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LISEZ-MOI ÇA! • «Yarilo» de Laurence Guillon
Ce qu’il apporte. Au XVIe siècle, de ce côté-ci de l’Europe, nous savons repérer Henri III en France, Elisabeth en Angleterre…et la lecture de Dumas nous a plongés dans les évènements tragiques de la Saint-Barthélémy. A la même époque, que se passe-t-il en Russie? Qui règne? Ivan le Terrible, ou plutôt «le Grand», traduction exacte du qualificatif russe. Qu’en savons-nous? Sauf erreur, son règne ni sa personne n’ont été l’objet d’une œuvre romanesque digne de ce nom en langue française. C’est chose faite avec Yarilo, le roman de Laurence Guillon, qui nous conte l’histoire de Féodor Basmanov, proche du tsar, de sa famille, sur un fond historique pour le moins brutal, puisque c’est la période de l’Oprichnina. Le massacre de la Saint-Barthélémy dans La Reine Margot, ou les assassinats des Rois maudits sont des bluettes en comparaison. Pour autant, il n’y a aucune complaisance. C’est l’âme de ces personnages qui intéresse l’auteur. Ils sont mus par des forces denses, complexes, profondes. On y voit que la grande histoire était faite par des pécheurs, certes, mais conscients de l’être, et sachant qu’ils auraient des comptes à rendre à Dieu. La médiocrité est donc inconcevable. L’écriture de Laurence Guillon est digne de son sujet et la rédemption de Fédia est simplement bouleversante.
Ce qu’il en reste L’auteur nous embarque dans un voyage qui va bien au-delà de la réalité historique ou géographique. Même si elle décrit les paysages par touches délicates qui émouvront ceux qui les connaissent. A travers ce qu’on pourrait qualifier de conte, elle nous fait approcher du cœur de «l’âme russe» et de ses ressorts. Le terme est galvaudé, mais je n’en trouve pas d’autre. Cette histoire est bien plus qu’une belle histoire. Elle est ancrée dans une terre qu’on aborde avec le cœur, et qui peut toucher sans être comprise. Ce que réussit Laurence Guillon, c’est précisément de nous aider à connaître la Russie à travers une époque très brutale que nous approchons souvent à travers beaucoup de clichés teintés d’incompréhension voire de condescendance. Son écriture de conteur est fluide, de cette simplicité sophistiquée assez rare, et l’usage qu’elle fait des poésies traditionnelles est pertinent. Elles permettent de nous familiariser avec l’insondable immensité de cette terre.
A qui l’administrer? Ceux qui aiment Tarkovski, Répine, la Russie en général et en particulier, se délecteront de lire une œuvre en langue française, certes, mais qui décrit ce monde de l’intérieur. Comme quoi c’est possible, mais pas donné à tout le monde. C’est un peu comme si Rebecca West, après son voyage en Yougoslavie (Agneau noir et faucon gris), avait écrit un roman dont les protagonistes seraient le roi Lazar et son entourage à l’époque de la bataille de Kosovo. Ceux qui sont intrigués par le titre,_Yarilo_, n’ont plus qu’à lire, car il révèle encore une autre facette de ce conte, parmi tant d’autres qui en font la richesse. Comme tous les bons livres, il nous transforme. D’une manière ou d’une autre.
- Laurence Guillon,Yarilo, Editions du Net, 2018. Une suggestion d’Anne Demonet.
Editorial d'Antipresse, par Slobodan Despot:
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