, on s'obstine à ne donner aux gens que dans la mesure où il est trop tard pour l'administrer, la presse matraque de la terreur aux gens à longueur de temps, d'après les gens de ma connaissance qui ont la télé. Le patriarche nous demande en pleurant de rester à la maison, mais ne dit jamais un mot du contexte international de l'affaire, de ses arrière-plans sinistres et de ses effrayantes conséquences sur notre vie, notre liberté et notre dignité d'êtres humains. Un contexte dont parle très bien Loukatchenko et par exemple, ici, ces deux économistes. Le métropolite Tikhon va jusqu'à envisager "40 millions de victimes", ce qui ne semble pas du tout entrer dans les prévisions du virologue de la conférence.
Mes petites copines complotistes m'avaient ensuite invitées à fêter l'Annonciation chez elles, avec de délicieuses tranches de saumon, salades bien fraîches, pommes de terre sautées aux poireaux. Nous avons chanté. Un jeune couple, vêtu de magnifiques blouses brodées ukrainiennes d'avant la révolution, est venu avec deux gosses, ils ont quitté Moscou il y a quatre ans et vivent dans le voisinage. Ils avaient apporté un vieux gramophone et le premier disque qu'ils nous ont fait écouter, c'était "à Paris" d'Yves Montand, j'avais du mal à retenir mes larmes. "Nous connaissons quelqu'un qui est allé à Paris, me disent-ils, il paraît que cela n'a plus rien à voir avec ce que nous, nous nous attendons à y voir, l'univers de cette chanson, par exemple...
- Non. Non. Cela n'a plus rien à voir, à part le décor, et encore, regardez Notre Dame... On a eu la peau de la France. Ne laissons pas assassiner la Russie."
Pour la suite, je suivrai mon évêque. J'ai confiance en lui.
Ritoulia dans les bras de Katia, qu'elle adore |