Noël s'annonce, mais il sera pour moi bien triste: je viens de perdre mon oncle Henry.
Bien sûr, on pouvait s'y attendre, mon oncle Henry avait presque 95 ans, le cœur très fatigué. Il s'essouflait et ne pouvait plus ni monter l'escalier, ni se déplacer bien loin, il était en fin de vie, il vient un moment où il faut partir.
Quand il avait passé 86 ans, il m'avait dit: "Tu vois ma petite, je suis très content, parce que toute ma vie, j'ai cru que je mourrais à 86 ans, et cela ne s'est pas produit."
Il a eu presque dix ans de supplément, et il les a passés chez lui, avec sa femme, très entouré par sa famille.
J'espère qu'il est mort en paix, indépendamment de la sédation, j'ai prié pour cela. Il avait essayé de retourner à l'église, mais s'était laissé décourager par le côté peu sérieux des offices.
C'était un bon vivant, qui n'hésitait pas à faire des choix courageux, il était parti au maquis à 17 ans, en laissant un mot dans l'assiette de sa mère, et en volant le vélo d'une connaissance. Il était humain, honnête et digne. Pour tous ceux de ma famille qui n'ont pas eu de père, qu'il fût mort ou parti, il était l'image d'un vrai père, il formait avec sa femme et ses enfants une vraie famille. Son gendre l'adorait.
La maison d'Henry et Mano, à Marseille, était le dernier lieu où je retrouvais la France que j'ai connue dans mon enfance, ce mélange de joie de vivre, de raffinement et de dignité dans les épreuves. Henry et Mano en ont connu beaucoup, et ils les ont supportées avec courage. Je retrouvais chez eux une époque révolue, une atmosphère de beauté, d'élégance et de culture qui disparaît à vue d'oeil de notre paysage. Henry n'était pas un intellectuel diplômé, c'était quelqu'un de pragmatique, il avait travaillé dans l'épicerie et l'alimentaire, il aimait le rugby et le foot, et pourtant, il avait du goût, une élégance intérieure des sentiments, il aimait les beaux meubles et les beaux tableaux et s'habillait bien, c'était peut-être des choses qui étaient naturelles à beaucoup de gens de l'ancien temps, d'ailleurs.
La maison d'Henry et Mano était un îlot miraculeux, dans ma vie bousculée, et dans une époque de plus en plus hideuse, vulgaire et hostile. Je passais par un couloir sous un immeuble, et j'arrivais dans un autre temps, celui du midi d'autrefois, de cette façade à persiennes ombragée de platanes, de ce petit jardin si bien aménagé, où Henry nous préparait ses célèbres cocktails et apéros délicieux et ravageurs. A l'intérieur, je retrouvais le genre de cadre dans lequel j'avais grandi, le genre de personnes qui avaient entouré mon enfance, tendres, pudiques et attentives. Des meubles, des objets, des tableaux qui tous me parlaient de quelque chose de connu et de cher, et tout cela harmonieusement disposé. Oui, je retrouvais une harmonie, une harmonie extérieure qui était l'expression d'une harmonie intérieure, et c'est un miracle qui devient vraiment trop rare.
Je n'ai pas eu le temps de finir les souvenirs d'enfance que j'avais commencé afin que l'un et l'autre pussent les lire, puisque pour maman, c'était déjà trop tard. Henry ne les lira pas. Il n'en a lu que le début, il est vrai que ce début le concernait, puisque j'évoquais le jour où, pour m'amadouer il m'avait, encore fiancé à Mano, offert pour mes trois ans un bocal de poissons rouges et un bouquet d'œillets blancs.
Que ce bouquet d'oeillets t'accompagne au paradis, mon cher petit oncle Henry, avec mes prières et mes larmes. Sans toi, le monde me deviendra encore plus étranger. Jusqu'au moment où je vous rejoindrai tous, moi aussi. J'ai hélas plus que jamais l'impression qu'avec toi, c'est la France qu'on enterre, celle que tu étais allée défendre à bicyclette et que l'on a déshonorée et vendue.
Chère Laurence,
RépondreSupprimerje ressens votre tristesse et en très peinée pour vous...
Et même si ce chagrin vous est tout personnel, nous ne pouvons qu'en comprendre la douleur car au-delà des séparations qui nous affligent tous les uns les autres, surtout à partir d'un certain âge et même avant parfois, nous pouvons tous percevoir que c'est un monde, une époque, une vision, un art de vivre, une manière d'être et de vivre propre à nos régions (comme le sud que nous avons en commun vous et moi), une civilisation, bref, tout un univers qui disparaît avec ces êtres chers, nos aînés qui nous ont tant donné et tant appris...
Profonde et sincère affection,
Françoise.
En effet. Contrairement à ce qu'on nous raconte, mon oncle Henry avait fait sa généalogie, et depuis 400 ans, ses ancêtres venaient tous de l'Ardèche et d'Arles. C'était un vrai Français, comme on n'en fait plus.
Supprimer"suis" très peinée...
RépondreSupprimerDe tout cœur avec vous
RépondreSupprimerMerci...
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