Saint Nicolas, icône émaillée de Tatiana Kissileva |
Ritoulia est comme chez elle, au café Montpensier. Chaque fois qu'elle vient, on lui donne du blanc de poulet, et elle va le réclamer avec beaucoup d'impudence.
Nous avons discuté restaurations d’églises et
de monuments, puisque après les déprédations soviétiques, tout ce qui reste s’écroule,
ou est détruit, ou défiguré ou « reconstruit à l’identique ». Les fonctionnaires russes méprisent leur pays
et sa culture, mais pas seulement eux. D’après Sérioja, une partie des prêtres
bée d’admiration devant les Grecs et méprise l’architecture russe
ancienne si originale que nous aimons tous les trois. Il fait remonter cela au
schisme du XVII° siècle, et il a probablement raison. Chose étrange, j’ai eu un
échange avec le rédacteur de « Thomas, la revue orthodoxe à l’usage de
ceux qui doutent », Vladimir Gourbolikov, sur le même thème ; à
savoir que le massacre de la Russie a commencé avant les soviétiques. D’une
certaine manière, nous avons eu aussi cela en France, où après la Renaissance,
on s’est mis à mépriser le moyen âge au nom de l’imitation imbécile des
antiquailles retrouvées, alors que celles-ci avaient été absorbées et
transfigurées par les siècles chrétiens ultérieurs. Il semble que pour certains prêtres, toute l’Eglise
russe antérieure au schisme soit un peu devenue schismatique; alors que c'est en partie probablement le contraire. Au XVII° siècle,
la Petite-Russie, sur le territoire de l’actuelle Ukraine, s’est rattachée à la
Russie avec deux siècles de domination polonaise derrière elle et la
regrettable influence catholique qui allait avec, et qui s’est reflétée dans la
théologie et l’art religieux de la Russie orthodoxe. On fit venir massivement
des prêtres de là bas, qui ne connaissaient plus rien à l’iconographie et raffolaient
des compositions musicales occidentales. L’un de ces prêtres a ouvert une
fenêtre au milieu du jugement dernier de Dionysi à Ferapontovo. On y a aussi
remplacé les coupoles d’origine, pures et simples, par des bulbes contournés
qui rappellent le baroque autrichien, et supprimé les rangées de « kakochniks »,
de décorations qui rappellent les coiffes traditionnelles russes. Serioja m’a
fait observer que le même traitement avait été infligé au XIX° siècle à une
église du monastère saint Daniel, qu’il a visité avec moi, mais à ce moment-là,
c’était un peu une mesure d’urgence destinée à sauver les vieilles églises en
leur mettant un toit en zinc pour leur éviter de s'écrouler. D’après
lui, les Romanov voulant incarner la troisième Rome, ont effectué les
réformes à l’origine du schisme pour se rapprocher des Grecs. Pierre le Grand
ne s’intéressait qu’à l’étranger et aux étrangers, d'ailleurs, c'est le seul souverain européen à avoir donné un nom étranger à sa capitale créée de toutes pièces... Alors qu’Ivan le Terrible
avait beaucoup construit, et avec goût, dans le style russe, lui n’a fait que
copier de façon servile son occident tellement envié et admiré. Il a humilié et
asservi l’Eglise, considérablement aggravé le servage ; indifférent aux arts, il ne s’intéressait
qu’à la technique, et si sa légitimité n’avait pas tenu à sa qualité de tsar
orthodoxe, je pense, et Sérioja aussi, qu’il serait devenu protestant. Dans la
foulée, la Russie a été pratiquement colonisée par les allemands, le XVIII°
siècle russe a été peut-être aussi destructeur pour la culture du pays que la
période bolchevique, l’iconographie était oubliée, et la liturgie infestée de
chants religieux italianisants, pleins de fioritures. La grande Catherine ne
prisait que l’art académique et baroque, elle avait mis au rebut une iconostase
d’Andreï Roubliov et voulait entièrement, d’après Gourbolikov , refaire le
Kremlin de Moscou à l’occidentale. Bref tout cela préparait admirablement la révolution, avec
une aristocratie coupée de son peuple et méprisant sa propre tradition. Il est
vrai que le XIX° siècle a peu à peu renoué avec cette tradition, et l’art
populaire russe était devenu une grande source d’inspiration chez les peintres
et décorateurs de la fin du XIX° siècle et du début du XX°, mais après, la
révolution a éclaté…
On peut dire en somme que les Russes, protégés
finalement par l’invasion mongole et le blocus polonais et hanséatique,
ont chopé nos virus à la fin du XVII°, et que leur pays est tombé gravement
malade du progressisme matérialiste un siècle et des poussières après le nôtre.
La tradition russe se conservait dans le folklore,
et dans le nord. Dans le nord, au XVIII° siècle, quand Pétersbourg alignait les
pâtisseries baroques, on construisait encore des merveilles comme Khiji. C’est pourquoi j’aime le nord, plus fidèle à
lui-même. Serioja et Tania le parcourent régulièrement et m’ont donné des
directions touristiques.
Sérioja, Tania et Ritoulia au café Montpensier |
Une passion de l'histoire de votre pays toute faite de nostalgie avec, en arrière-plan, les jours qui s'égrènent, partagés avec quelques amis, c'est bien plaisant à lire.
RépondreSupprimerСпасибо, дорогая Лоранс, за тот день, проведенный с Вами в Переславле, и за этот замечательный рассказ!
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