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vendredi 8 février 2019

A la source

Ma soeur et moi, nous faisons un tourisme modéré par les péripéties de nos grippes respectives et celles de mes démarches. Après la traduction assermentée de mes papiers de retraite, payer à la Sberbank la taxe pharamineuse que les Russes prélèvent désormais sur l'importation d'un déménagement: quatre euros le kilo. Oubliez les meubles des ancêtres... Payer ce racket inique est en soi peu agréable, mais si seulement ce n'était pas assorti, par un raffinement de sadisme, de toute une paperasserie! J'avais reçu un dossier que je n'étais pas équipée pour ouvrir, un formulaire nécessaire au paiement. Je n'y comprenais rien, comme à la plupart des formulaires russes. Je l'ai fait imprimer en ville, car bien entendu mon imprimante ne voulait rien savoir. Munie du papier, je vais à la Sberbank, où je demande à ce qu'on me fasse ce paiement en bonne et due forme. On m'a tout fait, et attaché deux factures au papier fourni. Là dessus, le déménageur me réclame ce dernier papier, et pas les factures. Je pressens qu'il fallait remplir des rubriques, ce que la banque n'a pas fait, jugeant les deux factures suffisantes. Aux dernières nouvelles, il va essayer de se débrouiller avec ça. 
A partir du moment où le moindre événement de notre vie réclame de notre part des heures de lutte avec des formulaires et d'attente dans des banques et des administrations, j'estime être moins libre que le paysan du moyen âge à qui on demandait des dons en nature et qui vivait à son rythme de la nature qui l'environnait.
Nous avons fait un tour au café français, et vu le pâtissier Didier, et son patron, le gentil Maxime. Puis j'ai emmené Martine à la source de sainte Barbara, pour prendre de l'eau. C'est de l'autre côté du lac, dans un endroit forestier magique, au bout d'une route lisse et brillante, d'un blanc de porcelaine. Le but de l'opération était de voir au retour surgir les coupoles du monastère saint Nicétas par dessus les champs de neige. Nous les avons vues, mais il reste plein de barrières métalliques, bien que le hideux projet immobilier soit en principe arrêté. Les maisons déjà construites légalement ou non gâchent déjà suffisamment le paysage. La "pierre bleue" païenne, cette moraine granitique échouée sur un océan de terre, n'est pas visible et ne vaut plus le coup d'être vue. Il y a encore 20 ans, sans doute, mais où est l'atmosphère envoûtante escomptée, quand le malheureux objet est enfermé dans un ensemble de baraquements en bois pour touristes et sous un toit arrondi de plastique jaune? Que se passe-t-il dans la tête en forme de page Excell des gens qui ont organisé cela? Qu'ont-ils encore de commun avec ceux qui venaient adorer cette pierre, et qu'est-ce que les hordes de veaux venus payer pour cela peuvent encore bien y trouver?
Nous sommes entrées au monastère, rendu au moins à sa pieuse destination première et plus ou moins restauré, au moins ici, chez les moines de l'higoumène Dmitri, ce n'est pas l'argent qui commande. 
Martine ne trouve rien de commun entre l'architecture des églises russes et celle des églises françaises, et en effet, c'est bien différent. C'est un autre monde.
 Le côté hétéroclite, approximatif, mal bâti et grossier des constructions modernes lui saute aux yeux en permanence. En effet, cela saute aux yeux, nous ne vous félicitons pas, édiles de Pereslavl Zalesski. Vous avez, en 20 ans, ravagé ou laissé ravager dans votre ville tout ce que le communisme avait encore épargné. Et ce ne sont pas les installations sportives ni les divers petits musées ridicules destinés à vendre des "souvenirs" aux touristes descendus des cars qui rattraperont ce désastre aux yeux des Européens que vous prétendez imiter.






jeudi 7 février 2019

Retour en duo

la mésange tricotée pour moi par une des dames
qui gardaient mes chats

Avant de partir, j’ai emmené Rita chez le vétérinaire, pour faire le certificat de bonne santé. Je n’y étais pas revenue depuis Doggie. La charmante madame Langevin a poussé une joyeuse exclamation en voyant que j’avais un nouveau spitz, et j’ai failli éclater en sanglots. Non que je regrette d’avoir pris Rita ou ne l’aime pas, mais tout ce qui s’est passé avec mon petit chien me crève toujours le cœur.
Après je me sentais épuisée, au bord des larmes, il faisait beau, du mistral, les bourgeons ne demandaient qu’à s’épanouir, ce sera le cas dans dix ou quinze jours. Je n’arrive pas à croire à ce qui arrive à mon pays et au monde entier, bien que je l’ai toujours pressenti : cette barbarie montante à laquelle les gens sont peu préparés. Malgré la légende médiatique des gilets jaunes violents, entretenue grâce à diverses provocations de flics en civils et d’antifas, ils ne le sont pas du tout, ce sont justement pour la plupart de très braves gens. J’en ai aperçu sur le rond-point de l’autoroute à Montélimar, des travailleurs français, des gens courtois et souriants, beaucoup de femmes. Je leur ai fait des signes, et j’ai salué de même hier, sur celui de Pierrelatte, près de la 7, un vieil invalide, qui faisait le gilet jaune absolument tout seul, avec sa canne et sa chaussure orthopédique, et qui m’a crânement répondu d’un grand sourire… 

Cela me fait une drôle d'impression de retrouver la Russie, et Pereslavl, avec ma soeur. Nous n'avons pas pu visiter Moscou, nous ne sommes pas très bien et avons remis cela à plus tard. Le chaos des nouveaux quartiers traversés pour prendre la route de Yaroslavl l'a vraiment étonnée: "Ils étaient sous acide, ceux qui ont construit ça? C'est absolument n'importe quoi, complètement hétéroclite! Et les fils électriques en aérien, d'un immeuble à l'autre!""
A Pereslavl même, ce sont les tuyaux de gaz qui passent n'importe où, en aérien, également, avec des décrochements au dessus des voies pour laisser passer les camions. Elle n'en revient pas. Je dois dire qu'il y a de quoi!
Rosie n'étant plus là, la pauvre, pour faire la police, il paraît qu'un chat, pourtant gros et gras, vient s'introduire de nuit à grand tapage pour voler la bouffe des miens et les terroriser par la même occasion.


lundi 4 février 2019

33...



Après quelques jours de fièvre intense et de toux caverneuse, et toujours des maux de tête, je m’apprête à affronter le voyage de retour. Hier, j’ai appris que mon père Valentin était dans le même état que moi, sa fille Xioucha déjà patraque et ma sœur avait 40 de fièvre cette nuit. Donc nous avons dû changer tous nos plans, et nous nous rendrons dès jeudi à Pereslavl, inutile de transformer l’appartement des Asmus en hôpital…
Ce sont les petites-filles du père Valentin qui m’ont infectée ainsi que toute la famille, de même que le fils de Xioucha, il y a 2 ans, m’avait mise au bord de la pneumonie ! Les enfants, c’est malsain !
Et pourtant, j’ai travaillé comme instit 20 ans, et parfois souhaité une grippe pour avoir la paix quelques jours, et cela ne m’est arrivé qu’une fois, en 92, et tellement sur commande, que j’en rendais grâce à Dieu du fond de mon lit avec 40 de fièvre, mais le reste du temps, j’ai bossé avec la migraine, avec de la sinusite, je n’attrapais jamais la grippe.
Evidemment de nos jours, même avec le thermomètre au bord de l’explosion, on ne peut plus faire venir de médecin, et comme j’avais rendez-vous avec le rhumatologue, c’est-à-lui que j’ai demandé une ordonnance. Il devait me faire une injection d’acide hyaluronique, ce qui est ruineux et non remboursé, et voici que je l’entends me dire qu’il m’en fait cadeau en échange d’une icône ! Il est syrien, et orthodoxe…
Je ne sais pas ce qui se passe, j’ai des cadeaux de tous les côtés. Un ami orthodoxe m’a aussi filé un chèque pour la traduction de mon livre !
Grâce au rhumatologue, me lever le matin n’est plus un exploit et je descends l’escalier presque sans y penser, reste à en profiter pour essayer de larguer au moins cinq kilos, avec la grippe, j’ai déjà dû en lâcher deux, je ne pouvais rien avaler. Tout de même, marcher normalement, quel luxe…
Je n’ai pas pu voir mon amie Annamaria, ni ma cousine Dany, ni ma cousine Françoise, ni retourner à Solan, et j’ai des tas de choses à faire ici et là bas qui demandent de rassembler un peu d’énergie et de raisonnement dans le brouillard des maux de tête.
Heureusement, je viens de découvrir que mon amie Sveta m’avait donné le numéro d’un médecin à Pereslavl, le père d’une amie à elle. Et ça, c’est précieux.


vendredi 1 février 2019

Par monts et par vaux

Marseille

Je suis partie pour Marseille avec ma soeur mardi, voir mon oncle et ma tante.  Je retrouve toujours avec nostalgie ces anciens et leur maison, si simple et si exquise, un îlot de France d’autrefois dans la science-fiction tonitruante de Marseille. Comme chaque fois, ils ont évoqué la visite déjà ancienne de Macha, la fille du père Valentin, avec son amie Ania, et une lettre écrite au feutre doré qu'ils ont conservée. 
Je devais prendre le lendemain le train pour Cannes, afin d’aller voir la famille Odaysky.  Henry a proposé de me faire une « ricounette », un kir à sa manière, avant le repas de midi. Du coup, j’ai décidé de prendre un taxi pour aller à la gare. Mais deux taxis coup sur coup nous ont fait faux bond, ils disent qu’ils viennent et prennent quelqu’un d’autre, mort aux vieux. Mon oncle s'est ainsi un jour retrouvé en rade à la sortie de l'hôpital, à 92 ans, lâché par 5 pignoufs successifs. Il m’a fallu courir au métro avec mon sac et le chien. Evidemment, j’ai raté le train, et je me suis retrouvée à attendre trois heures dans cette sinistre gare Saint-Charles, à me faire taper toutes les cinq minutes, avec autour de moi une espèce de Brésil bruyant, moche, vulgaire et sale.
Quand j’ai voulu monter dans le TER, il était pris d’assaut, mais heureusement, la porte s’étant ouverte juste devant moi, j’ai pu jeter ma valise dans un coin et tomber sur un siège. Il y avait des gens partout, qui se montaient dessus et rouspétaient tant qu’ils pouvaient. Un type a commencé à clamer qu’il était invalide, et qu’il fallait lui laisser la place, que nous n’avions aucun civisme. Une vieille lui a répondu qu’il n’avait qu’à faire lever des jeunes. Il me regardait fixement, avec un mépris appuyé. Mais j’ai  presque 67 ans, de l’arthrose du genou et un chien dans un sac… J’avais compris le système qui consistait à peser sur un maillon faible, la mamie et sa mini chienne, plutôt que d’aller se faire rembarrer par de jeunes sauvages en pleine forme. J’ai laissé l’affaire au contrôleur : «Tout le monde est invalide, » lui a-t-il répondu. Je le trouvais bien pugnace, pour un invalide…
Un TGV direct Paris Nice avait pris du retard pour cause de neige, et on avait fait descendre son contenu à Marseille pour le fourrer dans ce TER…
Je n’avais pas vu les Odaysky depuis un an, les enfants ont beaucoup grandi, ils sont spontanés, affectueux, et avaient l’air ravi de me voir. J’ai remarqué que tous les enfants élevés normalement, traditionnellement, par un vrai papa et une vraie maman, sont ouverts, caressants, tandis que les autres traînent des figures maussades, ont des comportements nerveux et exaspérants et n’ont même pas l’air de remarquer votre existence.
Le père Antoni est accueilli quand il arrive par des « papa, papa » enthousiastes. «Vous voyez, me dit Myriam, moi, je ne suis jamais accueillie de cette manière, moi je fais partie des meubles… »
Le père Antoni a été ordonné prêtre en Crimée, par le métropolite Onuphre de Kiev : « Vous savez, la première chose qui vient à l’esprit quand on le voit, c’est que c’est un moine.  Un vrai moine.  Il est extrêmement aimé, et devant sa résidence, il y a toujours des files immenses de bonnes femmes et de gens venus lui demander un conseil ou sa bénédiction, il est pris d’assaut, il n’arrête pas. »
Nous en sommes venus, au cours de notre discussion sur ce thème, devant ce lumineux métropolite placé par la providence dans le trou noir ukrainien, et son admirable troupeau soudé autour de lui par la ferveur et l’amour, à envisager que précisément à l’endroit le plus sombre de l’Europe allait prendre feu une extraordinaire renaissance spirituelle.
Le père spirituel du père Antoni vient d’être ordonné évêque par ce même métropolite Onuphre.
Puis nous avons évoqué Solan, où la famille Odaysky aime tant à se rendre. Les enfants y font du jardinage, Alexandre a même conduit le tracteur du père Théotokis, qui l’initie également à la taille de pierre. Que d’anges penchés sur l’éducation de ces quatre enfants…
Chaque soir, la famille prie dans la chambre des parents, devant le beau coin des icônes. Les enfants lisent les prières à tour de rôle.
Le lendemain, j’ai pris le TGV pour retourner à Marseille. Cannes me semblait garder quelque chose de la prospérité riante de la France que j’ai connue. Par la fenêtre, je regardais la mer plombée, aussi plombée que la mer Blanche aux Solovki, mais beaucoup moins puissante, une mer plate bordée d’un friselis discret, au pied des rochers dansants couverts de jolis villas qui me parlaient des années 60 ou même des vacances de mes tantes et de ma mère, quand les cinq superbes filles Pleynet étaient la coqueluche des plages de Sainte-Maxime ou de Saint-Tropez, au début des années 50. De temps en temps, j’entrevoyais, entre la mer grise et le soleil rouge, sous les nuages, le frisson doré d’un mimosa, les dentelles blanches d’une première floraison d’amandier.
Après ces endroits sauvegardés, je me suis fait la réflexion que toute la côte devait être ainsi, autrefois, et que le paysage, en soi, avait une très belle structure, des roches et des collines exubérantes, des petites maisons qui  les escaladent, oui, mais voilà : que de zones industrielles, que de hangards, que de béton, que de disgrâces, et par-dessus tout cela, ces tags qui me dégoûtent depuis les années 80, quand ils ont commencé à ramper sur tous nos murs, cette espèce de lèpre new-yorkaise, ces tatouages gravés sur le corps de la France comme la marque infamante de son esclavage croissant, de sa vente à l’encan, de sa mise sur le trottoir par les politiciens véreux de la république.
Rita apprécie les voyages, car aucun chat ne lui fait plus concurrence. Elle est marrante, chipie et hargneuse, du moins quand elle est dans son sac, et sur mes genoux. Elle me fait honte. Une vraie peste !



lundi 28 janvier 2019

Le samizdat et ses cuisines

Une dame m'a appelée pour me dire qu'elle aimait mes chroniques et que, grâce à elles, elle se sentait moins seule en ce monde étrange et de plus en plus hideux, ce qui est bien réciproque: que mes chroniques la touchent me donnent l'agréable impression que nous sommes quelques uns à voir les choses d'une autre manière que les hypnotisés de la modernité. Comme le disait je ne sais plus qui, être adapté à une société malade n'est pas un signe de bonne santé. Mais se sentir isolé dans une maison de fous n'est pas très confortable non plus.
 Je trouve ainsi un écho par internet, en dehors de la presse, de la radio, de la télé, des "médias" auxquelles on a de moins en moins envie d'avoir affaire, de sorte que surgit un phénomène de vie culturelle et de communication parallèle de type "samizdat" ou "autoédition" qui était répandu en URSS sous Brejnev. On se passait des manuscrits tapés à la machine et photocopiés, cela allait du roman et des poèmes aux textes religieux. Et on en discutait "dans les cuisines" des uns et des autres. C'était alors essentiellement dans le samizdat que se passait quelque chose de vivant.
Avant de passer à la suite de l'article, je rappellerai que, contactée par une maison d'éditions spécialisée dans la Russie au sujet de ces chroniques, je n'en ai brusquement plus entendu parler. A voir la teneur des pages des responsables, très libéraux, et soutiens inconditionnels de phénomènes comme ce peintre qui se clouait les parties génitales sur la place Rouge et autres Pussy Riots, j'ai compris pourquoi je ne faisais pas leur affaire.
Mes souvenirs du monde de l'édition et mes récentes expériences m'ont convaincue de recourir en ce qui me concerne au "samizdat", mais depuis l'époque des machines à écrire, les choses ont progressé, et sont apparues ces éditions sur Internet qui permettent de s'autodiffuser. Le problème est qu'en France, écrire un livre est quasiment une question de standing et absolument tout le monde veut le faire. Depuis mon plus jeune âge, je suis quand à moi convaincue qu'on ne décide pas d'écrire un livre, un livre en nous, par nous décide de s'écrire. Il doit répondre à une exigence intérieure insurmontable et tyrannique, et n'être pas le fruit d'une "idée"ou du désir de paraître et d'être admis dans les cénacles culturels où l'on vous balance des compliments insincères en vous tirant dans les pattes. Le samizdat, dépourvu de la prise de risque qu'il impliquait à l'époque soviétique, est le refuge de qui n'est pas accepté par les grands et petits éditeurs; mais chez ces grands et petits éditeurs, on n'est pas toujours mieux promu que par soi-même et qui plus est, on vous tripatouille souvent votre texte, en vous imposant de retirer le passage qui vous est le plus cher ou de mettre un titre idiot. Or ce qui est écrit sous la dictée de l'inconscient, et même de l'inconscient collectif, ne peut être tripatouillé par des mondains, on peut juste en affiner l'expression.
Comment peut-on espérer de nos jours publier dans les circuits officiels sans y laisser des plumes quand on ne s'inscrit absolument pas dans les grilles idéologiques et culturelles édictées et qu'on n'a pas fait toute sa vie des mondanités avec les bonnes personnes?
C'est pourquoi, j'ai pris la décision de recourir à la solution du samizdat, soit les éditions du Net, sans attendre des mois des réponses qui ne viennent pas ou des considérations absurdes, parce que je ne fais pas partie du cénacle, que je ne connais personne et ne sait pas jouer le jeu, pour finir peut-être par paraître de même au sein d'un flot d'autres publications, avec juste en plus un service de presse, des exemplaires adressés à des critiques dont je ne sais plus rien et qui en reçoivent des milliers. J'ai fait le pari de trouver, comme avec mon blog, des lecteurs avec lesquels la rencontre sera réelle. Le problème est à présent "d'en parler dans les cuisines". Soit sur les pages consacrées au livre, la page Yarilo sur Facebook, ma page, mon blog, les commentaires sous sa présentation à la librairie Chapitre ou aux éditions du Net, afin que les gens en aient connaissance.Parfois même un simple "like" si on ne sait pas s'exprimer, ou une courte réaction naturelle, une question, une remarque. Nos cuisines actuelles, où nous nous rencontrons pour échanger, ce sont nos divers forums.
J'ai déjà quelques fans, qui n'ont pas toujours ce réflexe, et m'envoient leur considérations en message privé. Ce qui me fait naturellement très plaisir, mais ne donne pas aux autres l'envie de claquer 30 euros pour lire mes cinq cents pages d'âme bien saignante. Et quand je dis "âme", il va sans dire que ce terme recouvre quelque chose qui dépasse les limites de la mienne.
D'avoir écrit ce livre ne me donne pas de moi-même une idée particulièrement hypertrophiée et je dois même me faire violence pour le promouvoir. Je l'ai écrit, ce sont à ses lecteurs qu'il convient de le louer éventuellement, pas à son auteur, qui a obéi aux injonctions de cet orgue aux nombreuses et mystérieuses voix qui a résonné un certain nombre de mois, et même d'années, au fond d'elle-même.
Je m'adresse donc à ceux qui le liront et à qui il plaira vraiment, dites-le. Dites-le à votre manière, courte ou détaillée, partout où vous le pourrez, vous serez mes critiques et mes médias.
D'autant plus que je me fiche assez complètement, sauf au plan de la pub, d'une critique officielle que je ne connais pas et qui ne serait pas sincère.
Quand je chantais du folklore, deux avis comptaient pour moi: celui de Skountsev et celui de Micha Korzine. Si quelque inconnu ne 'appréciait pas, je pensais: "Si tu plais à Volodia Skountsev ou à Micha Korzine, que t'importe ce que raconte cette bonne femme ou ce bonhomme?"
Ainsi, l'avis de mon amie Dany, ou de l'historien russo-arménien Eskoziants, du père Constantin ou d'Henri Barthas comptent plus à mes yeux que celui de telle diva des lettres ou critique en vue, bien que les conséquences sur la diffusion de ma prose en soient beaucoup plus modestes. Mais c'est pour Dany, le père Constantin et leurs semblables que j'écris, et pour Henri Barthas, pas pour les divas des lettres hagardes de vanité.
Henri écrit lui-même, en toute discrétion, de très beaux poèmes dans ses montagnes mystérieuses. Il est profond et vrai, et prend tout au sérieux, sauf lui-même, comme il convient. J'ajoute à la fin de cette adresse la critique qu'il m'a faite, car elle vaut tout ce qu'on pourrait me dire dans les cénacles reconnus par la sensibilité authentique de sa compréhension. Je la trouvais un peu trop louangeuse, mais en réalité, c'est ainsi qu'il le voit, alors je m'en réjouis, et j'accroche cette fleur au palmarès de Yarilo, avec les considérations, déjà enregistrées, de Philippe Ekoziants, et les appréciations, malheureusement privées et orales, de mon amie Olga. 
Pour les réfractaires à Facebook, la librairie Chapitre a publié mon premier chapitre, avec en dessous, une fenêtre destinée aux appréciations. N'hésitez pas à mettre les vôtres. Et si vous êtes sur Facebook, à les poster sur la page de présentation Yarilo.
Henri m'a dit de faire moi-même un copié-collé de ce qu'il a écrit, mais il semble que ce soit identifié comme venant de moi, et cela n'est pas enregistré.
En fin de compte, il se peut qu'il en soit de nos jours pour les écrivains sincères comme pour les gilets jaunes: il faut là aussi sortir du système!
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Je me suis laissé porter avec délectation par la prose fluide qui tisse le roman de Laurence Guillon, "Yarilo". Placé sous le signe du dieu slave du printemps et de la jeunesse, le récit jaillit dans un style exubérant, incantatoire et limpide, enchanteur au plus haut point malgré les épisodes sombres de l'histoire qui sont décrits avec tellement d'émotion et de poésie, qu'ils ne sont que des remous dans l'écoulement ininterrompu des flots de cette magnifique histoire.
Toutes les différentes ambiances propres à chaque épisode sont incroyablement bien rendues, dans un texte aux images puissantes, intensément poétiques et dans un déroulé quasiment cinématographique… Les scènes s’enchaînent avec un subtil équilibre entre les fresques campant l’histoire dans son contexte historique, qui passent rapidement, et les épisodes romanesques clefs merveilleusement bien écrits : De l’envoûtante transe païenne bouillonnante d’éros, lors de l'épisode sur les bords du lac de Plechtcheïevo où le héro du livre, Fédia, favori et ange noir du Tsar Ivan le Terrible, rencontre la sorcière rousse qui l’initiera à la magie, en passant par la pause pleine d'hésychasme et de gravité, auréolé de sainteté, lors du voyage du même ange déchu aux îles Solovky, jusqu’à d’autres scènes, comme celle du repas à la Sloboda où le personnage anglais, l’artiste Arthur, est introduit auprès du Tsar, elles sont toutes, pour la plupart, des morceaux d’anthologie ! À les lire, j'avais l'impression de suivre de longs plans-séquences colorés et pittoresques de cinéastes russes, tels que Paradjanov, Kalatozov, Tarkovski ou d'autres.
Les acteurs de ce drame ont une telle épaisseur psychologique dans leurs relations et une telle vie intérieure qu’elle déborde des pages pour vous saisir ! L’émotion, le tragique, le drame sont parfois intenses mais toujours sublimés. Je me suis surpris à plusieurs reprises à pleurer d'émotion à la lecture de certains passages tant je ressentais totalement le tragique des destinées piégées par l’égrégore maléfique incarné par la terrible milice du Tsar : l'Opritchinina. Il y a dans ce livre un mouvement de balancier entre le bien et le mal, et ce sont précisément ces contrastes qui lui donne un grand intérêt ! Il se détache sur le fond sombre des figures iconiques et lumineuses comme celle de l’inoubliable Métropolite Philippe. Le récit nous confronte à la ligne de partage qui est en chacun de nous et nous interroge d’une manière lancinante sur le cheminement de nos vies.
L’impressionnante et redoutable figure tutélaire du Tsar Ivan imprègne tout le livre. Être au charme magnétique et puissant mais blessé, ravagé par des forces chthoniennes, entouré de conseillers démoniaques, et qui ne connut qu’une brève rédemption dans l’amour conjugal avec la douce tsarine Anastasia dont la mort prématurée l’a laissé totalement dépouillé face à ses démons intérieurs et extérieurs. En même temps certains aspects humains de cet homme déchiré nous le rendent proche et on se prend à avoir envie de compatir à sa destinée, cercle infernal dans lequel il est engagé à cause de ses écrasantes responsabilités en tant que souverain, de ses traumatismes d’enfance et des deuils déchirants auxquels il a dû faire face.
Croyez-vous qu’en vous plongeant dans ce livre vous lirez simplement un splendide conte initiatique guerrier et mystique sur l’ancienne Russie ? Oui, en partie, mais pas seulement : il nous parle aussi de notre monde, perce le mystère d’iniquité à l’œuvre aujourd'hui. L’égrégore ténébreux s’est mondialisé ! Il ne prend plus simplement le visage d’une milice qui, malgré ses errances criminelles, se devait de défendre un Empire Orthodoxe perdu au confins d’une Hyperborée de légende, non, il est devenu la face abjecte, obscure et anti-christique qui pousse ses ramifications iniques au cœur de tout les États et ne désire rien de moins que de posséder le cœur de chaque être humain sur cette terre pour sa perte et celle de l’humanité entière. Dans certains passages je n'ai pas pu m'empêcher de penser à la situation en Ukraine, à celle de l'Église orthodoxe et dans une moindre mesure à ce qui se passe en France et dans tant d’autres endroits sur terre… Ce conte est beaucoup plus actuel qu'il n'en a l'air !
Certains passages qui décrivent les points clefs de la spiritualité orthodoxes sont bien intégrés au récit et n’altèrent en rien sa fluidité, au contraire ! Ils font partie de ces moments de sublimation dont je parlais tout-à-l’heure, voire de catharsis ! Mais qu’on ne s’y trompe pas l’ouvrage n'est pas religieux : il est spirituel ! C'est un tout ! Ces passages sont extraordinaires et d'une grande portée... mystique, car c'est bien le mot qu’il faut utiliser si on l'envisage dans son acception profonde et première.
Pour finir, le mot clef qu’il faut retenir quand nous ouvrons ce livre et que nous commençons le parcours qui nous y est proposé, c’est « initiation». Comme pour toutes les grandes œuvres depuis les antiques odyssées jusqu’à nos jours, nous le refermons différents, quelque chose en nous de profond a changé depuis l’heure où nous avons commencer à feuilleter les premières pages. Comme un conte, comme les puissantes histoires qui vont intensément au fond des choses, il s’adresse à quelque chose dans les tréfonds de nous-même, au-delà de l’intelligence, au-delà même des sentiments, à quelque chose d’archétypal. Dans l’obscurité nous percevons au fond des profondeurs d'épaisses et froides forêts ou de quelques marécages glacés et embrumés, le visage jeune, beau et rayonnant du dieu Yarilo qui surgit de la nuit hivernale. Sa vie exubérante irrigue tout l’univers et l’emporte vers la lumière, vers le soleil, mais cette lumière-là, aussi joyeuse et symbolique soit-elle, reste de ce monde et peut se cogner à quelques murs sombres de cachots, culs-de-basse-fosse froids et ténébreux comme au mur fatidique de la mort. C’est là que le récit de Laurence Guillon nous entr’ouvre la porte vers une clarté néotique qui n’est pas d’ici-bas, une clarté nimbée d’une aura résurrectionnelle qui métamorphose toute l’opacité de la matière et à côté de laquelle notre pauvre lumière cosmique même semble une flamme vacillante sur le point de s’éteindre. Longtemps, longtemps après que le point final ait, à regret, suspendu le chant splendide de cette épopée, Yarilo vit toujours en nous… mais transfiguré.
Henri Barthas

dimanche 27 janvier 2019

Retour à Cavillargues

roses d'hiver

Retour à Cavillargues. J’ai déjeuné avec des amis orthodoxes, Martin  lui-même ayant abandonné le théâtre pour l’orthodoxie, il a dans l'esprit que je dois sacrifier pareillement mon activité écrivassière, et il a passé son temps à me délivrer des aphorismes façon vieux sage. Je lui ai dit : «Mon père spirituel pense qu’un écrivain doit écrire tant qu’il en éprouve le besoin profond ». Mais j’ai eu la nette impression qu’il savait mieux que mon père spirituel ce qu’il fallait faire d’une chose aussi malencontreuse qu’un talent littéraire…
Tout le village me semblait déprimant, gris, triste. Je pensais aux belles promenades que je faisais avec mes petits chiens, aux amandiers en fleurs, aux cerisiers, au mistral, aux rosiers grimpants, aux coquelicots, à tout ce qui m’enchantait, malgré tout, mais rien ne venait m’égayer, je me demandais ce que je fichais là.
Le soir, j’ai dîné chez une amie à Saint-Pons-la-Calm.
Elle a plein de jolies choses anciennes chez elle, elle est d’une vieille famille de l’Ardèche. D'après ce que j’ai compris, ses frères et sœurs ont dispersé la collection d’objets ethnographiques que leur père avait passé sa vie à amasser, et qui seront perdus à jamais, avec les savoir-faire ancestraux qui avaient présidé à leur fabrication. Tout cela existait encore dans les années 60. Depuis, le diable, ses idéologues, ses usuriers et ses technocrates ont tout balayé avec la paysannerie elle-même. Ne laissant que des gilets jaunes aux ronds-points des villes, qu’on achève à coups de flash-balls dans la gueule.
Elle a récupéré une Vierge à l’enfant en bois doré, de chez ses parents. On l’a datée sur photo du XIX° siècle, mais à mon avis, elle doit être un peu plus ancienne, car cette Vierge rustique pleine de charme a été découverte, à la faveur de travaux, on l’avait volontairement emmurée, et à cela je ne vois que la révolution comme explication. 
Le lendemain, je suis allée à Solan. L’iconostase est achevée, on a peint les douze fêtes. L’église correspond à tout ce que j’aime : pureté, équilibre, harmonie, vérité des matériaux, et j’en dirais autant de l’office, des chants antiques, sans fioritures pompeuses qui obscurcissent le rayonnement divin derrière les « idées » du compositeur, et le mauvais goût des choristes éprises (car ce sont souvent les femmes qui versent dans ce travers) de trilles énamourées et de sirop vocal. Je comprenais absolument tout, la profondeur et la poésie de ces textes, et leurs révélations. Le père Théotokis prononce bien, clairement, j’entendais tout ce que dit le prêtre au cours de la liturgie pour la première fois de ma vie.  De plus, il me semblait que tout ceci épousait complètement le génie du moyen âge français, beaucoup mieux que les regrettables offices catholiques de mon enfance, même du temps de la messe en latin. C’est du reste ce qui m’attachait si profondément à Solan, et c’est la grande réussite du père Placide et de ses compagnons, d’avoir opéré cette greffe athonite sur le cep français, unique chance à mes yeux de le régénérer encore. Mais je n’ai pas communié, car je ne suis plus en communion avec le patriarche Bartholomée et ne veux rien avoir à faire avec lui. Je comprends le monastère d’obéir au mont Athos dont il dépend, mais moi, je n'en dépends pas. Le mont Athos, pour l’instant, blâme le patriarche mais ne prend pas de position claire.
Les fidèles ont eu la délicatesse de ne pas évoquer la question, les sœurs m’ont accueillie à bras ouverts. Pendant la liturgie, je ressentais la profonde tragédie de l’affaire, et j’avais envie de pleurer.
Dans les campagnes le dimanche, à Cavillargues comme à Pierrelatte, ça pétarade de partout, on traque le sanglier avec d'autant plus d'énergie que le gouvernement permet tout aux chasseurs comme aux banquiers, aux lobbys, aux exilés fiscaux et à la racaille. Il faut s'enfermer chez soi avec ses animaux pour éviter les balles (de guerre) perdues.


Ritoulia 

Le mont Ventoux au dessus de Tresques



mercredi 23 janvier 2019

Grisaille


J’ai pris l’avion hier à l’aube. Le taxi qui m’a emmenée à l'aéroport était un jeune homme d’environ 25 ans extrêmement agréable. Il venait de province, de Tchouvachie. Quand je lui ai exposé ce que je pensais de la Russie, il m’a répondu : «On dit pourtant toujours que nous sommes en retard par rapport à l’Europe…
- Ce n’est pas du tout mon avis, c’est de vous comparer à l’Europe et de vouloir l’imiter, votre problème. Et puis aussi d’avoir laissé détruire les trois quarts de votre patrimoine par ceux qui vous inculquent de pareilles idées. Si vous regardez le niveau de culture et de raffinement des années précédant la révolution, vous comprendrez que la Russie est différente, c’est une autre civilisation, très originale, vous ne devriez pas laisser de gros abrutis vous donner des complexes. »
Il était gentil, spontané, sain et pas idiot.
Dans l’avion, il n’y avait pas grand monde, j’ai pu m’étaler un peu. Je déteste l’avion, tout ce qui précède et tout ce qui suit.Ma sœur ne pouvant pas venir me chercher, j’avais néanmoins décidé de ne pas changer ma date de départ, et d’en profiter pour voir Roland, un ami rencontré sur Facebook qui m’a emmenée dans un excellent bouchon lyonnais, près de la gare Lyon-Part-Dieu. Nous avons longuement parlé de l’Apocalypse, dont il voit tous les signes, moi aussi. De la France qui n’est plus la France, et c’est un fait. Je voyais une foule hétéroclite qui n’avait plus rien de lyonnais ni de Français, à part un ado sur un banc, très mignon, dans le genre indigène. Tout cela a été rondement mené, de façon extrêmement habile et sournoise. Roland envisage de partir passer sa retraite ailleurs, peut-être en Pologne, car il est catholique traditionnel. Dans un passage souterrain sinistre,  à travers les environs de la Part-Dieu ravagés par les travaux, nous avons rencontré un vieux monsieur, son ancien professeur, échangé des considérations pleines d’humour et de références culturelles, et je nous voyais, comme trois dinosaures, dans le fil de cette foule parfaitement étrangère à tout ce que nous avons connu et aimé, et où mes enfants, si j’en avais eu, ne se seraient pas inscrits, comme le joli petit ado brun entrevu auparavant. Roland me disait que ses étudiantes étaient incultes à un point sidérant, et que les jeunes qu’il voyait n’avaient besoin de rien d’élevé, n’en ressentaient  pas le manque, qu’on ne pouvait pas les dire réellement heureux, mais tranquilles, au sens des vaches dans un pré, sans aucune nécessité intérieure de transcendance, sans aucune idée que cela pût exister au monde. En revanche, celles qui  parmi ses élèves sont islamistes, nulles sur tous les autres points, se révèlent des théologiennes entraînées à la discussion sur le terrain de la propagande de l’islam.
Pour aller au restaurant et en revenir, j’ai fait de bonnes marches à pied, et ensuite, je suis montée dans le TER. Et là, j’ai vu que les idées sur la nécessaire euthanasie des vieux prônées par Attali étaient déjà mises en pratique : des escaliers partout, et aucune place pour les bagages. Au début, ne pouvant laisser ma valise en plein milieu sans surveillance, je me suis assise sur un strapontin inconfortable, avec Rita dans son sac et sur mes genoux. Puis, au premier arrêt de ce tortillard, des gens ont dégagé du train, et j’ai pu trouver une place pour ma valise, mais seulement en la soulevant sur une étagère. Après quoi j’ai pu me poser dans un fauteuil, et sortir la pauvre Rita de son panier. Arrivée à Pierrelatte, j’ai vu que s’il y avait des marches plein le wagon, il n’y en avait pas pour descendre du train sur le quai, et que la distance entre les deux devait être d’au moins 60 cm, ce qui est assez difficile à franchir quand on a de l’arthrose du genou, une valise et un chien. Sans aide, je ne m’en serais jamais sortie, et dans l’affolement, j’aurais même pu me casser la gueule, ce qui aurait éventuellement fait une retraite en moins à payer.
Ensuite, j’ai constaté que la municipalité de Pierrelatte, qui n’a pas reculé devant des travaux pharaoniques dans le centre et l’abattage des micocouliers de la place de la Poste, n’avait toujours pas installé de plans inclinés dans les escaliers du passage souterrain, mortels pour les vieux qui se trimbalent comme moi des bagages. Il faut en descendre une série, en monter une série, et de biens raides.
Puis dehors, pas un seul taxi. J’ai dû demander à ma sœur d’en appeler un.
Pendant tout mon trajet en train, je voyais un paysage français hivernal grisâtre et sans neige qui m’a paru soudain profondément triste. C’est tout ce qu’il reste de vraiment français, d’ailleurs, ces collines de Tain l’Hermitage, ces champs de vignes ou d’arbres fruitiers, des maisons et des villas du XIX° ou du début du XX°, tout ce que je voyais dans mon jeune âge, et qui résiste, avec le cèdre devant, et des lierres ou des glycines sur les grilles. Enfant, je discernais une sorte de poésie mélancolique et mystérieuse dans ces bâtisses et ces jardins, dans cette banalité bourgeoise encore assez digne, avec sa population correspondante de gens travailleurs et bien élevés, qui cachaient leurs problèmes derrière une amabilité gouailleuse. Mais dans cette sorte de cour des miracles internationale qu’est devenu le pays, ces vestiges me semblaient tout à coup terriblement poignants, comme le vieux professeur du passage souterrain lyonnais, ou bien cette photo d’un retraité gilet jaune de dos, avec son drapeau français et son béret, et je pensais au père Basile postant, en commentaire à ces événements, la chanson « trop tard »…
En réalité, la Russie me protège de la déprime que tout cela m’inspire. Elle est finalement, en retard, mais pas au sens où me le disait le jeune homme: en retard, malgré le terrible assaut commis contre elle en 17, sur le programme de destruction des peuples européens et chrétiens, de leur sentiment d'appartenance à une communauté de culture, de foi et de destin; de la famille, de l'entité que constituait chacun d'eux jusqu'à une date pas si lointaine qui nous paraît à présent, dans le cauchemar de science-fiction où l'on nous enfonce, antédiluvienne....