Hier
soir, j’ai été invitée par des gens, au demeurant très accueillants qui pensent que tout est beaucoup mieux ailleurs,
c’est-à-dire en occident. Ils ne
comprennent absolument pas ma démarche, il est vrai que lorsque je les vois et
les entends, je pourrais me demander si elle est fondée ! Quand je leur
réponds que leur pays est beau, là où tout n’a pas été détruit, leur architecture
unique, si originale, leurs églises, leurs maisons paysannes, ils me répondent, depuis leur pavillon en plastique avec nains de jardin, qu’elles ne sont pas confortables,
sans envisager une minute qu’elles peuvent être aménagées assez facilement, je l'avais fait à Krasnoïé, et
je vois qu’en fait, la beauté dont je leur parle leur échappe totalement, le
lien est rompu avec la mère Russie. « Notre jeunesse n’a pas d’avenir », me disent-ils, justifiant que tout le monde parte en occident, où on n’a pas d’avenir
non plus, parce que c’est toute la fichue civilisation progressiste
matérialiste consumériste mondialiste hideuse qui est condamnée et que pour l'avenir, il faut
envisager d’autres solutions, mais en retrouvant sa mémoire et
son identité. Leur opinion est que leur gouvernement est un gouvernement
colonial au service d’intérêts qui ne sont pas les leurs, on peut se poser la
question, quand on voit qu’il répercute ou tente de répercuter les mêmes lois
et la même politique qui ont fait le malheur de l’Europe. La loi sur
l’allongement de l’âge de la retraite (déjà dérisoire en Russie depuis l’assaut
libéral des années 90) est très impopulaire à juste titre. Mais alors, pourquoi
est-ce que l’occident veut tellement la peau de la Russie, si leur gouvernement
sert les intérêts du mondialisme ? Sans doute parce que ce n’est pas
complètement gagné, qu’il y a encore quelque chose à détruire, c’est-à-dire de
mon point de vue, à sauver. Mais ce ne sont pas ces gens-là qui y
contribueront… encore qu'on ne sait jamais.
Je
suis allée avec Svetlana, rencontrée à l’église de la Protection, voir une église qui n’a jamais fermée dans un village des environs. Je ne
dirai pas où, ni le nom de l’église. Son prêtre, le jeune père Andreï ,
rayonnant de bonté, nous a demandé de ne pas publier de photos de ce qu'elle contient, car il redoute
les cambriolages. Quand un lieu n’a été ni détruit, ni profané, ni saccagé, il
est cambriolé. On a volé là douze icônes anciennes, correspondant aux douze
évangiles de la passion, sans doute revendues à des crétins de collectionneurs
à l’étranger. Elles ornaient l’effigie du tombeau du Christ utilisée pour les
vigiles du samedi saint. C’est vrai qu’une église qui n’a jamais fermé garde
les prières de tous ceux qui y sont venus pendant les trois cents ans de son
existence. Et toutes sortes d’objets pieux d’époque qui ne proviennent pas de
Sofrimo, la fabrique de bondieuseries contemporaine. L’église a conservé ses belles
dalles de fonte ornées de reliefs, ses portes de fonte, avec des serrures
spectaculaires, malheureusement maintes fois badigeonnées. Elle a été construite
par des nobles qui étaient revenus vivants de la guerre et voulaient manifester leur reconnaissance. Prévue à un autre
endroit, elle s’est implantée dans celui-ci parce que le matériel disparaissait
pendant la nuit et qu’on le retrouvait régulièrement plus loin, là où on l’a
finalement édifiée. Il se trouve que c’est l’emplacement d’un
« kourgane » où ont été ensevelis des guerriers de la bataille de
Koulikovo. Le père trouve souvent des ossements en jardinant...
Il a un paroissien français occasionnel, français orthodoxe, un certain Jean-Pierre qui travaille à Moscou, et lui dit: "J'ai besoin d'être ici pour sentir l'Orthodoxie autour de moi". "Je le comprends, ai-je répliqué, mais dans l'environnement complètement désacralisé de la France, certains lieux orthodoxes sont des concentrés de lumière, et c'est en eux que je mets mon espoir".
Les
fresques académiques me touchent peu. L’iconostase sculptée ancienne est belle,
enfin c’est du beau travail, mais j’aime les choses plus simples, plus frustes. L’une des personnes qui m’accompagnaient, avec Svetlana, était
la directrice du chœur de saint Théodore, elle a chanté un cantique. Il y avait aussi avec nous la fille de
Svetlana et son petit garçon Timofeï. Il m’a beaucoup plu. J’ai senti l’enfant
intelligent, capable d’émotions, de contemplation. Le père Andreï nous a
proposé l’ascension du clocher, et je me suis inconsidérément lancée. C’était
très haut, sur des marches de bois branlantes. Il me tenait la main. Là haut,
le petit Timofeï a voulu sonner les cloches, et il l’a fait d’une façon très
harmonieuse, sans chercher uniquement à faire du bruit, mais avec le souci de produire des sons variés. On voyait dans le lointain un lac, devenu inaccessible, parce que
les gens construisent sur les berges et découpent les plages avec
leurs fichues palissades, se réservant une tranche de sable soustraite au commun des mortels.
Une
fois ce moment de grand air passé, il a fallu redescendre, et là, ce fut une
autre affaire. Le père Andreï me tenait fidèlement par la main. Je m’appuyais
toujours sur la même jambe parce que j’avais peur d’être lâchée par l’autre, celle qui est la plus atteinte par l'arthrose, et
de dévaler l’escalier. La directrice du chœur me recommandait, pour éviter de
trébucher, d’avancer « hardiment », tout cela c’était dans la tête, plus vite, mémé.
Mais au dernier palier, avant d’aborder les marches en pierre d’époque
complètement usées, la bonne jambe exténuée s’est dérobée, et je suis tombée. J’ai
repris ma descente, appuyée sur le prêtre, heureusement grand et baraqué :
«C’est vexant, lui dis-je, comme ça, je parais plus jeune que mon âge et l’on
ne croirait pas, mais mes jambes ne suivent plus…
-
Comment ça, vexant ? Mais vous avez l’âge que vous avez, et c’est normal !
Au contraire, prenez cela comme une bénédiction ! Dieu vous fait sentir
votre faiblesse pour que vous vous tourniez vers Lui… Les jeunes, par exemple,
ils sont forts et agiles, ils pensent pouvoir se passer de Lui. Mais quand on vieillit,
comme vous, on est bien obligé de compter sur Lui. Alors remerciez-Le… »
Et
en effet, c’est bien sur Lui que je compte, car sinon, j’aurais bien plus d’angoisses
que je n’en ai actuellement. Les paroles du prêtre m’en faisaient prendre conscience,
tandis que je chancelais à sa suite, appuyée sur sa forte main, comme si
quelque preux très doux de la sainte Russie, émissaire de ceux qui dorment dans le "kourgane", était venu, en assistant la vieille
Française, lui démontrer que là haut, c’est-à-dire tout près, on s’occupait d’elle.
J'ai coupé le décor au maximum, tant pis pour vous... |
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