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vendredi 1 février 2019

Par monts et par vaux

Marseille

Je suis partie pour Marseille avec ma soeur mardi, voir mon oncle et ma tante.  Je retrouve toujours avec nostalgie ces anciens et leur maison, si simple et si exquise, un îlot de France d’autrefois dans la science-fiction tonitruante de Marseille. Comme chaque fois, ils ont évoqué la visite déjà ancienne de Macha, la fille du père Valentin, avec son amie Ania, et une lettre écrite au feutre doré qu'ils ont conservée. 
Je devais prendre le lendemain le train pour Cannes, afin d’aller voir la famille Odaysky.  Henry a proposé de me faire une « ricounette », un kir à sa manière, avant le repas de midi. Du coup, j’ai décidé de prendre un taxi pour aller à la gare. Mais deux taxis coup sur coup nous ont fait faux bond, ils disent qu’ils viennent et prennent quelqu’un d’autre, mort aux vieux. Mon oncle s'est ainsi un jour retrouvé en rade à la sortie de l'hôpital, à 92 ans, lâché par 5 pignoufs successifs. Il m’a fallu courir au métro avec mon sac et le chien. Evidemment, j’ai raté le train, et je me suis retrouvée à attendre trois heures dans cette sinistre gare Saint-Charles, à me faire taper toutes les cinq minutes, avec autour de moi une espèce de Brésil bruyant, moche, vulgaire et sale.
Quand j’ai voulu monter dans le TER, il était pris d’assaut, mais heureusement, la porte s’étant ouverte juste devant moi, j’ai pu jeter ma valise dans un coin et tomber sur un siège. Il y avait des gens partout, qui se montaient dessus et rouspétaient tant qu’ils pouvaient. Un type a commencé à clamer qu’il était invalide, et qu’il fallait lui laisser la place, que nous n’avions aucun civisme. Une vieille lui a répondu qu’il n’avait qu’à faire lever des jeunes. Il me regardait fixement, avec un mépris appuyé. Mais j’ai  presque 67 ans, de l’arthrose du genou et un chien dans un sac… J’avais compris le système qui consistait à peser sur un maillon faible, la mamie et sa mini chienne, plutôt que d’aller se faire rembarrer par de jeunes sauvages en pleine forme. J’ai laissé l’affaire au contrôleur : «Tout le monde est invalide, » lui a-t-il répondu. Je le trouvais bien pugnace, pour un invalide…
Un TGV direct Paris Nice avait pris du retard pour cause de neige, et on avait fait descendre son contenu à Marseille pour le fourrer dans ce TER…
Je n’avais pas vu les Odaysky depuis un an, les enfants ont beaucoup grandi, ils sont spontanés, affectueux, et avaient l’air ravi de me voir. J’ai remarqué que tous les enfants élevés normalement, traditionnellement, par un vrai papa et une vraie maman, sont ouverts, caressants, tandis que les autres traînent des figures maussades, ont des comportements nerveux et exaspérants et n’ont même pas l’air de remarquer votre existence.
Le père Antoni est accueilli quand il arrive par des « papa, papa » enthousiastes. «Vous voyez, me dit Myriam, moi, je ne suis jamais accueillie de cette manière, moi je fais partie des meubles… »
Le père Antoni a été ordonné prêtre en Crimée, par le métropolite Onuphre de Kiev : « Vous savez, la première chose qui vient à l’esprit quand on le voit, c’est que c’est un moine.  Un vrai moine.  Il est extrêmement aimé, et devant sa résidence, il y a toujours des files immenses de bonnes femmes et de gens venus lui demander un conseil ou sa bénédiction, il est pris d’assaut, il n’arrête pas. »
Nous en sommes venus, au cours de notre discussion sur ce thème, devant ce lumineux métropolite placé par la providence dans le trou noir ukrainien, et son admirable troupeau soudé autour de lui par la ferveur et l’amour, à envisager que précisément à l’endroit le plus sombre de l’Europe allait prendre feu une extraordinaire renaissance spirituelle.
Le père spirituel du père Antoni vient d’être ordonné évêque par ce même métropolite Onuphre.
Puis nous avons évoqué Solan, où la famille Odaysky aime tant à se rendre. Les enfants y font du jardinage, Alexandre a même conduit le tracteur du père Théotokis, qui l’initie également à la taille de pierre. Que d’anges penchés sur l’éducation de ces quatre enfants…
Chaque soir, la famille prie dans la chambre des parents, devant le beau coin des icônes. Les enfants lisent les prières à tour de rôle.
Le lendemain, j’ai pris le TGV pour retourner à Marseille. Cannes me semblait garder quelque chose de la prospérité riante de la France que j’ai connue. Par la fenêtre, je regardais la mer plombée, aussi plombée que la mer Blanche aux Solovki, mais beaucoup moins puissante, une mer plate bordée d’un friselis discret, au pied des rochers dansants couverts de jolis villas qui me parlaient des années 60 ou même des vacances de mes tantes et de ma mère, quand les cinq superbes filles Pleynet étaient la coqueluche des plages de Sainte-Maxime ou de Saint-Tropez, au début des années 50. De temps en temps, j’entrevoyais, entre la mer grise et le soleil rouge, sous les nuages, le frisson doré d’un mimosa, les dentelles blanches d’une première floraison d’amandier.
Après ces endroits sauvegardés, je me suis fait la réflexion que toute la côte devait être ainsi, autrefois, et que le paysage, en soi, avait une très belle structure, des roches et des collines exubérantes, des petites maisons qui  les escaladent, oui, mais voilà : que de zones industrielles, que de hangards, que de béton, que de disgrâces, et par-dessus tout cela, ces tags qui me dégoûtent depuis les années 80, quand ils ont commencé à ramper sur tous nos murs, cette espèce de lèpre new-yorkaise, ces tatouages gravés sur le corps de la France comme la marque infamante de son esclavage croissant, de sa vente à l’encan, de sa mise sur le trottoir par les politiciens véreux de la république.
Rita apprécie les voyages, car aucun chat ne lui fait plus concurrence. Elle est marrante, chipie et hargneuse, du moins quand elle est dans son sac, et sur mes genoux. Elle me fait honte. Une vraie peste !



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