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mercredi 20 février 2019

Je reste avec l'Eglise persécutée, mais véritable. Et cela me rend heureux



16 octobre 2018, 15:58 25418 8
par sa Béatitude, le métropolite Onuphre
Je suis pécheur Mais l'ampleur du péché du synode de Constantinople me fait simplement peur.
«Eh bien, pourquoi, après tout, argumenter? Quelle importance, l’Eglise ou le patriarcat ? C’était celui de Moscou, maintenant, celui de Constantinople, ensuite ce sera celui de Kiev".
 La question n'est pas vaine. Pourquoi dans l’absolu prendre la parole pour ou contre quelque chose ? Tant de gens sont surpris aussi par saint Jean le Baptiste.
S’il était seulement resté au Jourdain. S’il avait prêché, fait l'anachorète, baptisé ... Qu'est-ce qu'il  lui a pris d’aller dénoncer le roi? Pourquoi s’est-il mêlé de politique?
Mais le fait est que là où la politique empiétait sur des questions morales, une personne aussi influente que Jean-Baptiste n'avait pas le droit de garder le silence.
Après tout, le roi Antipas était le chef d’un peuple religieux, il était à la tête du peuple élu de Dieu et servait, qu'il le voulût ou non, d’exemple à ceux que le saint appelait au repentir. Toute action du roi devenait une tentation difficile ou un exemple élevé pouvant inspirer des exploits.La voix de la conscience devait se faire entendre!
Le crime commis par le roi contre les mœurs, la morale a forcé le Précurseur à élever la voix 
Et il a fini en prison.
Le roi profite de la proximité de la présence du juste pour mener de longues conversations avec lui. Elles auraient pu provoquer un changement dans la vie d'Hérode Antipas, s’il n’y avait eu la danse perverse de la jeune fille, sa nièce, au cours d’une beuverie et d’une bacchanale devant ses invités...
Alors, est-ce que cela valait la peine pour Jean le Précurseur de dénoncer le roi, cela valait-il la peine, comme on le dit maintenant en argot, de « s’inscrire » quand Hérode avait tort, quand il péchait personnellement ?
Pourquoi n'avons-nous maintenant pas le droit de garder le silence sur le péché du patriarche de Constantinople contre l'Église du Christ? Pourquoi s'attacher à des principes jusqu'à la persécution?
Ne serait-il pas vraiment plus facile de fermer les yeux et d’accepter qu’on pût également faire son salut avec le patriarche de Constantinople? Ce qui est important, c’est l’amour!
On peut tomber d'accord sur tout. Mais le problème est que, selon les mots de l'apôtre Paul, l'amour n'est "pas déréglé". Et si ce dérèglement nous est imposé sous les dehors de l'amour, c'est le crime absolu! Contre l'Amour même!
Pendant des siècles, l'église a élaboré des canons, pour préserver le fonctionnement de la vie de l’organisme ecclésial selon ses normes et son ordre. Et une seule violation du canon quand elle procède  de n’importe quel chrétien nous est douloureuse. Mais la blessure est particulièrement mortelle  lorsque c’est un primat de l'Église qui l’inflige et que favorisent ce brigandage ceux qui sont appelés à respecter l'Église, les hiérarques!
Le pouvoir, la richesse et la politique détruisent le christianisme chez quiconque s'enlise dans  cette boue. Le patriarcat de Constantinople est maintenant tombé. Et être avec lui, c'est partager son crime contre l'Église et l'Amour.
Je ne peux pas admettre cela. Je suis un pécheur. Mais l'ampleur du péché du synode de Constantinople me fait simplement peur.
À partir de là, je reste avec l’Église qui est persécutée, mais à la bonne place, celle de l’Eglise véritable. Et cela me rend heureux.
Parce que dans cette Eglise demeurent seulement ceux qui sont fidèles au Christ. Et c’est avec vénération que je contemple les saints hiérarques et les prêtres, les laïcs de l'Église orthodoxe ukrainienne actuelle, qui, par leur loyauté, créent la plénitude de la sainteté. Et je les supplie de ne pas me rejeter, moi pécheur
traduction moniale Elizabeth et Laurence Guillon



L'apocalypse est pour demain.

Ce matin à l'aube, j'étais devant le service d'immigration: personne, même pas le type qui note sur un papier l'ordre d'arrivée des gens, parce que le distributeur de tickets de queue est détraqué depuis la nuit des temps. Je suis passée première. Ma sévère fonctionnaire m'a dit d'un ton réprobateur: "Où sont les photocopies de votre INN, de votre avis d'imposition et de votre avis de départ à la retraite?" J'ai dû partir les faire en catastrophe, ainsi que celle de mon passeport, pour le remboursement des droits que j'ai payés deux fois, ce qui me sera rendu dans un délai d'un mois. Je sentais, avec angoisse et exaltation, qu'elle allait recevoir mon dossier. Au retour, toujours personne devant son bureau, et non seulement elle a pris le dossier, mais il manquait la photocopie de mon enregistrement, et elle est allée la faire elle-même, au lieu de me réexpédier dans le centre. Si à Yaroslavl personne ne tique devant Pereïaslavl Zalesski au lieu de Pereslavl Zalesski, cela devrait être bon. Si le dossier est refusé, je le saurai tout de suite, s'il est accepté, il me faudra attendre six mois, mais je ne suis pas pressée, mon permis actuel dure encore deux ans.
Mon soulagement immense m'a laissée un peu hagarde, je suis allée faire des courses dans le brouillard. Nadia, la femme qui vend dans une boutique du centre commercial Magnit et m'avait présenté les deux moines rencontrés avec Henri, m'avait appelée et donné rendez-vous là-bas. Elle est venue prendre le thé chez moi et m'a raconté toutes sortes d'histoires épouvantables sur le destin du père Tikhon et du père Yevgueni. Elle les a quasiment recueillis. Le père Yevgueni s'est fait voler son appartement à Moscou par des mafieux, en principe, il devrait être admis dans un monastère là-bas. Mais le père Tikhon ne trouve de place nulle part, et elle vend tout ce qu'elle a pour trouver une maison à la campagne, où elle pourrait survivre en autarcie avec ses deux moines. Le père Tikhon nous a rejointes plus tard, il venait la chercher pour aller voir quelque chose à 15 km de la ville. "Faites remplacer votre cheminée par un poêle, me dit-il. Faites-vous un potager. Tout va s'arrêter, tout va s'écrouler, c'est la fin. Ce n'est déjà plus la peine de changer d'endroit. Débrouillez-vous avec ce que vous avez, vous avez de la place, ici, pour planter." Et avisant le divan en rotin que je venais de recevoir, et les codes barres sur les étiquettes: "Vous avez de l'eau bénite? Aspergez votre divan trois fois en disant des prières, ces codes sont maudits. N'acceptez jamais de vous faire pucer, et jetez vos cartes, tout cela est maudit. Ils cherchent à nous asservir. Les temps à venir vont être très durs. Ils ont déclaré la guerre à l'orthodoxie"
Après cela, j'étais un peu perturbée quand même, il m'a conseillé de prendre des infusions d'une plante qui enlève le stress.
Le divan est bien, je regrette beaucoup de ne pas l'avoir commandé pour la venue de Martine. Je pense que c'est l'objet idéal pour faire la sieste en hiver quand je m'endors sur mon ordinateur.


je regrette de ne pas avoir pris un ton de bois plus foncé. Le tapis, c'est pour protéger
le coussin des chats....

mardi 19 février 2019

Pereïaslavl....

Ma soeur est partie, et voilà que revient un temps magnifique. -9 ce matin, un froid vif et venteux, mais le soleil chauffe et sur un noisetier, j'ai vu des chatons apparaître.
J'ai dû aller payer à nouveau les droits pour mon permis de séjour, afin de pouvoir corriger la faute sur la quittance qui paraît insupportable à la fonctionnaire du service d'immigration "Madlen" au lieu de "Madelen". Et ensuite, il faudra faire une déclaration auprès des services d'immigration afin qu'on me rembourse les droits que j'avais payés une première fois. Puis je suis passée chez la juriste qui m'a expliqué qu'elle était comme ça, qu'elle chipotait sur tout et ne comprenait pas que dans les autres pays, les choses pussent se passer autrement que dans le sien. J'avais retiré hier à 18h 30, avant de reprendre épuisée la route de Pereslavl, la traduction assermentée de mon avis d'imposition, parce que dessus, il y a tous mes revenus annuels de 2018, plus les impôts qu'on me retire, et surtout mon adresse en Russie. Mais voilà-t-il pas que l'imbécile de traducteur a écrit "Pereïaslavl Zalesski" au lieu de "Pereslavl Zalesski", et comme j'étais pressée de rentrer, je n'ai pas pensé à vérifier. Il est limpide à toute personne de bonne foi que c'est de Pereslavl Zalesski qu'il s'agit, et c'est bien ainsi que c'est écrit sur l'original français. Mais comme j'ai visiblement affaire à une emmerdeuse, il se peut que je sois obligée, après avoir fait la queue dès l'aube, de repartir en catastrophe à Moscou faire corriger cela. Car la semaine prochaine, mes certificats médicaux seront périmés.
J'ai été contactée hier par une productrice de télévision qui m'a envoyé des journalistes, afin de faire sur moi un petit "sujet". Ces journalistes étaient bien gentils, mais je n'aime pas trop ce genre de choses, car ils ont une idée très précise de leur "sujet" qui ne cadre généralement pas avec ce que je suis et il me faudrait m'adapter à leur conception. Chanter par exemple une rengaine russe éculée et factice plutôt que les vers spirituels que je connais. Ou bien parler de mes préférences culinaires. Ils voulaient me filmer près du lac et je les ai emmenés à l'église des Quarante Martyrs, mais j'ai bêtement oublié mon appareil photo. C'était si beau, là bas, une belle croix de glace, vestige de la Théophanie, brillait sur la rivière Troubej, le lac déployait une surface blanche et chatoyante sous des nuages bleu foncé, et le vent vif et violent déferlait au travers du soleil. Je ressentais quelque chose de mystérieux que je ne trouve qu'ici, et que je ne sais même pas comment exprimer, une sorte de paix sévère et lumineuse, infiniment profonde.

lundi 18 février 2019

Retour au pays de ma visiteuse


J’ai accompagné hier Martine à l’aéroport avec un sentiment de tristesse, d’abandon, d’appréhension également, car les gens au pouvoir chez nous sont épouvantables, je vois arriver un avenir de cauchemar et ne sais même pas si la Russie l’évitera.
Elle a beaucoup plu à tout le monde par sa sincérité chaleureuse.
Avec le père Valentin, nous avons évoqué la situation générale. Il m’a demandé quelle était la différence entre mai 68 et les gilets jaunes : « Mai 68, c’étaient des étudiants trotskistes, maoïstes, et en gros, tous ceux qui sont au pouvoir maintenant et qui éborgnent et mutilent les gilets jaunes, lesquels travaillent souvent dur, mais ne peuvent plus vivre, et manifestent le week-end, parce qu’en semaine ils n’en ont pas le loisir. De plus 68 était sûrement une révolution colorée dirigée contre de Gaule qui gênait les Américains, l’OTAN et le projet européen. »
Comme j’ajoutais que je voudrais voir toute cette chienlit soixant- huitarde, les banquiers transnationaux mafieux  qu’elle sert et les idéologues transhumanistes, pendus haut et court, il a protesté qu’en tant que prêtre il ne pouvait participer à cela, mais qu’il pouvait du moins bénir de loin ! "Père Valentin, et si demain je vous confesse que les malades et les cyniques au pouvoir partout m'inspirent des sentiments peu chrétiens, qu'allez-vous  me dire?" Il m'a répondu en riant: "Eh bien... tout le monde est pécheur, je vous donnerai l'absolution!" Puis, à l’évocation des intrigues de Bartholomée et du métropolite Emmanuel, il s’est transformé en professeur Tryphon Tournesol furieux dans Objectif Lune. Au point que ma chienne s’est mise à grogner sur mes genoux. «Toi, lui dit-il alors, je ne t’ai rien demandé !
- Mais père, ne la grondez pas : elle vous approuve ! »
Il est parti d’un grand éclat de rire.
Il y avait ce matin, dans l’église, une morte qui attendait dans son cercueil la célébration de ses funérailles, après la liturgie.  Une vieille, la tête ceinte d’un bandeau orné d’icônes. Elle était terriblement inerte, mais elle avait un visage très paisible.
Avec Martine, j'ai fait, la veille de son départ, un tour sur la place Rouge. Les Russes laissent les décorations du jour de l'an jusqu'à la fin de l'hiver, car elles compensent l'absence de lumière. Nous avons visité l’église saint Basile le Bienheureux. Dans une des douze églises qui la composent, on diffuse en permanence de la musique liturgique de l’époque, très sévère, captivante, mais aucune des gardiennes ou vendeuses de souvenirs affreux n’est capable de me dire d’où elle sort et où l’on peut se procurer le disque. J’envisageais déjà d’écrire au conservateur, mais le père Valentin pense qu’il s’agit de l’ensemble d’un certain Yourlov, et me suggère d’explorer cette piste.
Ensuite, j’ai revu avec Martine le palais des boyards  Romanov, celui où vivait Nikita Romanovitch Zakharine, leur ancêtre,  qui apparaît dans mon livre Yarilo. C’est là qu’il recueille la famille de Fédia, puis Fédia lui-même. Cet endroit féerique est resté « dans son jus », et dans un état de conservation surprenant.  Les appartements des hommes, sombres et très intimes, avec leurs voûtes peintes, leurs petites pièces aux fenêtres de mica, leurs murs tendus de tissu précieux ou de cuir damasquiné et doré, leurs poêles de céramique, leurs meubles, leurs armes, les caves de pierre du XV° siècle. Et l’appartement des femmes, tout en haut, en bois, et très clairs, avec les bancs recouverts de tapis, les métiers à tisser et les quenouilles, une petite chaise et des jouets d’enfants, des coffres peints, du velours de Turquie découpé mais pas encore assemblé, pour confectionner un précieux caftan d’homme, car tout était réalisé en famille. Les garçons, à partir de six ans, avaient les cheveux coupés et passaient dans la partie masculine de la maison, où l’on entreprenait leur éducation de futur guerrier au service du tsar. Les filles confectionnaient les éléments de leur dot, pour leur mariage à venir. On mariait garçons et filles généralement à l’adolescence.  Car il n‘était pas question de courir le guilledou, même si les garçons le faisaient parfois, avec des paysannes ou des filles légères aux bains de vapeur.  Et il n’y avait pas officiellement de prostitution, juste des filles entretenues, parfois, par un seigneur mal marié. Ce joli palais parle d’une vie patriarcale vertueuse et sévère, où chacun est au service des autres, ou responsable des autres, et à chacun son devoir, sa fonction, sa place sacrée, sa croix.  Une vie simple, malgré le caractère très ornementé du décor, et des vêtements, dans une maison de proportions assez modestes, par rapport aux demeures seigneuriales européennes. Une vie contraignante, certainement adoucie (ou parfois compliquée) par une grande solidarité de clan, et beaucoup d’activités créatives et manuelles, chants, danses, contes, confections d’objets ou de vêtements, décors…
Un peu plus loin s’est conservé le palais des Anglais, construit pour l’ambassade anglaise qui fit suite au naufrage du bateau de Chancelor près de l’actuelle Arkhanguelsk. C’est devant ce palais que Fédia rencontre, dans mon livre, l’artiste anglais Arthur.




intérieur du palais, photo de Martine

intérieur du palais, photo de Martine

intérieur du palais, photo de Martine

intérieur du palais, photo de Martine








jeudi 14 février 2019

le secours de saint Serge

Nous aurions dû partir pour Moscou aujourd'hui, mais je dois aller donner mon dossier pour le permis permanent au service d'immigration demain matin. J'espère que nous aurons le temps, Martine et moi, de visiter au moins la place Rouge.
Pour son dernier jour à Pereslavl, il a fait tout à coup très beau, un soleil radieux. Nous sommes allées à Serguiev Possad voir la laure de la Trinité saint Serge, avec ses coupoles d'or qui brillaient d'un éclat surnaturel dans la lumière. C'était, mises à part les hordes de Chinois, le conte de fées russe tant attendu. Le ciel d'azur sur la neige étincelante, les architectures blanches et colorées que semblait irradier un doux feu intérieur. Ce désagréable sentiment d'angoisse et de tristesse qui me poursuit depuis plusieurs jours ne me quittait pourtant pas. J'ai entraîné Martine dans la plus belle et la plus ancienne église, celle où repose saint Serge. Trois femmes chantaient admirablement l'acathiste au saint, tandis qu'un moine lisait distinctement et avec ferveur. Une vieille à genoux pleurait. Je me suis approchée de la châsse, et de sa guirlande de lampes à huile suspendues multicolores, j'avais moi-même envie de pleurer et suppliait saint Serge de venir en aide à l'Orthodoxie, à la sainte Russie et à moi qui suis venue vivre ici, et de me délivrer de cette affreuse angoisse. Puis je me suis inclinée pour vénérer ses reliques. L'angoisse m'a quittée, d'un seul coup.
Dans une boutique de bondieuseries, j'ai acheté des disques religieux, un joli vase et des cierges qui sentent merveilleusement le miel. Martine m'a dit: "C'est la première fois que je vois des choses qu'on peut avoir envie d'acheter".
Sa visite à l'église l'avait profondément émue, bien qu'elle ne se fût pas approchée de la châsse, parce que "c'eût été un blasphème".
Au retour, nous sommes retournées déjeuner au café français, où nous avons vu le pâtissier Didier et le gentil Maxime, avec lesquels nous avons discuté et plaisanté comme avec de vrais Français typiques...
Puis comme il faisait très beau, et que la neige avait nappé la glace, nous avons suivi le bord de la rivière, et enfin pu apprécier ce qu'il reste de pittoresque à Pereslavl. Après cela, il ne me restait plus de courage pour les vêpres de la sainte Rencontre, et demain, la visite au service d'immigration m'empêchera d'aller à la liturgie...
Mais quand même, saint Serge m'a répondu et aidée. Et quand j'ai lu cet article de Maxime: https://orthodoxe-ordinaire.blogspot.com/2019/02/un-grossier-et-tenace-sentiment.html?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+LexiqueDunChretienOrthodoxeOrdinaire+%28LEXIQUE+D%27UN+CHRETIEN+ORTHODOXE+ORDINAIRE%29
j'ai su avec une ferme certitude intérieure que j'avais vraiment bien fait de partir. Un pays où ce genre de personnages tient le haut du pavé n'est plus fait pour moi.

la laure

la laure

la laure

la laure

Pereslavl

Pereslavl

Pereslavl


mardi 12 février 2019

La Russie idyllique

Pereslavl aujourd'hui

Je ne sais pas pourquoi, je traîne un sentiment d’angoisse permanent. Peut-être que j’en ai ras le bol de me battre, et je n’ai pourtant pas fini, personne ne pouvant se battre à ma place. Ces incessantes démarches, ces justificatifs à produire à chaque pas, j’ai de plus en plus de mal à faire face.
Une relation facebook d’origine russe, certainement homme d’affaires et pro Poutine, me reproche, après avoir voulu partir vers LA Russie idyllique, et critiqué l’occident de toutes les manières, de la dénigrer de la façon la plus acerbe. Mais outre que je n’ai jamais considéré la Russie comme un pays idyllique, ni d’ailleurs le mien comme terriblement mauvais, je ne peux quand même pas tirer un rideau pudique sur tout ce qui me dérange pour ne pas « désespérer Billancourt ». De nombreux partisans de Poutine estiment que l’on ne peut émettre la moindre critique à l’endroit de la Russie, il ne faut dire que des choses positives, c’est-à-dire mentir autant que ceux qui n’en disent que du mal, seulement dans l’autre sens.
Cet homme me demande où je vais bien pouvoir aller si la Russie me déplaît autant que le reste. Mais nulle part, à moins qu’on me fiche dehors. En Russie, je me sens à l’étranger, un étranger que j’aime, malgré toutes les critiques que je peux émettre, et d’ailleurs, si je l’aimais pas, je n’aurais pas de critiques à formuler, je dirais que c’est globalement un pays de merde et je rentrerais en France. Et en France, je ne me sens plus chez moi, parce que le pays ne nous appartient plus, il nous est pris, pour le donner à d’autres, et puis, je n’y ai plus d’enracinement spirituel, ou plutôt, j’ai trouvé mon enracinement spirituel ailleurs, même si d’une certaine façon, je le retrouvais à Solan.
Je m’interroge sur ce qui me lie à la Russie, et cela me ramène à ce que m’a dit Olga de mon livre : il est écrit avec votre inconscient. En réalité, si je suis génétiquement et culturellement française, mon inconscient a reconnu en Russie, dès le premier livre russe que j’ai lu, quelque chose qui lui appartenait profondément ou, plus exactement, à qui il appartenait. Et quand j’ai découvert l’histoire d’Ivan le Terrible, le film inspiré par le personnage, ce phénomène n’a fait que s’accentuer : j’appartenais au tsar, à son pays, à la Russie médiévale par quelque chose d’incontrôlable, d’inexplicable, de très profond, d’inconscient. Un attachement de cet ordre va au-delà de toute explication rationnelle et meut une âme et une vie avec  la force d’un torrent ou d’une tempête en mer.
J’ai éprouvé le même sentiment de reconnaissance envers Dostoïevski, l’écrivain qui m’a le plus marquée. J’étais subjuguée par ses romans et ses personnages. Et le folklore russe m’a également profondément envoûtée, plus qu’aucun autre.
Evidemment, tout cela n’a absolument rien à voir avec l’Union Soviétique, si quelque chose de soviétique m’émeut, c’est par ce que cela conserve de russe, par miracle et par assimilation. L’Union soviétique est l’antithèse assumée, revendiquée de la Russie, bien qu’à certains égards la Russie ait réussi à l’assimiler partiellement, comme le démontre Panarine.
Ma terreur est qu’après avoir détruit la France, dans une large mesure, la modernité n’achève la Russie, donc tout ce qui ici défigure la Russie, l’insulte ou la caricature, volontairement ou non, me rend malade, et c’est mon incapacité à rester indifférente aux traces des désastres passés et aux prémisses des désastres ultérieurs éventuels qui me fait réagir avec douleur et amertume.
Je pense quelquefois à l’écrivain André Makine qui a fait la démarche inverse de la mienne, il est parti vers la France. D’après les échos que j’en ai, il souffre de ce qu’il voit : une France qui se délite, qui se renie, qui n’est plus elle-même… Lequel de nous d’eux est le plus certain d’en prendre plein la gueule ?
Moi, je retrouve la Russie en beaucoup de gens, ici, à dose plus ou moins concentrée. Pour l’instant, la Russie est encore vivante, et l’orthodoxie est en phase avec elle. Le catholicisme est-il en phase avec la France ? Moi, je ne suis plus en phase avec le catholicisme, je crois ne l’avoir jamais été, et même, dans l’orthodoxie, j’ai retrouvé dès mon adolescence, quelque chose de mon être profond, quasiment de mon être collectif, de cette partie de mon être qui débouche sur tous les autres êtres, en passant d’ailleurs aussi par le paganisme. Même pour retrouver l’esprit de l’art roman, je passe par l’orthodoxie. Je ne sais pas si Makine est croyant, orthodoxe ou catholique…
J’écrirai sans doute ultérieurement sur la France, sans oublier la Russie, mais mes deux livres sur le tsar sont la carte, la trace de la démarche inconsciente qu’a fait mon âme dans sa quête d’elle-même et de Dieu. Et aussi l’écho de voix qui ne sont pas les miennes, mais qui ont résonné en moi, parce que tout au fond de moi, je leur donnais la parole, je devenais un orgue, un orgue universel, et ce n’est pas moi qui en jouais. Il se servait de moi pour vibrer.
J’ai essayé d’aller me promener avec Martine, mais la neige est devenue croûte de glace savonneuse et grisâtre, il n’y a pas de lumière, il fait juste 0°, mais un vent mauvais et glacial. En janvier, c’était le conte de Noël, maintenant, c’est l’Angleterre au XIX° siècle… Dickens.
Il vaut quand même mieux visiter la Russie l’été. C’est plus simple.

lundi 11 février 2019

Souzdal

Au mois de janvier, je me répétais sans arrêt: pourvu qu'il fasse aussi beau quand ma soeur viendra. Eh bien c'est raté.
Ce matin, j'ai décidé d'aller avec elle à Souzdal, histoire de voir enfin quelque chose d'harmonieux et d'homogène. Nous sommes parties par un temps gris, brumeux, en direction  de Iouriev Polski. La route était quasiment déserte, bordée de forêts givrées et de villages frileux. On ne voyait pas grand chose. Et nous n'allions pas vite.
Iouriev Polski est une ville restée assez intacte, avec son beau monastère central, mais il ne semble pas s'y passer grand chose et y trouver un café relève de la gageure, or comme je n'avais pas vu de station d'essence depuis Pereslavl, j'avais besoin d'une pause pipi urgente...
40 km plus loin, nous avons tourné vers Souzdal et fait encore 25 km dans un paysage fantomatique, avant d'arriver dans cette ville ravissante. Je sais qu'elle a subi aussi ses destructions soviétiques, et elle n'est pas exempte de "cottages" regrettables, l'Eglise elle-même a commis une espèce de pâtisserie rose fuschia qui est peut-être une hôtellerie pour les pèlerins... Mais la ville garde encore beaucoup de merveilles et n'a pas perdu sa structure générale d'origine, le long de la rivière et de ses escarpements. C'était un tel bonheur de voir cela. Naturellement, nous n'avons pas visité grand chose, nous avions peu de temps, il faudrait dormir sur place, car par un hiver de ce genre, on met des heures à progresser sur le verglas, et l'on se refroidit et se fatigue vite. Et puis c'est très riche, il y a plusieurs monastères très anciens, le kremlin, partout des églises, si originales, avec leurs clochers colorés, et d'anciennes maisons intactes aux fenêtres sculptées, des galeries marchandes du XIX° siècle, tout cela a survécu. "Par quel miracle? me demande Martine.
- Je ne sais pas. Je pourrais te dire que c'est une ville de l'anneau d'or, la vitrine touristique soviétique, mais Pereslavl aussi, et on l'a massacré, on l'a même déclassé pour le faire plus tranquillement. Ici, c'est très joli, mais plus à l'écart, peut-être, moins accessible, à Peresalvl il y a le lac qui permet des installations sportives, c'est sur la route principale, entre Moscou et Yaroslavl, un endroit où l'on peut faire du fric avec les vacanciers moscovites. Et peut-être que cela tient juste à la personnalité du gouverneur et des édiles. J'ai entendu dire que le gouverneur de la région de Vladimir était très bien, et ce n'est pas du tout la réputation de celui de Yaroslavl."
Dans les innombrables boutiques de souvenirs et de pseudo "artisanat populaire", nous n'avons rien trouvé à acheter. Un bric-à-brac complètement en toc; à la rigueur, si on en avait eu besoin, on aurait pu acheter des bottes de feutre et des moufles . Mais j'ai pris de l'hydromel délicieux à une bonne femme, dans la rue, elle avait un baratin de fer! Elle m'a refilé de l'hydromel aux baies d'argouses, pour les problèmes digestifs, et aux baies de canneberge, pour remonter l'immunité. Je n'en trouve pas à Pereslavl. "Du comme ça, vous n'en trouverez nulle part, m'a dit la bonne femme, il est fabriqué ici!"