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jeudi 21 janvier 2021

Adieu monsieur Gauthier.

 


J'ai appris la mort du beau-frère de maman, qui était aussi le condisciple de mon beau-père et de mon oncle Henry, Pierre Gauthier, le père Gauthier, un petit homme jovial au parler méridional pittoresque; et c'est aussi tout un pan de ma vie qui disparaît. Henry, mon beau-père Pierre, ou Pedro, et le père Gauthier, étaient tous des élèves de l'institution Notre Dame de Valence, dont les deux derniers gardaient un affreux souvenir, Henry pas tellement, et en plus, il y sonnait la cloche, ce qui le faisait traiter de fayot!

Il était le fils du directeur de la chocolaterie Aiguebelle à Donzère et à la fin de la guerre, quand il était encore adolescent, des communistes espagnols avaient assassiné son père, acte pour lequel ils avaient été condamnés à trois mois de prison, un peu comme aujourd'hui ceux qui se prennent six mois avec sursis pour un viol collectif ou un lynchage de rue.

Il avait trouvé alors un grand soutien moral auprès de la famille de mon beau-père, paysans à Pierrelatte, et épousé l'une des filles de la maison, Marthoune; leur attachement réciproque était un sujet d'émerveillement, et aussi de plaisanteries diverses, c'étaient Philémon et Beaucis. Il a suvécu dix ans à Marthoune, les voici maintenant réunis.

Ils avaient une vieille maison bourgeoise à Sorgues, et sans enfants, recevaient leurs neveux et affiliés, je me souviens de joyeux dîners gastronomiques, Marthoune cuisinait très bien. Et le père Gauthier était un bon vivant, un joyeux compagnon. 

Ils se sont ensuite retirés aux Granges Gontardes, près de Pierrelatte et de Donzère, et nous fêtions chez eux la veille de Noël, avec la nombreuse famille Fargier. Sa femme préparait le loup pêché par son beau-frère à Sète, avec de la sauce hollandaise. Nous y allions le dimanche, aussi, jouer à la belote, les neveux passaient dire bonjour, avec leurs enfants. Maman et Marthoune comparaient leurs fleurs et en échangeaient. 

Les convives sont partis un par un pour l'autre monde, Simone, qui m'avait conseillé la littérature russe quand j'avais quinze ans, avec le résultat que l'on sait. Pedro, qui me manque toujours. Marisette et Jean. Marthoune. Maman...

C'est toute la France que j'ai connue qui s'en va. Ce qu'elle gardait de familial, de chaleureux, de traditionnel, de pittoresque.... 

Il est allé rejoindre ceux qui lui manquaient autant qu'à nous et que rassemblaient les tablées familiales, les déjeuners de chasse, les belotes du dimanche et les bons restaurants, les parties de rigolade, entre Pagnol et Audiard.

Adieu monsieur Gauthier. Adieu, la France... 


Départ

 

Près de nous se dressait un grand Christ douceâtre

Dans les reflets rosés de sa robe de plâtre,

 Montrant son cœur à nu de ses doigts repliés

Que d’un regard inquiet tu regardais bouger.

Et j’aurais bien voulu qu’ils bougeassent vraiment,

Que dans ses bras ouverts,  ma pauvre chère maman,

Il te prît aussitôt pour t’emporter là bas,

Où sont partis les gens que tu crois voir chez toi.

Nous n’avons pas pu boire encore jusqu’à la lie,  

Le calice trop amer de cette maladie.

Nous n’avons pas gravi  jusqu’au lointain sommet,

L’aride Golgotha qui nous fut préparé.

Et nous allons de pair, toi et moi, pas à pas,

Dans cette contrée floue que tu ne connais pas.

Soleil de mon matin, tu n’es plus que la cendre

De ta vie consumée qui s’éteint sans m’attendre.

                                      …

Sous les grands arceaux nus de cette vieille église,

Marthoune reposait dans sa barque scellée.

Sur le point de partir, fallait-il qu’elle nous dise,

Lasse depuis longtemps des jours qui  s‘éternisent,

Vers quel rivage étrange  elle s’était embarquée.

Et nous, depuis le quai, au travers du brouillard,

Ne distinguons pas bien les lointains obscurcis,

Vers lesquels  à ton tour tu vas partir aussi,

Comme tout un chacun doit le faire tôt ou tard.

A la vie qui s’enfuit, tu tenais bien pourtant,

Et tu vas recueillant ça et là tournoyant,

Les reflets qu’il t’en reste dans ce vent ténébreux

Qui les prend et les jette et ne laisse rien d’eux.

La vie, la douce vie de jour en jour coulant,

Du matin jusqu’au soir, de l’hiver au printemps,

Le rire des enfants et les mots qu’on échange,

La fleur qui s’épanouit et le pain frais qu’on mange,

Et les oiseaux qui passent et les chats assoupis,

Les courses, le jardin, les repas entre amis,

De jour en jour coulant, le sable des instants

Est à présent compté.

Il en reste si peu

Que voici le dernier,

Celui qui mène à Dieu,

Et va nous séparer.

 

Il va nous séparer, mais pour bien peu de temps,

Sortons, ma chère maman, de l’église endeuillée.

Au dehors le mistral essorant les nuées

Nous lave un grand morceau d’azur étourdissant

Où des constellations d’oiseaux avec lenteur

Filent leurs astres blancs dans sa claire rumeur.

Comment croire à la mort devant le dais glorieux

Que déploie la lumière après ces funérailles,

 Devant la liturgie que célèbrent les cieux

Repoussant les vantaux de la froide grisaille?  

Ce sont là haut nos anges qui nous font ces grands gestes,

Tracés dans la splendeur du soir déjà doré,

Et c’est le courbe éclat de leur envol céleste

Qui  soulève nos âmes et  vient les consoler.

 

Pierrelatte décembre 2011


2 commentaires:

  1. C'est tellement juste, tellement vrai. Rien de plus à dire.
    Pierrot était mon oncle, Françoise sa sœur (ma marraine) vient de nous quitter quant à ma mère...
    Merci pour ce très beau témoignage.

    Hervé Granjon De Lépiney

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    Réponses
    1. Je suis très touchée§ Hervé, ils sont tous ensemble, et le monde où nous sommes n'est plus du tout le leur.

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