L'homélie de monseigneur Arsène, prononcée à l'occasion de la fête de la Mère de Dieu de Kazan, qui est aussi celle de l'unité russe, m'a paru si significative, que j'ai pris la peine de la traduire. La laure de Sviatogorsk est un haut lieu spirituel ukrainien. L'homélie de son métropolite jettera pour certains une lueur nouvelle sur la situation.
Aujourd'hui, le peuple orthodoxe célèbre la fête de l'icône de la Mère de Dieu de Kazan. La Mère de Dieu est unique, mais innombrables sont les saintes icônes peintes et vénérées en différents endroits, qui ont pris le nom des villes, des événements ou des lieux où elles sont apparues. Pourquoi le peuple orthodoxe fête-t-il particulièrement la Mère de Dieu de Kazan? Pensez donc, la capitale d'un khanat tatar, loin du centre et de la capitale, pourquoi cette image est-elle tellement vénérée par notre peuple? Parce que c'est justement elle qui a produit de grands miracles d'intercession pour notre patrie. Ce n'est pas en vain que dans l'acathiste à la Reine du Ciel on trouve les mots: "Intercessrice inlassable de la chrétienté". Ainsi, nous savons que les chroniques du XI et XII siècles nous disaient avec douleur: "Les églises sont vides, et les gens sont tout aux jeux et aux plaisirs. On ne trouve personne pour chanter à l'église, mais on se livre aux chansons à la maison. " C'est ce qu'elles mentionnaient juste avant les conflits. La froideur envers Dieu, l'oubli de Dieu ont provoqué les discordes et la haine, le morcellement de notre état en plusieurs principautés, l'hostilité mutuelle des princes et du peuple. Ainsi les chroniques, avant même l'invasion tataro-mongole, se demandent déjà avec épouvante ce qu'il adviendra de l'état russe pour un tel oubli de Dieu, un tel désamour pour Ses commandements.
A la fin du XVI¨siècle, en dépit de l'élargissement de notre état, de son influence accrue, on assiste à une grande dégradation morale et spirituelle dans notre société. Nous savons tous, par l'histoire, ce que fut l'opritchnina, quand des assassins et des calomniateurs anéantissaient des familles et des villes entières, nous savons que fut tué l'héritier du trône, le tsarévitch Dimitri, après quoi régnèrent Boris Godounov et autres boyards élus qui n'étaient pas de sang impérial. Les émeutes permanentes et la famine du règne de Boris Godounov, le désordre et l'indignation partout; les forêts et les villes, d'après les chroniques, envahies par des bandes de brigands, tout cela causait, avec la permission de Dieu, à notre peuple de nouveaux malheurs. Ce n'est pas Dieu qui nous punissait, c'est nous qui nous punissions nous-mêmes...
C'était le Temps des Troubles, quand les Polono-Lituaniens s'étaient emparés de toute notre patrie, et la pillaient à leur gré, transformant les églises en écuries, profanant les saintes reliques, les saintes icônes, dépouillant les églises, tuant les gens. Sur le trône des tsars, on plaçait de faux Dimitri, le premier, le second, le troisième. Même au gouvernement, c'était le désordre, et selon les historiens d'alors, les gens ne vivaient plus dans leurs villages mais dans les forêts. Ils craignaient les razzias, les pillages et les violences, ils ne semaient ni ne labouraient, car de toute façon, on leur brûlait tout. La famine était telle qu'ils se mangeaient entre eux.
Nous oublions ces leçons de l'histoire. Et voilà que pour secourir notre patrie, devenir les défenseurs de la foi orthodoxe, furent appelés des gens de simple origine: un staroste d'église, Kouzma Minine, et l'insignifiant prince Pojarski, qui bien qu'il fut d'une famille noble appauvrie, était un homme de guerre expérimenté. Ils furent choisis par la Mère de Dieu et le Seigneur pour relever notre patrie.
Les Polonais s'étaient tellement enhardis chez nous que déjà, des prêtres catholiques célébraient des messes dans les églises du Kremlin. Ils se conduisaient en maîtres, notre peuple l'a oublié, cette époque était particulièrement dure en Ukraine. Les église orthodoxes étaient fermées. On convertissait de force nos frères orthodoxes, on les faisait entrer dans l'Union. Et voilà que pour secourir sa patrie, le peuple nomma le patriarche Hermogène. Il fut un moment le recteur de l'église saint Nicolas de Kazan, et fut trouvé digne de découvrir l'icône de la Mère de Dieu de Kazan. C'est lui qui écrivit l'acathiste à la Reine du Ciel de Kazan, la tradition de l'Eglise rapporte que c'est justement lui l'auteur du tropaire: "Intercessrice inlassable de la chrétienté". C'est sur lui qu'à cause des actes écrits qui en faisaient l'élu du peuple, se jetèrent avec des couteaux les traîtres boyards. Et les polonais, ne sachant comment forcer le patriarche à se taire, l'enfermèrent dans un cachot où ils le firent mourir de faim. Voilà quel était alors l'état de notre patrie, mes frères et soeurs.
Alors la Mère de Dieu apparut à un simple staroste, un commerçant du marché de Nijni Novgorod, Kouzma Minine; et lui ordonna de rassembler une milice de résistance populaire. Lui, sidéré par l'apparition, ne savait comment lui, simple quidam, pourrait s'acquitter de cette tâche pour sauver la patrie. La Mère de Dieu lui apparut une seconde fois, lui ordonnant sévèrement de rassembler la milice populaire. Mais là encore, il fit preuve de pusillanimité. Alors elle lui apparut une troisième fois, et lui dit: "Si tu ne le fais pas, j'apparaîtrai ailleurs, et tu seras puni par Dieu". Alors, après avoir communié à l'église, il sortit sur le parvis, et s'armant de ferveur, de tout son amour de la patrie et de son coeur souffrant pour elle, fit un discours qui rassembla des milliers de novgorodiens. Les femmes enlevèrent leurs bijoux, les pauvres, n'ayant rien d'autre à offrir, leurs croix de baptême, et les jetèrent sur le tas des dons destinés à la milice populaire.
Le prince Dmitri Pojarski se rendit à l'appel de la Mère de Dieu. A la tête de la milice, on portait l'icône miraculeuse de la Mère de Dieu de Kazan, et toute l'armée, en expiation des péchés du peuple, fit un jeûne de trois jours. Ne touchèrent ni eau ni nourriture non seulement les adultes, mais même les enfants, pour que leurs pleurs montassent jusqu'à Dieu, et même les animaux domestiques en furent privés, pour joindre leurs hurlements aux leurs. Après ces trois jours de jeûne et de prières d'intercession, la milice populaire, armée de ce qui lui tombait sous la main, partit défendre le pays. Les gens simples se soulevèrent non seulement pour leurs biens matériels, mais pour défendre la sainte orthodoxie, leur patrie contre les hérétiques qui s'en étaient emparés. Et nous savons qu'aujourdhui est une date particulière, en ce jour le Kremlin de Moscou fut délivré des conquérants polono-lithuaniens, et bientôt, toute la sainte Russie, par le choix ultérieur d'un tsar de la lignée des Romanov, commença à grandir et à prendre des forces.
Nous connaissons, mes frères et soeurs, de nombreuses périodes de l'histoire de notre patrie et notre peuple a toujours su les estimer à leur juste valeur. Il n'a pas essayé de dire que tout était parfait, que c'était ce qu'il fallait, que c'était pour le bien de la patrie, non. Le peuple a toujours appelé la discorde la discorde, la perversion des gens la perversion, le temps des Troubles le temps des Troubles, chaque période a été appréciée comme il le fallait par le peuple orthodoxe et ses historiens, et l'histoire de ces temps en toute vérité, sans rien cacher et sans mensonges.
Notre temps est aussi celui des troubles, on essaie d'applaudir en disant: "Ah mais c'est tellement bien, c'est la démocratie!" Qu'y a-t-il de bien là dedans? On a divisé le peuple, les dirigeants et les politiques se sont entredéchirés, l'économie s'est effondrée, personne ne se soucie des gens, personne ne s'occupe des enfants, toute l'histoire est renversée cul par dessus tête. C'est maintenant le temps des troubles, où il faut se repentir, où il faut particulièrement, frères et soeurs, prendre conscience de ses péchés devant Dieu. Ne pensez pas que si nous vivons sans Dieu, tout va être à l'avenir lisse et doux. Si nous continuons à nous détourner de Dieu et à élever nos enfants sans Lui, alors nous connaîtrons le malheur. L'histoire nous l'enseigne, regardez, qu'avions-nous avant les tataro-mongols? La même chose, la discorde, et la division. Qu'avions-nous avant le temps des Troubles? Qu'avions-nous avant l'invasion française? Quand au XVIII° siècle, on ne jurait que par la France, tellement qu'on avait honte de parler russe, la bonne société parlait seulement français, toute notre culture était méprisée, on ne voyait que la France, tout était si bien là bas. Catherine était amie avec Voltaire, avec les révolutionnaires français, l'incroyance s'installait partout, les loges maçonniques étaient si répandues au XVIII siècle, qu'un proverbe courait dans la noblesse: "Qui n'est pas maçon?" Le Seigneur permit l'année 1812, l'invasion de ces Français cultivés qui firent une écurie de la cathédrale de la Dormition au Kremlin, démontrant par là leur culture, et cela se termina, frères et soeurs, par une victoire, et non seulement la victoire, mais la renaissance de notre conscience nationale. En effet, ce n'est pas en vain que la guerre des partisans fut un secours énorme, comme l'ont été le temps des Troubles et 1812. Nous célébrons aujourd'hui, descendants rconnaissants de nos pieux aïeux, la fête de l'icône de la Mère de Dieu de Kazan. Nous remercions la Mère de Dieu de l'intercession dont elle fit et fait preuve pour notre patrie. Car l'icône de la Mère de Dieu du Don était à la bataille de Koulikovo; car l'icône de la Mère de Dieu de Kazan marchait à la tête du soulèvement contre les catholiques jésuites, car la Mère de Dieu de Smolensk précédait les régiments de Borodino, l'icône de la Mère de Dieu de la Puissance apparut au moment de l'abdication du tsar Nicolas en 1917, cette icône où la Mère de Dieu porte le sceptre et prend la tête de notre état. C'est l'icône de la Mère de Dieu de Kazan qui était sur la berge opposée de la Volga, près de Stalingrad en feu, et nuit et jour, on célébrait devant elle des offices d'intercession. C'est elle qu'on a fait voler par avion au dessus de Léningrad et, mourant de faim 900 jours, la ville ne se rendit pas à l'ennemi. C'est avec l'icône de la Mère de Dieu qu'on a parcouru les tranchées autour de Moscou, c'est l'icône de la Mère de Dieu de Kazan que Joukov a prise avec lui au siège de Koenigsberg, et l'on peut citer sans fin de pareils exemples. Et souvenons-nous, frères et soeurs, que si nous avons eu des périodes d'apostasie, nous avons eu des périodes de repentir. Dans quelle période nous allons vivre, vous et moi, cela dépend de nous. Soit nous choisirons la voie de l'apostasie, en dépit des exemples de notre histoire, et nous marcherons à nouveau sur le même râteau, soit nous nous souviendrons, frères et soeurs, de Dieu, de la Mère de Dieu, combien de fois nous les avons offensés par nos péchés, combien de malheurs nous avons causés à notre patrie par notre mécréance.
Rappelons-nous combien aujourd'hui d'alcooliques, de drogués et de débauchées nous avons élevés dans l'incroyance. Et après cela, elle est parfaite, et après cela, on chante ses louanges. Celui qui se dit athée, qu'il prenne sur lui la faute de l'anéantissement de ce que notre nation avait de plus saint, la destruction de nos églises, de nos icônes, l'éxécution des prêtres et des chrétiens othodoxes. Celui qui se dit athée, qu'il prenne la responsabilité du sort des paysans dékoulakisés qu'on a envoyés au bagne et fait mourir de faim. Celui qui se dit athée et incroyant, qu'il prenne la responsabilité des filles de notre patrie devenues pécheresses, de ses fils alcooliques; drogués et criminels, parce que c'est le système incroyant qui a élevé tous ceux-là. Celui qui se dit athée, qu'il regarde l'effondrement de l'agriculture et de l'économie de notre état en ruines, c'est aussi le fruit de la mécréance, car le Seigneur a dit: "sans moi, vous ne pouvez rien créer". Nous ne pouvons rien créer sans Dieu et nos pères et grands-pères disaient: "Sans Dieu tu ne passes pas le seuil, avec Lui tu vas au bout de la mer". Celui qui se dit athée, qu'il prenne la responsabilité de l'effondrement ultérieur de notre pays. Celui qui se dit athée, qu'il prenne la responsabilité du mensonge et de la duplicité dont font preuve nos politiciens envers notre peuple. tout cela, ce sont les fruits de l'incroyance.
Et que sont les fruits de la foi? C'est l'amour de sa patrie, le sacrifice de soi, la restauration de nos lieux saints profanés, la réunion en un seul écrin des trésors spirituels et culturels de notre peuple. Qu'est-ce que la foi? C'est notre renaissance morale et spirituelle. qu'est-ce que la foi? C'est l'éducation des enfants pour notre joie et celle de toute notre patrie. Qu'est-ce que la foi? C'est la forteresse de notre état et la conscience d'être une grande nation, choisie par Dieu lui-même. Qu'est-ce encore que la foi, frères et soeurs? C'est tout ce qu'il y a de bon, dans notre peuple, la chasteté, le pardon universel, l'amour les uns des autres, l'amour du travail, tout cela, c'est la foi. Et qu'allons-nous choisir, quelle voie? Celle de la mécréance athée s'est bien dévoilée et nous irions la suivre? Mais Dieu nous garde d'un tel bonheur!
Nous avons, frères et soeurs, l'exemple de la pieuse vie de nos pieux ancêtres, celui des saints princes et guerriers orthodoxes, défenseurs et unificateurs de notre patrie, celui des sages saints, des pieux laïques, travailleurs, qui aimaient Dieu, leur terre et l'Eglise Orthodoxe. Soyons, frères et soeurs, sensé et non déments. Ce n'est pas en vain que le monde civilisé nous a appelés homo sapiens, homme raisonnable. S'il est raisonnable, alors raisonnons, qu'est-ce qui est blanc, qu'est-ce qui est noir, qu'est-ce qui est bien qu'est-ce qui est mal? Ce n'est pas en vain que ce monde mécréant craint l'Eglise maintenant, et qu'un politologue américain écrit dans le Washington Post:"Après l'effondrement de l'Union soviétique, il ne nous reste qu'un seul ennemi, l'Eglise Orthodoxe russe!" C'est ce que dit ce politologue du gouvernement, ils détestent l'Eglise Orthodoxe. Pourquoi notre pays est-il assiégé par toutes sortes de sectes, de schismes et d'hérésies? Pour nous diviser encore plus, nous déchirer, nous démembrer, et après cela, divise et règne, en utilisant la faiblesse et l'impuissance. C'est, frères et soeurs, à notre époque, que l'on tombe sur l'Eglise Orthodoxe, c'est à notre époque que l'on craint de laisser entrer les prêtres dans les écoles. On nous dit que nous avons un large pluralisme religieux, que toutes les sectes ont leur place dans notre état orthodoxe. Ils ont peur, et en même temps, ils n'ont pas peur de fermer les écoles de campagne, détruisant de la sorte les villages. A notre époque, frères et soeurs, nous avons la responsabilité de nous-mêmes, qu'adviendra-t-il de nous, qui choisirons-nous, Dieu ou l'ennemi? Soit nous restons avec la sainte russie, conservant l'unité d'esprit du peuple orthodoxe, soit nous oublions toutes les leçons de l'histoire et tombons dans un esclavage impuissant, tournant la tête de tous les côtés, que dit-on ici, que pense-t-on là, qu'estime-t-on là bas? Il est temps de nous évaluer nous-mêmes, et de construire notre patrie sans conseillers venus d'ailleurs. Et ne commençons, frères et soeurs, la vie créative de notre pays par rien d'autre que le repentir et la prière dans les églises de Dieu. Au jour d'aujourd'hui, tenons-nous devant l'intercessrice assidue de la chrétienté, devant sa pure image. Souvenons-nous qu'elle a un jour appelé un homme simple à faire renaître la sainte Russie, Kouzma Minine. Que la Mère de Dieu élise en chacun de nous un homme de prière qui, par ses oraisons et ses récits, nons eulement en paroles mais par l'exemple, montre comment vivre et vers quoi diriger ses efforts, à quoi prêter attention, et quel sens donner à tout cela. Que la Mère de Dieu nous aide au jour d'aujourdhui, nous, pécheurs, maudits, indignes, coupés de Dieu, comme autrefois nos compatriotes, par sa miséricorde et sa protection, ses prières maternelles. Et bien que nous soyons tout cela, nous n'avons pas d'autre Dieu que notre Seigneur Jésus Christ, pas d'autre mère que la Reine du Ciel, et bien que nous t'ayons renié, Seigneur, Toi, ne nous renie pas. Reine du Ciel, par ton amour maternel, couvre nos féroces péchés, restaure en nous la ferveur pour Dieu, l'amour de la sainte orthodoxie, de cette voie sur laquelle marchaient nos ancêtres sans jamais le regretter. Amen.