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mardi 6 décembre 2022

saint Alexandre


C'est aujourd'hui la saint Alexandre Nevski et je suis allée à l'église, qui était bourrée. Il y avait tout le lycée orthodoxe, des gamins endimanchés partout, des cosaques, et tout le clergé local autour de l'évêque Théoctyste. J'ai fait prier pour le métropolite Onuphre, son troupeau persécuté, et pour les soldats qui se battent là bas, exposés à des sévices d'un autre monde, du monde à l'envers qu'on nous fait, s'ils ont le malheur d'être faits prisonniers. Une amie qui s'occupe d'humanitaire auprès des réfugiés et des soldats m'a demandé d'écrire des cartes de bonne année, il paraît que cela leur est très précieux, surtout celle des enfants, mais une vieille Française fera l'affaire aussi.

J'attends une amie orthodoxe qui vient se chercher une maison dans les parages.

Je lis dans le dernier Antipresse, celui des sept ans de cet organe, le bébé de Slobodan, dont je suis fière de figurer dans le trousseau:

 "Sans oublier notre extraordinaire communauté de lecteurs, qui est à la fois une alliée, une interlocutrice et une source d’informations et de belles histoires. Le bon docteur Hubert m’accueillant à ma descente de train à Pékin pour aussitôt m’emmener à travers la ville en vélo. Le mythique appartement-théâtre de Dany et Youri à Moscou. L’isba musicale de Laurence Guillon à Pereslavl, d’où elle nous adresse ses superbes chroniques… Et les framboises de Martin Dabilly dans le Yunnan, et la forge de Jocelyn Lapointe dans le Grand Nord canadien. Et l’irréductible petit royaume musical de Diane Tell dans les Alpes, voisinant presque avec le chalet-refuge du docteur Walter, le «médecin intérieur»… L’Antipresse aura été le trait d’union de toutes ces destinées et de tous ces témoignages humains. Avec le recul, j’identifie un fil rouge entre eux, entre nous. Nous n’étions pas du même monde, mais nous étions de la même famille".

C'est drôle, la musique, j'y suis vraiment venue tard, bien que je l'ai toujours aimée, j'étais plutôt graphiste et écrivain, mais Slobodan, et il n'est pas le seul, m'identifie comme une musicienne. 

Il définit le rôle et la vocation de l'Antipresse, outil d'analyse, de communication entre les anarques de diverses origines et nations, et grain de sable dans la Machine qui entend nous broyer tous. C'est drôle comme finalement, j'ai eu conscience de cette Machine et de ses intentions, depuis pratiquement les bancs de l'école, de façon d'abord instinctive, puis de plus en plus consciente. Je ne voulais pas m'inscrire là dedans, et si je ne suis venue à l'Education Nationale que forcée par la nécessité, c'est que je n'entendais pas non plus contribuer à y inscrire les autres...

Slobodan voit dans l'absence de spiritualité l'origine du manque de discernement actuel:"Une des leçons de ces années de transition, à mes yeux, est que les humains sans ancrage métaphysique — si instruits qu’ils soient — sont disposés à accepter et croire n’importe quoi, moyennant un peu de persuasion. Leurs facultés d’entendement s’arrêtent à la surface des phénomènes, sans capter leur dimension symbolique. Cela donne raison à Chesterton qui brocardait la crédulité des athées et des prétendus  rationalistes. Le spectacle des foules — ignares ou éduquées, civiles ou médicales — se trémoussant au son de la «science» pipée et s’appliquant à apprendre les pas de danse les plus désarticulés au nom de leur «santé», aura à cet égard été assez éclairant. Le recyclage des mêmes contorsions au profit de la «lutte pour le climat» ou de la «défense de l’Ukraine» a fait dériver la pièce vers un comique de répétition en fin de compte assez prévisible. L’an 2020 et ses suites, c’est le Ministère des Démarches loufoques de Monty Python reprenant la gestion des affaires globales".

C'est naturellement évident, et pourtant, je m'interroge au vu du nombre d'orthodoxes occidentaux qui ont marché allègrement dans la combine covid et marchent à fond dans la sombre combine ukrainienne, et depuis longtemps. Pourtant, dit Slobodan:"Pourquoi ce feuilleton russe? Dès le moment où la Russie a gravé dans sa Constitution la définition traditionnelle de la famille (un homme, une femme, des enfants), il est devenu évident que la lutte à mort avec le bloc transhumaniste était inscrite à l’agenda. Il est curieux que personne ne se soit sérieusement interrogé sur la portée de ce truisme, ou plutôt de la nécessité de le protéger juridiquement. Nous sommes entrés dans une drôle d’époque où les concepts les plus arbitraires semblent aller de soi, mais où les évidences de nature doivent être prouvées et défendues"

Il est bien clair pour moi que quels que soient les torts réels ou supposés du gouvernement russe et la corruption de ses fonctionnaires, le simple fait que la Russie aille contre le bloc transhumaniste suffit à la placer dans le bon camp, imparfait, mais bon; car celui d'en face est si mauvais, si antagoniste à tout esprit chrétien qu'on ne peut que le fuir en courant et s'en garder comme de la peste.

Combien d'orthodoxes occidentaux ont, par une détestation irrationnelle des Russes, ou par indifférence, ou conformisme, fermé les yeux sur ce qui se passait en Ukraine depuis huit ans, sur les persécutions envers le métropolite Onuphre et ses fidèles, sur le rôle infâme du patriarche de Constantinople dans cette affaire? On parle de déporter les orthodoxes d'Ukraine en Russie pour les protéger, qui restera-t-il sur le territoire autour des sanctuaires profanés? Les uniatoïdes au front bas du pseudo métropolite Epiphane et de l'infernal pseudo-patriarche Philarète?

J'ai trouvé sur facebook ce post qui m'a paru très juste. J'ai traduit l'ouvrage de Panarine, la Civilisation Orthodoxe, je pense l'avoir mal traduit, il était au dessus de mes compétences, et c'est dommage. 


RÉVOLTE CONTRE LE MONOPOLE OCCIDENTAL DE LA MODERNITÉ 


A la fin des années 1990, le philosophe russe Alexandre Panarine exprime une préoccupation grandissante face à la modernisation faustienne qui se propage sans réserve, et à l’objectivation du monde entier par l’Occident qui considère tout l’espace planétaire comme terrain à conquérir, à convertir et à soumettre à ses propres objectifs. Panarine prévient que le monde ne se pliera pas éternellement à une volonté extérieure d’un seul pôle qui se prend pour le sujet de l’histoire, laissant aux autres la place de ses objets, dont la volonté propre ne compte pas. 

Il écrit : 

Le désenchantement de l'histoire constitue, avec la disparition de la foi religieuse, le deuxième pilier du nihilisme occidental. L’Occident a perdu toute capacité de se projeter dans l’avenir. On n’y rêve plus d’un avenir qui serait très différent du présent, il n’y a plus d'espoir d'améliorer notre existence collective, on a perdu toute boussole de l’action historique. L’histoire ce n’est plus que le présent qui dure.

Mais si les sociétés « totalitaires » ont été, à juste titre, blâmées pour avoir sacrifié les individus sur l’autel du Sens de l’Histoire, cela ne veut pas dire que les grands desseins collectifs sont nécessairement une chimère nuisible. La grande perspective historique n'est pas un attribut des sociétés totalitaires prédémocratiques, elle fait partie intégrante de la culture humaine en tant que telle.

En paraphrasant Dostoïevsky, on peut dire que si la foi en l'avenir n'existe pas, tout est permis. L’absence de grande vision du devenir présage une grande instabilité civilisationnelle et met en cause la viabilité même de la civilisation occidentale. 

Incapable de se projeter en avant, l’Occident fukuyamiste ne peut que se projeter dans l’espace en poursuivant, de manière effrénée, sa conquête du monde.

L’état d’esprit « fukuyamiste » n’est pas minoritaire, il reflète la conscience de masse de l’Occident actuel. Le projet planétaire de la « modernisation » évoqué dans des milliers de publications ne s’inscrit plus dans la grille de temporalité classique : passé-présent-avenir. Il utilise plutôt la dichotomie « moderne vs archaïque ». 

Le « moderne » n’est pas simplement assimilé à ce qui vient de l’Occident, il est complètement monopolisé par l’Occident. A ce « moderne », il n’y a point d’alternative. Tout ce qui n’est pas « moderne » est « archaïque », et doit être modernisé bon gré mal gré.

Cette fixation, cette vision figée de la « modernité », est selon Panarine, contraire à l’esprit européen classique qui a toujours été capable de l'auto-critique, donc d’un renouvellement radical. Aujourd’hui, l’Occident semble avoir perdu les fondements de sa culture y compris la capacité de se réinventer. 

D’où l’hypothèse du penseur russe que l’Occident sera incapable de proposer une véritable alternative à la conquête faustienne du monde, à cette folle aventure moderniste qui a mis en péril la planète. Cette indispensable alternative, cette réforme intérieure profonde de l’humanité ne peut être engagée que par l’Orient.

****

Dans les années 1990-2000, ces paroles ne trouvent pas un grand écho en Russie. L’heure est à l’occidentalisation à marche forcée; de nombreux pays qui ont fraichement accédé à la « modernité » s’en abreuvent, et s’installent, rapidement, dans une dépendance vis-à-vis de nombreux biens qu’elle apporte. Certes, tout le monde n’y a pas accès dans la même mesure, mais le plus important est de convertir les élites. 

Cependant, depuis quelque temps, et surtout depuis le 24.02.22, la réflexion sur le monopole occidental de la modernité et les moyens d’y mettre fin reçoit une impulsion, et est en plein développement. 

La modernité - qui est, d’un côté, un accès aux biens et services du monde interconnecté et interdépendant comme jamais, et de l’autre, toute une superstructure idéologique - est ainsi perçue comme une arme redoutable que l’Occident utilise dans sa lutte pour l’hégémonie planétaire.


Pour l’un des théoriciens contemporains de l’idée du monopole occidental de la modernité, le philosophe Alexeï Tchadaïev, le 24 février 2022 et tout ce qui a suivi ont mis en évidence la véritable nature de la « modernité ».

Il écrit: 

« L'idée de "grandeur impériale" me laisse indifférent,  c’est le moins que l’on puisse dire. C'est une valeur très douteuse, tout comme le nationalisme ethnique, qu'il soit russe, ukrainien ou autre. Mais si la guerre actuelle a une utilité – c’est qu’elle nous a enfin permis de prendre conscience de ce que nous sommes devenus depuis toutes ces années. En outre, elle a révélé la véritable structure néocoloniale de la modernité, dissimulée derrière la formule de la « société de consommation post-perestroïka ». 

Les sanctions, la saisie des comptes, le gel des réserves de devises, la réquisition des biens, le bannissement total des Russes, la fermeture des frontières, le blocus médiatique, et le hatespeech mondial nous ont fait enfin comprendre quelle était la place de la Russie post-soviétique, telle qu'elle s'est construite depuis 1991, dans le monde global, et quelle était sa finalité supposée. En fait, elle était destinée à devenir tôt ou tard une autre "Ukraine" ou plusieurs "Ukraines", avec le "leader" du même acabit que Zelensky, à savoir Navalny, avec une "démocratie" dont la visée principale serait la lutte contre les "ennemis de la démocratie" ; avec une économie oligarchique et rentière, une élite "mondialisée" (ayant la propriété hors sol), une "classe créative" complétement alignée pour diffuser les consignes, et une participation docile au système de la "division mondiale du travail", la place au sein duquel serait décidée par les chefs politiques de Bruxelles et de Davos. 

J'ai enfin compris ce que le slogan de Fukuyama "La fin de l'histoire" signifiait pour nous : l'histoire n'allait certainement pas se terminer pour tout le monde, mais elle devait se terminer pour les Russes, qui n’en seraient plus les sujets actifs. 

Ainsi, le combat actuel est le combat pour garder notre place de sujets indépendants. Dans ce sens, cette guerre revêt une dimension de libération nationale, c'est-à-dire d'un soulèvement anticolonial. Et bien que le front des opérations militaires se situe en Ukraine, le combat le plus important se déroule en Russie elle-même. »


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