Ce monument, c'est Rosie perchée sur le tas de sable du voisin qu'elle accompagne à la pêche |
Je suis revenue aujourd’hui
de la pâtisserie d’une humeur massacrante, à cause de la fatigue et du temps
immonde. Je ne sais plus à quoi ressemble le soleil, à vrai dire, on a même l’impression
que le jour ne se lève pas, bien que théoriquement, depuis le 21, il rallonge.
On passe directement de l’aube au crépuscule, sans les couleurs qui vont avec l’un
et avec l’autre. Tout est gris, morne,
sale et moche. Rien de mieux qu’un tel temps, quand il n’y a plus de verdure et
pas de neige, et pas de soleil, pour voir les disgrâces de cette ville
autrefois si jolie, encore très pittoresque il y a vingt ans, et de plus en
plus abîmée, banale et sale. Didier me disait qu’il voyait des sacs poubelles
jetés le long de la rivière, près de la plage du lac. Quand j’allais encore
promener Rosie le long de l’ancienne berge escarpée, c’était pareil, des
décharges sauvages de tous les côtés. La cour des anciens baraquements que je
traverse pour raccourcir et éviter le marécage qu’est ma rue derrière la
maison, est jonchée d’ordures, un véritable dépotoir, d’où Rosie me rapporte
diverses pièces de choix, qu’elle dissémine à travers mon propre terrain.
Un concours étant
ouvert sur internet pour trouver un projet de monument à placer à l’entrée de
la ville pour la caractériser aux yeux des touristes, un plaisantin a proposé :
un écriteau noir avec « corruption » marqué dessus…
Didier n’arrête pas de
râler : on n’est heureux et tranquille que dans son cercueil, le monde
moderne est immonde et va à la catastrophe, la Russie est un pays sinistre avec
un climat de merde et des gens qui ne savent pas travailler. Et moi, je vais l’assister
parce que je ne sais comment me débiner, car je l’aime bien, j’aime bien tout
le monde, et c’est pourquoi je ne peux refuser, mais c’est une trop grosse
contrainte, je rentre chez moi à deux heures, sur place, une des employées
prépare une tambouille ignoble et grasse, qui fait grossir, l’alternative, c’est
le grignotage ou crever de faim ; j’ai mal aux genoux, et je reste trop
souvent debout. Avec Didier, je laisse
râler le chef, et en rentrant chez moi, je râle pour moi seule, et pour les
animaux : ces parasites ne mangent pas ce que je leur donne et je leur
donne ce que je peux. Dans un magasin je trouve pour les chats mais pas pour la
chienne, dans l’autre, c’est le contraire. Les chats ne veulent considérer que
les croquettes Purina en paquet métallisé, j’ai acheté Purina d’une autre
sorte, ils n’en veulent pas. La salope de chienne ne veut pas de la pâtée que
je mitonne avec de la farce, mais elle bouffe les merdes des chats et tout ce
qu’elle peut trouver de révoltant dans le périmètre. Les misérables chats
tordent le nez devant le fromage blanc
extra que j’achète au marché, du vrai fromage de vache normale, que je
paie deux fois plus cher qu’ailleurs pour ma propre consommation ! Bref je
donnerais tout ce paquet de connards pour mon petit Doggie toujours content, du
moins en de tels moments.
Didier fait des
chaussons aux pommes, maintenant. Je ne les ai pas encore goûtés, mais il y a
eu l’essai de galette des rois à la frangipane…
«Tu ne fais pas de mille-feuilles ? J’adore les mille-feuille, c’est
juste un peu difficile à manger…
- Difficile à manger,
le mille-feuille ? Attends… Tu ne sais pas ce que c’est qu’un vrai
mille-feuille. Je te fais un mille-feuille, tu n’auras pas besoin de serviette,
mon mille-feuille est fondant comme un pavé sur la gueule d’un flic ! »
Mais il a renoncé à en fabriquer, parce qu'il ne trouve pas ses collaborateurs à la hauteur de la tâche...