La fête du
printemps avait maintenant vraiment commencé, avec l’herbe tendre et les
jonquilles, la rose de Noël, les branches couvertes de lumineux bourgeons
verts, le vent doux qui flâne et murmure, le soleil qui roule entre les sabots
des nuages échevelés. J'ai même vu, au petit matin, un vol de montgolfières qui soufflaient comme des dragons. Or cette nuit, nous aurons des gelées, et demain huit
degrés... Je suis allée à la liturgie de la Cène, ce matin, à l’église de
Glebovskoïé, à une vingtaine de kilomètres de Pereslavl, en direction de
Moscou. Je vois cette église depuis des années, elle est très harmonieuse,
petite et bleue, mais juste sur la route de Moscou à Arkhanguelsk. Elle a été
dévolue au père Ioann, qui officiait à un moment à la cathédrale, et qui m’a
vivement engagée à venir le voir. J’ai rencontré sur place un couple de Moscou
qui a une datcha dans le coin, et veut m’inviter après Pâques. D’après le père
Ioann, il a peu de paroissiens, les gens du coin ne vont pas à l’église,
beaucoup s’en vont. Il a des moscovites qui viennent pour lui, des enfants spirituels, et aussi
de nouveaux arrivants dans le pays. Son intention est de créer une véritable
communauté de gens qui s’entraident et qui participent à la vie de la paroisse.
Du coup, tout est un peu fait de bric et de broc, là dedans, hétéroclite.
Il m’engage à lui faire des icônes, une de ses paroissiennes a appris
spécialement la technique pour
venir en aide à la communauté.
La liturgie
était longue, parce qu’il officie seul et confesse seul les gens, le jeudi
saint, tout le monde se confesse. Dans la foulée, c’était l’office de l’onction
des malades, que l’on administre pendant le carême, et comme je l’avais manqué
à la cathédrale, j’y ai eu droit chez le père Ioann. Il nous a lu une liste
impressionnante de péchés potentiels, dont certains me paraissaient de vraies
peccadilles, et je restais accablée. Cependant, ensuite, il nous a invités, le
couple de moscovites, une vieille paroissienne, une jeune femme pieuse et moi,
au café local, qui n’avait pas le standing du café moyen de Pereslavl. Et
devant le menu affiché, malgré ma faim, je ne savais que prendre, rien n’était
carémique ! Je le lui ai dit : « Moi, je mangerais bien tout,
mais après la liste de péchés que vous nous avez lue...
- Des pommes
de terre frites et du poisson, ça vous dit ?
- Eh bien,
si vous me donnez votre bénédiction...
- Prenez,
prenez ! Moi, par exemple, je ne fais pas le carême, pour des raisons de
santé.
- Et quand
on est vieux et crevé ?
- Ca peut
vous dispenser aussi ! »
Une fois
assis, il nous a raconté : «Au mont Athos, un higoumène a proposé à ses
moines de la crème glacée en fin de carême. Ceux-ci étaient en état de choc,
comment, de la crème glacée ? Et lui leur a dit : c’est pour que vous
ne vous preniez pas pour des saints, avec votre ascétisme, et que vous n’alliez
pas juger les autres. Si je lis toute cette liste de péchés, c’est que je vois
arriver en confession des gens qui me déclarent : ah moi, je n’ai aucun
péché ! Alors il me faut leur remettre les idées en place. Mais vous, eh bien vous ne pècherez pas par orgueil, du coup: vous avez mangé du poisson un jeudi saint!»
Lui-même fait plutôt ascétique, et très fervent, très impliqué dans sa mission.
Au retour, j’ai
dû dormir, tant j’étais fatiguée, quatre heures d’office, et puis la chute de
la température, les brusques changements climatiques m’épuisent. Du coup, j’ai
lu chez moi les douze évangiles de la Passion, je me sentais incapable de
ressortir. D'un autre côté, j'ai tout compris,
Mes chats
m’ont ramené une grosse couleuvre noire, avec deux taches jaunes de chaque côté
de la tête. Rita aboyait furieusement, et la couleuvre essayait d’intimider les
deux chasseurs, soit Moustachon et Robert. J’ai pris l’animal sur une pelle
pour lui sauver la vie en le transportant ailleurs. Moustachon et Robert
opèrent ensemble, c’est une association de malfaiteurs bien rôdée. Je pense que
c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Moustachon a laissé Robert entrer chez
moi. Autrement, il monte une garde impitoyable et vigilante.
Jour de pluie, bien nécessaire, et j'éprouve un plaisir béat à faire la sieste dans la pénombre, en ouvrant les yeux ensuite sur une fenêtre grise où les branches encore noires du poirier sont rongées par les mille reflets blancs des gouttes d'eau qui grouillent sur les vitres. Je regarde avec attendrissement mes bégonias français, celui des Belges et celui d'Elizabeth. Ils ont pris, et comme s'ils étaient investis d'une grâce particulière, poussent joyeusement. Celui des Belges fleurit déjà, celui d'Elizabeth épanouit des feuilles, ces feuilles rondes et vernissées doublées de rouge qui ont quelque chose d'art nouveau, et cela fait des années que je n'en vois plus dans aucun magasin. J'ai vu avec satisfaction sur internet que le saule frisé que j'ai planté pour me cacher la maison et la terrasse du voisin, d'une part se taillait facilement, et d'autre part ne prendrait pas des proportions gigantesques, ce qui lui sauvera peut-être la vie quand j'aurai perdu la mienne.
C'est le samedi de Lazare et il n'y avait pas beaucoup de monde, à l'église, je crois que je ne suis pas la seule à être épuisée par ce carême tardif, les gens qui ont un vrai potager et qui doivent déjà y trimer sans le secours d'une nourriture consistante ont certainement du mal à tout concilier. Quand je suis allée baiser la croix, notre évêque s'est exclamé à ma vue: "Mais quelle jeune fille élégante! Quel style!" Je n'avais, en fait, que des vêtements que je traîne depuis des années, dans le genre sport et décontracté, mais ça fait toujours plaisir, et les autres vieilles sont venues avec attendrissement me parler des compliments de monseigneur! En revanche, comme je discutais avec Antonina juste avant la communion de nos douleurs respectives, le père Andreï nous a demandé avec bonhommie de nous taire, sinon monseigneur allait nous gronder!
J'ai beaucoup aimé l'homélie de notre évêque, j'irai la lire sur la page de l'éparchie, car je n'ai pas tout compris, mais ce qui m'a plu, c'est qu'à propos de la résurrection de Lazare, lui qui est scientifique de formation a fait allusion à la nature des particules dont Dieu est le maître absolu, et qu'il peut combiner et recombiner à sa guise. Or moi qui ne suis pas scientifique du tout, dans une discussion avec le défunt mari de ma cousine qui l'était beaucoup plus que moi, je lui avais dit la même chose, en réponse à ses doutes sur la résurrection: "Lorsque tu meurs, les particules qui te composaient se libèrent, mais elles sont immortelles, qui te dit qu'elles ne peuvent pas te recomposer?" Et j'avais vu qu'il était ébranlé...
Le métropolite Arséni, de la laure de Sviatogorsk, qui m'a toujours fait une grande impression de dignité et de courage, a été arrêté par le pouvoir ukro-otanien pour qui la liquidation de l'orthodoxie est une priorité des premiers jours du maïdan. L'orthodoxie ne peut être tolérée que sous la forme otano compatible du Phanar, ses expressions occidentales authentiques étant vouées à devenir, à mon avis, de plus en plus clandestines. J'ai commandé pour lui quarante jours de prières.
Z.W. m’a envoyé une vidéo d’une jeune Russe qui dit expressément que
Poutine marche pour l’ordre mondial, et me demande ce que j'en pense. En ce qui concerne une partie de ce
qu’elle raconte, il y a matière à se
poser des questions, je m'en suis posée, je m'en pose. Je ne peux avoir qu'un avis personnel, basé sur mon intuition et mon observation de ce qui nous est accessible, de ce que j'ai vu, entendu ou lu. Cependant,elle me semble, par moments, exagérer et
même biaiser, ce qui n’est pas bon signe, ce qui jette, à mes yeux, une ombre sur tout le reste de son discours. Ce qui est sûr, c’est que comprendre
ce qui se passe vraiment ici n’est pas simple et qu’on ne peut se bercer de
l’illusion que Poutine est le sauveur du monde, d’ailleurs, à part Jésus Christ sur
un plan spirituel, personne n'est en mesure de jouer ce rôle. « Ne mettez pas votre
confiance dans les princes et les fils des hommes, en eux il n’est point de
salut ».
Elle remarque qu’il y a un grand contraste entre ce que dit Poutine et ce qu’il fait, et
c’est exact, en tous cas à l’intérieur du pays. Retour aux traditions, mais les
ministères de la culture successifs ne semblent exister que pour permettre
encore plus de destruction du patrimoine et financer des spectacles dégradants
à l’occidentale, au détriment de la qualité et de la production nationale.
Récemment, j’ai appris par Dany qu’un adolescent qui voulait changer de sexe a
été retiré à sa mère qui s’y opposait par les autorités, alors qu’il existe, si
j’ai bien compris, une loi interdisant les interventions médicales en ce sens. Comment
se fait-il ? De même, on va lutter contre l’immigration, mais on construit
à Moscou encore une mosquée géante. Poutine, dit la jeune femme, laisse péricliter
les villages russes faute d’infrastructures minimales, mais installe trente
villages modernes pour des Africains; « c’est comme en France »,
commente la journaliste. Cependant là, je soupçonne qu’il s’agit de villages établis
à l’intention des Afrikanders, qui sont massacrés en Afrique du sud, facilement
assimilables en Russie, travailleurs et entreprenants. Ce n’est pas la première
fois que j’entends parler de cela, et, renseignements pris, il s’agit des
Afrikanders, pour qui c’est pratiquement une question de vie ou de mort, et qui
ne représentent pas un afflux de population colossal. Il n’en reste pas moins
qu’on ne soutient pas vraiment la paysannerie, bien que le retour à la terre ne
soit pas empêché non plus, si l’on ne demande rien à personne et qu’on va s’installer
au fin fond du nord dans un village perdu, alors qu’en France, ce n’est pas
garanti. Un retour aux traditions et à la souveraineté impliquerait la
propagande du retour à la terre et des encouragements à ceux qui l’opèrent,
ainsi qu’une mise en valeur de la culture paysanne. Il y a une complaisance
judiciaire envers les criminels asiates ou caucasiens quand ils agressent des
Russes, cela me semble le fait de la corruption des juges par des bandits de
ces nationalités, et non forcément celui du gouvernement lui-même, mais il est
bien connu que les ramifications de la pègre et de la mafia s’insinuent
partout, ici comme ailleurs. La différence avec la France est que les Russes,
souvent, ne se laissent pas faire, là encore, la résistance locale joue
sûrement son rôle.
Autre point
inquiétant, la soumission au covidocircus, aux mesures, au vaccin, beaucoup
moins tyanniques et prolongées qu’en occident, cependant. La jeune femme
attribue ce fait à la résistance du peuple russe, et elle n’a sans doute pas
tort, je l’ai aussi pensé. Le peuple russe n’a pas bien passé le test d’obéissance
que les Français ont remporté haut la main, dénonçant leurs voisins et traquant
les contrevenants dans l’espace public. Des gens ont été acculés à se faire
vacciner, sous peine de perdre leur travail, dans le meilleur des cas, ils ont
quand même développé des covids, parfois à répétition, pour les autres
conséquences, mystère. On en parle peu. La thèse d’un ami poutiniste français,
c’est que le gouvernement russe ne voulait pas prendre le risque d’une
opposition prématurée et déclarée au système mondialiste. Peut-être. N’empêche
que c’est la principale raison que j’aurais de douter.
La numérisation.
Oui, c’est vrai, cependant, il faut tenir compte du fait que les
gouvernements, quels qu’ils soient, sont obligés de s’aligner sur les avancées
technologiques qu’adoptent leurs concurrents, ennemis ou ennemis potentiels.
Pour l’instant, cela ne prend pas le caractère coercitif et inhumain que cela
prend ailleurs, mais cela peut venir, peut-être est-ce encore la résistance
passive du peuple russe qui joue son rôle.
Le
démolissage du service public, commencé sous Eltsine et poursuivi sous Poutine.
Elle considère que les années quatre-vingt-dix n’étaient pas si horribles que
cela, et que si l’on doit prendre un point de comparaison, il faudrait choisir
les années soixante-dix quand tout allait super bien. mon impression
personnelle est que d’une, les années quatre-vingt-dix étaient vraiment un
désastre qui laisse un très mauvais souvenir à beaucoup. Le comptable du café,
qui a la cinquantaine, me disait qu’on commençait à vivre mieux et qu’on ne
voulait pas tout foutre en l’air pour les petits libéraux de Moscou. Mon voisin
à la radio considère qu’on n’a « jamais mieux vécu ». Et d’autre
part, les deux voyages que j’ai faits en URSS dans les années soixante-dix, qui
plus est à Moscou, et pas en province ou dans les campagnes, ne m’ont vraiment
pas laissé une impression de prospérité merveilleuse et de joie de vivre en
dépit de tout ce que me racontent les Russes maintenant. Je n’envisageais
absolument pas de quitter nos années soixante-dix pour les leurs. La fille du
père Valentin, partie à Paris à la fin des années quatre-vingt-dix, disait à sa
mère communiste : «Le communisme, c’est les Français qui l’ont réalisé, la
médecine et l’éducation sont gratuites, tout le monde reçoit des allocations,
et la vie y est plus douce que chez nous ». Quand au quotidien des
campagnes, il ne semblait pas non plus très riant, je me souviens de ces files
grises de paysans mal fagotés qui venaient acheter à Moscou ce qu’ils ne
trouvaient pas chez eux. Ce que j’ai vu ne correspond pas au mythe...
Enfin elle
évoque l’alcoolisme comme un véritable fléau, et j’observe que les choses ont
beaucoup changé sur ce plan. Dans les années quatre-vingt-dix, tous mes copains
étaient des alcoolos finis, ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, on ne
voit plus d’ivrognes écroulés partout, son affirmation est de l’éxagération
épique. Déjà, en 18, un ami, à Férapontovo, me disait qu’on ne voyait plus d’ivrognes
et que les routes étaient meilleures. Pour les routes, à Pereslavl-Zalesski, on
ne peut pas dire cela, mais disons que les routes fédérales sont en bon état.
La pauvreté,
dont elle trace un tableau épouvantable, et c’est pareil, je ne dis pas que
tout le monde est riche, mais je pense qu’il faut nuancer. Elle le fait en
indiquant que les Russes sont souvent propriétaires de leur appartement, et ne
paient pas de loyer. Et les impôts qu’ils payent dessus sont dérisoires, les
charges, même si elles ont sensiblement augmenté, n’atteignent pas les sommets
fantasmagoriques des charges en France, en relation avec les salaires respectifs.
Il y a de très petits salaires, cependant, mon électricien m’a dit que chez
mosenergo, il touchait 150 000 roubles, soit 1500 euros, il a acheté une
maison à crédit. Et j’ai vu une affiche de recutement pour des chauffeurs
routiers avec une proposition de salaire de 100 000 roubles. A côté de
cela, les postiers d’ici touchent 12 000 roubles, les employés du
supermarché sont recrutés à 25 ou 30 000 roubles, ce qui est loin d’être
royal. Mais je ne suis pas une spécialiste des chiffres et de l’économie. Personne ici, à ma connaissance, ne meurt de faim. Les magasins sont pleins, et l'histoire des appartements gelés, à moins que cela ne se produise et que je ne sois pas au courant, c'était dans les années 90.
La
dépopulation. Eh bien là, je ne la crois pas beaucoup. Elle parle de quatre-vingt-milions
de Russes au lieu de 140 millions, et ne semble pas trop sûre elle-même de
cette différence fantastique entre les chiffres réels et les chiffres officiels.
Ce que j’observe, c’est que la natalité est réellement encouragée par l’attribution
d’un « capital maternel » de 10 000 euros qui permet parfois d’acquérir
une maison ou un appartement, avec un complément personnel, l’attribution d’appartements
communaux à des familles nombreuses, comme ce fut le cas pour un de mes amis, d’aide
alimentaire, aussi, la fille du père Valentin a droit à de nombreux produits
gratuits. Je n’ai pas le sentiment que le gouvernement planifie l’extermination,
ou disons la disparition de sa population. Il est, me semble-t-il, plutôt
économe de la vie des soldats et des civils en Ukraine, Marioupol est
reconstruite en un temps record. C’est vrai que la justice juvénale retire parfois les
enfants aux familles nombreuses pauvres, ce qui est un scandale, la justice
juvénale a été instaurée sous pression occidentale, chez nous, on les retire
aux familles dissidentes, c’est probablement le but occulte de cette
institution.
La démolition
de l’armée. Là non plus, à priori, et sans être spécialiste, au feeling, je ne
pense pas que le gouvernement actuel soit à incriminer, car l’essentiel du
travail avait été fait sous Eltsine, et j’ai même entendu dire que si Poutine n’était
pas intervenu plus tôt, c’est qu’il était occupé à réarmer discrètement, en
tous cas, on voit aujourd’hui qu’il ne fait pas la guerre avec des moteurs de
machine à laver. Depuis le début de l’affaire du Donbass, et même bien avant,
je savais que l’occident ferait tout pour déclencher une guerre avec la Russie,
et Poutine a reculé huit ans devant l’obstacle. Pour réarmer ? Quand l’intervention
a commencé, j’ai pensé qu’il avait fait profil bas le temps de le faire et qu’il
avait été drôlement astucieux...
A ce propos,
elle ne parle pas de ce qui s’est passé au Donbass dès 2014, elle prétend que
les Russes et les Ukrainiens étaient bien copains, qu’ils étaient des frères,
et que les gouvernements occidentaux et russe ont organisé cette guerre, sans
aucune motivation de part et d’autre, faisant peur aux uns avec le désir de
conquête imaginaire de la Russie, aux autres avec les dangers imaginaires de l’OTAN,
et c’est là que je tique vraiment. Parce que moi, depuis des années et des
années, j’ai observé l’atitude agressive et fourbe de l’OTAN envers la Russie, ses
provocations permanentes, la réticence des autorités russes à entrer dans la
danse et même à considérer les occidentaux comme des ennemis, et la tolérance
envers les intellectuels libéraux qui soutenaient la propagande occidentale.
Elle définit l’armée russe comme complètement détruite, avec des armes
rouillées, des types peu mobilisés, on dirait les discours de Van der Layen au
parlement européen. Je sais qu’il y a des disfonctionnements dans l’armée
russe, que les soldats sont obligés de payer des pièces de leur équipement, mais
quand même, question armements, les Russes ne semblent pas à court, ni
fonctionner avec des bouts de fil de fer. Je crois que le danger otanesque est
bien réel et que la plupart des Russes le comprennent bien, et tout le monde a
vu comment cela se passait en Serbie. La population du Donbass, quand elle s’est
mise à résister, prenait des bombes sur la gueule, et subissait des exactions
affreuses. La propagande antirusse menée en Ukraine depuis la chute de l’URSS n’était
pas le fait de Poutine. Et je me souviens avec horreur des commentaires
ukrainiens sur les « doryphores » grillés dans la maison des
syndicats à Odessa, des gâteaux en forme de bébés russes mangés dans les
discothèques, des manifestants criméens accueillis à Kiev à coups de barre de
fer, et autres amabilités des « frères » contre lesquels la jeunesse
russe avertie qui fuyait en Géorgie ou ailleurs ne voulait pas se battre. C’était
un concentré de méchanceté stupide, dans le genre de la télé française ou de
certains intellectuels ou même orthodoxes de chez nous.
Elle parle
du démembrement de la Russie, objectif du projet Harvard de Kissinger, et oui,
c’est clair, ce projet existe, et il est ouvertement soutenu depuis longtemps
par des libéraux russes, Echo Moskvy etc... En effet, si Poutine est
souverainiste, comment tolère-t-il par exemple le centre Eltsine, centre de
propagande pro occidentale et antirusse situé à l’épicentre du projet, la ville
d’Ekaterinbourg ? Comment l’a-t-il laissé construire, comment le
laisse-t-il ouvert, en temps de guerre ? Mikhalkov, qui est un chaud
partisan de Poutine, a consacré toute une émission à cet abcès purulent. D’après
la jeune femme, tout ceci est le fait d’une « secte juive » (à ne pas
confondre avec les juifs normaux et gentils, bien entendu) qui, depuis
New-York, organise tout cela, et Poutine en est membre. A moins que le
métropolite Tikhon, qu’on dit son père spirituel, et le patriarche Cyrille n’en
soient complices, on se demande comment il concilie tout cela avec une foi
orthodoxe affichée, si on en est là, alors cela craint vraiment, tout le monde
aux catacombes... Que des juifs, disons qu’une mafia juive, qu’une secte, chez
nous, on dit les straussiens, soit impliquée dans la destruction de la Russie
par l’Ukraine, et réciproquement, je n’en doute pas tellement, cela remonte à
1917, et même avant, et la preuve en est à mes yeux la haine écumante de la
compagnie BHL, Glucksmann, Ackerman, Nuland, et autres néocons situés dans
divers pays, qui elle non plus ne date pas d’hier et à propos de laquelle
aucune accusation de racisme, pourtant largement justifiée, n’a jamais été proférée. Et puis la mafia
juive n’est pas la seule en cause, il y a d’autres mafias, les intérêts de la
famille Biden, par exemple, Blackrock, Monsanto... Maintenant que toute l’affaire soit une
symphonie à laquelle Poutine participe avec enthousiasme... Mais peut-être ont-ils
des moyens de pression. Je ne saurais le dire. Disons que je sais pour qui se
battent les Ukrainiens, qu’ils le sachent ou non : pour eux. Les Russes se
battent pour la Russie et le savent, même si l’on admet que ce n’est pas
forcément tout à fait le cas de leur gouvernement.
Est-ce ou n’est-ce
pas le cas ? Moi, à l’intuition, je dirais que la guerre est réelle entre
le gouvernement russe et les gouvernements occidentaux. Le gouvernement russe
défend-il sa terre et son peuple ou bien son fief mafieux ? Peut-être les
deux. Peut-être son cul d’abord et le peuple ensuite. Et puis parfois, les
affaires n’empêchent pas les sentiments... En tous cas, si la moitié de ce que
déclare cette jeune femme est vrai, Poutine est bien meilleur comédien que Macron.
La jeune femme dit que 30% des Russes soutiennent Poutine, en réalité.
Peut-être que s’il laissait émerger des opposants sérieux, ses scores ne
seraient pas les mêmes, mais je pense qu’il bénéficie d’un soutien populaire
suffisemment large, surtout en ce moment, évidemment.
Pour ce qui
est de la médecine, je ne la contredirai pas, c’est plutôt la cata. « En
Union Soviétique, tout était gratuit ». Oui, mais j’ai entendu raconter
aussi des horreurs sur la médecine soviétique, et du reste, j’ai été soignée
gratuitement, à Pereslavl-Zalesski, je ne faisais pas une confiance aveugle au
personnel, mais c’était gratuit. Que ce soit ici ou chez nous, en effet, la
privatisation de la santé publique démolit complètement la qualité des soins,
mais il y a du blé à faire, et des requins à l’oeuvre, pas besoin d'inviter une secte juive à la curée.
Auparavant,
j’ai écouté l’interview du père Tkatchev où il recommande aux orthodoxes
ukrainiens de fuir Sodome sans se retourner. Il dit que l’ethnos n’a plus le
même sens qu’avant, parce que tous les ethnos ont été cassés. On avait fait l’expérience
de créer l’inimitié entre deux peuples frères, les Ukrainiens et les Russes,
qui appartiennent absolument au même ethnos, beaucoup plus qu’un breton et un
basque ou un provençal, par exemple, avec la même culture, la même histoire et
la même foi, et qu’on y était arrivé. Le peuple russe avait une grande homogénéité, il s'apparentait à une espèce de famille mystique, d'où le désarroi de Napoléon qu'on sent si bien dans Guerre et Paix, devant ce phénomène incompréhensible, le peuple qu'il pensait délivrer de la tyrannie et qui se levait contre lui comme un seul homme, et cela, un siècle seulement avant la révolution d'octobre et la guerre civile. On arrive à tout avec une rééducation qui
joue sur les mauvais sentiments, comme on l’a déjà vu au XX° siècle. C’est très
triste, dit-il, mais c’est comme ça. Et la Laure de Kiev ? Ses reliques
profanées, ses objets saints dispersés à l’encan dans une Europe apostate et sacrilège? Eh bien tant pis pour la Laure de Kiev, son
sort démontre d’autant plus la nécessité de partir sans se retourner. Je me suis
fait la même réflexion, quand je suis partie moi-même, au fond. Sans se
retourner, c’est le plus difficile... Autant pour la Laure de Kiev que pour Notre-Dame,
la France de mon enfance ou le monastère de Solan. Mais quand j’ai vu que
Macron avait reçu Bartholomée à l'Elysée, ce fut comme la revendication du crime qui s’affichait
avec insolence, sa signature affichée: en effet, il fallait partir, je n'en doute pas. Et il ne faut plus se retourner.
Que la thèse de la jeune Russe soit ou non exacte. Je fais confiance au père
Tkatchev. Il a vu ce qui se passait là bas, il en vient. Il est parfois un peu
raide, mais au moment du covidocircus, il n’avait pas peur d'exprimer la vérité. Il
dit qu’un noir orthodoxe lui est plus proche qu’un Russe renégat, et que les
gens vont désormais se regrouper par affinités spirituelles, morales,
intellectuelles, éthiques. C'est ce que je ressens quand j'écoute Youssef Hindi, par exemple, et je le ressentais à Solan, où les gens sont d'origine très diverse. Et c’est probablement ce qui s’esquisse dans le
mouvement des étrangers occidentaux vers la Russie et son orthodoxie. Le père Tkatchev évoque la responsabilité collective de Dostoievski, qui nous fait assumer à tous le péché d'un seul, et qui fait du salut d'un seul le salut de tous, cette révélation qui m'a fait découvrir le christianisme, à l'âge de quinze ans. C'est de cela qu'il faut se souvenir, devant ce qui nous arrive.
Si j'étais plus jeune, je songerais à l'issue de mon roman Epitaphe. Pas pour des raisons de survivalisme, mais pour vivre debout encore quelques temps.
Je commence à sentir le poids de la vieillesse, je
suis vite fatiguée, je suis percluse de douleurs, il faut dire que le carême
n’arrange rien. Je le fais à contre-coeur, et je ne lis pas les kilomètres de
prières que je lisais les autres années. J’ai même du mal à aller aux offices. Samedi matin, sachant qu’il serait interminable, je n’ai pas pu me décider à m’y
rendre. Le jeune prêtre qui m'a confessée hier m'a dit que j'avais peut-être, comme disait Raymond Devos, une "crise de foi". De foi, je ne sais pas, peut-être une overdose de bondieuseries, cela m'arrive, par moments. Le père Andreï m'a appelée pour me remonter le moral et m'engager à regarder un film soviétique sur mère Marie Skobtsov, "mère Marie". Un bon film, orienté, naturellement. La mère Marie est uen femme très bien, qui s'est égarée dans la religion, la pauvre, mais elle aurait fait une bonne communiste, et au moment de se sacrifier, dans son camp de concentration, incrimine Dieu et son injustice, elle a comme un doute, "Eli, Eli, lama sabactani". Comme si du point de vue communiste, pour mourir sauvée, il lui fallait douter du Dieu chrétien. Mais du point de vue communiste, c'est dans le néant total, qu'elle se précipite héroïquement, et si Dieu a fait un monde si affreux, comment croire aux lendemains qui chantent? Et si chantent ces lendemains, quelle importance a une vie dont tous les élans sublimes aboutissent dans un sac noir?
En tous cas, pour me remonter le moral en ce moment, un film sur l'occupation allemande, ce n'est pas vraiment le bon truc, étant donné le contexte. Heureusement, le printemps est enfin là, le vent tiède et rêveur, la danse du soleil avec les nuages, le semis verdâtre des bourgeons sur les branchages, les petits oiseaux affairés, les chats qui se prélassent. Et le voisin ne met pas sa radio depuis déjà deux jours, c'est un miracle, j'ai prié pour. Peut-être qu'il a eu des réflexions d'un autre voisin...
J'ai trouvé, sur une page intelligente, cette citation qui m'a intéressée:
"Quand je suggère qu'il faudrait réduire à quatre le nombre d'heures de travail, je ne veux pas laisser entendre qu'il faille dissiper en pure frivolité tout le temps qui reste. Je veux dire qu'en travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses qui sont essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et qu'il devrait pouvoir disposer du reste de son temps comme bon lui semble. Dans un tel système social, il est indispensable que l'éducation soit poussée beaucoup plus loin qu'elle ne l'est actuellement pour la plupart des gens, et qu'elle vise, en partie, à développer des goûts qui puissent permettre à l'individu d'occuper ses loisirs intelligemment. Je ne pense pas principalement aux choses dites « pour intellos ». Les danses paysannes, par exemple, ont disparu, sauf au fin fond des campagnes, mais les impulsions qui ont commandé à leur développement doivent toujours exister dans la nature humaine. Les plaisirs des populations urbaines sont devenus essentiellement passifs : aller au cinéma, assisté à des matchs de football, écouter la radio, etc. Cela tient au fait que leurs énergies actives sont complètement accaparées par le travail ; si ces populations avaient davantage de loisir, elles recommenceraient à goûter des plaisirs auxquels elles prenaient jadis une part active."
"Éloge de l'oisiveté" Bertrand Russell
D'abord, elle me confirme, contrairement à ce que proclament avec des sarcasmes haineux les commentaires sous les vidéos de retour à la nature, à la vie paysanne et au folklore, que les gens opprimés des périodes obscures avaient le temps. On ne décore pas sa maison, et le moindre de ses instruments de travail faits main, et ses costumes de fête, on ne chante pas, on ne danse pas, on ne joue pas d'instruments, on ne mémorise pas chansons, épopées et contes, quand on n'a pas de temps pour cela. Et pas d'élan, pas d'inspiration, pas de vie en soi. Bien entendu que tout cela est une escroquerie, c'est ce qui rend ces commentaires si agressifs. Ces gens ne supportent pas l'idée qu'au lieu de s'être "élevés socialement", ils ont déchu comme jamais, et vivent une existence de merde, ils ont besoin de penser, pour justifier leur condition, que leurs ancêtres vivaient comme des porcs exploités sous la schlague, dans la boue, en émettant tout au plus des grognements, avant que des philanthropes vinssent leur apporter les lumières du Progrès.
La solution est-elle de travailler moins, je n'en suis pas sûre, il faut d'abord travailler autrement, en accord avec les rythmes de la vie, et les siens propres, revenir à un travail indépendant, qui a du sens. L'impulsion subsiste certainement chez pas mal de gens, elle connaît des résurgences génétiques, le problème est que déjà plusieurs générations ont grandi sans aucune transmission, et dans le meilleur des cas, les gens vont faire des merdes de mauvais goût dans les maisons de la culture, ils ne savent pas vers quoi se tourner, et ne sont plus équipés pour créer quelque chose de beau, c'est-à-dire d'authentique, tellement on leur a pourri la vision et l'audition dès la petite enfance, et souvent avec l'académisme, qui a seul droit de cité aux yeux des profs. Je vois parfois même des folkloristes qui, en, dehors de leur domaine, raffolent de kitscheries qui me font froid dans le dos. Une spécialiste du flolklore s'enthousiasme, sur les réseaux, pour une espèce de porcelaine effrayante, un éléphant avec des défenses de sanglier couvert de fleurettes et de dorures et un regard obscène, que je ne supporterais jamais chez moi. D'autres, revenus à la terre, se bâtissent une baraque affreuse du genre qui me fait cuire les yeux partout alentour. Le mal est profond...
"Epitaphe" est sorti en russe, la couverture me plaît beaucoup. Et puis mon éditrice est normale, intelligente, profonde, honnête. C'est bien reposant. J'ai offert un exemplaire à Katia, qui va lire des extraits à la présentation. Je le lui ai dédicacé ainsi: "à ma chère Katia, la panthère rose de notre arche russe." Elle en était ravie!
côté face le cimetière de Cavillargues, côté pile, le ponton des Messerer, près de Ferapontovo
panthère rose...
Il y a
quelques temps, deux créatures des ténèbres, habillées en bigotes, ont apporté dans une église
une icône piégée. J’ai vu aussi, mais la nouvelle m’a échappée avant que je ne
l’eusse répercutée, qu’à la Laure de Kiev, on effectuait le tri entre les
reliques de saints « ukrainiens » purs et homologués, et les reliques
de saints russes, on va faire quoi de ces dernières? Abomination de la désolation... Le père Tkatchev a déclaré que l'Eglise orthodoxe ukrainienne n'avait pas su conserver la Laure, et que c'était irréparable, il incite les orthodoxes à fuir en Russie. Un article d’Igor Drouz envisage la prochaine interdiction
de l’Eglise russe en Europe, sa mise au ban de la société, et Bartholomée en
profite pour installer les bases de l’intégration de son orthodoxie oecuménique
et LGBT compatible dans la « Religion du futur », à l’usage des niais
et des dupes. C’est là que je suis contente d’être ici. Tout ceci me serait complètement insupportable, à la
longue. Je ne me vois pas aller confesser mes péchés à quelqu’un qui prend les
vessies pour des lanternes, quelle que soit la qualité de sa vie intérieure et
de sa personne par ailleurs.
On a vraiment l’impression que le projet Ukraine nous
concerne tous, c’est le laboratoire de notre futur auquel il serait temps de
dire non en bloc. Le machin autocéphale anti russe et uniate va s’étaler comme
une flaque d’huile; difficile de ne pas y tremper les pieds. Les croyants qui n’accepteront pas, comme en Ukraine, l’orthodoxie made in USA, seront poursuivis et persécutés.
Dany me
disait qu’après avoir sacrifié notre roi et notre tsar, on sacrifiait nos
peuples, et c’est exactement cela. On associe souvent la révolution aux aristocrates français guillotinés, aux aristocrates russes assassinés, déportés
ou exilés, mais c’est le peuple qui a payé le plus lourd tribut. 800 000
vendéens, liquidés de façon impitoyable et atroce, et en Russie, toutes les
horreurs de la collectivisation, après celles de la guerre civile... En réalité, l’Europe a été assassinée par sa
caste intellectuelle bourgeoise révolutionnaire qui dans tous les pays qui la
composent, déteste les petites gens, et particulièrement la paysannerie. Ceux
qui participent à cela contribuent à notre suicide. Nicolas Bonnal cite à ce
propos Dostoievski, en visite à Londres et Paris, et le compare à Jack London,
dont les terribles descriptions des bas-fonds de Londres concurrencent les
descriptions du goulag par Soljénitsyne. On dit que Dostoievski était un esprit
prophétique, il l’était dans une certaine mesure, mais je me rends compte que
tout était déjà installé pour nous fabriquer la science-fiction où nous sommes,
il savait seulement réunir les pièces du puzzle pour voir quel tableau il
composait... Il y a des gens qui sont capables de prendre le recul et la hauteur nécessaires à la lecture des signes.
Le petit cochon ébahi devant le massacre de son troupeau, sur la
vidéo que j’ai produite de l'action mafieuse et vile entreprise contre son éleveur, me poursuit et me rappelle un gamin palestinien ensanglanté
et abasourdi, errant parmi plusieurs personnes blessées et tuées, ou le petit Russe du Donbass titubant dans les ruines de sa maison, avec un regard d'adulte dans une figure de bébé. C’est que les crimes
commis le sont contre toute la vie. De la même façon que les colons américains entassaient
avec fierté les crânes des bisons qu’ils exterminaient pour affamer les
indiens. La barbarie, la fourberie et l’ignominie, lorsqu’elles passent toutes
les bornes, appellent le châtiment, la justice de Dieu ou la justice immanente,
comme vous voudrez. La vie recrachera les grands bandits au pouvoir depuis trop
longtemps, comme un noyau indigeste ou une boisson toxique. Ils couleront d’elle
comme le pus d’un furoncle. J'espère vivre assez longtemps pour voir, depuis le temps que je suis assise au bord de l'oued, passer dans ses eaux les cadavres de nos ennemis.
C’est parti
pour un printemps froid et pluvieux, semble-t-il. Dès qu’un rayon de soleil
apparaît et même sans lui, le voisin bricoleur est à l’oeuvre, avec la scie à
métaux et la radio à plein volume. Un bon exercice de patience, me dira-t-on.
La bêtise ne cesse de me fasciner. Elle n’a pas de limites, elle ne respecte
rien, elle écrase tout, et contre elle, il n’y a pas de recours, à part le coup
de gourdin sur la tête ou, si l’on est très fort, la transcendance de
l’exaspération qu’elle suscite.
C’est que
lui a encore sans doute quarante ans de vie pour emmerder joyeusement son
entourage, je n’en ai plus que la moitié pour écouter le vent et les oiseaux et
regarder en paix la lumière jouer avec les feuillages et les fleurs.
J’ai été
invitée à une réunion sur l’amélioration de la ville, mais quand je lis
« amélioration », je vois tout de suite le béton partout, les petits
massifs idiots et les rangées de thuyas. Je me suis aperçue que finalement, je
n’étais pas la seule, les gens étaient assez remontés, car question
amélioration, on en a vu des vertes et des pas mûres. Une dame a déclaré qu’en
ce qui concerne la ville, il fallait, comme les médecins, garder à l’esprit
avant tout de ne pas nuire. Une autre a recommandé un « minimalisme qui
souligne la nature et le paysage existant sans les modifier ». Nous nous
sommes mis tous en ateliers, comme pendant les stages pédagogiques. J’étais
avec les deux dames précédentes et encore une autre, qui veut fonder un conseil
artistique pour la conservation et la mise en valeur de la ville, je lui ai
répondu qu’il était bien temps ; et puis un gros monsieur intelligent et
plein d’humour, qui connaîssait bien le terrain, il est né ici, et fit preuve
d’un esprit éclairé et pratique. On lui a demandé ce qu’il faisait dans la vie.
« Retraité.
- Retraité
de quoi ?
- Espionnage
et contre-espionnage...
- Ah
d’accord...
- Eh oui...
(avec un clin d’oeil) je vous suis pas à pas ! »
J’ai
expliqué à l’architecte sur la défensive qu’à mon sens, il ne fallait pas
forcément faire de la reconstruction artificielle de mauvais goût, que je
préférais le vrai moderne au faux ancien, mais faire harmonieux et simple. De
toute façon, il s’agissait d’une partie de la ville où il peut se laisser
aller, il ne reste rien, c’est affreux et chaotique, il ne fera jamais pire que
ce qui existe déjà ou disons, ce qui subsiste encore.
Ensuite, je
suis passée saluer Gilles au café. Le pâtissier Iegor a pris pour l’aider à la
viennoiserie un jeune homme diplômé de théologie, que l’évêque s’apprête à
ordonner diacre et qui fait les magnifiques reportages photos de l’éparchie. Il
rêvait de me rencontrer depuis qu’il travaille au café, et voici qu’il tombe
sur moi. Gilles s’est fait un malin plaisir de dénoncer l’entorse que je venais
de faire au carême. Le photographe-boulanger, parce qu'il est gentil, m’a dit : « le carême,
chacun choisit le sien, à la mesure de ses forces. »
Cette année,
c’est un véritable désastre. D’une part, je le supporte mal physiquement, mais
en plus, je n’arrive pas à me recueillir, à lire, prier, à fréquenter davantage
l’église. Je pourrais laisser plus ou moins tomber le côté alimentaire de la
chose au profit des lectures et des offices, mais j’ai peur, alors, de ne plus
rien respecter du tout. Et pourtant, j'ai mal partout, je suis triste et anxieuse pour toutes sortes de raisons, je suis crevée dès que je donne trois coups de pelle, n'est-ce pas un carême en soi?
Or à ce propos, j’ai lu les recommandations d'un starets sur la confession des
péchés, et c’est affreux à dire, mais cela m’a complètement révulsée. J’en
ressens l’impression que l’amour de Dieu est parfaitement totalitaire et ne
laisse aucun répit à ses pauvres créatures. J’ai tout à coup pensé au
« Festin de Babette », ce film où une cuisinière française recueillie
par une communauté de vertueux protestants scandinaves très austères et coincés
leur fait cadeau d’un festin digne des plus grands restaurants parisiens. Tous
ces gens, qui n’osent pas refuser le don qu’elle leur fait, mais sont
épouvantés de se laisser aller au péché de gourmandise, s’attendrissent peu à
peu, sourient, communient dans la joie de partager ce merveilleux moment
ensemble et en réalité, même dans l’Evangile, le Christ partage de tels moments
avec de petites gens, pourquoi ne serait-il pas avec nous aussi quand nous
avons du bonheur, je veux dire du simple bonheur humain, la chaleur d’un bon
repas entre amis, et même la joie de l’amour partagé jusque dans ses manifestations
charnelles, ne sommes nous pas aussi équipés pour cela, et non pas
uniquement pour souffrir et mourir d’avance au monde magnifique qu’il a créé ?
Car il est magnifique, quand nous n’en faisons pas un cauchemar, comme nous
nous y appliquons depuis quelques siècles. Non, il faut dire que je ne suis pas
une ascète, je suis une artiste et un écrivain, et j’aime la vie, et j’aurais
aimé l’amour, si quelqu’un avait voulu le vivre avec moi, l’amour et pas la
pornographie mais pas non plus un triste et répugnant échange de pisse-froids terrorisés
par les grands courants de l’existence, d’ailleurs, la pronographie et la
pudibonderie sont les deux faces d’une même médaille. C’est drôle comme malgré
tout, j’ai l’impression que Dieu est au dessus de tout cela, et qu’il ne
pourrait pas créer, s’il était rabougri et coincé, et n’avait pas en lui cet
éros sacré et généreux que je lui suppose, c’est peut-être ce qu’un curé de mon enfance
voyait en moi de païen, et qui le faisait entrer dans des colères terribles, au
catéchisme.
J’ai vu
aussi une vidéo sur un éleveur de cochon persécuté que Papacito essaie d’aider
en recourant à la solidarité publique, et il a raison, c’est la seule parade
actuellement. Je ne l'avais pas regardée, mais celui qui me l'avait envoyée a insisté, et j'ai dû m'y résoudre. Cette histoire m’a tellement bouleversée que je ne m’en remets
pas. Je n’avais pas besoin qu’on me démontrât une fois de plus que nous sommes
gouvernés par des mafieux, des démons et des sorcières, mes yeux sont largement
ouverts. Mais néanmoins, quelle abomination... Ces gens n’existent que pour
nuire à tout ce qui respire, nous traitant tous, humains, animaux et végétaux,
comme les matériaux de leur richesse, de leur puissance, des matériaux et des
souffre-douleurs. Ils haïssent la vie et ne connaissent de jouissance que dans
sa destruction et sa profanation. L’occident, comme dit Poutine, c’est le bal
des vampires, encore que des vampires ici, il y en a également, et l’histoire
de l’éleveur de cochons laineux, qu'on a essayé de tuer, dont on a infecté tout le troupeau pour l'obliger à l'abattre, me rappelle furieusement les horribles détails
de la collectivisation ici, par exemple le bétail parqué qui mourait de faim,
sous les yeux de ses anciens propriétaires qui eux-mêmes mouraient de faim et n’avaient
pas le droit d’aller nourrir leurs bêtes réquisitionnées. La civilisation du
progrès et des droits de l’homme a accouché de monstres auprès desquels les
plus furieux assassins des périodes antérieures font figure de personnages de contes
aux réflexes encore nobles et humains qui pouvaient parfois s'attendrir ou respecter le courage de l'adversaire.
Sur la mafia qui nous gouverne, tout est dit ici. Et maintenant, allez donc mourir pour l'Ukraine de ces gens-là plutôt que de le faire pour défendre nos paysans et notre pays contre ceux qui s'en sont emparés.
Le printemps
s’installe, il y a quelques jours, je marchais le soir avec une amie, et tout était
encore marronnasse, gris et frisquet, mais un coucher de soleil rougeoyant sur
la nuit tombante nous apportait déjà les premiers scintillements sonores des
rossignols. Parallèlement, avec les beaux jours, le voisin recommence à
bricoler des heures en faisant profiter tout le quartier et moi-même de son
atroce radio. Je m’échine a aménager le jardin pour ne plus voir la pustule qui
pousse sur l’isba d’oncle Kolia, et que son bouleau aurait masquée au moins
l’été, si on l’avait laissé vivre, mais non, les pustules aiment à s’étaler
avec arrogance et ne supportent pas la compagnie d’un bel arbre. Or je sens que
je ne peux plus travailler autant qu’avant, je me fatigue vite.
Le sermon m’a plutôt cassé les pieds, je le trouvais long. Les sermons
doivent être courts et substantiels et ne pas faire dans le prêchi-prêcha. Et peut-être aussi ne pas être systématiques. Pourtant, d’habitude, j’aime bien les sermons de cet excellent prêtre. Mais allons un peu à
l’essentiel, et si on ne le peut chaque dimanche, pas la peine de délayer,
j’étais là, sur mon genou douloureux, à entendre bouboubou le péché, bouboubou
le repentir, et vice-versa, cela me faisait, si j’ose dire, une belle jambe. Je
suis lasse de tout cela. Pourtant, quand je prie, je le fais avec ferveur, chez
moi ; je ne le fais pas tout le temps, enfin disons que je ne lis pas des
kilomètres de textes devant les icônes, mais je prie avec ferveur. Je ne sais
pas si je me repens, mais je suis bourrelée de remords et je ne pense pas avoir une opinion excessivement positive de moi-même, ne serait-ce que parce que je me sens solidaire de l'humanité, et donc responsable de ce qu'elle a de pire.
Je n’ai pas
de forces, mais c’est compréhensible, je suis âgée, et j’ai en ce moment une nourriture
pauvre, elle ne nourrit pas, mais elle fait grossir, vous pouvez être tranquille. Pâques tombant très tard, le réveil de la nature arrive en plein
carême, et moi, j’ai du travail physique à faire au jardin, sans aide.
Je suis
arrivée à aménager mon salon, et il me plaît beaucoup, mais je n’y suis jamais,
je travaille dans mon bureau. Disons que la prochaine fois que j’aurai Valérie ou
Anne-Laure, on pourra passer au salon, qui est aussi prévu pour servir de
salle-à-manger, car si j’ai des invités russes, ils restent à table des heures.
Il m’aura fallu presque huit ans pour aménager cette maison, qui ne me
convenait pas vraiment. Le jardin, c’est pareil, fait comme il est et cerné par
les emmerdeurs et leurs bâtisses moches, il est très difficile à organiser.
J’aurais dix ans de moins, j’aurais déjà déménagé. Mais je n'en ai plus l'énergie, et face à ce qui se prépare dans le monde entier, j'éprouve le même sentiment. Chaque jour qui passe me paraît gagné sur un avenir fort sombre, en ce qui concerne l'humanité, et sur la vieillesse en ce qui concerne ma personne. Pourtant, si mauvaise orthodoxe que je sois, si cancre foncier que je sois, je crois, je crois que Dieu ne laissera pas tomber les hommes ni sa servante indisciplinée Laurence qui, malgré son goût pour la décoration et les jolis jardins, vit moralement sur ses valises.
L’Iran
bombardant maintenant Israël, cela devient très rock n’roll. A force de semer
le vent, bien sûr, on récolte la tempête, et c’était sans doute le but. A cause
sans doute de mon avant-dernière chronique, je ne peux plus diffuser mon blog
sur Facebook. J’ai ouvert une chaîne Telegram, pour ceux qui y sont, et j'invite les autres à s'abonner, mais il y en a qui n'y parviennent pas, ou qui ne le sont plus sans savoir comment cela s'est produit...
Je vois
toutes sortes d’émissions, de commentaires, d’analyses, sur le comportement des
Russes et des occidentaux, le pourquoi du comment de la guerre et son issue, et
c’est très intéressant, mais moi, il y a une chose qui me tracasse vraiment,
c’est les pleins pouvoirs universels donnés à une bande de grands malfaiteurs
psychopathes par le biais de l'OMS. Parce que si tout le monde marche là dedans, y compris les
Russes, ce sera très mauvais signe et l’on pourra se demander pourquoi meurent
des jeunes gens en Ukraine, de part et d’autre. C’est-à-dire, côté ukrainien,
on le sait, c’est pour la famille Biden et le second Israël. Et du côté russe ?
Dans la tête des Russes et la mienne, c’est pour la souveraineté de la Russie
et la sauvegarde de tout ce qu’elle représente, ce qui dépasse largement le
cadre de son intérêt national. Que deviendra tout cela si l’on nous soumet à
Bill Gates et Tedros ? Or parmi nos analystes et politologues favoris,
personne n’en parle vraiment. Je suis tombée sur deux vidéos russes qui y font
allusion, l’une est une mise en garde qui est l’équivalent de celle du
professeur Perrone, l’autre est une interview du politologue Andreï Fourssov
qui inscrit tout cela dans un changement anthropologique planifié visant à
créer deux sortes d’humanité, une caste bien nourrie qui vivra longtemps dans
la félicité, et une biomasse hagarde, c’est-à-dire quelque chose qui
transformera les inégalités sociales en phénomène biologique. Il dit que si la
Russie signe le traité de l’OMS, elle perdra toute souveraineté, le méchant
dictateur Poutine passera sous la suzeraineté du bon dictateur Bill Gates et de
tous ses pareils. Il dit quelque chose d’encore plus inquiétant : il n’y
aura pas de pandémie tant que durera la guerre en Ukraine, celle-ci remplissant
la fonction que le COVID n’a pas remplie, et évoque une guerre non seulement
entre les états mais entre différentes tendances à l’intérieur de ceux-ci.
Il recommande de sauver les livres, qui sont en voie de disparition, et d'élever les enfants avec des contes, opinion que je partage, mais j'ajoute le folklore, que cet intellectuel ne connaît certainement pas, ou alors sous forme d'imitation kitsch épouvantable.
A l’issue de
tout cela, j’ai regardé aussi le sermon d’un prêtre russe sur les infos et les
analyses politiques. Il les considère comme très mauvaises et dangereuses pour
l’âme de ceux qui les écoutent, car elles nous emplissent d’inquiétude et de
haine. C’est un fait, si je coupe tout cela et que j’écoute de la musique
liturgique ou Arvo Pärt, mon état intérieur s’améliore sensiblement. Cependant,
j’ai l’exemple d’un ami orthodoxe qui a décidé de s’évader dans la
contemplation extatique et finit par dire des stupidités injustes pour ne pas
entrer en conflit avec la société qui l’entoure, en effaçant tout ce qu’il savait
auparavant et qui le mettait en porte-à-faux. Et celui d’une autre amie
orthodoxe, qui vivait en ermite, sans internet, dans le dépouillement et la
prière mais qui, infirmière comme le premier, au vu des scandales dont elle
était le témoin, a fini par entrer dans une lutte difficile et constante avec
une institution devenue folle et s’est exclamée devant moi : « Ces
gens-là n’ont pas d’âme ». Par inclination, je couperais bien la source de
mes inquiétudes et de mes indignations, car même si on ne sombre pas dans une
haine des cavernes, on est miné par cette situation particulièrement anxyogène
et révoltante. Mais par solidarité humaine, je ne le peux pas.
J’ai
rencontré une jeune Russe francophone qui a passé quelques temps en Amérique, elle
y a vu des Français aussi. Elle a été surprise de constater qu’ils étaient
incapables de lui dire quel rôle jouait encore l’Eglise catholique, l’Eglise
catholique, ils s’en fichaient complètement et ne savaient rien sur la
question. Elle ressentait de l’hostilité, une pesanteur, il ne fallait pas
parler de ces choses, en gros, comme le dit quelqu’un sur facebook, l’URSS est
passée à l’ouest. De sorte que mon amie Dany a du mal à expliquer des allusions
bibliques ou évangéliques dans les pièces classiques qu’elle étudie avec les
ados du lycée français. Effacer le christianisme, c’est effacer nos deux mille
ans d’histoire.
Comme je lui
parlais d’un ami homosexuel que j’avais dans mon jeune temps, elle m’a demandé
ce que je pensais de cela. Je lui ai répondu que nous étions tous pécheurs et
que je réagissais assez calmement à la chose, et avec indulgence, car la vie
n’était pas simple. « Je suis contre la propagande délirante et indiscrète
qui sévit en occident, contre les transitions sexuelles, contre l’étalage
vulgaire des manies d’une certaine communauté, je pense souvent, par rapport à
l’orthodoxie, à ce qu’a dit je ne sais plus quel geronda grec sur la
question : l’Eglise considère qu’il y a deux façons de vivre, le
monachisme et le mariage, le reste, homosexualité, hétérosexualité, c’est
forcément de la luxure, point à la ligne, n’allez pas chercher plus loin. »
Maintenant moi, je trouve que c’est bien difficile à tenir et qu’on fait ce
qu’on peut, ce n’est vraiment pas le genre de choses sur lesquelles je porte
facilement un jugement. La cruauté m’indigne beaucoup plus, la bassesse, la
perfidie, la bêtise... Je suis contre la propagande et je suis contre la
stigmatisation. » Elle semblait partager mon avis, et je lui ai parlé de
mon livre Yarilo, qui évoque ces relations, sans en faire la propagande mais
sans caricature non plus, tout en présentant le mariage comme la seule union
aboutie.
En ouvrant une vieille clé USB, je suis tombée sur des photos que j'avais faites la première fois que je suis allée à Pereslavl, en juillet 99. Malheureusement, je crois qu'il en manque beaucoup, j'avais scanné celles-ci au moment de mon déménagement. Combien j'avais aimé cette ville pittoresque et poétique qui gardait son caractère russe capricieux, nonchalant et naturel, malgré les destructions soviétiques et avant le saccage post-soviétique qui l'attendait et qui est presque achevé... Elle reflétait une véritable douceur de vivre, une paix, une liberté qui ont disparu sous l'afflux des touristes et des voitures, sous le bétonnage et le cloisonnement, le siding de plastique et les barrières métalliques, les toits aux couleurs vénéneuses, les murs de blocs de ciment gris jamais enduits, parce que cela ressemble à de la pierre aux yeux de ceux qui prennent toujours les vessies pour des lanternes, et que la pierre, c'est exotique, ça fait riche. Au début, je pensais qu'on n'avait pas crépi faute de moyens, mais maintenant, j'observe que c'est systématique et sans doute voulu. Le moins qu'on puisse dire est que cela n'embellit pas le paysage...
Devant ce même monastère, il y avait un monument de la seconde guerre mondiale, sous forme d'un tank que les gosses escaladaient et qui a disparu, pour faire place à des maisons bigarrées qui n'ont tenu aucun compte de l'environnement pour s'installer avec insolence. J'ai retrouvé aussi une vue que j'avais prise derrière ce monastère, et qui n'existe absolument plus. L'hiver suivant, j'en avais fait un dessin, que j'ai ensuite offert à mon filleul en France. C'était si équilibré, aéré, harmonieux, tout allait bien ensemble, les maisons, les arbres et les églises. Maintenant, de grosses maisons moches s'accumulent à cet endroit comme si on y avait vidé un énorme seau plein d'objets hétéroclites.
A l'époque, Moscou ne venait pas tellement à Pereslavl, à part les artistes-peintres, parce que c'était considéré comme loin, il n'y avait pas de train, seulement des bus, la route à quatre voies n'avait pas été prolongée. Mais je ne suis pas sûre que ce soit Moscou qui ait tout gâché, ou plutôt si elle l'a fait, c'est indirectement, les habitants voulant vivre comme les moscovites, ou comme ils se figuraient que les moscovites vivaient. "Nous voulons vivre bien" est l'argument pour raser les isbas pittoresques plutôt que de les aménager, à cause du mépris inculqué pour le monde paysan et tout ce qui est ancien. Ou pour construire des châteaux américains et des cottages allemands ou qui voudraient le paraître. Et tout cela, sans aucune considération pour les voisins, pour l'environnement, pour l'ensemble de la ville. On pose sa maison comme un pliant sur une plage bondée, en écrasant les orteils de ceux qui sont déjà là et qui n'ont qu'à se pousser, ou aller plus loin.
Le monastère saint Nicétas venait d'être rendu au culte, il était dans un très mauvais état, mais quelle beauté, et que d'espace autour de lui, l'âme ouvrait ses ailes à cette vue, comme les oiseaux qu'on voyait passer dans ce ciel immense. L'église avait encore ses coupoles de tuiles de bois essenté, je suppose qu'on n'a pas pu les garder à la restauration. Inutile de dire que ces vues n'existent absolument plus. Tout est déjà grignoté par toujours les mêmes bâtiments anarchiques très laids, sans aucun plan d'urbanisme, et dans l'absolu, un tel site aurait dû être préservé de toute construction, car il contribuait à la valeur historique, artistique, esthétique de la ville mais sans doute que le mot "touristique" concerne exclusivement les mongolfières, les planches à voile, les ailes volantes, les motos, le camping; le restaurant et la plage, et pas la beauté et le silence d'un site intact autour de son merveilleux monastère, avec la source miraculeuse de saint Nicétas qu'on voit sur la photo et qui disparaît aujourd'hui derrière les OVNIs.
Le monastère de la Trinité-Saint-Daniel était lui aussi en très mauvais état, il a été depuis entièrement et magnifiquement restauré, et il fonctionne, Dieu merci. Mais tout l'écrin de cette nature spontanée et de ces maisons traditionnelles devant lesquelles des petites dames discutaient paisiblement, dans le fil de la brise et le calme d'une après-midi d'été, a été ravagé par une pompe à essence, un complexe de matériaux de construction, d'énormes bâtisses au ras de la rue, où plus personne ne s'assied, et où circulent des voitures.
1999, cela ne me paraît pas si loin, et pourtant, ça l'est déjà. Ce qui s'est passé à Pereslavl se passe à Moscou et dans beaucoup d'autres villes, cela se passe dans le monde entier, d'ailleurs, et grandissent des générations qui ne savent même plus ce que c'est que la poésie ou l'harmonie, ont une vision absolument utilitaire, artificielle, consumériste et morcelée de l'existence, chacun pour soi, chacun s'impose, prend, achète, réquisitionne, le monde entier n'est qu'un champ d'exploitation, un parc de loisirs, un terrain de chasse, un complexe sportif, un centre commercial, un hôtel, un bordel.
La rivière Troubej n'avait pas été encore dépourvue de ses jolies maisons au profit de villas mon rêve abominables, et ici, c'était le lac au pied du "Botik" de Pierre le Grand, je m'y étais baignée:
Maintenant, les bénévoles du mouvement "Tom Sawyer Feast" s'efforcent de sauver ce qui subsiste, et bravo, mais il ne reste pas grand chose. Les "moscovites", qui ont le dos large, esquissent un mouvement inverse, en restaurant joliment de vieilles maisons ou en construisant dans l'esprit russe (et non dans le kitsch à la russe boursouflé qui n'a rien à voir avec cet esprit), le problème est que la ville a complètement perdu son unité, sa structure, et que ces tentatives sont assez isolées, à la limite, maintenant, c'est ce qui est authentique qui paraît déplacé.
Comme me le disait une amie française à propos des environs d'Avignon, "si nous pouvions voir le monde tel qu'il était il y a cent ans, nous pleurerions de chagin et de honte". J'espère qu'on ne fera jamais avec Gorokhovets, Iouriev-Polski, Ferapontovo ou Elets ce qu'on a fait avec Pereslavl.