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vendredi 15 décembre 2017

Nuit polaire

J’ai tout le temps mal au genou, cela me réveille la nuit et contribue à mon épuisement. Le temps est abominable, moins deux plus deux, gel, dégel, patinoire, pataugeoire. Plus, comme dit le père Valentin "la nuit polaire": nous sommes dans les parages du cercle du même nom. Les hivers doux et nuageux sont particulièrement ténébreux!
A court d'argent, je revends mon studio, que d'ailleurs, je n'arriverais pas à gérer à distance. L'acheteur, c'est la nouvelle mode, exige un certificat médical pour être sûr que je ne suis ni gâteuse, ni folle, ni droguée, ni alcoolique, je trouve cela délirant, car chez nous, soit quelqu’un est officiellement sous tutelle, soit, quelque soit sa vie, sa signature est incontestable. Cela va m’obliger à encore une démarche épuisante. Il va me falloir aussi courir à Moscou remettre tous mes papiers à Sacha, l’agent immobilier, puis à revenir signer, il voulait me faire venir aujourd’hui,  mais s’ils tiennent à leur certificat, c’est râpé jusqu’à lundi.
Dans tout cela, et malgré ma faiblesse et ma flemme, ou ma fatigue, la foi me soutient étonnamment. Je dois en avoir plus que je ne le pensais, car cela me soutient vraiment, avec la perspective de ce que je veux mettre en place pour faire connaître et développer le folklore et les traditions russes. Je pense être là pour dire aux Russes de s'aimer tels qu'ils sont, au lieu de continuer à prendre l'Occident comme référence. Et puis mon livre, le tsar Ivan. Parfois, il me semble que son âme me suit et me porte, elle me tourmente, aussi, mais mon amie Sophie a raison, cette âme a de l’amour pour moi, à sa manière. J’en ressens la sollicitude réelle  et aussi l’exigence vampirique et séductrice à mon égard. De sorte qu’à mon avis, il était assez proche de ce que je décris, et que plus ou moins son ascendant sur Fédia devait correspondre à ce que je montre, même si Fédia était probablement plus sauvage et plus coupable que dans mon livre. Cette communication étrange entre ces âmes et moi me défend tout à la fois de croire en un tsar Ivan saint et irréprochable et en celui de la légende noire instaurée par des racontars ou des exagérations. Je ressens une personne à la fois violente et blessée, dominatrice et fragile, dont le génie politique réel, ou le génie tout court, car le tsar était doué pour bien des choses, était habité par des forces contradictoires: c'était un champ de bataille entre les anges et les démons, ce que nous sommes tous, mais disons que dans son cas, la bataille était plus grandiose, et les enjeux plus sérieux. Les conséquences plus tragiques.
Les libéraux ont organisé la projection d’un film ukrainien à la gloire des bataillons néonazis ukrainiens qui commettent des atrocités au Donbass, et cela à Moscou, l’équivalent serait-il concevable à Kiev ? Parallèlement, le ministère de la Culture a brutalement fermé le Centre de Folklore et confisqué ses archives inestimables, de sorte que je me pose vraiment des questions sur les pouvoirs réels de Poutine ou sur son engagement en faveur des traditions russes et de l’indépendance de son pays. Le funeste centre Eltsine, en revanche, fonctionne très bien, à Ekaterinbourg, et travaille à la division de la Russie, à sa mise en cause permanente, à la calomnie de son histoire, à la destruction de sa mentalité et de son génie propre. Comment ce centre est-il toléré par Poutine ? C’est un foyer d’infection, installé par les Américains. Comment cela a-t-il été possible ? Une correspondante russe installée en France me dit qu’une de ses connaissances russes vomit la Russie, choisit le catholicisme, proclame que rien de bon ne peut sortir de son pays, qu’il faut le mettre sous tutelle internationale, bref, le discours libéral empoisonné du Centre Eltsine. La tradition des occidentalistes qui ont amené autrefois la révolution, et voudraient à présent achever le travail. Des Russes incapables d’apprécier leur propre civilisation, prêts à trahir. Je les ai toujours eu en horreur. Que j'ai choisi la Russie ne me fait pas cracher sur la France, ni décréter que jamais rien de bon n'en est sorti. Mais ces "Russes" là ne connaissent pas leur propre pays, leur propre tradition, ni leur propre foi.
En face, nous sommes divisés entre nostalgiques de Staline et du communisme et nostalgiques de la sainte Russie. Personnellement, j’étais prête à dépasser ce clivage, mais l’agressivité de ces néo communistes qui nient effrontément les répressions et les crimes ou profèrent qu’il n’y en a pas eu assez et qu’il faudrait recommencer m'est insupportable, et je ne peux pas en passer par où ils veulent, c’est-à-dire justifier tout cela.  Installer une sorte de socialisme orthodoxe, pourquoi pas ? Mais justifier les crimes, les massacres, et les destructions inouïes du patrimoine matériel et immatériel, non.
Soljenitsyne avait envisagé des solutions russes assez proches de ce socialisme orthodoxe (et des communautés médiévales) dans « Comment réaménager notre Russie », mais les néocommunistes sont beaucoup trop soucieux de le calomnier, afin de justifier leurs chers massacreurs, pour lire vraiment ce qu’il a écrit.
Je crains que les éléments corrupteurs à l’œuvre ne finissent par pourrir la Russie de l’intérieur. Alors la nuit complète tombera sur le monde. Ce sera la fin.
Et peut-être qu'il doit en être ainsi, avant le second Avènement, mais que notre petit troupeau soit au moins le plus important possible. J'ai lu un post décrivant les atrocités commises envers les croyants au moment de la révolution. Je n'ai pas eu le courage de le traduire et du reste, ce sont surtout les Russes qui ont besoin de le lire. Mais une chose m'a frappée plus particulièrement: des paysans étant venus en foule défendre leur icône de la Mère de Dieu confisquée, on les a mitraillés sans pitié, et ceux qui n'étaient pas encore tombés continuaient à avancer, hommes, femmes et enfants, en invoquant la Mère de Dieu, jusqu'à ce qu'il n'en restât plus un seul en vie. 

.В Шацком уезде крестьяне собрались к зданию ЧК выручать конфискованную Вышенскую икону Божией Матери. Красноармейцы открыли огонь по толпе. Очевидец рассказывал: " Я солдат, был во многих боях с германцами, но такого я не видел. Пулемет косит по рядам, а они идут, ничего не видят, по трупам, по раненым лезут напролом, глаза страшные, матери — детей вперед, кричат: " Матушка Заступница, спаси и помилуй, все за Тебя ляжем!" Страха уже в них не было никакого"."
(Прот Владислав Цыпин, ИСТОРИЯ РУССКИЙ ЦЕРКВИ, 1917-1997)

C'était cela, cette moisson de martyrs que faisait le Seigneur dans la montée des ténèbres, c'était cela, la sainte Russie. C'est avec elle que je veux être au jour du jugement. Pas avec ceux qui l'ont martyrisée, ni avec ceux qui la vendent aux Américains. Ceux-là appartiennent au diable, non seulement par leurs péchés, mais surtout par le culte qu'ils lui vouent: adorateurs déterminés de Belzébuth et de Moloch. Les péchés, nous en sommes tous pourris, qu'y faire, sinon confier à Dieu notre pauvre personne dolente afin qu'il la guérisse... Mais se prosterner devant de noires idoles et sacrifier des vies sur leurs autels, cela est grave, cela exige un repentir profond, pas des fanfaronnades ni de nouveaux appels au meurtre ou à la trahison.




jeudi 14 décembre 2017

climatodépendance

Depuis quelques jours, je suis extrêmement fatiguée. Il faut dire que la température hésite entre moins deux et plus deux, et qu'il n'y a rien de pire. L'hiver de l'année dernière, à la température stable au dessous de zéro, était une vraie bénédiction et d'ailleurs, je pétais le feu. Là, j'ai la tension dans les chaussettes, il faut aller la récupérer et la remonter à coup de café et de thé sucré, et en plus, je traîne la patte...

La jambe me fait mal,
Boute selle, boute selle,
La jambe me fait mal
Boute selle à mon cheval...

Ce matin, je voulais prendre un taxi pour aller à la pâtisserie, car ce qui avait fondu hier avait gelé pendant la nuit, mais naturellement, toute la ville ayant constaté la même chose, il n'y avait pas de taxis de libres,et je suis allée à pied à l'arrêt de bus, à quatre ou cinq cents mètres d'ici, les faire sur la patinoire, ce n'est pas rien. On étudie chaque pas qu'on fait, en se demandant si on n'ajoutera pas bientôt la fracture du col du fémur à l'arthrose du genou, est-ce bien à moi qu'il arrive de me faire de telles réflexions? Eh oui. Je suis dans la peau d'une vieille peau.
Mon imbécile de chienne s'est plutôt calmée, mais elle a une nouvelle manie, aboyer comme une dingue au milieu de la nuit. La chose se prolongeant, je suis sortie pour essayer de la faire rentrer. Elle circulait en me faisant des pieds de nez et des bras d'honneur et j'ai laissé tomber: la poursuivre en chemise de nuit et bottes de feutre sur la patinoire n'est plus de ma compétence ni de mon âge. J'en venais presque à souhaiter qu'un voisin lui file un coup de fusil, tant l'amusement se prolongeait. D'un autre chien, on eût pu attendre qu'il se lassât. Mais Rosie est inlassable, et un autre crétin canin dans le lointain lui renvoyait la balle avec une extraordinaire obstination.
De sorte que je n'ai encore pas pu dormir normalement.
Mais ce qui illumine mes jours, c'est la perspective du concert avec Paramonov, et les petits garçons dont j'ai publié la vidéo, l'accordéoniste et ses frères danseurs. Ce sera un grand moment!

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« LE PLUS HUMAIN DES HOMMES »


«…Il faut couper la tête à au moins une centaine de Romanov (8 décembre 1911) ; « dans les autres pays il n’existe pas de demi fou comme Nicolas » (14 mai 1917) ; « le simple d’esprit Nicolas Romanov » (22 mai 1917) ; « l’idiot Romanov » (12 mars, 13 et 29 avril 1918) ; « le monstre idiot Romanov » (22 mai 1918) etc, etc.
 «…Il faut déclencher une terreur massive sans pitié contre les koulaks, les popes et les gardes blancs ; enfermer les éléments douteux dans des camps de concentration en dehors de la ville ».
 «… Il faut bander toutes nos forces, constituer un triumvirat de dictateurs (vous, Markine et autres), déclencher tout de suite une terreur massive, fusiller et emporter des centaines de prostituées, de soldats ivrognes, d’anciens officiers etc.
Il faut donner un exemple. 1) Pendre (obligatoirement pendre, pour que le peuple le voit) 100 koulaks, riches, buveurs de sang connus. 2) Publier leurs noms. 3) Leur enlever tout le blé 4) Désigner des otages, selon mon télégramme d’hier. Faire en sorte qu’à des centaines de verstes alentour, le peuple voit, tremble, sache et crie : ils étranglent et étrangleront les koulaks buveurs de sang. Télégraphiez la réception et lexécution ».  
«…je conseille de nommer ses chefs, et de fusiller les comploteurs et les hésitants, sans rien demainder à personne ni permettre d’hésitation idiote. ». « D’après moi, il ne faut pas plaindre la ville et remettre à plus tard, car une extermination impitoyable est indispensable ».
« Il faut à tout prix et de toutes vos forces nous aider le plus vite possible à achever les cosaques. »
« Pour ce qui est des étrangers, je conseille de ne pas se presser de les exiler. N’est-il pas mieux de les mettre en camps de concentration… »
« Sous l’aspect de « verts » (nous leur mettrons après cela sur le dos) nous ferons 10 ou 20 verstes et pendront les koulaks, les popes, les propriétaires terriens. Une prime de 100 000 roubles pour chaque pendu ».
« … Faire la paix avec « Nicolas » est stupide, il faut rameuter toute la tchéka pour fusiller ceux qui ne sont pas venus au travail à cause de « Nicolas ».
« Tout bon dieu est de la nécrophilie… Toute idée religieuse, toute idée à propos de tout bon Dieu, toute coquetterie au sujet du bon dieu est une abomination inexprimable… la plus dangereuse des abominations, la « contagion » la plus vile ».
« Je vois avec horreur, je le jure, avec horreur, que l’on parle de bombes depuis plus de six mois et qu’on n’en a pas fait une seule !... Que tous s’arment immédiatement eux-mêmes comme ils peuvent, qui d’un revolver, qui d’un couteau, qui d’un chiffon et de kérosène pour mettre le feu… Que les uns assassinent un gros lard, les autres fassent sauter un poste de police, que d’autres encore braquent une banque pour confisquer des fonds… que chaque détachement apprenne lui-même au moins à tabasser des policiers, les dizaines de victimes seront rachetées au centuple, par les combattants expérimentés qu’elles vont  donner… Même sans armes, les détachements peuvent jouer un grand rôle… en se rassemblant en haut des immeubles, aux étages supérieurs, et en jetant des pierres aux troupes, en les aspergeant d’eau bouillante… (achats de toutes sortes d’armes et d’obus, recherche d’appartements bien situés pour les combats de rue : pratiques pour combattre depuis les hauteurs, pour stocker des bombes ou des pierres etc. ou de l’acide, pour en arroser les policiers… assassinat d’espions, de policiers, de gendarmes, explosion de postes de police, libération des prisonniers, confiscation des moyens financiers du gouvernement… on mène de telles opérations déjà partout… Les détachements de l’armée révolutionnaire doivent tout de suite apprendre qui, où et comment constituer des centuries noires, et ensuite à ne pas se limiter aux sermons (c’est utile, mais cela ne suffit pas), mais à entrer dans la force armée, tabassant les tchernosotentsi, les tuant, faisant exploser leurs quartiers généraux etc. etc. ».
Devinez de qui sont ces citations ?

Ce florilège est suivi du témoignage personnel du père Gamaris :
« Mon père, membre du RSLDP depuis 1937, faucon de Staline a laissé ses mémoires. Je craignais d’y lire quelque chose dans le genre de ce qu’Elena écrit : des titres du journal la Pravda. Je suis allée sur la Volga, j’ai ouvert son cahier… et me suis mis à pleurer : mon père avait écrit la vérité. Comment on voulait recevoir la terre, comment on avait spolié les paysans et les avait acculés à l’esclavage du kolkhose, la famine organisée de 1933, quand il s’échappa de la ville repue de Leningrad avec un sac de nourriture à travers les détachements de gardes pour se rendre dans le village de Grebeni, de la région de Kiev, et sauver ses parents et ses frères qui mouraient de faim. C’est à lui que je fais le plus confiance. Les slogans et les mensonges sur Lénine, on les apprenait à l’institut, et j’ai passé avec mention très bien l’examen de « communisme scientifique » auprès du professeur Korostach. Je crois ma grand-mère maternelle, Irina Nilovna, paysanne d’Orlov, qui se rappela toute sa vie son existence sous le tsar comme d’un paradis, comment le propriétaire terrien la payait en tchervontsi d’or pour son travail, quelle abondance dans les boutiques, et elle se souvenait comme d’un enfer son esclavage du kolkhose, le labeur non pour des tchervontsi ni pour de l’argent mais pour une croix marquant sa journée sur le cahier d’un comptable non russe. « Lénine, c’est l’antéchrist qui aurait pu devenir l’antéchrist principal, mais le sang des martyrs a éteint cette flamme infernale, qu’il a allumé à son « Etincelle » (Iskra : publication de Lénine en exil) me dit un jour, dans les années 70, une grande figure de l’Eglise.


Le père Gamaris, d'origine ukrainienne, est un soutien actif de la cause du Donbass et un patriote russe. J'ai trouvé sur son fil de nouvelles, et traduit, beaucoup de témoignages concernant l'Ukraine et les exactions du gouvernement de Kiev.
Les témoignages que je publie ne proviennent ni de dissidents, ni de Soljenitsyne, ni de la propagande occidentale, mais de Russes qui s'expriment sur Facebook, de journaux russes, ou souvent d'amis que je connais personnellement, qui ne sont pas des libéraux et dont je ne mets pas une seconde la parole en doute. 

tableau de Boris Koustodiev






mardi 12 décembre 2017

Les vessies et les lanternes


Il m'est tombé sous les yeux un article significatif, présenté comme suit: 
« A l’extérieur, une maison insignifiante, à l’intérieur, un palais royal ».
Or je vois personnellement à l’extérieur une isba traditionnelle charmante et joliment décorée, mais qui aurait besoin d’être rafraîchie, à l’intérieur un festival de mauvais goût boursouflé et prétentieux, et parmi les commentateurs, je suis la seule dans mon cas. Il ne fait pas s’étonner que le richard d’une de mes chroniques précédentes se soit indigné en recevant un cadeau simple et de bon goût, poétique et enfantin. 
Dans une isba de ce type, on s’attendrait à trouver, au vu du titre, des merveilles comme la célèbre « maison aux lions » : 




Ou bien encore dans le style de la maison du paysan enrichi Poliachov, évoqué dans une de mes chroniques (https://chroniquesdepereslavl.blogspot.ru/2016/11/un-paysan-obscur-et-miserable.html#comment-form)
Poliachov avait du goût, lui, évidemment, car il avait derrière lui toute une culture paysanne intacte, et cela le retenait de verser dans le débordement kitsch. Il n’avait pas du tout une mentalité de parvenu, bien qu’il fût, comme la plupart des riches Russes, fastueux et généreux.  Mais la paysannerie, à force d’être moquée et coupée de ses sources, en vient à se mépriser elle-même, et à rêver comme le papy de cette petite maison, d’un fatras clinquant qui représente à ses yeux « l’intérieur royal » revu et corrigé par les séries télévisées de seconde zone.
Savoir discerner le beau du laid, c’est comme savoir discerner le vrai du faux, et le bien du mal, c’est complètement interdépendant. Nos ancêtres suçaient ces aptitudes avec le lait de leur mère, ils étaient éduqués en ce sens par leur culture millénaire. Eradiquer cette culture en substituant systématiquement le toc, la contrefaçon à l’authentique, les vessies aux lanternes et le clinquant à l’or véritable est le souci constant du diable qui tient nos élites à la tête.
Dans cette perspective, la survie du folklore est vraiment une question de survie de l’âme même du peuple, au sens le plus spirituel du terme. Celui qui est éduqué dedans, ou qui en ressent l’appel et y revient, n’est plus dans le monde des vessies, il est dans celui des lanternes qui éclairent pour de bon, on ne la lui fait plus, il est relié. C’est pourquoi certains ecclésiastiques commencent à le considérer comme une thérapie. C’est une thérapie. C’est une cure de désintoxication. C’est une porte qui s’ouvre sur l’éternelle enfance du monde dont nous devrions être les participants éblouis.
Instinctivement du côté des ténèbres, qu’ils choisissent systématiquement, les fonctionnaires et les puissants d’aujourd’hui vont naturellement essayer de l’exclure de l’espace public, pour y substituer, comme à l’époque soviétique, des contrefaçons, avec beaucoup plus de mauvais goût, et consacrer l’argent public au financement de provocations d’avant-garde visant à pervertir et désespérer ceux qui les regardent et les écoutent. C’est-à-dire à infiltrer ici ce que l’Occident a de pire.
Soutenir le folklore là où il est encore vivant, c’est ma résistance.

Voici des enfants élevés dans le folklore :

 

A mon avis, ils auront moins de problèmes que les enfants rivés à leurs tablettes.

Elle avait épousé un ingénieur soviétique...


Au camp, les zeks lui avaient sculpté, avec un couteau de cuisine, sur les châlits un clavier de piano. Et la nuit, elle jouait de cet instrument muet Bach, Beethoven, Chopin. Les femmes du baraquement assurèrent plus tard qu’elles entendaient cette musique silencieuse, en suivant simplement les mouvements de ses doigts déformés par le travail d’abattage des arbres en forêt et de son visage.
Fille d’un Français et d’une Espagnole, professeur à l’université parisienne de la Sorbonne, Vera Lotard avait étudié à Paris chez Alfred Cortot, puis à l’académie de musique de Vienne. A 12 ans, elel avait fait ses débuts avec un orchestre sous la direction  du grand Arturo Toscanini.
Pianiste déjà connue, qui donnait des concerts en soliste dans de nombreux pays du monde, elle avait épousé l’ingénieur soviétique Vladimir Chevtchenko et arriva avec lui en URSS en 1938. Vladimir Chevtchenko ne tarda pas être arrêté. Vera se précipita au NKVD et commença à crier, mélangeant le russe et le français, que son mari était un homme remarquable et honnête, un patriote, et que si ils ne comprenaient pas cela, ils étaient des imbéciles, des idiots, des fascistes et si c’est comme ça, arrêtez-moi aussi…  Ce qu’ils ont fait. Et Vera Lotard-Chevtchenko allait défricher  la forêt pendant  treize ans au camp. Elle apprendra la mort de son mari au camp, et de leurs deux enfants au blocus de Léningrad.
Elle fut libérée à Nijni Taguil. Et tard le soir, courut directement depuis la gare, dans sa veste ouatinée du camp en lambeaux, à l’école de musique, frappa fébrilement à la porte, suppliant qu’on lui donnât « la permission d’aller au piano »… pour… pour « donner un concert »…
On le lui permit. Près de la porte fermée, sans oser entrer, les pédagogues sanglotaient.  On comprenait bien d’où elle était accourue, dans sa veste ouatinée déchirée. Elle joua presque toute la nuit. Et s’endormit derrière son instrument.  Par la suite, elle racontait, en riant : « Et je me suis réveillée déjà professeur dans cette école ». Vera Lotard Chevtchenko passa les seize dernières années de sa vie à Akademgorodok, près de Novossibirsk.
Elle ne se contenta pas de se reconstruire après le camp en tant que musicienne, mais elle commença à mener activement des tournées. Les billets du premier rang, à ses concerts, n’étaient pas à vendre. Ces places étaient réservées à ceux qui avaient partagé avec elles les terribles années des camps.  Si quelqu’un venait, c’est qu’il était en vie.
Les doigts de Vera Avgoustovna restèrent jusqu’à la fin de sa vie rouges, tordus, noueux, courbés, déformés par l’arthrite. Et encore repoussés de travers, après qu’au cours des interrogatoires,  les eut brisés (sans se presser, en savourant chaque coup de crosse de revolver) l’enquêteur en chef, le capitaine Altoukhov.
Vera Lotard-Chevtchenko est morte en 1982 à Akademgorodok près de Novossibirsk.

https://www.facebook.com/photo.php?fbid=1570136426406362&set=a.758262770927069.1073741827.100002300590900&type=3

Témoignage trouvé sur mon fil de nouvelles de Facebook.



sous-titres anglais.

dimanche 10 décembre 2017

L'icône des Keleynikov

En 90, j'avais participé à une expédition en Russie "sur les traces de Radichtchev", et j'y avais fait la connaissance d'Olga et de son fils Kécha, qui avait alors 12 ou 13 ans. Au départ, je m'étais demandée pourquoi Olia emmenait avec elle son gamin pour un tel voyage, mais je m'étais rendu compte assez vite que c'était le style d'enfant à y prendre un vif intérêt.
J'ai eu par la suite une longue et étroite amitié avec toute la famille, puis pour des raisons que finalement je ne m'explique pas tellement et sans doute eux non plus, nous avons été en froid.
Puis nous avons repris contact, et grâce à une icône ancienne, une icône naïve que Kecha cherchait à caser sur facebook, et qu je lui ai proposé de prendre, j'ai décidé de consacrer une soirée à de dignes retrouvailles.
Elles ont été chaleureuses, joyeuses et comme d'habitude dans la famille Keleïnikov, nous avons très bien mangé.
Kecha enseigne à présent à l'institut polygraphique, il a une barbe rousse, une jolie jeune femme à lunettes, Liéna, et un adorable petit garçon, à la bouille très russe, Kostia. Kostia, comme son père, n'est pas un enfant turbulent, c'est un enfant qui observe et qui pense!
Il y avait aussi Iouri Nozdrine, un graveur génial, et nous avons regardé les créations des uns et des autres. Comme nous sommes chez des graphistes, le mot, la lettre et le livre ont dans cette compagnie une extrême importance. On fait ses propres livres, en utilisant, par exemple, pour la couverture, un reste du kimono japonais en satin que la grand-mère d'Olia portait avant la révolution de 17! (le grand-père d'Olia, officier cosaque d'une grande beauté et d'une grande force de caractère avait réussi, pendant toute la période la plus dangereuse de l'URSS, c'est-à-dire jusqu'à la mort de Staline, à échapper avec sa famille aux arrestations en déménageant systématiquement tous les trois mois).
Quelquefois ces livres sont à plusieurs exemplaires en tirage limité, d'autres sont uniques, car ils mélangent impression de gravures ou de monotypes, aquarelles, gouaches, encres...

Dans le sang brûle le feu du désir. Iouri Nozdrine
Olga Keleynikova la paresse

Iouri a une inventivité inépuisable et un monde intérieur étrange, surréaliste et grotesque, toutes sortes de petits monstres, de femmes tentatrices et de pauvres hommes emportés par leurs tentations avec un humour désabusé. Ses gravures grouillent de créatures bizarres et de textes calligraphiés, des aphorismes de son cru ou de divers auteurs. On peut les regarder pendant des heures, il y a toujours quelque chose à découvrir.
Pour ceux qui voudraient explorer cet univers foisonnant, voici son site:
A mon retour, j'ai accroché mon icône dans le coin de la cuisine destiné à cet usage. C'est ma deuxième icône de style naïf, celle qui m'a fait retrouver la famille Keleïnikov. 

C'est celle du dessous, la Mère de Dieu. Il paraît qu'elle vient de
Sibérie. Le Christ au dessus vient de Pereslavl. Les petits ornements
sont des cadeaux d'Anne Frinking, femme de l'iconographe Bernard
Frinking...


La poésie et la boursouflure

Retour à Moscou pour exécuter des démarches administratives, j'en profite pour aller voir l'exposition de figurines fabriquées par le peintre Alexandre Chevtchenko.
J'adore ce que fait Sacha Chevtchenko, longtemps Constantin Soutiaguine et lui peignaient systématiquement ensemble en plein air, et souvent exposaient ensemble, mais Sacha est allé s'installer dans une petite ville des environs de Moscou, Maloïaroslavets. Il a conservé à Moscou l'atelier qui leur était commun et nous nous rencontrions entre amis autour d'un thé, ou des crêpes de la maslennitsa.
Ses tableaux sont de vrais morceaux de vie qui capturent la lumière et la brume, une ambiance, les mouvements naturels des gens, de leurs vêtements, ils sont très évocateurs, pleins d'une poésie enfantine et un peu nostalgique.

Alexandre Chevtchenko, la rivière Troubej, à Pereslavl Zalesski


Alexandre Chevtchenko, bouquinistes à Paris

Alexandre Chevtchenko, la place Rouge

D'autre part, je vois chez lui un coffret de petites figurines pour arbre de Noël en papier mâché, mais ce n'est pas lui qui les a faites, il se contente d'essayer de les vendre, ce sont les oeuvres d'une amie peintre. Quelqu'un avait voulu les offrir à une huile, le patron d'une des plus grandes entreprises du pays, qui les avait trouvées indignes de sa grandeur, et les avait refusées avec indignation. Quand on voit ce genre de réactions, on comprend les châteaux Disneyland en série, le raid sur le Centre National de Folklore, celui sur les quarante hectares de landes protégées autour du monastère saint Nicétas: de grossiers personnages pleins de fric mais imperméables à toute espèce de poésie ou d'art véritable, qui ne comprennent que le clinquant, le kitsch et la boursouflure... Où sont les marchands russes d'avant la révolution, ou même le paysan enrichi qui s'était fait bâtir cette étonnante maison en bois abandonnée actuellement dans le nord du pays? 

Le coffret complet.