Je commence à sentir le poids de la vieillesse, je suis vite fatiguée, je suis percluse de douleurs, il faut dire que le carême n’arrange rien. Je le fais à contre-coeur, et je ne lis pas les kilomètres de prières que je lisais les autres années. J’ai même du mal à aller aux offices. Samedi matin, sachant qu’il serait interminable, je n’ai pas pu me décider à m’y rendre. Le jeune prêtre qui m'a confessée hier m'a dit que j'avais peut-être, comme disait Raymond Devos, une "crise de foi". De foi, je ne sais pas, peut-être une overdose de bondieuseries, cela m'arrive, par moments. Le père Andreï m'a appelée pour me remonter le moral et m'engager à regarder un film soviétique sur mère Marie Skobtsov, "mère Marie". Un bon film, orienté, naturellement. La mère Marie est uen femme très bien, qui s'est égarée dans la religion, la pauvre, mais elle aurait fait une bonne communiste, et au moment de se sacrifier, dans son camp de concentration, incrimine Dieu et son injustice, elle a comme un doute, "Eli, Eli, lama sabactani". Comme si du point de vue communiste, pour mourir sauvée, il lui fallait douter du Dieu chrétien. Mais du point de vue communiste, c'est dans le néant total, qu'elle se précipite héroïquement, et si Dieu a fait un monde si affreux, comment croire aux lendemains qui chantent? Et si chantent ces lendemains, quelle importance a une vie dont tous les élans sublimes aboutissent dans un sac noir?
En tous cas, pour me remonter le moral en ce moment, un film sur l'occupation allemande, ce n'est pas vraiment le bon truc, étant donné le contexte. Heureusement, le printemps est enfin là, le vent tiède et rêveur, la danse du soleil avec les nuages, le semis verdâtre des bourgeons sur les branchages, les petits oiseaux affairés, les chats qui se prélassent. Et le voisin ne met pas sa radio depuis déjà deux jours, c'est un miracle, j'ai prié pour. Peut-être qu'il a eu des réflexions d'un autre voisin...
J'ai trouvé, sur une page intelligente, cette citation qui m'a intéressée:
"Quand je suggère qu'il faudrait réduire à quatre le nombre d'heures de travail, je ne veux pas laisser entendre qu'il faille dissiper en pure frivolité tout le temps qui reste. Je veux dire qu'en travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses qui sont essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et qu'il devrait pouvoir disposer du reste de son temps comme bon lui semble. Dans un tel système social, il est indispensable que l'éducation soit poussée beaucoup plus loin qu'elle ne l'est actuellement pour la plupart des gens, et qu'elle vise, en partie, à développer des goûts qui puissent permettre à l'individu d'occuper ses loisirs intelligemment. Je ne pense pas principalement aux choses dites « pour intellos ». Les danses paysannes, par exemple, ont disparu, sauf au fin fond des campagnes, mais les impulsions qui ont commandé à leur développement doivent toujours exister dans la nature humaine. Les plaisirs des populations urbaines sont devenus essentiellement passifs : aller au cinéma, assisté à des matchs de football, écouter la radio, etc. Cela tient au fait que leurs énergies actives sont complètement accaparées par le travail ; si ces populations avaient davantage de loisir, elles recommenceraient à goûter des plaisirs auxquels elles prenaient jadis une part active."
"Éloge de l'oisiveté" Bertrand Russell
D'abord, elle me confirme, contrairement à ce que proclament avec des sarcasmes haineux les commentaires sous les vidéos de retour à la nature, à la vie paysanne et au folklore, que les gens opprimés des périodes obscures avaient le temps. On ne décore pas sa maison, et le moindre de ses instruments de travail faits main, et ses costumes de fête, on ne chante pas, on ne danse pas, on ne joue pas d'instruments, on ne mémorise pas chansons, épopées et contes, quand on n'a pas de temps pour cela. Et pas d'élan, pas d'inspiration, pas de vie en soi. Bien entendu que tout cela est une escroquerie, c'est ce qui rend ces commentaires si agressifs. Ces gens ne supportent pas l'idée qu'au lieu de s'être "élevés socialement", ils ont déchu comme jamais, et vivent une existence de merde, ils ont besoin de penser, pour justifier leur condition, que leurs ancêtres vivaient comme des porcs exploités sous la schlague, dans la boue, en émettant tout au plus des grognements, avant que des philanthropes vinssent leur apporter les lumières du Progrès.
La solution est-elle de travailler moins, je n'en suis pas sûre, il faut d'abord travailler autrement, en accord avec les rythmes de la vie, et les siens propres, revenir à un travail indépendant, qui a du sens. L'impulsion subsiste certainement chez pas mal de gens, elle connaît des résurgences génétiques, le problème est que déjà plusieurs générations ont grandi sans aucune transmission, et dans le meilleur des cas, les gens vont faire des merdes de mauvais goût dans les maisons de la culture, ils ne savent pas vers quoi se tourner, et ne sont plus équipés pour créer quelque chose de beau, c'est-à-dire d'authentique, tellement on leur a pourri la vision et l'audition dès la petite enfance, et souvent avec l'académisme, qui a seul droit de cité aux yeux des profs. Je vois parfois même des folkloristes qui, en, dehors de leur domaine, raffolent de kitscheries qui me font froid dans le dos. Une spécialiste du flolklore s'enthousiasme, sur les réseaux, pour une espèce de porcelaine effrayante, un éléphant avec des défenses de sanglier couvert de fleurettes et de dorures et un regard obscène, que je ne supporterais jamais chez moi. D'autres, revenus à la terre, se bâtissent une baraque affreuse du genre qui me fait cuire les yeux partout alentour. Le mal est profond...
"Epitaphe" est sorti en russe, la couverture me plaît beaucoup. Et puis mon éditrice est normale, intelligente, profonde, honnête. C'est bien reposant. J'ai offert un exemplaire à Katia, qui va lire des extraits à la présentation. Je le lui ai dédicacé ainsi: "à ma chère Katia, la panthère rose de notre arche russe." Elle en était ravie!
côté face le cimetière de Cavillargues, côté pile, le ponton des Messerer, près de Ferapontovo |
panthère rose... |
Il y a quelques temps, deux créatures des ténèbres, habillées en bigotes, ont apporté dans une église une icône piégée. J’ai vu aussi, mais la nouvelle m’a échappée avant que je ne l’eusse répercutée, qu’à la Laure de Kiev, on effectuait le tri entre les reliques de saints « ukrainiens » purs et homologués, et les reliques de saints russes, on va faire quoi de ces dernières? Abomination de la désolation... Le père Tkatchev a déclaré que l'Eglise orthodoxe ukrainienne n'avait pas su conserver la Laure, et que c'était irréparable, il incite les orthodoxes à fuir en Russie. Un article d’Igor Drouz envisage la prochaine interdiction de l’Eglise russe en Europe, sa mise au ban de la société, et Bartholomée en profite pour installer les bases de l’intégration de son orthodoxie oecuménique et LGBT compatible dans la « Religion du futur », à l’usage des niais et des dupes. C’est là que je suis contente d’être ici. Tout ceci me serait complètement insupportable, à la longue. Je ne me vois pas aller confesser mes péchés à quelqu’un qui prend les vessies pour des lanternes, quelle que soit la qualité de sa vie intérieure et de sa personne par ailleurs.
On a vraiment l’impression que le projet Ukraine nous concerne tous, c’est le laboratoire de notre futur auquel il serait temps de dire non en bloc. Le machin autocéphale anti russe et uniate va s’étaler comme une flaque d’huile; difficile de ne pas y tremper les pieds. Les croyants qui n’accepteront pas, comme en Ukraine, l’orthodoxie made in USA, seront poursuivis et persécutés.
Dany me
disait qu’après avoir sacrifié notre roi et notre tsar, on sacrifiait nos
peuples, et c’est exactement cela. On associe souvent la révolution aux aristocrates français guillotinés, aux aristocrates russes assassinés, déportés
ou exilés, mais c’est le peuple qui a payé le plus lourd tribut. 800 000
vendéens, liquidés de façon impitoyable et atroce, et en Russie, toutes les
horreurs de la collectivisation, après celles de la guerre civile... En réalité, l’Europe a été assassinée par sa
caste intellectuelle bourgeoise révolutionnaire qui dans tous les pays qui la
composent, déteste les petites gens, et particulièrement la paysannerie. Ceux
qui participent à cela contribuent à notre suicide. Nicolas Bonnal cite à ce
propos Dostoievski, en visite à Londres et Paris, et le compare à Jack London,
dont les terribles descriptions des bas-fonds de Londres concurrencent les
descriptions du goulag par Soljénitsyne. On dit que Dostoievski était un esprit
prophétique, il l’était dans une certaine mesure, mais je me rends compte que
tout était déjà installé pour nous fabriquer la science-fiction où nous sommes,
il savait seulement réunir les pièces du puzzle pour voir quel tableau il
composait... Il y a des gens qui sont capables de prendre le recul et la hauteur nécessaires à la lecture des signes.
Le petit cochon ébahi devant le massacre de son troupeau, sur la
vidéo que j’ai produite de l'action mafieuse et vile entreprise contre son éleveur, me poursuit et me rappelle un gamin palestinien ensanglanté
et abasourdi, errant parmi plusieurs personnes blessées et tuées, ou le petit Russe du Donbass titubant dans les ruines de sa maison, avec un regard d'adulte dans une figure de bébé. C’est que les crimes
commis le sont contre toute la vie. De la même façon que les colons américains entassaient
avec fierté les crânes des bisons qu’ils exterminaient pour affamer les
indiens. La barbarie, la fourberie et l’ignominie, lorsqu’elles passent toutes
les bornes, appellent le châtiment, la justice de Dieu ou la justice immanente,
comme vous voudrez. La vie recrachera les grands bandits au pouvoir depuis trop
longtemps, comme un noyau indigeste ou une boisson toxique. Ils couleront d’elle
comme le pus d’un furoncle. J'espère vivre assez longtemps pour voir, depuis le temps que je suis assise au bord de l'oued, passer dans ses eaux les cadavres de nos ennemis.
Comptine des philanthropes
Ils veulent notre bien.
Ils nous piquent, nous masquent
Et nous marquent,
Mais c’est pour notre bien.
Ils nous parquent, nous claquent
Et nous maquent,
C’est pour notre bien.
Les animaux à l’abattoir,
Et les enfants dans les foutoirs,
Et les vieillards dans les mouroirs
Et les garçons au laminoir
Du combat pour la liberté.
Notre liberté de baiser,
D’avoir des anneaux dans le nez,
D’avorter, de sodomiser,
Coupez vos zizis et vos seins,
C’est pour votre bien.
Tout est réglé, tout est pensé,
Tout est fléché.
Courez, petits lapins, courez,
Les chasseurs vont vous protéger,
Courez, petits moutons courez,
Les bouchers vont bien vous garder.
Massacrez gaiment les parias :
Ils gênent par trop les élus
Qui du panier sont le dessus.
Massacrez les chiens et les chats,
Les vaches, les cochons, les rats,
Sciez les bois à tour de bras,
Brûlez l’espoir avec la foi,
Ne laissez rien,
C’est pour votre bien.