Tania est venue me dire qu'un bel oiseau gisait près de mon portail, un gros oiseau, je suis allée voir, c'était une mouette, et j'aime particulièrement ces créatures du vent et de l'eau, couleur des nuages, leur cri mélancolique. L'orage avait dû la faire tomber dans les broussailles, et son aile s'était emmêlée dans les cordes des liserons. Nous l'avons dégagée, elle était un peu ankylosée et choquée, mais au bout d'un moment, elle a réussi à partir. J'étais heureuse d'avoir pu la délivrer.
Retour à l’église, après avoir
manqué la liturgie de dimanche dernier, et cela m’a fait du bien, je ne sais
pas comment cela marche, mais ça marche... Les gens qui prient, leur gentillesse, les cierges,
l’encens, les rites, cet espace immémorial, cohérent, éternel au sein de ce chaos absurde où nous devons tous vivre. L'Eucharistie me donne toujours une impression de paix, de joie recueillie. Je me demandais si j’étais vraiment si chrétienne que cela, car au fond, je ne peux pas comprendre comment un principe
uniquement masculin peut engendrer un Fils et créer un univers dont la moitié
féminine et la moitié masculine se cherchent sans arrêt, se ruent l’une vers l’autre,
recréant, projetant infiniment la Création ou l’accomplissant dans l'exultation et la terreur. De plus, tout ce que je
ressens et découvre m’indique que le monde où nous sommes est fait, sur notre
planète même, d’univers parallèles, que tout y est sacré, que tout participe du
sacré, sauf l’Homme contemporain qui le profane à chaque pas et y commet des
iniquités impardonnables, insupportables, piétinant tout, et se croyant tous les droits, dans une arrogance de plus en plus stupide et néfaste. Les dauphins et les orques ont un
système de communication très élaboré, et ils sont innocents, ils sont purs. Il
en est de même des éléphants, qui ont la notion de la mort, des loups nobles et monogames. Les arbres aussi communiquent, et ils
ont besoin des chants d’oiseaux pour pousser. L’interpénétration, l’osmose, est
immense, entre le Créé et le Créateur. En même temps, je crois que le Christ
est Dieu incarné, et que l’Homme a un destin spirituel qui est peut-être de
dépasser, de transfigurer la loi naturelle et que cela sera l’accomplissement
suprême du phénomène de l’Existence et sa libération de cette perpétuation
infinie du meurtre et de l’entredévoration qui nous cause tant de souffrances,
même en faisant abstraction de la perversité et de la prédation humaines.
Un moine disait que les animaux étaient tous des serviteurs de la Création de Dieu, les animaux et les plantes, chacun a sa fonction indispensable et complémentaire, et les traiter comme nous les traitons, de façon mercantile, consommatrice, brutale et cruelle, c'est cracher à travers la Création, sur le Créateur qui souffre avec elle et avec nous.
Le père Basile m’a raconté au
téléphone qu’il avait vu arriver, avec un Français de ma connaissance, une
équipe de pèlerins cathos tradis venus à pied convainсre les Russes de se
« convertir », comme s’ils ne l’étaient pas déja depuis plus de mille
ans. Le père Basile leur a dit qu’ils seraient toujours très bien accueillis
par les Russes, qui sont très gentils, mais que sur le plan de la théologie,
ils allaient rencontrer pas mal de résistance, que lui-même, vendéen, avait
compris que le traditionnalisme le plus radical, c’était tout simplement
l’orthodoxie. Malgré toute l’estime que lui inspirait leur
« exploit », il pense, comme moi, que tous les adeptes de la
conversion fatimiste sont dans une telle ignorance de la Russie, de sa
mentalité et de sa spiritualité qu’il est difficile de discuter avec eux. Commencer à voir la Russie et son histoire comme elles sont serait remettre en cause pas mal d'illusions.
Il est, comme Dany, et comme
Fédia, le fiancé de Katia, choqué par les fêtes estivales débridées qui sont
peu acceptables dans le contexte d’une guerre meurtrière et périlleuse. Il
m’a dit que tous les soldats pour lesquels on prie au monastère restent pour
l’instant en vie, et Fédia lui-même attribue à la prière des gens qui le
soutiennent le fait qu’il soit encore de ce monde lui-même.
J’avais rendez-vous à dix heures, dimanche, pour un tournage, dans le cadre d’un intéressant documentaire. Au monastère Danilov. J’y étais en avance et en évidence, mais je ne voyais rien arriver. Le cinéaste m’a écrit qu’il cherchait Aurélie la Belge, qui devait sonner les cloches et participer au film. Le retard était si grand que j’ai fini par appeler, malgré les brouillages internet, parce qu’il était impossible qu’on ne me trouvât pas là où j’étais. Et Aurélie, qui m’a répondu, m’a dit que je m’étais trompée de monastère, ce n’était pas au Danilov de Pereslavl qu’on m’attendait, mais à celui de Moscou!
Un type à qui j’avais répondu que s’il avait lu l’Evangile, il aurait vu que Jésus envisage d’ouvrir le Royaume aux gentils, m’a mise au défi de lui citer des passages qui le prouvent. Sur le moment, j’ai pensé que j’aurais mieux fait de ne pas faire de commentaire, car je n’avais absolument pas le temps de faire toute une recherche. J’y suis plus ou moins arrivée, mais maintenant, je ne retrouve plus notre échange, et puis à vrai dire, les exemples trouvés ne lui paraîtront pas convaincants. Il s’agit du Centurion, de la Cananéenne, la parabole du vigneron, celle aussi, à mon avis, du festin auquel se dérobent les invités, et puis le passage «Allez, baptisez toutes les nations ». Il y a aussi, me semble-t-t-il, le passage du bon Pasteur, mais tout cela demande à être vérifié. Pour moi, il est évident que le message du Christ s’adresse aussi aux gentils, et d'autant plus que les pharisiens ne le recevaient pas, mais sur un type qui cherche à prouver que ce n’est qu’un juif suprémaciste de plus, cela n’aura pas grand effet. Il en est de lui comme des pèlerins fatimistes, son système n'enregistre pas certaines données.
Chaleur lourde et orageuse, taons déchaînés, nouvelles affreuses et inquiétantes. De toutes parts. Mon amie Sophie m'écrit: "L'état profond, c'est satan, il est libre et ira jusqu'au bout, puisqu'il ne sait rien faire d'autre que détruire le beau, donc tant que Christ ne sera pas revenu, on est inexorablement sur un toboggan, seules nos prières ralentissent la chute".
C'est ce que me disait déjà le père Barsanuphe en 1970. D'après lui, le monde reposait en permanence sur les prières de sept saints et le jour où ceux-là viendraient à manquer, il s'effondrerait. Beaucoup de prédicateurs ici soutiennent la même chose: la guerre en cours est spirituelle avant tout, chaque prière, chaque belle et bonne action, chaque moment de lucidité et de recueillement contribuent à la victoire. Sophie ajoute: "Les moines, les prêtres, les fidèles, leurs prières, les églises, les pensées sont les filets du Christ pour ralentir le temps du jugement et sauver le plus d'âmes possible."