L'église des Quarante Martyrs est très jolie, à l'intérieur comme à l'extérieur. Et si l'année dernière j'avais du mal à tenir debout, cette fois, j'ai bien encaissé, mes genoux vont beaucoup mieux, ce que je ne croyais pas possible. J'ai dit à l'évêque que je fêtais mes 50 ans d'orthodoxie, et il m'a félicitée, en ajoutant qu'alors, il n'était pas né. A vrai dire, j'ai dû recompter, car j'avais du mal à le croire, mais si, cinquante ans. L'ataman de l'association des cosaques m'a aussi serrée sur son coeur.
Une vieille digne et souriante m'a dit, en voyant se préparer la procession: "Ah maintenant, on va bénir notre Jourdain de Pereslavl". Et elle a ajouté avec un air ravi que nous avions enfin un hiver normal. Monseigneur Théoctyste nous a prévenu qu'il commencerait la bénédiction dans l'église, car il n'avait pas envie de geler sur place. Le moment venu, nous sommes descendus vers la rivière, sous les arbres entièrement givrés, et nos haleines faisaient de grands panaches de vapeur. L'air scintillait de paillettes de glace en suspension. On avait découpé une brèche et dressé une croix translucide, ornée de petites lampes. Je regardais les cosaques, cramponnés à leurs lanternes et leurs bannières. On agitait sans cesse l'eau de la brèche pour l'empêcher de se refermer. Malgré ma doudoune, je sentais le froid me saisir, comme si une coque de glace se refermait sur moi, et je plaignais notre évêque, en ses ornements liturgiques blancs, sans gants, cela devait être dur. Au dessus des toits enneigés, je voyais un croissant livide et brillant et je pensais à la chanson d'Aristide Bruant:
"Elle voyait par les nuits d'gelée
La voûte étoilée
Et la lune en croissant
Qui brillait blanche et fatidique
Sur la p'tite croix d'la basilique
Rue Saint Vincent..."
Ce qui naturellement est un peu insolite dans un environnement aussi russe.
Pendant que nous remontions vers l'église, un couple a commencé à se déshabiller, et l'homme, vêtu d'une chemise blanche, s'est plongé dans l'eau noire par trois fois, avec un signe de croix.
Depuis le matin, et tout le temps du service, je me trouvais dans une sorte de joie paisible inexplicable, et je me souviens que lorsque ma tante Jackie était morte, j'avais ressenti la même chose, à l'église, comme un encouragement, le signe qu'on l'avait prise en mains et que tout allait bien pour elle. C'était la première fois, depuis qu'Henry nous a quittés, que je sortais de cette tristesse latente, avec un sentiment de confiance enfantine, comme si un ange souriant me disait au fond du coeur qu'on s'occupait des gens pour qui je prie...
la queue pour remplir les bouteilles |
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