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dimanche 12 février 2017

Le bienheureux Michenka

Je reconnais que je ne pouvais laisser la curiosité du lecteur insatisfaite (et la mienne). J'ai trouvé sur le wikipedia russe l'histoire du bienheureux Michenka.

Mikhaïl Vassilievitch Lazarev est né dans la famille d’u paysan du village de Iam, près de  Pereslavl. Le nom de « Samuel » lui a été ajouté par le peuple comme à quelqu’un qui menait une vie monastique, par sa chasteté stricte, après la mort de Samuel, hiéromoine du monastère saint Nicolas.
Micha prit sur lui la folie en Christ dès son enfance. A l’âge de 8 ans, il prédisait les maux des gens de son village, et les paysans exigèrent qu’on le chassât.  Il fut recueilli dans sa cellule.par le hiéromoine du monastère saint Nicolas Samuel, qui devint le père spirituel du petit garçon.
Micha passa toute son existence à errer par la ville et ses environs. Il allait souvent au quartier de la Trinité, où il aimait séjourner dans la maison du paysan infirme des deux jambes Symeon Voukolov (à présent le n° 21).
Quand Micha allait par la ville, les gens qui le respectaient venaient lui demander conseil. On voyait souvent, avant la mort de quelqu’un, Micha pleurer près de la maison où vivait le futur défunt. Micha prédit au représentant de la noblesse et chambellan N.G. Tabarovski la perte de son bétail. En 1885, il prédit l’incendie du quartier de la Trinité.
On considérait comme un bon présage qu’il demandât à manger à un commerçant. C’était la meilleure des recommandations.
Tout l’argent qu’on donnait à Micha, il l’apportait en offrande à Dieu ou le distribuait aux pauvres. Il en mettait la plus grande partie dans le tronc de l’église du saint prince André, à la chapelle de saint Daniel, dans le tronc de la cathédrale, aux chapelles de saint Serge, de la Trinité, et de saint Nicétas.
Micha tomba malade en février 1907. Les moniales du monastère saint Nicolas s’en occupèrent pendant les derniers jours de sa vie. Il mourut au quartier de la Trinité le 23 février 1907 à trois heures de l’après midi. Il fut enterré le 25 février, à droite de l’autel de la Trinité.
Sur le tombeau de Micha a été construit un petit auvent.
Le tsar Nicolas II est venu se recueillir avec ses filles sur la tombe de Micha et y fit célébrer une pannychide.


La tombe du bienheureux Michenka
 
Micha-Samuel



le dimanche du fils prodigue

Lumière de février





Aujourd’hui dimanche du fils prodigue, voir ici  sur ce sujet le sermon du père Alexandre Schmemann, dont je suis une fervente disciple posthume : http://stmaterne.blogspot.ru/2007/02/p-schmemann-le-fils-prodigue-et-nous.html
Quand je suis revenue de France chargée comme un âne, j’ai aperçu une moniale dans l’autobus. A l’arrivée, celle-ci, me voyant déraper sur la glace avec d’un côté la valise et de l’autre le chien, s’était précipitée pour m’aider, avec un gentil sourire. Je lui avais demandé : «Ne seriez-vous pas à côté, au monastère saint Théodore ?
- Si !
- Je le trouve très joli et j’ai très envie de le fréquenter.
- Venez, venez ! »
Lors de mon entretien avec la mère Hypandia, avant mon départ, j’avais reçu le conseil de me rendre aux offices dans un monastère. Alors ce matin, j’ai décidé d’aller chez saint Théodore.
Le taxi qui m’emmenait, casquette de prolétaire et nez en pied de marmite, m’a chanté les louanges de la croix miraculeuse de Godenovo, à une cinquantaine de kilomètres d’ici. (Voir l’article de la revue orthodoxe russe «Thomas » sur cette croix étonnante : https://www.facebook.com/notes/la-russie-vue-par-les-yeux-de-thomas/la-croix-de-godenovo/1326780797362877). « J’étais du genre à ne croire que ce que je voyais et touchais, mais ma vie allait tellement mal que j’ai décidé de tenter le coup. J’y suis allé, et pendant que je faisais la queue, je me demandais bien ce que j’allais dire ou demander en arrivant au pied de cette croix. Mais le Seigneur sait ce qu’il nous faut sans qu’on ait besoin de lui faire un dessin. J’ai ressenti tout à coup un soulagement et une légèreté indescriptibles, comme si un poids me tombait des épaules, et tout a commencé à aller mieux progressivement, je ne dis pas que j’ai trouvé une valise de billets, ce n’était pas un miracle de ce type, mais ma vie a changé après ma visite à la croix. Depuis, je ne fais plus rien sans prier. »
Il m’a parlé de l’église de la Trinité, près de laquelle est enterrée « le bienheureux Michenka », un fou en Christ local dont je ne sais absolument rien pour l’instant.
Le monastère saint Théodore me plaît à bien des égards, il est ravissant, sobre, c’est Ivan le Redoutable qui l’a fondé pour la naissance de son fils Théodore, plus tard canonisé. L’église date de 1710, elle a une jolie coupole bleue étoilée, mais on voit qu’elle a dû souffrir pendant la période communiste, il n’y a plus de fresques, et le sol rappelle celui d’une clinique ou d’un bureau. Il doit y avoir là dedans une dizaine de moniales, et une vieille higoumène. C’est spacieux, il n’y fait pas trop chaud, mais on ne peut pas s’asseoir, comme d’habitude, et si je fais peut-être plus jeune que la babouchka du cru, mes genoux, eux, sentent bien leurs 65 ans. D’un autre côté, ô surprise, l’office monastique est plus court que dans les paroisses ordinaires. Il n’est pas précipité pour autant, les moniales lisent de façon lente et distincte, mais le sermon du prêtre est concis. Il a parlé du fils prodigue, en soulignant que des peuples entiers pouvaient eux aussi « déserter la maison du Père » pour se livrer à l’iniquité et que l’on reconnaissait les serviteurs du démon à la haine permanente dans laquelle ils baignaient et à la discorde qu’ils cherchaient toujours à semer partout. Je me sentais bien, j’avais l’impression que mes copains du XVI° siècle m’avaient attirée là et m’y tenaient invisiblement compagnie. En sortant, à la fin de l’office qui était suivi d’un autre office, j’ai vu que le monastère vendait de la boulange et avait un café. Un petit café, où après la communion ou l’office, on peut prendre un thé avec des pirojki, acheter des tisanes russes aux merveilleux arômes et du miel. La moniale de service était gentille et souriante, gentille aussi celle qui vendait cierges, icônes et livres religieux dans l’église. Une atmosphère générale de calme, de bienveillance, de simplicité et de discrétion.

Je suis revenue chez moi sous la neige : ciel gris et sourd, gros flocons sur les petites maisons de toutes les couleurs. Puis un soleil printanier a dispersé tout cela, tout s’est mis à étinceler, d’éblouissants nuages brochés de lumière se sont sagement pliés aux rives du ciel. J’ai vu qu’il fallait aller promener Doggie, et contempler toute cette beauté. Et faire une aquarelle, faire quelque chose d’agréable, de créatif, avant d’aborder la semaine et les démarches !
Peut-être le petit article que m'a consacré "Hello Pereslavl" contribuera-t-il à attendrir les fonctionnaires! http://hellopereslavl.ru/lorans-gijon

Les aquarelles Léningrad sont très bonnes et coûtent beaucoup moins cher que les nôtres.
Elles se présentent comme des bonbons qu'il faut dégager de leur papier d'argent.


Une belle isba et sa propriétaire





samedi 11 février 2017

Golymba

Cette chanson, Golymba, remonte au moins au XVI° siècle, puisque l'ont conservée les cosaques Nekrasovtsi, vieux-croyants partis en exil au XVII°. Je l'apprends avec Skountsev et les petites dames, et je m'en vais quatre siècles en arrière.

vendredi 10 février 2017

Marchroutka

Escapade à Moscou pour les activités de Skountsev à l'église saint Dmitri Donskoï. Les petites dames orthodoxes étaient en nombre, avec des enfants qui grouillaient partout et auront la chance de grandir en entendant les chants de leurs ancêtres, l'âme de la Russie. Mais il y a ce qui se transmet par la mémoire et la tradition et ce qui nous est devenu génétique, car prises en mains par Skountsev, toutes ces femmes qui ne savaient pas chanter retrouvent les inflexions très particulières propres à leur chant populaire. "Je vois que notre méthode est la bonne", me dit-il d'un air modeste. Mais je ne comprends pas ce qu'il entend par là, car je n'arrive toujours pas à savoir comment il fait. Les gens apprennent en pratiquant, sans s'en apercevoir. Je crois d'autant plus à l'élément génétique que moi, Française, je suis profondément émue par ce que j'entends là, que j'ai un besoin passionné de m'intégrer cette tradition, peut-être parce qu'à la base de tout folklore, on retrouve quelque chose de commun à tous les peuples d'Europe, quelque chose que nous, nous avons perdu, et que Skountsev et ses semblables essaient de sauver.
Il nous dit que les chansons joyeuses et martiales des cosaques viennent de l'imitation vocale des orchestres militaires, de sorte qu'ils disaient "jouer une chanson" et non pas la chanter.
Au retour, je ne prends pas l'autobus mais une marchroutka, un taxi collectif, un minibus. Le chauffeur racolait les clients à la sortie du métro, j'ai décidé d'essayer. Ca va beaucoup plus vite. Quand j'aurai une voiture, je ferai le trajet en 1 heure et quart 1 heure et demie s'il n'y a pas de bouchons. Le temps s'est réchauffé, il fait -2, mais les forêts sont couvertes de givre. C'est féerique, étrange et mortel, l'hiver, ici, on a l'impression que la nature est figée pour toujours, que le printemps et la verdure ne reviendront jamais. Et pourtant, le moment n'est pas si loin où cela va revenir, où les rues de Pereslavl seront largement fleuries de lilas, seringats, viornes obier, hémérocalles, phlox, lupins et hortensias.


Hommage au commandant Guivi lâchement assassiné à Donetsk



Ce post passera pour la seconde fois: le premier a été tout simplement effacé en douce. Je le restitue de mémoire car j'écris toujours au propre. Que ce post soit. que brûle en enfer le bestiaire des mouchards mesquins!
"Il est beau. Beau d'une façon inhumaine et iconographique. On voit apparaître sur le fil de l'actualité d'autres visages: celui au nez plat de K. Raïkine, celui de quelque victime des "tirs russes", un assassin de l'Opération Antiterroriste, présenté à l'Onu, avec un regard de mouton dégénéré, des personnages aux vies éphémères qui passent rapidement, protubérances sur le fil des médias, emportés par l'écume trouble d'une popularité accidentelle.
Et au milieu de tout cela, le visage de Guivi, de Mikhaïl Tolstykh. "Comme sur un vase à figures noires".
Et on comprend la vérité éternelle de Giotto et de Zurbaran, d'El Greco et de Raphael: la vérité et la droiture sont magnifiques, le péché est hideux. La lumière est simple et claire, toujours radieuse, elle brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne prévaudront pas contre elle.
Ce chemin est forcément le bon. Dommage que nous perdions les meilleurs."
Этот пост будет второй раз: прежний просто тихонечко снесли. Я восстанавливаю по памяти, потому что всегда пишу набело. Этому посту - быть. Гори в аду, бестиарий мелких доносчиков!
"Он красив. Нечеловечески, иконописно красив. В ленте мелькают другие лица: плосконосое лицо К. Райкина, лицо какой-то жертвы "российских обстрелов", бийца АТО, предъявленное в ООН, с дегенеративным бараньим взглядом, какие-то быстро проходящие, протуберанцем вспыхнувшие медийные, мотыльково короткоживущие персонажи, вынесенные мутной пеной случайной популярности.
И среди этого - лицо Гиви, Михаила Толстых. "Словно с вазы чернофигурной".
И понимаешь, вечную истину Джотто и Сурбарана, Эль Греко и Рафаэля: правда и праведность - прекрасны, грех - уродлив и безобразен. Свет - прост и ясен, всегда светел, во тьме светит, и тьма не обымет его.
Не может быть неверной та дорога. Жаль, что теряем лучших."
Tatyana Grabova
traduction Laurence Guillon ·

mardi 7 février 2017

- 26

le lac

Devant chez moi

Il faisait très froid ce matin, - 26. Le petit chien fait une vingtaine de mètres et se couche, en levant une patte, avec des yeux éloquents. Je n'ai plus qu'à le ramasser et à le mettre dans son sac de transport. Le soleil est vif, la neige étincelante, et le soir, le ciel rougit comme dans le midi, par jours de mistral, il prend des teintes d'orange sanguine, et la neige devient bleue, des étoiles s'allument, la lune dérive. J'ai beaucoup de ciel, côté sud.
Pas de nouvelles de ma demande de permis de séjour, dont je soupçonne qu’elle n'a pas été déposée, à Moscou, par l'officine entre les pattes desquelles j étais tombée. Je prends mon courage à deux mains pour aller trouver la juriste locale, car la demande doit être rédigée dans les règles, selon Gilles, le patron du café français. Mais elle n'est pas là. Au café, une jeune femme appelle et apprend qu'elle a déménagé à la procurature, mais personne ne peut donner son numéro de téléphone. Rien ne m'indique que je trouverai la juriste à la procurature et qu'elle sera sur place si je viens sans rendez-vous. D'après la jeune femme, Liéna, mieux vaudrait aller directement à Iaroslalv, elle veut m'adresser à une relation qui a l'expérience de ce genre de choses.
Au bureau des traductions, il faut compter quinze jours, mieux vaut les faire à Moscou.
J'ai fait une balade sur l'escarpement qui domine le lac, côté monastère Nikitski. Mais c'est très construit, et construit avec des horreurs.
isba normale

Comment transformer une isba normale en château américain.


dimanche 5 février 2017

Les martyrs et confesseurs de l’Eglise russe

L'Eglise russe fête ce jour les nouveaux martyrs et confesseurs de Russie qui sont en très grand nombre, et dont les noms et les visages se sont en partie conservés dans les archives du KGB. Leurs corps reposent dans les fosses communes que l'on ne finit pas de retrouver en Russie, à l'occasion de restaurations d'églises, notamment, car les monastères servaient souvent de prisons et les sanctuaires de salles de torture.
Le père Vladimir Viguilianski a écrit un post sur Facebook pour commémorer cet événement
Aujourd’hui, jour de l’assemblée des nouveaux martyrs et confesseurs de l’Eglise russe, on a prié pour « tous les défunts qui ont souffert pour la foi du Christ au temps des persécutions ».
Jusqu’à la révolution de 1917, dans les listes des saints martyrs russes canonisés, il y avait 61 saints plus près de 100 confesseurs anonymes .
Après la révolution leur nombre s’était considérablement élevé, il s’y était ajouté plus de deux mille saints, et le processus de canonisation des martyrs n’est pas terminé, il se développe avec une grande intensité.
En 1917, on comptait plus de 200 mille prêtres et moines. Tous, à l’époque du pouvoir antireligieux tombèrent dans la catégorie des citoyens particulièrement suspects. On les arrêta de nombreuses fois, on les déporta, les accusa d’opinions et actions contrerévolutionnaires, de participation à des organisations terroristes et même d’espionnage.
Malgré le fait que, sous la torture, certains membres du clergé admirent avoir commis ces crimes, ils furent complètement justifiés dans la période des réhabilitations.
Et si l’on ajoute à ces serviteurs du culte les membres de leurs familles, leurs enfants spirituels, les travailleurs ordinaires de leurs paroisses, leurs simples paroissiens, le nombre des persécutés pour leur foi peut monter à au moins un million de personnes.
Par exemple en 1930, le secrétaire du Comité Central du PCUS G.M. Malenkov écrivait à J.V. Staline au sujet des communautés religieuses existantes qu’elles étaient « une organisation hostile au pouvoir soviétique légale largement infiltrée de 600 000 personnes sur toute l’URSS ». Et cela fut écrit après les répressions de grande ampleur des années 20 et 30.
C’est pourquoi nous pouvons entendre souvent à l’église, au cours des prières sur ceux qui ont souffert pour la foi : « Leurs noms, Seigneur, te sont connus ».
La mise en évidence des biographies détaillées de ceux qui ont souffert pour la foi du Christ se poursuit. A présent, la liste de ces descriptions de vies atteint pour l’instant près de 35000 noms.
J’ai déjà parlé de ces serviteurs du culte Viguilianski, mes homonymes et mes lointains parents, que l’on évoque comme des nouveaux martyrs, mais leurs biographies, à de rares exceptions, est inconnue même de moi, bien que ma famille s’en occupe de près…
Nos ennemis déclarés de l’Eglise récemment apparus, contempteurs acharnés des sanctuaires, hérétiques, fauteurs de troubles dissimulés et rénovateurs doivent se rappeler notre histoire récente pour éviter de figurer dans le camp des persécuteurs sanglants des chrétiens.
Aucune des périodes de nos deux mille ans d’histoire chrétienne ne peut se comparer en cruauté avec notre « temps des persécutions » !
L’apologète du II-III siècle Tertullien écrivait : «Le sang des martyrs est la semence du christianisme ».
Saints martyrs et confesseurs de l’Eglise Russe, priez Dieu pour nous !



samedi 4 février 2017

Anniversaires



Il y a une chose que les Russes considèrent comme sacrée, c'est le jour de l'anniversaire, peu importe l'âge de celui qui le fête, et même, j'ai vu continuer à le fêter de manière posthume. Xioucha a fêté le mien, avec son père, et des amis, de son côté et du mien.
Le père Valentin et le père Valéri ont parlé des remous occasionnés par la restitution à l'Eglise de la cathédrale saint Isaac, à Saint Pétersbourg. Les libéraux ont sauté sur l'occasion pour tenter une émeute, comme ils le font partout dans le monde, pourtant, quoi de plus normal que de restituer une église à l'Eglise, persécutée et spoliée au moment de la révolution? Un prêtre s'est fait incendier parce qu'il a osé dire qu'aujourd'hui comme alors, le même public est à l'oeuvre, ce qui est pourtant la stricte vérité.
Parallèlement, les communistes, ou ce qu'il en reste, agitent les gens dès que l'on veut construire une église dans Moscou: on prend le dixième d'un parc pour ce faire, et c'est la révolte, on vole les espaces verts et les terrains de jeux des enfants, mais quand c'est un casino ou autre établissement commercial qui fait la même chose en grand et en moche, l'émotion n'est pas si grande. A la faveur du centième anniversaire de la révolution d'octobre se manifeste un révisionnisme communiste qui voudrait blanchir la cause des innombrables cadavres innocents qu'elle a semés derrière elle, en particulier les néomartyrs de Russie. Son patriotisme est soviétique.
De sorte que les persécutions sont toujours une éventualité, d'autant plus que dans le reste du monde, elles se déchaînent contre les chrétiens avec une violence meurtrière ou sournoise.
Une jeune amie m'a ensuite montré une vidéo, une chanson intitulée "ce qui vote pour Poutine, c'est la maison de fous". Elle avait hésité à le poster sur ma page facebook pour mon anniversaire. C'est une jeune femme orthodoxe et charmante, et je l'ai regardée avec consternation: "Mais la maison de fous, la voilà, ce sont ceux qui chantent cette chanson et ce qu'ils représentent..." Elle a protesté que pour être un bon conservateur, il fallait d'abord avoir été révolutionnaire. Oui, en effet, on le dit, c'est un must, semble-t-il, je ne suis pourtant jamais passée par cette étape. Mais après avoir visionné le truc, eh bien, si j'en avais le droit, je voterais pour Poutine des deux mains, car j'ai rarement vu quelque chose d'aussi pitoyable, dégradant et sinistre, une agitation provocatrice de singes déboussolés qui voudraient ressembler aux nôtres, à qui se montrer complètement cons et déjà devenu une seconde nature.
Le lendemain, j'ai fêté à nouveau cet anniversaire dans le local de Skountsev à l'église saint Dmitri Donskoï, avec les petites dames orthodoxes qui apprennent auprès de lui le chant traditionnel. Les petites dames ont fait en mon absence des progrès impressionnants. Elles chantent avec hardiesse et enthousiasme comme si elles avaient appris cela dans leur enfance au village. C'est le miracle Skountsev.
Je me demande si nous chantions autrefois de cette manière, au moyen âge, chez nous, de tout notre être, si remontait à travers nous tout ce qui avait chanté avant nous, par les rivières, les champs et les forêts, depuis la nuit des temps. Le chant traditionnel russe, c'est l'âme du monde, l'âme collective des hommes.
Ces petites dames, qui ne m'avaient vue qu'une fois dans leur vie, m'ont accueillie comme une proche parente. Chacune d'elles m'avait apporté un gâteau. Nous en avons mangé deux, avec du thé, et l'on m'a chanté "longue vie", Skountsev m'a chanté une chanson d'anniversaire traditionnelle extraordinairement jolie. Il nous donne beaucoup de chants des cosaques Nekrasovtsi, partis en Roumanie, puis en Turquie, pour fuir les persécutions contre les vieux-croyants, et revenus en Russie dans les années 60. Leur folklore est antérieur au XVII° siècle, leurs chants religieux également. Et je retourne béatement aux sources de la sainte Russie intacte, vivace, innocente. J'y retrouve quelque chose que nous avions sans doute en commun avec elle et que nous avons complètement perdu. Quelque chose de précieux, d'indispensable, de vital, de pur et de régénérant.


Kostia Soutiaguine m'a offert un tableau!


L'hortensia de Sacha Joukovski, je pourrai le
replanter dans le jardin

Pétia, le petit garçon de Xioucha m'a
offert son lapin, j'espère que ce n'était
pas celui de sa soeur.


Les fleurs de Tania et Zakhar








mercredi 1 février 2017

Accordéon magique

Cette fois, Skountsev m'a offert de venir prendre un cours particulier, à l'Arbat dans son local magnifique. Je suis arrivée avec mes gousli, mais il y avait du monde, un spécialiste des guitares et instruments à cordes, un visiteur et un réparateur d'accordéons russes, garmochkas et baïans. Ce dernier apportait une merveille, de surcroît étincelante de verroteries que je regardais scintiller avec bonheur, une joie pour un coeur d'enfant. "Il joue tout seul, me dit Skountsev, on n'a rien à faire!" Et il s'est mis à jouer. Je pense que même avec un pareil instrument, je jouerais beaucoup moins bien.
Puis nous avons pris le thé. J'ai raconté que j'avais toujours adoré la musique, mais que plus personne n'en faisait en France, à part dans les conservatoires, ou les gamins qui rêvaient d'une carrière dans le showbiz, et que maman m'avait envoyée à une vieille fille qui me cassait les pieds avec le solfège et des ritournelles débiles. Ce n'est pas ainsi qu'on apprend la musique dans le peuple ou chez les folkloristes, on l'apprend en jouant et chantant, même si Skountsev a plus tard reçu une formation classique. Il nous a parlé du neveu de Tarkovski, qui s'est installé en Sibérie profonde, après être venu étudier la faune et la flore, il est resté sur place, subjugué par la nature locale. Skountsev est allé le voir. Là vivent des vieux croyants. Ils ont plein d'enfants qui, au fur et à mesure qu'ils grandissent, apprennent à remplir toutes les tâches de la communauté, et chacun a son rôle, chacun fait son travail, chacun est impliqué et nécessaire, personne ne s'ennuie ni ne rêve des podiums ou des sunlights. Ils connaissent tous les chants liturgiques, ils grandissent avec, et avec le slavon d'église. "Ce qui vous tue, en occident, me dit-il, c'est que vous n'avez plus le sens de la communauté." J'en suis bien persuadée. Pour moi, la vie et l'éducation normales, c'est celle de la communauté de vieux croyants qu'il nous a décrite. Les enfants s'élèvent en s'intégrant dans tout ce que fait la famille, y compris ce qu'on fait de beau avec ses mains, et en apprend naturellement les chants, les rites et les usages. Leur éducation n'est pas déléguée à l'état, pendant que les parents vont bosser du matin au soir pour un patron international afin de pouvoir s'acheter des merdes au supermarché du coin.
Ensuite nous avons travaillé les gousli. Il ne perd jamais son calme, il me montre autant de fois qu'il le faut, et des portes s'ouvrent, des éléments s'ajoutent. C'est comme cela qu'on devait apprendre à jouer, autrefois, quand on était un petit enfant des campagnes russes.


lundi 30 janvier 2017

La ville sur les nuages


L'église des 40 martyrs de Sébaste

Soleil magnifique, en février, il fait froid mais la lumière revient. J'ai décidé d'aller me promener avec le petit chien. Ce soleil était non seulement resplendissant, mais il chauffait un peu. J'ai marché jusqu'au lac, puis sur le lac, c'était la première fois de ma vie que cela m'arrivait. J'ai ressenti tout à coup un profond sentiment d'étrangeté. Cette blancheur, cette lumière, ces miroitements, ce soleil dévorant dans l'azur, et rien de vert alentour, peu de reliefs, c'était comme si j'avais avancé dans une contrée magique construite en plein ciel, sur les nuages, dans lesquels mes pas enfonçaient en crissant. Un léger vent glacial me suivait, mystérieux, subtil et bourdonnant, comme un essaim de séraphins invisibles.Je me dirigeais vers l'église des quarante martyrs de Sébaste, posée à l'embouchure de la rivière Troubej. Je la voyais à contre jour, éclaboussée de rayons. Quand j'ai abordé la rivière, je suis tombée sur les croix de glace de la Théophanie et la découpe qui avait permis de bénir les eaux. Je voyais au loin les coupoles dorées, liquides, chatoyantes du monastère saint Nicolas. Il coiffe la ville comme un diadème. Une autre église me faisait signe, ses croix brûlant dans le ciel d'un feu calme, comme de grosses étoiles. Les buttes enneigées des anciens remparts prenaient une couleur rose qui ne me paraissait pas de ce monde.
J'ai marché ainsi très longtemps, sur la rivière, et je suis arrivée au café français. J'ai discuté avec Gilles, le patron, de mes problèmes de visas et de permis de séjour. Il m'a donné des conseils utiles.

Les coupoles du monastère saint Nicolas









vendredi 27 janvier 2017

Mixtures

Ca y est, j'ai acheté mon studio à Moscou.
Kostia est venu me chercher, il a lu une prière dans la voiture pour que nous arrivions à bon port. C'est son copain Sacha qui a trouvé le studio. Sacha s'occupe de convoyer l'aide humanitaire au Donbass et de secourir les chats de son quartier, c'est un ancien militaire, reconverti dans l'immobilier. Apprenant mes activités pro Donbass, il m'a proposé de me faire signe lorsqu'il y aurait des manifestations consacrées à la Novorussie.
L'autre agent immobilier, celui des vendeurs, était aussi un ancien militaire, avec beaucoup d'autorité.
Nous avons signé des tas de papiers et attendu des heures. Je payais en liquide, je suis arrivée avec un sac bourré de liasses de billets, que je suis allée solennellement déposer au coffre de la banque. L'ancien militaire ne croit plus qu'en l'échange de liquidités, après avoir été empêché des mois par une banque de récupérer l'argent qui lui appartenait.
La température ayant remonté jusqu'à - 2, je crevais partout de chaud, ce qui favorise certainement mes problèmes ORL permanents.
Sur le chemin du retour, Kostia m'a emmenée au supermarché Globus, un énorme temple de la consommation où j'ai vite pris le tournis et fait quelques dépenses plus ou moins utiles.
Puis la dame qui m'avait gardé mes chats, Margarita, est venue soigner Georgette et Chocha, qui présentent une curieuse lésion sous le menton, une petite tache chauve, avec une sorte de bouton. Elle avait un remède infaillible: elle fabrique un cône avec du papier journal ou n'importe quel papier, elle le place sur une assiette, elle l'enflamme, puis elle prend le résidu gluant et marron qui reste après la combustion et en enduit l'endroit malade. Il paraît que c'est radical.
Elle m'a parlé d'un autre remède, avec de la cire d'abeilles, du miel et un jaune d’œuf cuit pour toutes sortes de problèmes.
Contre les allergies, elle me recommande le résidu de papier brûlé dans un peu de sucre, à jeun.
Le saint évêque et grand chirurgien Luc de Crimée avait remarqué qu'une de ses infirmières appliquait aux plaies infectées un remède de ce genre, et que cela marchait très bien, il l'avait donc inclus dans ses pratiques de soins, au grand dam de la médecine soviétique officielle de l'époque.


bonhomme en cage

jeudi 26 janvier 2017

Le bureau des passeports

Calendrier 2017: une année avec le président de
Russie!
Ce matin, je me suis levée avec un "refroidissement": la tête comme un seau, le sinus en feu. Au dehors, beau soleil, neige scintillante, - 23°. Et il me fallait d'urgence aller enregistrer mon visa puis faire diverses démarches locales en vue d'acheter un studio à Moscou pour avoir un pied-à-terre, un revenu occasionnel et ne pas dépenser ce qu'il me reste.
L'enregistrement devait être fait avec la mère de Kostia, au nom de laquelle l'invitation avait été faite. Nous étions allés la veille au "bureau des passeports" qui nous avait donné une enquête à remplir, et c'est tout. Aujourd'hui, la jeune fille de l'accueil nous déballe à toute vitesse en marmonnant que nous devons fournir aussi la photocopie de toutes les pages du passeport, de la carte d'immigration, du titre de propriété de l’appartement de la maman de Kostia. Nous voilà partis pour le faire, puis revenus. Et là, on nous dit de remplir une enquête en deux exemplaires sans la moindre rature, un côté pour Nina Grigorievna, la maman, un côté pour moi. L'employée va vérifier notre brouillon, et nous demande de le refaire, selon ses instructions, à chaque fois, nous faisons une bourde au dernier moment, ou bien le stylo dérape un peu, et la lettre est mal formée, ou bien, trouvant un détail peu visible, nous l'avons repassé, et ça ne fait pas l'affaire. Enfin nous y arrivons, et l'on nous envoie au guichet numéro 3. Là nous tombons sur un véritable sergent major: "Qui invite? qui? Nina Grigorievna? Alors je n'ai pas besoin de vous!"
Je m'éloigne un peu et au bout de quelques minutes, je me fais héler: "Où êtes-vous passée, l'invitée, votre passeport!" J'arrive avec le passeport, la traduction officielle, la carte d'immigration, les photocopies, et nous nous faisons morigéner parce que nous n'avons pas classé ni agrafé les photocopies. Puis elle découvre une petite faute d'orthographe dans le patronyme de Nina Grigorievna. Et aussi qu'elle a mis son téléphone fixe et il faut le portable, nous devons aller refaire notre copie: "Et sans l'indicatif, le portable, surtout!"
D'après son fils, Nina Grigorievna s'était étonnée de mon sentiment de panique devant l'administration, mais la voilà qui démissionne complètement, et c'est moi qui prend le rôle de copiste. "Oh comme vous écrivez facilement", me dit-elle, normal pour une institutrice et un écrivain, mais c'est diablement difficile de ne faire aucune rature, ni aucun dépassement dans la forme des lettres. Il faut une sacrée concentration, surtout avec une sinusite géante. Nous accumulons les feuilles ratées. Nina Grigorievna, compatissante, s'attelle à la tâche, mais elle semble plus perdue que moi, je reprends le stylo. Arrive Kostia, qui nous prend un peu pour deux vieilles incapables, mais me dit que lui-même, pour enregistrer son appartement, a fait des heures de copies successives qui me rappellent les cent lignes de mon enfance. Enfin tout est prêt, et nous remettons le résultat péniblement obtenu à la jeune fille de l'accueil qui disparaît avec car quelque chose ne lui plaît pas. Elle revient en nous déclarant que nous devons faire figurer l'indicatif devant le numéro de portable! Kostia le rajoute: "Ca ne va pas passer, lui dis-je, il ne faut pas raturer, c'est rédhibitoire..." Il me répond qu'il a fait cela discrètement. Nous avons perdu notre place dans la queue et nous attendons encore bien vingt minutes. Enfin nous arrivons au guichet numéro 7 où nous attend un ange de douceur qui nous règle la question sans problèmes.
Pour me consoler, Kostia m'offre un calendrier: "Toute l'année avec le Président de Russie!" Chaque mois nous présente une photo de Poutine dans diverses situations. C'est pour remplacer le portrait qu'il m'avait promis.
Je lui dis, dans la voiture: "C'est curieux, cette nuit, j'ai entendu deux fois un grand bruit, comme si quelqu'un avait sauté sur le toit. J'ai pensé à la chute d'un bloc de glace, mais je ne vois pas de traces. Ou alors peut-être un animal, un chat?"
Kostia prend un air pensif: "Vous n'avez pas pensé à faire bénir votre maison?
- Si, naturellement, j'attends seulement qu'elle soit plus aménagée, vous ne pensez quand même pas à des manifestations paranormales?"
Mais si, manifestement, il y pense!

Kostia dans sa voiture

Kostia et le père Andreï qui aidait l'électricien chez moi

mardi 24 janvier 2017

Arrêtez-vous sur vos chemins

Avant de partir de France, j'ai voulu retourner à Solan, et, dans la foulée de ma conversation avec mère Hypandia sur les profondeurs de l'âme humaine, j'ai acheté le livre du père Gleb Kaleda "Arrêtez-vous sur vos chemins", aux éditions des Syrtes. La soeur Ambrosia, qui s'occupait de la librairie, avait l'air dubitatif, mais si chère soeur Ambrosia, lisez ce livre! Il vient tout à fait en complément de ce que nous avons échangé, quand vous m'avez dit que celui qui s'élève dans la lumière voit les abîmes ténébreux avec d'autant plus de netteté.
Le père Gleb Kaléda témoigne de ce qu'il a vu dans les prisons des années 90, en Russie, avec tout son amour, et sa profonde compréhension. On ne peut que plaindre les condamnés dont il nous parle, égarés dans leur immense détresse, et saisir qu'en effet, nous sommes tous solidaires dans le péché, dans la chute comme dans la rédemption. La lumière et les ténèbres ne cessent de circuler de l'un à l'autre, et tant que la circulation se fait, les ténèbres ne sont pas irrémédiables, en revanche, si l'individu s'endurcit, s'enkyste au sein de ce courant permanent, ce qu'il enferme en lui-même, ce n'est ni la clarté ni l'air pur. Beaucoup de détenus et de condamnés à mort, car cette peine était encore appliquée dans les années 90 en Russie, ont vu dans le père Gleb Kaleda, un phare qui éclairait leur nuit. Le père Gleb dit qu'on condamne un homme et qu'on en en exécute un autre, que ces condamnés auxquels il a eu affaire n'avaient plus rien de commun avec cette partie d'eux-mêmes qui avait commis le crime.
Le livre à peine refermé, alors que j'étais encore pleine de compassion, j'ai vu sur Facebook les tronches ricanantes et atroces de trois migrants qui s'étaient filmés en train de violer une Suédoise, et si je m'étais trouvée avec une mitraillette en face d'eux, j'en aurais fait de la chair à pâtée...
Le père Gleb lui-même estime que certains détenus sont si endurcis qu'il y a bien peu de chance de les voir se repentir. Curieusement, ce ne sont manifestement pas ceux qui attendent leur exécution dans le couloir de la mort, mais de vieux truands installés dans le monde carcéral où ils règnent paisiblement.
Encore plus curieusement, ce qui m'a procuré le pire sentiment de dégoût, c'est ce passage où le saint homme évoque les journalistes venus flairer le malheur et la honte pour les exploiter à leurs fins:

Dans les prisons, il y a aussi de plus en plus de journalistes et de cinéastes étrangers et russes: ils font la course à qui filmera un événement jamais encore vu en prison, le premier qui montrera au cinéma ou à la télévision un condamné à mort ou une exécution. Les reporters français et allemands s'agitent. A ma question directe à un Français: "Faites-vous des reportages sur les exécutions dans d'autres pays, par exemple en Amérique?" il me fit une réponse qui me frappa et m'indigna: "Non, rien qu'en Russie!", et à son intonation, on pouvait comprendre: "Allons donc, que dites-vous là! Rien qu'en Russie, évidemment."
A ce correspondant du journal français le Monde, j'ai dit: "Je n'ai pas besoin d'honoraires, mais si vous pouviez donner pour l'église en prison..." J'ai reçu deux billets de banque, et quand nous nous sommes séparés, je les ai regardés: c'étaient deux billets de 100 roubles, c'est-à-dire moins d'un demi dollar. Le lendemain, ce combattant pour les droits de l'homme et la liberté dans l'ancienne Union soviétique reprenait l'avion pour Paris, et à Paris, il n'avait pas besoin de roubles.

Retour à Pereslavl

Ayant enfin reçu mon visa (de trois mois déjà entamés) me voici de retour à Pereslavl. Réchauffement au dehors, la neige fond, on annonce cependant - 23 ° pour demain. Mes chattes se sont manifestement réjouies, Georgette, complètement euphorique, m'attrapait les mains avec ses pattes et sautait partout. Rom, en revanche, ne vient pas, il est dans le périmètre, mais le chat noir qui cherche à s'introduire le chasse, j'espère que ma présence va lui donner du courage. Ce chat noir à l'oreille coupée me fait beaucoup de peine, mais Rom aussi, et en plus, depuis que je suis assiégée par les chats locaux, mes trois emmerdeurs qui avaient fini par s'entendre recommencent à faire des concours de pisses. Le chat noir a pissé partout où il le pouvait, au point que la dame qui gardait la maison a limité son domaine à la cave. J'ai beaucoup aimé les chats, mais je commence à ne plus les supporter. Leur odeur non plus.
Il fait dans la maison une chaleur atroce. J'ai essayé de baisser le chauffage, cela n'a pas l'air très efficace.
Mon cher plombier n'a pas branché la machine à laver, des tas de détails restent en souffrance, je n'étais pas là, tout s'est arrêté.
La dame qui a gardé ma maison, et sa petite-fille, m'ont bien plu et je leur suis très reconnaissante, elles aussi, car elles ont une situation compliquée. Le fils de la dame, en raison d'une surdité non décelée, est assez inadapté, avec des problèmes psychologiques, il n’accepte pas sa petite-fille, et elles doivent vivre où elles peuvent, actuellement dans la maison d'un couple d'artistes peintres décédés. La dame m'a raconté que son fils avait eu une période errante, il partait en stop droit devant lui, et, pendant les années 90, s'est retrouvé deux fois esclave. Une fois chez des tziganes, une fois chez un type du Caucase qui l'obligeait à garder ses troupeaux. Dans les deux cas, on vole le passeport du vagabond et le tour est joué. Sans passeport intérieur, on ne peut même pas prendre le train ou l'autobus longue distance.
A Moscou, j'ai dormi chez Xioucha, c'est-à-dire très peu dormi, car comme bien souvent, un copain est venu, et la discussion s'est prolongée tard. Elle m'avait dit qu'il avait un charme magnétique, c'était bien le cas, un jeune homme très beau, profond et intelligent avec quelque chose de mystérieux. Nous avons parlé d'Ivan le Terrible: "Un tsar normal, me dit le jeune homme, Zakhar, pas pire que le roi Henry VIII, pas pire que Pierre le Grand. Il avait une conception mystique de sa position, et se sentait le devoir de faire de la Russie la troisième Rome par n'importe quel moyen, à tout prix.";
D'après lui, les horreurs de la répression à Novgorod sont attestées par des chroniques de l'époque.
Zakhar et Xioucha sont ensuite partis, à deux heures du matin, explorer une maison désaffectée et contempler la ville du haut d'un balcon, puis faire de la balançoire dans un jardin public. Je les ai vus revenir à sept heures du matin, hilares, au moment où je me faisais du thé après une nuit trop courte.

Xioucha...



mardi 17 janvier 2017

Le tsar Ivan habillé pour l'hiver...



Voici que paraissent coup sur coup dans notre presse deux articles sur Ivan le Terrible, au moment où il devient une pomme de discorde entre libéraux et néostaliniens en Russie, ce que je désapprouve dans un sens comme dans l’autre, qu’on calomnie ou qu’on cherche à canoniser ce personnage. Ce que je sais de lui est sans doute hétéroclite, et je ne suis pas historienne, mais comme il me fascine depuis mon adolescence, je commence quand même à en savoir pas mal, et je commence aussi à connaître la Russie.
Il me paraît étrange que l’on se mette à en parler chez nous, tout d’un coup, et de la façon la plus sommaire et la plus inexacte. J’ai d’abord envoyé un commentaire rectificatif à cet article du Figaro, il n’a pas été publié. Pourquoi ne pas publier, en réponse à un article « historique », une réfutation de faits énoncés dans un certain état d’esprit ? Pourquoi était-il important pour le Figaro qu’on ne démonte pas son tissu de clichés ?
Cat article s’applique à présenter le tsar comme un tyran hagard et sadique point barre. En racontant des atrocités fantasmagoriques d’une manière d’ailleurs inexacte, même au regard des biographies les plus négatives que j’ai pu lire à son sujet. J’ai souligné que le personnage était beaucoup plus complexe, le contexte également, et que les seuls témoignages que nous ayons sont ceux du prince Kourbski, qui l’avait trahi et conduisait contre son propre pays des troupes polonaises, ou deux opritchniks allemands qui, après s’en être donné à cœur joie dans sa police politique, sont repartis chez eux l’arranger à leur sauce. Plus, évidemment, les vies des saints de l’époque, notamment celle du saint métropolite martyr Philippe, qui s’était opposé aux cruautés de la répression, et celle de saint Corneille.
Le tsar n’était vraiment pas un tendre mais il est très sommaire, et disons complètement con, de parler de vengeance pour le meurtre politique de son cousin Vladimir Staritski, auquel il a mis très longtemps à se décider, car il était de sang royal d’une part, et d’autre part, ils se connaissaient depuis l’enfance, il l’avait aimé. De même, il ne s’est pas « vengé » des boïars qui n’avaient pas juré fidélité à son fils en bas âge quand il était mourant, il avait fait alors réellement preuve de clémence, mais cet épisode avait grandement contribué à aggraver la profonde méfiance que lui inspirait sa noblesse, et la mort de sa femme, une décennie plus tard, a certainement déclenché le phénomène de l’Opritchnina, car il la pensait empoisonnée, ce qui s’est révélé exact, et il se trouvait privé de la seule personne qui tempérait sa violence et sa suspicion et lui apportait un réconfort affectif et un équilibre.
Enfin les raisons qu’il avait de se méfier de sa noblesse étaient bien réelles, et très anciennes. Les féodaux russes n’hésitaient souvent pas à s’allier aux Tatars ou au Polonais. La ville de Novgorod cassait déjà les pieds à son grand-père Ivan III et s’était soulevée contre sa mère régente quand lui-même était tout enfant. Il était, et son pays avec lui, sous la menace permanente de l’expansion polonaise et des entreprises uniates à l’ouest, et des incursions des tatars musulmans à l’est.
Il faut également le replacer dans le contexte de l’époque. En effet, le tsar a fait entre 4000 et 8000 victimes, principalement dans la noblesse, mais il y avait naturellement des dégâts collatéraux parmi les serviteurs et villageois de celle-ci, d’autant plus que l’Opritchnina constituée de tout et n’importe quoi s’en donnait à cœur joie. N’empêche : les dyptiques que le tsar adressait aux monastères pour faire prier pour ses victimes comptent 4000 noms. Henry VIII a fait beaucoup plus de victimes, et parmi le petit peuple. Il décapitait ses femmes, Ivan le Terrible les mettait au couvent, il ne livrait pas au bourreau celles qui avaient partagé son lit avec au moins les dehors de la légitimité. J’ai vu que la chasse aux sorcières, principalement dans les pays protestants, avait fait, entre 1560 et 1660, estimation basse, de 50 000 à 100 000 victimes en Europe. Je ne parle pas des répressions contre les catholiques en Angleterre, ni des guerres de religion un peu partout qui, pour les atrocités fantasmagoriques, n’ont rien à envier à Ivan le Terrible.
D’autre part Pierre I°, dit le Grand, n’a pas été moins terrible qu’Ivan le Redoutable, mais ses atrocités se commettaient au nom d’une occidentalisation forcée de la Russie et de sa livraison à toutes sortes de bandits étrangers dont il s’était entiché. Aussi mérite-t-il le qualificatif de «grand », et ses statues à Pétersbourg ou Moscou ne suscitent aucune indignation. Il  a pourtant torturé son fils à mort de ses propres mains, alors qu’Ivan l’a tué dans un accès de colère qu’il a amèrement regretté. Cet événement est d’ailleurs remis en cause par le fait qu’on n’a pas trouvé trace du coup fatal sur le crâne du tsarévitch. Il est vrai que d’autre part, on dit que ce crâne est en trop mauvais état pour qu’on puisse reconstituer son visage. Moi, j’ai tendance à croire qu’il l’a tué, cela me paraît dans la logique tragique du personnage, et je trouve gros que toute la Russie ait adhéré à cette thèse si elle n’était pas exacte mais disons qu’avant de proclamer qu’il l’a « tué à coups de bâton », ce qui diffère d’un coup porté dans le feu de la colère, il faudrait peut-être se renseigner un peu.
Notre qualificatif de « Terrible » accolé à Ivan, est une mauvaise traduction, la bonne étant redoutable qui n’a pas la même signification. Ivan, pour les Russes, était redoutable comme Dieu Sabbaoth ou Jupiter tonnant. Il est à remarquer que dans le folklore russe et les épopées russes (bylines), il a laissé un bon souvenir, on l’aimait, dans le peuple, et c’est dans les quartiers populaires de Moscou qu’il s’était fait construire un pied à terre à l’extérieur du Kremlin. Car ce tsar sadique (et il avait effectivement des côtés sadiques) avait institué un impôt dégressif, c’est-à-dire qu’il faisait payer les riches plus que les pauvres. Il faisait rechercher, et il rachetait les Russes emmenés en esclavage par les Tatars. Il avait commencé à installer à Moscou une pharmacie d’état, avec l’aide des Anglais, dont il favorisait la présence.
Plus troublant, une revue historique « sérieuse », d’après le correspondant qui l’a postée, fait la même chose, avec plus de retenue, mais de grosses inexactitudes :
Il y est dit que le tsar dans sa jeunesse « ambitionne de hisser la Russie au niveau de l’Occident, alors en pleine Renaissance ». C’est parfaitement inexact. Le tsar voulait faire de Moscou la troisième Rome, l’héritière de Constantinople, la gardienne de l’Orthodoxie et avait même convoqué le Concile des Cent Chapitres pour bien en redéfinir les dogmes. Il ne négligeait pas les inventions techniques, et avait installé une imprimerie à Moscou, il avait des relations avec les Anglais qui avaient échoué un navire à l’embouchure de la Dvina septentrionale et commerçaient depuis avec la Russie, mais il se méfiait de l’Occident comme de la peste. Il se méfiait même des Grecs suspects à ses yeux d’uniatisme. Et il se fichait complètement de la Renaissance.
Je vois ensuite que le « vieux tsar » avait instauré l’Oprtichnina (le partage des terres de le Russie entre lui et sa police d’une part, la noblesse d’autre part) et débuté l’horrible répression qui lui avait « valu son surnom » (dont on sait qu’il était pour les Russes un signe de vénération particulière). Mais le tsar n’était pas du tout vieux, quand tout cela a débuté, il avait la trentaine, et il venait de perdre sa femme bien aimée. La « folie meurtrière » a duré dix ans. La fin de son règne a été plus calme, c’est à la fin de son règne qu’intervient le meurtre à présent contesté de son fils, qui n’a rien à voir avec l’épisode de l’Opritchnina.
On met ensuite en parallèle la conquête de la Sibérie et celle de l’Amérique par les colons occidentaux, et on la place juste après les victoires de Kazan et d’Astrakhan. L’expansion russe a été  amorcée pratiquement à l’insu du tsar et à la fin de son règne par le cosaque Yermak, qui a franchi l’Oural et construit un fort de l’autre côté. Yermak est venu à Moscou en aviser le tsar et lui offrir des cadeaux venus de cette nouvelle terre. Ce fut une expansion progressive, pratiquement non violente, sans génocide ni conversion forcée. Les orthodoxes russes construisaient ermitages et monastères et attendaient que les gens viennent tous seuls.
Conclusion de l’article : Ivan a forgé l’état russe mais « échoué dans sa tentative de le hisser à marche forcée au niveau de l’Occident ». Une tentative qui n’a jamais été dans ses projets. Ce qui comptait pour lui c’était la solidité de ses frontières et la sauvegarde de l’orthodoxie. Il avait une conception mystique de sa position et c'était l'Eglise, en la personne du saint métropolite Macaire, qui lui avait inspiré de se faire sacrer tsar. Le projet qu’on lui attribue est celui de Pierre le Grand qui, à mon avis, est resté orthodoxe parce que c’était sa seule légitimité. Le peuple ne l’aurait plus supporté s’il avait voulu le convertir au catholicisme ou au protestantisme. Ivan le Redoutable était un grand pécheur mais un tsar orthodoxe, son lien avec son peuple était profond et organique, sa personnalité complexe et tragique, le contexte où il se trouvait difficile, tout cela n’est pas évoqué dans ces articles primaires, ce qui est dommage et à mes yeux, suspect. Ces articles n’expliquent rien de cet homme, ni de son peuple et cherchent simplement à salir l’un à travers l’autre. On pourrait pratiquer le même genre de simplification à l’égard de l’Occident, nulle histoire n’étant exempte de crimes, et nous réduire à l'Inquisition, aux croisades, à la saint Barthélémy et au génocide des Indiens. Ce qui ne nous fait pas plaisir quand cela se produit sous un jour tendancieux.


dimanche 15 janvier 2017

Ronald, le hollandais du Donbass

Ronald, hollandais qui parle à peine le russe, a fait le même choix que moi, et il s'est retrouvé au milieu d'un pays en guerre. Son témoignage m'a beaucoup intéressée. Ce qui l'a attiré et retenu, malgré la situation, son sentiment de profonde appartenance et de fidélité au pays choisi. que reconnaissons-nous en Russie ou dans le monde russe, nous autres Européens? Hier une Ukrainienne me disait que nous avons tous été un seul peuple, et en effet, nous descendons tous du même, les indo-européens, nous avons tous quelque chose en commun, dans nos rites les plus anciens et nos divers langages, je ne sais pas si c'est là une explication, mais je comprends que nous retrouvons, Ronald et moi, et quelques autres, quelque chose de profondément nôtre que nous avons perdu chez nous.

samedi 14 janvier 2017

Rien de nouveau sous le soleil

Je lis ce matin une homélie du père Dmitri Smirnov où, pour contredire les mauvaises excuses de ceux qui ne se convertissent pas en invoquant l'athéisme de leurs parents ou les circonstances de la vie moderne, il soutient que les gens simples du XVI° siècle ne différaient pas de ceux d'aujourd'hui, qu'ils étaient même plus ignorants et je ne suis pas du tout d'accord avec cette vision des choses, qu"on m'a présentée depuis mon enfance, à savoir que rien ne change jamais sous le soleil et que la nature humaine est ce qu'elle est.
Certes, la nature humaine est ce qu'elle est, et sur le plan des passions, des brutalités et des cruautés, en ce monde déchu, l'homme du XVI° siècle en voyait de toutes les couleurs, mais il y a des différences essentielles entre lui et nous, et elles ne sont pas à notre avantage.
Dès le ventre de sa mère, l'homme d'aujourd'hui entend le tohu-bohu de la vie contemporaine, des bruits mécaniques agressifs, la perceuse, la moto, la débroussailleuse, la musique discordante, obsédante, creuse et décervelante qui nous poursuit partout, à la radio, à la télé, dans les magasins. L'homme du XVI° siècle percevait les sons de la nature, les cloches, des prières psalmodiées, des chansons, des cantiques, les instruments de musique dont jouait son entourage.
Le monde qui l'entourait était fabuleusement beau, dur, parfois terrible, mais fabuleusement beau: les paysages grandioses et intacts, les maisons sculptées et décorées par leurs habitants eux-mêmes et il mettait vite la main à la pâte, ses jouets étaient faits main, les vêtements étaient confectionnés à la maison, dignes et nobles, chaque broderie était un symbole. La vie était pleine de rites, pleine de sens. Nous n'imaginons même pas la beauté qui régnait alors. Un enfant qui grandissait là dedans et s'y intégrait dès que possible, écoutant les contes, chantant les chansons, fabriquant des objets, utilisant ses mains, ses yeux et ses oreilles à tout moment, dans un cadre de vie ritualisé et sanctifié, où tous les événements avaient un caractère sacré ne pouvait ressembler aux gosses de notre époque, qui grandissent dans un environnement d'une colossale laideur, entièrement standardisé, fabriqué en usine, jetable, privé de sens, destiné aux décharges géantes que la terre ne peut plus absorber. Des enfants qui n'entendent plus de chansons, ne savent au mieux que des variétés ou des refrains de dessins animés, dessins animés qui défigurent tous les contes et leur contenu plein de sagesse et d'enseignement, et qui passent leur vie devant un écran au lieu d'utiliser leurs mains. des enfants dont on confie le développement à l'état, à des enseignants médiocres, et qui arrivent à l'adolescence profondément mutilés, pour nous offrir le spectacle de tristes petits cons agressifs au comportement, en réalité, parfaitement anormal. Pas de crise d'adolescence au XVI° siècle, on ne savait même pas ce que c'était, on était déjà intégré dans l'économie de la famille ou le service du souverain, on était même parfois marié, et cela venait naturellement. Pas de question à se poser sur le choix de son avenir, sur le bonheur ou sur le malheur, on n'était pas sur terre pour être heureux mais pour faire son salut, son devoir de paysan, d'artisan ou de guerrier. Je ne suis pas sûr qu'on était plus malheureux que nous, on avait moins de chances de vivre vieux, et l'on vivait plus durement d'un point de vue matériel, mais on avait la force intérieure que donne la structure d'une telle société, collective et ritualisée, avec tout un héritage de beauté, de sens, de noblesse.
Ce terreau était favorable à la spiritualité, notre mauvaise terre lui est terriblement défavorable, c'est une chose dont il faut prendre conscience. L'homme du XVI° siècle vivait en relation avec tout ce qui l'entourait, avec ses ancêtres, il avait une riche culture collective que l'homme de notre époque n'a plus, son âme était d'une meilleure étoffe, Il suffit de regarder les plantes élevées à coups de pesticides, les fruits et légumes qu''on nous vend, et ce qu'on trouve dans son jardin, cultivé avec amour. Des hommes qui ont manqué de tout sur le plan de l'âme, qui ont poussé de travers sur un mauvais terrain auront beaucoup plus de difficultés à être religieux, c'est à dire reliés entre eux, reliés au cosmos et à l'Origine du cosmos et de toutes choses, que ceux du XVI° siècle dont l'être était irrigué et traversé par tout ce qui est vital, fondamental et sacré.
Il serait important de prendre vraiment conscience de l'appauvrissement culturel et spirituel terrible du monde où nous vivons, et de ne pas limiter la notion de culture à celle de la caste cultivée qui, au fil des siècles, s'est détachée du reste du monde. si vénérables que soient les productions de cette élite intellectuelle, le "peuple obscur" avait sa culture, et elle nourrissait souvent encore celle de la noblesse ou de la bourgeoisie, comme on l'a vu avec la nourrice de Pouchkine, les modulations du chant populaire russe présentes dans la musique de Stravinski, l'amour de Gérard de Nerval pour les vielles chansons françaises, qui inspiraient aussi Marie Noël.
On ne peut établir le diagnostic de notre naufrage, venir éventuellement en aide à nos contemporains hagards, ensauvagés, disons le mot, abrutis, qu'en reconnaissant ce fait et en étudiant attentivement tous ses aspects. Il est vrai qu'alors, on en vient à la conclusion, qu'une réforme de l'école ou autre mesurettes ne changeront rien au fond du problème, que nous devons nous orienter vers un changement radical de vie. C'est cela, ou la fin des temps en accéléré, mais qui sait? C'est peut-être le moment, et dans les épreuves et la dégringolade qui se poursuivront, l'Eglise restera la seule orientation possible, l'étoile dans la tempête.

vendredi 13 janvier 2017

Retour à l'horizon

Cela fait plus d'un mois que je suis revenue, normalement, mon invitation est attendue de façon imminente dans l'agence qui se charge de faire établir mon visa. Me trouver ici, dans un sens, m'a fait des vacances, les deux mois de travaux m'avaient fatiguée. Je suis heureuse d'avoir vu les miens, mes amis orthodoxes de Cavillargues, et ma chère mère Hypandia. Le retour semble à l'horizon, si rien de fâcheux ne se produit.
L'invitation a été prête le jour de la saint Philippe, métropolite de Moscou, pour lequel j'ai une vénération particulière et que je prie régulièrement.
Autour de moi, la France, qui est si belle et que les gens ne savent plus voir, la France où je n'ai pas pu m'enraciner profond, peut-être parce que l'attachement à une patrie est avant tout spirituel. Or les ponts semblent coupés et les sources taries.
Un peuple, c'est une entité, une entité spirituelle et charnelle. Un ami russe me disait: "Nos chansons sont des entités spirituelles que nous capturons un instant et qui s'envolent plus loin, et parfois elles se perdent, on les oublie et plus rien ne peut nous les restituer".  Aussi s'appliquait-il à les retenir et à les transmettre, car elles sont une part essentielle de la mémoire et de l'âme de l'entité spirituelle qu'est le peuple russe, celui de la sainte Russie. C'est aussi une entité culturelle, une entité historique, disons un organisme, un être transversal, passé, présent qui tend vers un avenir. Or ces êtres collectifs que sont les peuples sont partout menacés par des forces corruptrices et dissolvantes qui savent très bien qu'un individu privé de toutes relations avec cette communauté n'est plus qu'un petit élément sans importance qu'on peut ranger dans une boîte et utiliser à sa guise, tant qu'il fonctionne, puis jeter quand il ne sert plus à rien. aussi cherchent-ils à fabriquer, avec nos entités mortes, avec les cadavres de nos peuples assassinés, des sociétés Frankenstein, assemblées de bric et de broc, hétérogènes, bariolées, sans rien de commun entre les individus qui les constituent et qui n'ont plus d'histoire, plus de mémoire, plus d'ancêtres, plus de traditions, plus de foi, plus d'anticorps, plus de défense.
En Russie même, subsistent parallèlement le peuple russe de la sainte Russie, une population post-soviétique, parfois néocommuniste, et les libéraux, qui méprisent leur propre peuple et sont prêts à le livrer aux étrangers.
La division, introduite chez les Russes par le schisme des vieux-croyants, puis l'occidentalisation forcée de Pierre qui a détaché la noblesse de son peuple et fabriqué une classe hétérogène incapable, dans sa sollicitude condescendante ou son mépris déclaré, de comprendre encore d'où elle venait, a permis l'introduction du virus bolchevique et ses conséquences tragiques.
Chez nous, la division est venue avec la Renaissance et le protestantisme qui ont engendré la révolution française et une agonie de deux siècles dont nous voyons les derniers soubresauts.
J'ose espérer que la sainte Russie survivra jusqu'à l'avènement du Christ et résistera aux libéraux comme aux néocommunistes.

jeudi 12 janvier 2017

Le prêtre ivrogne

Trouvant cette publication sur Facebook, j'ai décidé de la placer dans mes chroniques.  Cette histoire me paraît très russe, et très orthodoxe. A Pereslavl, tous les gens que j'ai vus semblent se considérer comme les membres pécheurs d'une communauté humaine en marche vers Dieu où personne n'est parfait, et où personne n'est seul, où aucun représentant de cette communauté n'a de parois étanches: dans cette communauté humaine, certains sont plus clairs ou plus ténébreux que d'autres, certains sont très lumineux, certains ne sont plus que ténèbres sans espoir et pourtant, nous sommes tous solidaires et l'espoir mystérieux des désespérés comme le salut des monstres réside dans cette solidarité que, lorsqu'on se penche sur ses romans dans les universités, on appelle la responsabilité collective dans la pensée de Dostoïevski. 
Qui plus est, à l'intérieur de chaque membre de cette communauté, qu'il soit lumineux ou ténébreux, , certains endroits restent dans la pénombre, d'autres s'éclairent, parfois tour à tour, et rien n'est joué jusqu'à notre dernière heure. Cette prise de conscience amène l'individu à juger et condamner de moins en moins et c'est à cela qu'il doit tendre. Dans cette perspective, on comprend mieux les ascètes et les saints qui se considèrent comme d'abominables pécheurs alors qu'ils sont cent fois meilleurs que les autres et que peu d'entre nous peuvent prétendre à leur élévation spirituelle et à leur immense bonté: ils sont au sommet lumineux de leur chemin personnel vers Dieu en communication avec les abîmes, ils en sont solidaires, et de ce fait comprennent n'importe qui et sont capables de donner un pardon que la plupart d'entre nous ne s'arracherait pas.
L'expérience littéraire fait parfois toucher du doigt cette mystérieuse solidarité humaine où s'effectue une perpétuelle contamination par le mal et une perpétuelle rédemption par le bien, d'une façon quasiment osmotique, comme la lumière d'un cierge éclaire plusieurs visages, ou comme l'ombre se diffuse peu à peu dans une pièce quand le jour disparaît. Et plus cette conscience nous vient, moins nous pouvons nous sentir innocents des péchés des autres, et moins nous pouvons, de ce fait, les juger, car tous les potentiels sont en nous, ou plutôt, nous sommes reliés à tous les potentiels, nos âmes ne sont pas étanches. C'est à la fois terrifiant et merveilleux.
Lorsque l'être devient étanche lorsqu'il n'a plus cette conscience, il est bien rare qu'il enferme en lui de la lumière. Dans ce cachot qu'il devient ne brille plus à la rigueur qu'une ampoule électrique, une clarté blafarde et froide qui ne sert qu'à révéler la pauvreté des lieux.
Mais tant que la circulation se fait, le salut est possible, l'évasion. Les sociétés osmotiques et organiques de nos ancêtres étaient pleines de ponts, de chemins, par lesquels passaient des anges, alors que les nôtres nous enferment dans des cases où nous nous étiolons et devenons plus ou moins fous, comme les animaux que nous élevons et tuons sans plus avoir aucun lien avec eux.

  Le prêtre ivrogne
Le simple prêtre d’un diocèse, dans l’ancien temps, avait l’habitude de commémorer des milliers de noms. Chaque fois qu’il célébrait, il mentionnait tous les noms qu’on lui avait donnés depuis 25-30 ans et plus. Comme il étudiait beaucoup l'histoire ecclésiastique, il commémorait nominativement des empereurs, des reines, des généraux, des patriarches, des évêques – qui avaient tous été orthodoxes. Ainsi, la commémoraison de tous ces défunts durait à peu près trois heures. C’est pourquoi il allait à l'église trois ou quatre heures plus tôt que l'office des Matines. Durant 25 ans il fit ainsi chaque dimanche, jour de fête ou jour ordinaire.
Cependant, il avait un vice. Il buvait. Il buvait trop. Une fois donc, durant une beuverie nocturne, il but jusqu'à l'aube, oubliant que le lendemain il devait célébrer. Et des pèlerins devaient venir assister à cette Liturgie. Il ne s'en souvint qu'à 5.00 h du matin.
Alors, que se passa-t-il? Complètement ivre, il se rendit à l’église pour célébrer. Il ne s’attarda pas à la sainte prothèse car il ne voyait pas les lettres des noms à cause de son ivresse. La divine Liturgie se déroula, la consécration prit fin et il parvint à communier lui même. Toutefois, lorsque le moment fut venu de faire communier les fidèles, l'étourdissement, l'insomnie et la longue veille le firent tomber par terre et le saint calice tomba aussi !
Ce qui se passa ensuite est indescriptible. L'histoire ne dit pas ce qui se passa avec la divine communion répandue par terre. On la ramassa sans doute le plus méticuleusement possible pour la consommer ensuite, tandis que s'ensuivirent, l’incinération du sol, du tapis, des ornements sacerdotaux etc. Lorsqu'il revint à lui, le bon prêtre, tout contrit, se fit tout petit dans un coin et se mit à pleurer à chaudes larmes.
L'évêque apprit tout cela. Il connaissait d'un côté la grande vertu du prêtre et d’un autre côté sa grande passion pour le vin. Il le convoqua, lui dit d'arrêter de célébrer et qu’il l'appellerait dans trois jours pour lui annoncer sa décision. L'évêque réfléchit à la situation sous tous ses angles. Finalement, il prit la décision de réduire le prêtre à l'état de laïque. Il se dit que le jour suivant, il l’appellerait et lui annoncerait sa décision.
Le soir, l'évêque se coucha normalement. Mais que vit-il pendant son sommeil ? Il était assis sur son trône vêtu de son habit, mais portant son étole et son omophorion qui sont les symboles de son pouvoir d'évêque. Des patriarches, des évêques, des archiprêtres, des prêtres, des moines, des rois, des princes, des princesses, des seigneurs, des barons et une multitude de gens de tous rangs, hommes et femmes, jeunes et vieux, et des enfants commencèrent à venir vers l'évêque, tendant les mains, le tirant de façon implorante par l'étole, par
l’omophorion, par la barbe, et le priant tout en pleurant pour la plupart, pour qu’il ne destitue pas le prêtre de ses fonctions. Notre prêtre, notre prêtre, qui nous aidera autant que lui ? Ils avaient tous les mains tendues et suppliaient, criaient et pleuraient : Notre prêtre! L’évêque se réveilla effrayé et en sueur. Il se dit : Comment donc le prêtre aidait-il toutes ces personnes ? Il fit venir le prêtre et l'examina. Stupéfait, il apprit que le prêtre commémorait durant plusieurs heures à la sainte prothèse.
Alors, il lui dit : Si tu me promets que tu ne boiras plus jamais, je ne
procéderai pas à ta destitution, je ne t'infligerai aucun jour de suspension et je te pardonnerai de tout mon cœur. Continue donc à célébrer la sainte prothèse de la sorte, tant que tu vivras. J'avais l'intention de te destituer de tes fonctions aujourd’hui, mais les âmes commémorées ne m'ont pas laissé accomplir ma première intention.
(Publié dans l'excellent bulletin « Orthodoxie n°161*décembre 2016)
http://orthodoxievco.net/