Translate

vendredi 7 août 2020

Masques

 Il n'y a pas beaucoup de masques à Moscou, mais Sobianine ayant encore frappé, certains magasins les exigent. Il fait un temps à aller se baigner dans le lac. Je suis contente de voir tout le monde mais j'ai déjà hâte de rentrer.

J'ai appelé mon amie Liouba qui considère tout cela, comme moi, avec méfiance. Une amie de son gendre, mariée à un Français, a perdu son père, victime collatérale du Covid. En proie à une crise cardiaque, il a appelé les urgences qui l'ont emmené au centre des maladies infectieuses, et il est mort dans un couloir, parce que personne ne s'occupait de lui, nulle doute qu'il est allé grossir les statistiques. Églises fermées, flicage, amendes, répressions. Liouba, très pieuse, allait plus que jamais à l'église et communiait tous les dimanches. "Le Seigneur nous envoie le signe qu'il faut se tenir vigilant. Et les vieux qui sont sur la dernière ligne, et ont besoin plus que jamais des secours de la religion, ont disparu de l'église. Et quand ils venaient, la police les refoulait. L'important n'est-il pas, quand on est vieux, de mourir confessé et communie ? "

Elle m'a parlé de gens qui restaient des temps à la morgue, qu'on ne parvenait pas à enterrer décemment.

Recemment, une jeune femme m'a déclaré sur Facebook qu'il fallait s'habituer à vivre avec le masque. C'est-à-dire que sa cervelle a complètement intégré qu'on doit se promener avec un chiffon sur la gueule pour le restant de ses jours et que les gens comme moi sont des dangers publics. On peut donc imposer n'importe quel conditionnement à un certain type de gens. On commence à nous montrer des jolis dessins ou des couples le noir plus la blanche font l'amour comme les chiens pour ne pas mélanger leurs souffles, ou à travers une paroi. C'est l'amour ou plutôt la copulation, strictement au niveau des parties génitales, on se demande même pourquoi un partenaire est encore nécessaire. Et c'est sans doute la qu'on veut nous amener. Je pensais à la Bd satirique de Gotlieb et Alexis sur la Dame aux camélias ou Armand et Marguerite s'embrassaient à travers l'hygiaphone.... 

Quand j'ai découvert les affreux jeunes gens des facs soixante huitardes, je m'étonnais qu'ils ne parlassent que de Trotski et de Mao, qu'ils ne revassent pas de passions éperdues, d'amour éternel, d'exploits, de risque, qu'ils ne prissent pas plaisir au vin et à la musique et qu'ils n'ecrivissent pas de brûlants poèmes. C'étaient de petits crétins hargneux, envieux, qui detestaient tout ce qui dépassait le niveau de la merde et nous préparaient une société sinistre, à laquelle j'étais prête à tout pour me soustraire. Et je pensais avoir vu ce qu'il y avait de pire, mais maintenant, on a le crétin masqué, prêt à accepter n'importe quoi pour sa misérable survie, dans cette société de l'avenir technologique radieux. 

Mon cher filleul à vu naître son premier enfant, je lui souhaite de pouvoir encore trouver une niche écologique ou vivre normalement, c'est-à-dire pleinement, intensément, irrigué par l'air, le soleil, l'eau et la beauté du monde. 


Les 70 ans du père Valentin

 

Quand j'arrivai à Moscou en 94, je mis trois ans à trouver une paroisse stable. Un jour dans un passage souterrain, je donnai de l'argent à une vieille mendiante qui, me regardant, déclara : "il te faut prier l'icône de la Mère de Dieu" apaise mes chagrins". 

Pour Noël, je confiai mon appartement et ma chatte à une jeune étudiante française pendant mon séjour en France. Au retour, elle me présenta son amie Macha et celle-ci, apprenant que j'étais orthodoxe, s'écria: " Il faut absolument que vous rencontriez mon papa !" et l'appelant aussitôt, elle me passa le téléphone.

Le lendemain, je me retrouvai dans le bureau du père Valentin, dans son grand appartement stalinien bourré d'enfants, il en avait neuf. Le père Valentin avait un aspect noble et sévère et une voix profonde. Pendant notre grave entretien, toutes les cinq minutes, un museau différent se glissait dans l'entrebaillement de la porte sous tous les prétextes. Finalement, je vis le profil de sa femme, la matouchka Inna, son nez en trompette et son sourire narquois, qui n'y tenant plus, venait nous demander ce que nous attendions pour aller prendre le thé. Ce fut le début de mon amitié et de mon adoption par la famille Asmus, infiniment chaleureuse, farfelue et pittoresque.

Le père Valentin m'ayant invitée à me confesser auprès de lui, je me rendis dans sa paroisse, Saint Nicolas des Forgerons, dont le principal objet sacré était une ancienne icône miraculeuse de la Mère de Dieu "apaise mes chagrins"....

C'est ce que j'ai raconté hier soir pour l'anniversaire de ce même père Valentin, dans un restaurant italien qui rassemblait sa famille. Tout le monde y est allé de son hommage et pour finir on a chante en chœur d'anciennes chansons patriotiques du XIX siècle et des romances. Les enfants ont eux-même des enfants et l'âge que j'avais quand je les ai tous rencontrés.

Au retour, Xioucha qui était pompette à dit à son père qu'il était paranoïaque. "Et pourtant, je m'occupe pourtant bien de toi, et je ne te dis pas 99%...

- de ce que je fais ! n'ai-je pu m'empêcher de suggérer.

- Lolo, vous êtes une frantsouskaia kakachka, une merde française ! Mais je vous adore, j'adore les Français et leur répartie de merde ! "


mercredi 5 août 2020

Tryptique

Hier, j'ai vu arriver mon amie Yana, son mari Génia, et un ami à eux, Denis, tous trois artistes peintres. Nous nous sommes retrouvés au café la Forêt, et Génia m'a brusquement annoncé qu'il avait un cadeau pour moi. Il a sorti un paquet plat, qu'il a défait: c'était un ancien tryptique dont manque un volet, celui de saint Jean Baptiste, avec le Christ et la Mère de Dieu, en bronze émaillé. J'ai été si saisie que j'en ai eu les larmes aux yeux. N'était l'absence de saint Jean Baptiste, le tryptique est en parfait état, il est très beau. Ces icônes étaient en général des icônes de vieux croyants. J'ai pensé à mon ami belge Nicolas, qui les collectionne. Le cadeau provenait de la collection du père de Yana qui les recueillait à l'époque soviétique.
Puis nous sommes allés rejoindre Olga et Oleg, qui ont une datcha près du monastère saint Nicolas, et avec lesquels je m'entends très bien. Nous devions aller nous baigner au lac, avant de dîner. Par un raccourci, ce n'est pas très loin de chez eux. Nous sommes passés devant une énorme maison disgracieuse plantée dans un endroit qui aurait dû rester sauvage, à l'approche du lac, sur un terrain marécageux dont cette masse perturbe l'écosystème. C'est celle de la procureure, qui l'a imposée à la mairie, et s'est dédouanée en promettant d'aménager un parc avec des jeux pour les enfants, qui tombe en putréfaction au milieu du marécage, et dont personne n'avait vraiment besoin.
Cependant l'endroit où nous nous sommes baignées, nous les femmes qui avions un maillot, pendant que les hommes restaient pudiquement à fumer sur le ponton, était très beau, et nous nagions à la rencontre des nuages avec la vue sur le clocher des Quarante Martyrs, et au loin le monastère saint Nicétas, tout blanc sur la berge bleu foncé.
Olga nous a raconté qu'il y a des années, elle avait fait un rêve, sur cet endroit, elle nageait au dessus de pièces Napoléon en or, et voyait la Mère de Dieu qui lui faisait signe de venir à l'horizon du lac. Puis elle la précédait jusqu'à la colline d'Alexandre, lui indiquant d'aller y faire son salut, et dans la file de pèlerins qui s'élevait, un homme chauve l'attendait. Or par la suite, elle a rencontré Oleg, qui n'a plus de cheveux, comme l'homme du rêve. De plus, elle a appris qu'on soupçonnait dans le lac la présence d'un trésor laissé par les Français, et chaque année, les prêtres vont bénir les eaux en procession. J'ai trouvé ce rêve superbe.
Quand nous nous sommes rapprochées de la berge, j'ai entendu les cris déchirants de Ritoulia, qui guettait le large, car j'avais disparu derrière les roseaux. D'après nos hommes, elle s'était même jetée à l'eau, dont elle a peur, pour essayer de me rejoindre, mais elle n'était pas allée bien loin.

photo Génia
Nous avons beaucoup discuté ensuite sur la terrasse décorée par une abondante vigne vierge, façon vitrail art nouveau. Nous avons parlé de la Russie et de la France que tout le monde avait visitée, et Olga parle français et connaît pas mal notre pays. Nous étions tous d'accord sur les manipulations du covid et les tentatives d'installer une dictature mondiale et de faire disparaître les populations de civilisation chrétienne, qui gênent les corporations et leurs intérêts uniquement mercantiles. Pour le reste, mon slavophilisme n'agréait pas vraiment Denis, qui est certainement libéral et pense que les Russes n'auraient jamais rien fait de bien sans les étrangers. Olga disait qu'à Paris, discutant avec un ami sans précautions politiquement correctes, elle avait senti son malaise, et la désapprobation de l'entourage, elle avait senti qu'elle touchait à des tabous, qu'elle compromettait leur équilibre, car le programme inculqué avait tellement pénétré leur psychisme que de le remettre en question pouvait le faire exploser. C'est ce qu'un autre ami, dans une lettre, appelle les verrous psychologiques consécutifs à des décennies de conditionnement sournois. "Les gens pareillement programmés deviennent vite agressifs, parce que le programme leur sert de structure" a conclu Olga. En effet, et s'ils sont à ce point programmables, c'est qu'on a effacé leurs repères culturels et spirituels et brisé le lien transgénérationnel, la tradition. Elle m'a dit qu'une telle pression devait être éprouvante pour les gens qui ne partageaient pas le point de vue admis; car toute réelle discussion était impossible. C'est là d'ailleurs un des symptômes du totalitarisme. J'ai passé toute ma jeunesse sous cette pression qui était grande dans les milieux "culturels" dès les années 70, peut-être même avant.
Olga est très intelligente, très pénétrante, et c'est un vrai bonheur pour moi de m'entretenir avec elle.





dimanche 2 août 2020

Le contrat


J'ai trouvé un oiseau mort dans la cuisine, ce matin au réveil. C'est l'oeuvre de Monsieur Moustachon, le plus adorable des chatons, si débonnaire avec tous les autres animaux, si éperdument épris de la créature qui a pris en pitié sa bonne bouille intelligente, innocente et charmeuse. Il tue tout ce qui bouge avec une adresse extraordinaire, et j'en suis malade. Mon geste charitable a causé la perte de je ne sais combien de passereaux.
Je suis allée à l'église en me poussant, et pourtant, une fois sur place, j'ai senti tout le bien que me faisaient la liturgie, et la présence de cette assemblée bienveillante et touchante. J'ai vu les enfants Rimm, Dounia, Gricha et Fédia qui sont gracieusement venus me saluer. J'ai dit à Gricha: "Voilà notre hardi cosaque", et il est resté très sérieux, mais j'ai vu qu'il n'en pouvait plus de fierté.
Puis je suis allée au café français, dans l'arrière-salle discrète, on se croirait à Chicago au moment de la prohibition. Dans tout Pereslavl, les masques sont, Dieu merci, vraiment rares. A Moscou, en revanche, d'après Dany, on recommence à mettre la pression, à coller des amendes aux commerces tolérants, et à traquer les gens qui ne sont pas masqués jusqu'aux yeux, de bonnes âmes jouent les redresseurs de torts et les dénonciateurs, comme en France, le pays des droits de l'homme, et c'est le même genre de public bobo ou coco. Parallèlement, je vois Sobianine affirmer pour la deuxième fois qu'il n'y aura pas de seconde vague, ni de confinement. Allez comprendre. Ce qui est sûr à mes yeux, c'est que tout cela pue et que les gens assez neuneus pour faire confiance aux autorités, de quelque pays qu'elles soient, de nos jours, auront un réveil difficile. Quand je vois ce qui se passe en France, mon coeur se serre. Ces gens qui enfilent docilement leur muselière, sans être alertés par le fait qu'au plus fort de la crise, provoquée ou non, amplifiée à dessein ou non, les masques étaient introuvables, le gouvernement punissait ceux qui en vendaient et proclamait qu'ils étaient inutiles, et maintenant, on le leur rive sur la gueule, en plein été caniculaire, et en fin d'épidémie, et tout le monde se plie à la chose sans questions, et même fait la police avec ceux qui s'en posent. Vous ne trouvez pas bizarre que l'on ait commencé, en haut lieu, à nous prédire "une deuxième vague" dans deux mois, et deux mois plus tard talam, talam, masquez vous tous partout? Les gens ont peur du virus, mais j'aurais bien plus peur, à leur place, du gouvernement, des médias, des médecins vendus aux labos. Pendant ce temps, la diversité qui tabasse, égorge, viole tous les jours que Dieu fait s'en fout complètement, des masques, à part ceux qu'elle met de toute éternité sur la figure de ses femmes. Et elle continue à arriver par bateaux entiers, sans masque, et sans tests, et sans quarantaine. Les masqués à sa merci continuent de trouver ça normal. Je vois des victimes sanglotantes s'étonner d'en avoir pris plein la gueule, et de ne rencontrer aucune aide, aucun soutien, elles qui étaient de si gentils membres actifs du camp du bien,  appliqués au vivre ensemble, si ouverts à la diversité, comment est-ce possible? N'est-ce pas le comble de l'injustice? Et elles continuent à traiter de fachos ceux que leur sort indigne, c'est proprement fascinant. En revanche le masque, alors ça, les gars, c'est capital, et on ne saurait être assez sévère avec les contrevenants, dès lors qu'ils n'appartiennent pas aux communautés qui en sont dispensées, mais plus simplement à la communauté nationale du franchouillard d'origine. Vous êtes prêts à les porter toute votre vie? Surveillés en permanence par les caméras, les applications de traçage, les voisins obligeants, quand vous ne serez pas coursés, écrasés et tabassés par les "jeunes"? Privés de vos restaurants, cafés et petits commerces, de vos artisans, de tout ce qui faisait notre art de vivre et qui est voué à la disparition par les maîtres du monde? Le nombre de victimes du covid, toujours changeant et toujours flou, et très peu fiable, justifie-t-il de mener désormais une telle existence? Et le jour où l'on vous fera le chantage, rester enfermés et masqués ou accepter n'importe quel vaccin douteux administré par des dingues et des mafieux, vous n'aurez pas l'ombre d'un soupçon et d'une hésitation avant de vous y soumettre? Moi si, et même en Russie, où l'on nous annonce un "vaccin russe", pour la bonne raison que tout est trop louche, trop incohérent, trop suspect, et que je ne crois pas à un vaccin bricolé à la va vite, pour des virus qui mutent tout le temps, alors qu'on s'applique à dénigrer et supprimer un traitement qui marche et qui est notoirement sans danger.
Un communiste me parle de civisme, je considère que dans son cas, c'est plutôt du suivisme. Mais c'est là qu'on voit la profonde parenté entre totalitarisme capitaliste et totalitarisme communiste. On la voit de plus en plus nettement. Cette complicité de la gauche avec une oligarchie de milliardaires délirants. Cette foi aveugle, plus intolérante, fanatique et meurtrière que toutes les religions, surtout chrétiennes, abhorrées de ses sectateurs, dans le Progrès technique, qui pourtant apparaît de plus en plus clairement comme un marché de dupes, un pacte avec le diable. Cette haine de la nature, de ses lois, de sa réalité, de la création et de son Créateur. Une haine de la nature qui est au fond une haine de la vie et de tous ceux qui y tiennent, au nom d'une survivance mécanique et contrôlée dans un enfer hors sol, bétonné et surveillé, où l'on nous transforme en biomasse anonyme et hagarde.
J'ai rêvé de ma mère, il y a quelques jours. Il me semblait qu'elle n'était pas morte, mais perdue, je la cherchais avec angoisse. Hier, j'avais besoin de faire un petit travail de couture, et ne trouvant pas ce qu'il fallait, je suis allée explorer sa boîte à ouvrage, qui est venue jusqu'ici avec mon déménagement. Je l'ai ouverte, je l'ai trouvée telle qu'elle l'avait laissée il y a plus de dix ans, car elle ne s'en servait plus quand elle était malade. Cela m'a rappelé le jour où j'avais vu, quinze ans après sa mort, le porte-monnaie de ma grand-mère là où elle le gardait, dans le tiroir de la table de la cuisine, mon grand-père n'ayant jamais eu le courage de l'en retirer. Je me trouvais en Russie, avec sur les genoux la boîte à ouvrage de maman, ses dés, une pile, un couvercle de boîte, un taille-crayons échoués là, presque la trace invisible de ses gestes. Je pensais à toute cette Atlantide française derrière moi, engloutie par l'océan noir du malheur que personne n'a su voir venir ni empêcher de déferler, malgré les avertissements des Cassandre conspuées. Et je ne sais même pas si je reverrai ceux que j'aime là bas, et vers qui l'enfant indestructible que j'ai toujours conservé en moi voudrait pouvoir encore courir pour se cacher, mais ils ne peuvent désormais plus rien pour lui.
Cependant, à l'église, j'ai senti le soutien de l'autre monde, ou de l'origine du monde, le soutien divin. Dans la panique et la tristesse, il se manifestait avec une discrète assurance. Sur le plan spirituel, je n'aurai pas réalisé grand chose, mais la seule chose que je peux dire, c'est que je me confie, c'est que je fais confiance. Je me mets entre les mains de Dieu. Comme tous ceux que je retrouve à la cathédrale le dimanche. C'est cela notre contrat,et c'est le seul que je sois vraiment capable de respecter.

vendredi 31 juillet 2020

Lapin rose

J'ai ramené Skountsev et sa femme à Podolsk, près de Moscou, et passé autant de temps sur le périphérique que dans le voyage depuis Pereslavl jusqu'à Moscou. En chemin, Marina m'a expliqué qu'après la maladie de Volodia, la famille, confinée pendant des temps, avait fait, avec l'aide d'un ami, provision de Plaquenil, l'équivalent russe de l'hydrochloroquine du professeur Raoult. Eux, ils ont confiance dans ce traitement et c'est sûrement celui qu'a pris Skountsev, mais comme partout ailleurs, les commis voyageurs de la mafia des laboratoires ont commencé à le dénigrer. Les deux fils de Skountsev sont très beaux garçons. L'aîné a une petite amie tatare ravissante.
Puis le soir, j'ai diné chez Xioucha avec le père Valentin. Elle semble prête à venir chez moi après le départ de mes deux locataires. Je l'en supplie depuis que j'ai cette maison, et que j'ai fait un appartement indépendant de la moitié que je n'occupe pas. Mon idée était, entre autres, de lui constituer une datcha, et aussi au besoin à ses soeurs, mais ses soeurs en ont une. C'est la justification d'une si grande maison pour moi toute seule.
Nous sommes allés à pied chez Xioucha. Au pied de l'immeuble du père Valentin, je vois une nouvelle boutique: le lapin rose, avec un animal stylisé de cette couleur sur toute la vitrine. "Qu'est-ce que cela, père Valentin?
- Ca? ça? Ah ne m'en parlez pas, c'est ce qu'il faudrait brûler, plutôt que les orgues françaises!"
C'est un sex-shop... On peut dire que rien n'aura été épargné à mon père Valentin!
Nous avons beaucoup discuté, de ce qui se passe en France, et ici aussi. Il m'a dit: "Notre exil n'est pas géographique, il est historique". Je lui ai expliqué que ma vie devenait parfois compliquée parce qu'on ne peut plus rien dire. Si je critique la France, on me reproche de cracher sur mon pays d'origine, si je critique la Russie de cracher sur mon pays d'accueil, et le problème, c'est que souvent, je me retiens de dire tout ce que je pense, non par rapport à Facebook ou autres censeurs de la pensée unique, mais pour ne pas blesser des gens que j'aime bien, et avec lesquels je n'ai pas envie d'avoir de polémiques. Je n'aime généralement pas les communistes, je les trouve agressifs, butés et de mauvaise foi, mais j'en connais de très gentils, qui ne comprennent pas que renier Charybde pour Scylla ou le contraire ne fait pas avancer les choses, ce qui dans ma conception, consiste en partie à les faire reculer. Je considère le mouvement LGBT comme un outil de destruction de la famille traditionnelle entre les mains de satanistes internationaux, mais j'ai peur de faire de la peine à tel ou tel homosexuel par ailleurs adorable qui ne voit pas où cela nous conduit. L'histoire du message de Fatima me fait grimper aux rideaux, mais je ne voudrais pas scandaliser des amis catholiques. Je suis persuadée que le covid et les masques constituent une escroquerie et un outil d'asservissement à la civilisation horrible que nous prépare la Caste, sur le modèle chinois de la fourmillière prédatrice dont on ne peut plus s'évader ni physiquement ni moralement, mais si j'en parle trop, j'ai peur de paniquer des personnes fragiles qui se cramponnent à la certitude que Big Brother est certes, incompétent, mais qu'il n'a pas les mauvaises intentions que je lui porte dans mon délire complotiste.
Le père Valentin s'est beaucoup intéressé au thème du roman que j'écris en ce moment: "Vous ne pourrez pas publier cela en France, me dit-il cependant.
- C'est que me dit ma tante Mano!
- Non seulement vous ne pourrez pas le publier, mais vous ne pourrez plus y remettre les pieds sans vous faire arrêter!
- Eh bien, c'est un peu étrange pour moi de l'admettre, mais tout semble indiquer que c'est probable. Cependant, même sans cela, je me demande si nous pourrons encore jamais circuler librement de l'un à l'autre pays.
- C'est une idée très intéressante. C'est "la ville invisible de Kitej".
- En effet, c'est là toute la direction de l'ouvrage.
- Et les précédents, la traduction avance?
- Petit à petit..."
J'ai remis à plus tard une démarche que je voulais faire, car je redoutais de tomber dans les embouteillages du week-end, et je pourrai la faire dans quelques jours, car je vais revenir pour l'anniversaire de mon père spirituel bien aimé, et cela, après avoir pris conseil d'une personne compétente. Mais pas moyen de m'en aller car je n'avais pas les clés de l'appartement, et le père Valentin n'émergeait résolument pas de son antre. Voyant l'heure avancer, j'ai fini par appeler Xioucha. "Mon père est revéillé depuis longtemps, mais il attend pour se manifester que j'arrive avec le petit-déjeuner, car il a honte de ne rien avoir à vous offrir!
- Mais Xioucha, c'est complètement idiot, je ne déjeune plus jamais le matin, je comptais le faire à mon arrivée, et je vais tomber dans des embouteillages épouvantables!"
Xioucha m'a répondu en hurlant de rire qu'elle allait en aviser son père, et j'ai pu prendre la route qui, à ma grande surprise, est restée libre tout le long.
                                                     
                                           Skountsev chez moi avec les chats

Skountsev chez moi avec les chats





lundi 27 juillet 2020

Le sourire à quarante huit dents

Je ne sais plus dans quel livre de Milan Kundera, j'avais lu d'intéressantes considérations sur les sourires des photos. Il disait qu'on n'imaginait pas une minute de grands personnages du passé, comme Jules César,  Alexandre le Grand, les rois de France en train de se bidonner, bien qu'ils le fissent sans doute comme tout le monde à l'occasion, mais leurs portraits, qu'il soit peints ou sculptés, ne les montraient jamais hilares. Au moment de l'invention de la photographie, au XIX° siècle, quand les temps de pose étaient très longs, il n'était pas pensable non plus de sourire au petit oiseau qui va sortir. On avait donc de magnifiques portraits photographiques qui sont parfois presque iconographiques, et où l'on voit transparaître l'âme du modèle. Les gens du XIX° nous paraissent d'une grande dignité. Même ceux du début du XX°. Même les premières stars d'Hollywood. Puis, expliquait Kundera, on vit apparaître tous ces portraits grimaçants de présidents ou de célébrités américaines, avec le sourire obligatoire à quarante huit dents. Cela lui paraissait un signe des temps.
Cela m'est revenu à l'esprit, parce que j'ai publié la photo d'un prêtre russe avec sa famille qui illustrait l'étymologie du mot russe semia, famille, sem ia, soit " 7 moi", le père, le mère, 5 enfants. Et j'ai eu des réactions étonnantes.
Une amie me produit l'image d'une famille occidentale cool et décontractée, genre instantané de promenade, pour l'opposer à celle de la famille russe, sans voir qu'elles ne sont pas, pour commencer, dans la même situation. La famille impériale de Russie avait aussi des instantanés quotidiens où elle faisait parfois le clown, mais les photos la représentant au complet sont sérieuses. Justement, un intervenant ricane dans la foulée que la famille du prêtre fait une photo officielle de princes du sang et "bonjour la spontanéité". Mais un prêtre, ce n'est pas n'importe qui, il a une fonction sacrée, comme le tsar, comme le prince du sang. Celui-ci, avec sa femme et ses enfants, se tient dans son église, devant l'iconostase, il ne sont pas en train de faire une randonnée pédestre ou un pic-nic. Ils sont tous vêtus de rouge, ce qui me laisse penser que c'était pour la Pâques, qu'ils s'étaient fait beaux à cette occasion. Personne ne rigole ni ne se tortille, parce que ce n'est pas le moment, seules la mère et la petite fille sourient. Mais que les hommes ne sourient pas, c'est normal, chez les Russes, pour ce genre de photos. Hier, quand j'étais chez les cosaques, qui sont pourtant beaucoup plus spontanés que pas mal de Français, le petit Gricha était très sérieux, parce que pour lui, un homme, un cosaque, c'est sérieux. Les enfants qui font les enfants de choeur à l'église ne rigolent pas. Les types qui jouent de la musique dans les fêtes sont souvent aussi très sévères, ils n'affichent pas le sourire figé des ensembles folkloriques bidon, ils sont concentrés.
Je  me souviens d'une bande dessinée satirique de Lauzier où un publicitaire convié à rénover l'image de marque du PC français des années 70 ricanait devant le couple ringard, papa et maman et l'enfant bien sage (il n'y en avait déjà plus qu'un seul, à l'époque, dans la représentation familiale française, pas de "7 moi"...) et les remplaçait sur les photos par un couple cool et décontracté de jeunes fauves souples, habillés mode, avec un gamin chahuteur, c'était plus moderne et plus vendeur,
J'ai une autre réaction concernant la condition de la femme, peut-être à cause du nombre d'enfants et des foulards de la mère et de la fille, qui sont de rigueur dans une église: "mieux vaut être un homme". Oui, sans doute, moi aussi, j'ai toujours pensé qu'il valait mieux être un homme, ne fût-ce que d'un point de vue physiologique. Ce qui ne veut pas dire que la femme du prêtre soit forcément opprimée ou n'ai pas voulu ses cinq enfants autant que lui. Mon amie dit que le prêtre fait peur. Je ne le connais pas, c'est peut-être un tyran domestique, une Américaine, habituée au modèle photographique souriant, trouve que les garçons ont l'air effrayé. Or je sais que des enfants de prêtre vont rester aussi dignes que leur père, en une telle occasion, et que ce prêtre a forcément à leurs yeux du prestige, comme en a l'ataman des cosaques de Pereslavl ou son propre père aux yeux du petit Gricha. Leur père n'est pas un copain, c'est un modèle, et c'est le chef de famille.
Je livre ces quelques notations, avec les photos. Car devant ces réactions, et le besoin que j'ai ressenti de les analyser, j'ai tout à coup réalisé le fossé qui existait entre ma mentalité et celle du pays que j'ai quitté, du moins dans sa forme actuelle, et pratiquement l'impossibilité d'expliquer ce qui me paraît évident à des gens qui n'ont pas fait mon chemin ou qui n'avaient peut-être pas la même mémoire génétique. C'est pourtant cette différence de vision qui fait que la Russie s'en sortira peut-être, si elle résiste encore, alors que l'occident s'effondre, il s'effondre avec cette fausse spontanéité de rigueur qui n'est pas naturelle.cette "décontraction" qui devient si facilement débraillée et laxiste, cette confusion des valeurs complète qui ne permet plus de comprendre tout ce qui nous a précédés, et qui était notre ossature.
En réalité, ce n'est pas une découverte, c'est une confirmation, et je me souviens de ma fascination pour l'univers des films russes pleins de héros, de maris, d'amoureux et de pères exemplaires, où les sentiments étaient nobles, profonds, intenses, où la vie n'était pas une plaisanterie. J'ai toujours bien aimé rigoler, j'ai toujours été plus naturelle et plus spontanée que la plupart des gens que je rencontrais en dehors de ma famille, mais la vie n'était pas pour moi une plaisanterie. Cela m'a posé d'énormes problèmes relationnels, d'ailleurs, et quand j'avais dix-neuf ans, les seuls hommes qui avaient apprécié ma personnalité archaïque étaient deux cinéastes soviétiques dont le départ au bout de trois nuits blanches de promenades et de discussions dans un Paris beaucoup plus sûr que de nos jours, m'avait laissée inconsolable, avec le sentiment que je ne trouverais jamais dans la France des années 70 la qualité humaine que j'avais entrevue. On la trouvait encore sans doute à la campagne, mais j'étais déjà orthodoxe et la campagne française ne l'était pas.


"deux mondes contraires"


dimanche 26 juillet 2020

Les cosaques de Pereslavl

Les cosaques de Pereslavl attendaient aujourd'hui Volodia et Marina dans le "parc russe" où ils ont leur quartier général. Ce parc russe, à l'entrée de Pereslavl, est une sorte de complexe touristique à thème patriotique, avec une architecture pseudo-typique du mauvais goût fantasmagorique habituel. Mais il faisait un temps délicieux, à vrai dire déjà un peu automnal, tiède, venté, et nous avons été reçus avec une chaleur touchante. Volodia est une célébrité dans le domaine du folklore cosaque. Avec Marina, ils ont chanté, et expliqué toutes sortes de traditions, donné des conseils. Les cosaques et leur progéniture ont montré ce qu'ils savaient faire, la danse du sabre et autres jeux guerriers, les chants. Je les trouvais tous gentils, purs, et pleins de bonne volonté. Le petit Gricha Rimm prenait son air sévère et viril, et restait collé contre l'ataman qui dirige tout cela, mais il est quand même allé danser avec les hommes!
J'ai rencontré un Français dont j'entendais parler depuis longtemps et qui habite Rostov, Iakov. En réalité, ce Français a des origines russes, ses grands-parents étaient cosaques du Don, et ont quitté la Russie au moment de la révolution. Sa mère venait de Suisse allemande et il a grandi à Nancy. Il y a 20 ans, il a opéré son retour en Russie, où il est marié avec plein d'enfants. C'est un ferronnier d'art. Nous avons commenté le mauvais goût qui nous consterne autant l'un que l'autre. "Je me retiens de plus en plus souvent de le souligner, bien que ce soit la chose qui m'indispose le plus, ici, cela me rend malade de les voir saccager ce que le pouvoir soviétique avait encore épargné. Mais j'ai peur de les agacer en  insistant trop.
- C'est vrai, moi aussi, mais quand même je ne me gêne pas trop pour le dire. Vous savez, il me semble que le plus souvent, les Russes ne savent plus qui ils sont, ils se cherchent, ils cherchent à se retrouver, comme nos cosaques, ici. Le pays a été terriblement abîmé culturellement, ils sont en quête de leur savoir-faire et de leurs traditions perdues. Ils sont en train d'essayer de sortir du processus dans lequel les Français sautent à pieds joints. Quand ils se rendent compte des pertes subies, évidemment. Ce que je ne supporte pas, ce sont ceux qui sont obnubilés par l'occident et méprisent leur propre pays...
- En France, les gens qui contestent le système et veulent effectuer un retour à la terre, ce qui est en soi une saine démarche, n'ont pas le désir de retrouver leurs racines culturelles et spirituelles, comme ici, au contraire, ils se lancent dans le shamanisme, le bouddhisme, l'hindouisme, l'islam, ils font de la musique exotique, africaine, indienne, iranienne, et s'ils font de la musique traditionnelle, ils ne manquent pas de souligner qu'ils ne revendiquent pas un tel adjectif pour eux-mêmes. A vrai dire, contrairement à l'orthodoxie, l'Eglise romaine me parait elle-même déracinée et déconnectée et je ne vois pas comment la France pourrait y puiser la force de se rétablir, alors que j'ai encore de l'espoir pour la Russie."
Cette impression d'avoir affaire à un peuple d'amnésiques à la recherche de leur passé, je l'avais eue fortement quand j'étais revenue la première fois en Russie, en 1990. et j'avais aussi découvert qu'avec des approches un peu différentes, nous avions subi ou subissions tous le même lavage de cerveau.
Skountsev pense que la pieuvre mondialiste est infiltrée partout, quand on cherche à l'expluser d'un côté, elle revient de l'autre, sous un autre label, une autre apparence. Et en effet, c'est ce que me disait déjà il y a 20 ans un ancien officier du KGB que j'avais rencontré lors d'une croisière sur les fleuves et les lacs du nord.
J'ai vu aussi le Suisse Benjamin, ou Veniamine, je ne sais même pas si on peut encore dire qu'il est suisse d'ailleurs, tellement il est naturalisé. Il était avec son bébé Savva. Il est heureux comme un roi, au milieu de son équipe de cosaques, dont l'aumônier est le père Andreï, ancien vieux-croyant, et ami du père Andreï de notre cathédrale..








Des cosaques de passage ont laissé derrière eux quelques cadavres