Pereslavl aujourd'hui |
Je ne sais pas pourquoi,
je traîne un sentiment d’angoisse permanent. Peut-être que j’en ai ras le bol
de me battre, et je n’ai pourtant pas fini, personne ne pouvant se battre à ma
place. Ces incessantes démarches, ces justificatifs à produire à chaque pas,
j’ai de plus en plus de mal à faire face.
Une relation facebook d’origine
russe, certainement homme d’affaires et pro Poutine, me reproche, après avoir
voulu partir vers LA Russie idyllique, et critiqué l’occident de toutes les
manières, de la dénigrer de la façon la plus acerbe. Mais outre que je n’ai
jamais considéré la Russie comme un pays idyllique, ni d’ailleurs le mien comme
terriblement mauvais, je ne peux quand même pas tirer un rideau pudique sur
tout ce qui me dérange pour ne pas « désespérer Billancourt ». De
nombreux partisans de Poutine estiment que l’on ne peut émettre la moindre
critique à l’endroit de la Russie, il ne faut dire que des choses positives, c’est-à-dire
mentir autant que ceux qui n’en disent que du mal, seulement dans l’autre sens.
Cet homme me demande où je
vais bien pouvoir aller si la Russie me déplaît autant que le reste. Mais nulle
part, à moins qu’on me fiche dehors. En Russie, je me sens à l’étranger, un
étranger que j’aime, malgré toutes les critiques que je peux émettre, et d’ailleurs,
si je l’aimais pas, je n’aurais pas de critiques à formuler, je dirais que c’est
globalement un pays de merde et je rentrerais en France. Et en France, je ne me
sens plus chez moi, parce que le pays ne nous appartient plus, il nous est
pris, pour le donner à d’autres, et puis, je n’y ai plus d’enracinement
spirituel, ou plutôt, j’ai trouvé mon enracinement spirituel ailleurs, même si
d’une certaine façon, je le retrouvais à Solan.
Je m’interroge sur ce
qui me lie à la Russie, et cela me ramène à ce que m’a dit Olga de mon livre :
il est écrit avec votre inconscient. En réalité, si je suis génétiquement et
culturellement française, mon inconscient a reconnu en Russie, dès le premier
livre russe que j’ai lu, quelque chose qui lui appartenait profondément ou,
plus exactement, à qui il appartenait. Et quand j’ai découvert l’histoire d’Ivan
le Terrible, le film inspiré par le personnage, ce phénomène n’a fait que s’accentuer :
j’appartenais au tsar, à son pays, à la Russie médiévale par quelque chose d’incontrôlable,
d’inexplicable, de très profond, d’inconscient. Un attachement de cet ordre va au-delà
de toute explication rationnelle et meut une âme et une vie avec la force d’un torrent ou d’une tempête en
mer.
J’ai éprouvé le même
sentiment de reconnaissance envers Dostoïevski, l’écrivain qui m’a le plus
marquée. J’étais subjuguée par ses romans et ses personnages. Et le folklore
russe m’a également profondément envoûtée, plus qu’aucun autre.
Evidemment, tout cela n’a
absolument rien à voir avec l’Union Soviétique, si quelque chose de soviétique
m’émeut, c’est par ce que cela conserve de russe, par miracle et par
assimilation. L’Union soviétique est l’antithèse assumée, revendiquée de la
Russie, bien qu’à certains égards la Russie ait réussi à l’assimiler
partiellement, comme le démontre Panarine.
Ma terreur est qu’après
avoir détruit la France, dans une large mesure, la modernité n’achève la Russie,
donc tout ce qui ici défigure la Russie, l’insulte ou la caricature,
volontairement ou non, me rend malade, et c’est mon incapacité à rester
indifférente aux traces des désastres passés et aux prémisses des désastres ultérieurs
éventuels qui me fait réagir avec douleur et amertume.
Je pense quelquefois à l’écrivain
André Makine qui a fait la démarche inverse de la mienne, il est parti vers la France.
D’après les échos que j’en ai, il souffre de ce qu’il voit : une France qui
se délite, qui se renie, qui n’est plus elle-même… Lequel de nous d’eux est le
plus certain d’en prendre plein la gueule ?
Moi, je retrouve la
Russie en beaucoup de gens, ici, à dose plus ou moins concentrée. Pour l’instant,
la Russie est encore vivante, et l’orthodoxie est en phase avec elle. Le
catholicisme est-il en phase avec la France ? Moi, je ne suis plus en
phase avec le catholicisme, je crois ne l’avoir jamais été, et même, dans l’orthodoxie,
j’ai retrouvé dès mon adolescence, quelque chose de mon être profond, quasiment
de mon être collectif, de cette partie de mon être qui débouche sur tous les
autres êtres, en passant d’ailleurs aussi par le paganisme. Même pour retrouver
l’esprit de l’art roman, je passe par l’orthodoxie. Je ne sais pas si Makine est
croyant, orthodoxe ou catholique…
J’écrirai sans doute
ultérieurement sur la France, sans oublier la Russie, mais mes deux livres sur
le tsar sont la carte, la trace de la démarche inconsciente qu’a fait mon âme dans sa
quête d’elle-même et de Dieu. Et aussi l’écho de voix qui ne sont pas les
miennes, mais qui ont résonné en moi, parce que tout au fond de moi, je leur donnais la parole, je devenais un orgue, un orgue universel, et ce n’est pas moi qui en jouais. Il se servait de moi pour vibrer.
J’ai essayé d’aller me
promener avec Martine, mais la neige est devenue croûte de glace savonneuse et
grisâtre, il n’y a pas de lumière, il fait juste 0°, mais un vent mauvais et
glacial. En janvier, c’était le conte de Noël, maintenant, c’est l’Angleterre
au XIX° siècle… Dickens.
Il vaut quand même mieux
visiter la Russie l’été. C’est plus simple.
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