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mardi 12 juin 2018

12 juin.

La fête du 12 juin et ses jours fériés m'ont amené des visiteurs. Sveta est venue avec son mari Vinner me remettre des affaires que la vente de ma datcha avait jetées dans leur garage, soit un coffre de l'armée en bois, trouvé dans la rue par un ami et contenant une boîte en écorce de bouleau tressée magnifique, achetée à Pereslavl, et dont je n'ai jamais trouvé l'équivalent. Tout ce qu'on vend dans le genre et partout est affreux, dénaturé, n'a plus rien à voir avec une véritable tradition populaire et l'auteur de ma boîte lui-même s'était mis à produire de la merde, avec petits chats, petits garçons, petits filles dégoulinants de sirop, tout l'attirail du "souvenir" qui remplace partout l'art populaire et contribue à justifier le mépris dans lequel on le tient. Et puis une autre boîte en écorce de bouleau, peinte celle-là de motifs traditionnels du nord. Il y avait également une planche à découper de facture industrielle que j'avais achetée à l'épicerie de Férapontovo, dans le nord, à la vendeuse qui la décorait devant moi de motifs traditionnels authentiques et me l'avait vendue en me recommandant de la vernir moi-même, ce que je n'avais pas fait, et elle a un peu souffert, lors d'un écoulement d'eau le long du mur où elle se trouvait. J'ai retrouvé des choses que je croyais perdues à jamais, des livres, une paire de bottes fourrées finlandaises chaudes, confortables et chic que j'avais acquises du temps de ma splendeur, des objets qui me venaient de maman, ma boîte à couture en noyer qu'elle avait rangée chez moi avec amour et qu'un oncle m'avait offerte quand j'avais 18 ans... Les déménagements sont vraiment des naufrages et voilà que le ressac de la vie m'apporte ces épaves sur la plage de ma vieillesse!




Sveta et Vinner ont passé leur temps à me faire du bricolage. Dans la foulée, sont arrivés Xioucha et Igor, avec la cadette de Xioucha, Nina. Nina pleurait sans arrêt. D'abord elle a peur de la pluie et pas de chance, le mois de juin est pourri et pluvieux. Pour la distraire, nous sommes tous partis en vélo, profitant d'une éclaircie, pour le lac: quel magnifique spectacle, sauvez le lac et ce qui reste de Pereslavl, saint Alexandre Nevski, saint Nicétas et en général tout ce que compte de saints la terre "imprégnée de prières" de ce lieu vénérable!
Au retour, nous avons pris le chemin de "l'éléphant rose" qui est malheureusement devenu gris, ce qui ne le rend pas plus joli mais beaucoup moins rigolo, car Igor pensait y trouver l'endroit où il pourrait louer une barque le lendemain. A côté, c'était la fête "populaire", c'est-à-dire d'énormes structures en plastique gonflé avec des toboggans, une musique tonitruante, moche et étrangère, même si les paroles étaient en russe passablement abâtardi, et la vente de toutes sortes d'accessoires et de ballons fluorescents et clignotants. Nous sommes entrés au café français qui, exceptionnellement, n'était pas fermé en raison de l'affluence. Les jeunes serveurs affichaient des airs complètement consternés. Je les aime bien et j'ai fait mon possible pour ne pas ajouter à leur désespoir, mais quand même, une fois de temps en temps dépasser l'heure de fermeture sacro-sainte, dans le commerce, c'est quasiment inscrit dans le contrat, c'est comme cela, même à l'école j'ai fait des heures sup! Et j'ai pensé à Didier, que cette mentalité exaspère...
Mon regard est tombé sur un couple, la fille de dos, l'homme devant elle, un blond bien slave qui la regardait avec une sorte de désir attendri et d'émerveillement enivré: cela existe encore... Bonne chance à cet amoureux.
Xioucha m'a offert de la part de son père, qui est mon père spirituel, un livre sur Ivan le Terrible. Quelle délicate attention... Le père Valentin est un centre de documentation à lui tout seul, je ne sais comment il se retrouve dans sa bibliothèque, peut-être aussi vaste que celle d'Ivan le Terrible lui-même, et qui a transformé son bureau et sa chambre en un labyrinthe d'étagères, ni dans son propre cerveau, où tout cela est emmagasiné et ressort quand il le faut, le guidant infailliblement vers le livre nécessaire dans cet incroyable amoncellement...

Igor, Xioucha et Nina

Igor fait mine de jeter Nina à l'eau, ce qu'elle apprécie moyennement.
Il la surnomme "grand-mère".







mardi 5 juin 2018

Saint Nicétas

Au monastère saint Nicétas
Je suis donc allée à Petrovskoïé en évacuateur, avec un joyeux retraité qui avait mon âge et se tordait de rire parce que je lui avais dit que j'étais une vieille et que j'avais du mal à monter dans son camion. Il m'a aidée à boucler ma ceinture: "Allez, il faut bien que quelqu'un vous fasse la cour, puisque vous vous trouvez vieille!"
A Petrovskoïé, tout le monde me regardait d'un air goguenard, surtout l'inspecteur: ils n'ont pas souvent de personnages qui font immatriculer leur voiture trois fois en six mois, est-ce ma faute, s'ils ont de tels usages? "Oh, m'a dit la  dame qui m'a remis les nouvelles plaques, vous avez de la chance c'est encore un numéro miroir." (191). Et un type qui attendait son tour derrière moi me les prend des mains pour les admirer: "Quelle beauté!" me dit-il avec tendresse. Je dois dire que je n'ai pas trop bien compris ni la valeur du numéro miroir, ni la beauté des plaques d'immatriculation!
Chez moi, les trois loustics de Yaroslavl qui avaient fait ma barrière étaient revenus s'occuper de l'auvent. Je pourrai abriter la voiture cet hiver, et aussi le vélo, la brouette et autres glingues. Je les ai trouvés qui m'attendaient sur mon salon de jardin, et ils voulaient un café que je leur ai servi. En échange des thés et cafés, ils m'ont rendu quelques petits services.
Après le joli mois de mai que nous avons eu et dont j'ai bien fait de profiter eh bien c'est déjà l'automne. On se gèle tellement que j'envisage de rallumer le chauffage. J'ai ressorti une petite doudoune.
Dans l'après-midi, j'ai vu arriver ma nouvelle amie de Filonovo, Katia, Yekaterina Igorievna, qui m'apportait des plants de fleurs, et une dame à qui elle avait donné rendez-vous chez moi et qui venait de Borissoglebsk, à 80 km d'ici, un monastère contemporain d'Ivan le Terrible que je rêve d'aller visiter. Cette dame, Lioudmila,  m'a paru très fine, très intelligente et très distinguée, avec un éclair malicieux dans l'oeil. Elle s'occupe d'une revue orthodoxe locale, "Kovtcheg", l'arche. Elle m'a conviée à me joindre à une procession de 5 jours qui a lieu chaque année à Borissoglebsk: "Mais avec mon arthrose?
- Il y a une voiture qui suit, avec du personnel médical. Et puis vous savez, les gens viennent en chaise roulante, avec des béquilles et l'on en voit parfois qui se mettent à cavaler comme des lapins..."
Ensuite, j'ai suivi Katia au monastère saint Nicétas, c'est justement aujourd'hui la saint Nicétas le Stylite. J'ai prié saint Nicétas et saint Alexandre Nevski de repousser les promoteurs et les fonctionnaires locaux loin de ces terres sacrées et magnifiques, car saint Nicétas est bien le plus beau monastère de Pereslavl.
Les moines chantent avec sobriété et ferveur. L'église a été restaurée plus ou moins bien, mais l'iconostase est équilibrée, simple, en bois clair. En revanche, une affreuse barrière de bois peinte façon malachite m'a fait cuire les yeux pendant tout l'office. Le sol est également affreux, sans doute par manque de moyens, mais un choix de couleur plus heureux est toujours possible. Toujours est-il que le monastère semble apprécier quand même la simplicité, la pureté, et cela me plaît. Il y a un bon choix de livres religieux. L'église était complètement ruinée à l'issue de la période soviétique, je m'en souviens, j'avais visité les lieux en 99. Elle avait été bâtie par Ivan le Terrible, ce qui ne lui avait pas valu d'être épargnée. Elle conservait encore une ou deux coupoles couvertes de tuiles de bois essentées, comme il est de tradition dans le nord. Elle les a perdues dans le processus de restauration, sans doute était-il trop cher de les restituer. L'office était très long, avec lecture de l'acathiste à saint Nicétas, et sermon de l'évêque. J'avais très mal au genou. Je suis allée m'asseoir, mais je n'entendais plus grand chose. Par la fenêtre, je voyais tournoyer des mouettes dans le ciel nuageux monumental, au dessus des remparts blancs.
Dans l'assistance, beaucoup d'hommes, et des figures qu'on croirait issues d'un roman de Dostoïevski ou de nouvelles de Leskov, dans le genre barbu mystique.
Je n'ai pas tenu jusqu'à la fin. Debout, j'avais trop mal, assise, je ne participais plus. Alors je suis partie. En sortant, je me suis retrouvée face à ce ciel exaltant qui me faisait signe lorsque j'étais à l'intérieur, ce fascinant ciel nordique plein de lueurs. Saint Nicétas, saint Alexandre, ne laissez pas des richards et des fonctionnaires sans âme, sans entrailles, sans foi ni loi ni patrie, nous priver de ces lieux que vous avez habités et aimés, d'encore une réserve de beauté dans le monde hideux qu'ils nous font.

dimanche 3 juin 2018

Orages et papiers

passage de montgolfière
  

Je pense beaucoup à cette petite égise de Tverdilkovo et à tous ces gens, le pur Génia et sa famille, le hiéromoine Gouri, Yekaterina Igorievna … Il me semble avoir débouché là sur un milieu qui va bien me convenir.  Je voulais aller au monastère Nikitski, ce matin, mais je ne peux utiliser la voiture : le délai de mon visa et de mon enregistrement ayant expiré avant que je n’ai le RVP, le visa de 3 ans et l’enregistrement suivant, je n’ai pas pu prolonger l’enregistrement de la voiture, et on a signalé son numéro de plaque comme étant recherché, de sorte que si j’ai un accrochage je peux avoir des problèmes, ou si je tombe sur un contrôle de flic. Demain, j’ai rendez-vous une fois de plus à Petrovskoïé pour régulariser et j’y vais avec un évacuateur…
Enfin cette fois-ci, avec un délai de 3 ans, je devrais avoir la paix…
Je ne peux pas utiliser mon vélo, car Rosie m’a visiblement percé un pneu, et pour le faire réparer il faut emporter la roue en voiture chez le réparateur, et il faut aussi dévisser cette roue ou plier le vélo, je n’y arrive pas.
Et y aller à pied, c’est un peu loin, surtout avec de l’arthrose.
Reste le taxi, mais je n’ai que des coupures de mille roubles et ici, il faut de la monnaie sinon ils sont furieux.
 Les icônes sont ma meilleure façon de prier, elles m’apportent la paix intérieure, et j'y retourne. Je les fais en écoutant réciter les psaumes par les moines de Valaam. Leurs voix sont si paisibles et comme habitées par quelque chose de saint, et à force, je commence même à comprendre le contenu.
Dans l’après-midi, Nina est arrivée à l’improviste pour faire mon jardin, ce qui n’entrait pas du tout dans mes plans. Je voulais peindre, faire de la musique, le temps était très orageux, avec des moustiques déchaînés. Rosie, d’ailleurs, dans ces cas-là, revient dans la maison, pour avoir la paix. L’orage et les feux d’artifice la font également rentrer. 
Nina a voulu absolument tondre le jardin, et je tremblais qu’elle ne me coupe quelque chose, d’ailleurs, à certains endroits, je m’accommode très bien des hautes herbes. Puis elle s’est attaquée aux branches sèches, aux branches basses et m’a donné des tas de conseils… Et elle est repartie aussitôt à Kostroma. 
C'était très gentil, et en même temps, je me sens dépossédée de mon jardin et de la façon dont j'entends l'organiser. C'est le problème des femmes russes: un peu intrusives... Je cherche à faire un jardin qui me permette de garder des zones sauvages, qui soit facile à gérer, et j'agis par petites touches prudentes...

Le ciel ce soir


dimanche 27 mai 2018

Trinité à Tverdilkovo


Aujourd’hui, c’était une de mes fêtes  préférées, la Pentecôte, qu’ici on appelle la Trinité, une des fêtes dites du Saint Esprit, et celle-ci en rappelle la descente sur les apôtres..
Néanmoins, mon inertie intérieure est telle que je ne m’y étais absolument pas préparée. J’avais juste lu la veille dans le livre du père Costa de Beauregard « Prie comme tu respires », des considérations qui s’appliquaient tout à fait à mon cas.
J’avais rendez-vous au village de Tverdilkovo avec Génia et sa famille, Génia étant l’homme qui défend avec foi, douceur et détermination les quarante hectares de parc naturel autour du monastère saint Nicétas, de la source du même, et les berges du lac immortalisées dans le film « Alexandre Nevski », contre l’avidité et la grossière bêtise des promoteurs moscovites et des fonctionnaires locaux. Nous ne nous étions jamais rencontrés, mais le contact a été immédiat.
Le village se trouve dans la direction de Iouriev Polski, après celui de Filimonovo, où le cosaque Boris a un terrain où il voudrait fonder une communauté en permaculture. Les paysages sont magnifiques, vallonnés, très ouverts, avec de grands prés, des bosquets à l’infini sous le grand ciel du nord en perpétuelle débâcle, avec ces églises couleur des nuages qui surgissent comme des apparitions, au dessus de la verdure et des isbas colorées.  En chemin, je ruminais mon état spirituel lamentable et m’adressais à Dieu : « Seigneur, j’ai bien compris que je suis tout à fait minable, tire-moi donc du trou ! »
Je suis arrivée par un vent vigoureux, émerveillée par l’endroit. L’église est en cours de restauration, très simple, et ce dénuement lui évite les dérives de mauvais goût toujours possibles. Elle était jonchée de foin coupé, comme toujours ici à la Trinité. J’étais en retard, mais le prêtre aussi, c’est un hiéromoine, le père Gouri. Je suis ressortie pour regarder ces jolies maisonnettes russes, l’humble petit cimetière, et me suis retrouvée en train de converser avec deux vieilles, car les gens sont là bas très chaleureux. Elles visitaient leurs tombes, comme c’est  l’usage pour cette fête, et commentaient l’existence des uns et des autres, comme mon grand-père ou ma cousine Dany en de telles circonstances. J’avisais une rangée de magnifiques consoudes bleues que Nina me déconseillait pour chez moi. «Ca fait partir les orties, me dit une des vieilles, là où elle pousse, plus d’orties. » Je lui demande : «A qui est consacrée l’église ?
- A la Trinité, répond-elle
- C’est quoi, la Trinité ? Sophia, Nadejda, Lioubov?demande sa copine.
- C’est tiens, regarde ! » Elle fait le signe de croix : « Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ! » Puis elle ajoute : «Quand même, et dire que nous n’avons même pas une icône de la Trinité, dans l’église !"
Plus tard la même vieille, me louant Pereslavl, en attribuait la fondation à Pierre le Grand.  «Non, dis-je, c’était bien avant, Alexandre Nevski y est né.
- Bon, mais il a fait la flotte russe, à Pereslavl.
- Oui, ça d’accord. Et puis Ivan le Terrible y a beaucoup construit.
- Lui, il a tué son fils, alors je ne l’aime pas.
- Pierre le Grand aussi a tué son fils.
- Jamais entendu dire. »
Il l’a même fait périr avec préméditation sous le knout, alors qu’Ivan le Terrible ne voulait pas tuer le sien… Mais c’est comme ça, l’occidentaliste Pierre est toujours présenté sous un bon jour par les intellectuels et les instituteurs.
De retour dans l’église, je vois arriver notre hiéromoine Gouri, petit homme assez insignifiant, et voilà Génia qui nous fait un discours : «C’est une grande fête, aujourd’hui, et que vous vous soyez ou non préparés, allez vous confesser au père Gouri, il vous dira si vous pouvez communier ou non mais vous aurez au moins soulagé votre âme ».
J’opère un repli prudent vers l’extérieur et tombe sur la femme de Génia, Ira, qui me dit avec chaleur la même chose. « Je crains un peu les hiéromoines, lui dis-je, ils sont souvent raides comme la justice !
- Pas notre père Gouri ! »
Je retourne dans l’église, qui me plaît beaucoup à tous égards, ainsi que ses paroissiens, et me souviens de ma prière de tout à l’heure : «Tire-moi du trou ! »  Je prends mon courage à deux mains et vais trouver le père Gouri, et me surprend à parler, parler, et lui écoute sans rien dire, mais avec une grande douceur. «Si vous n’avez pas d’énergie et que tout cela vous pèse, c’est peut être aussi que cela n’est plus de votre âge, vous avez fait beaucoup d’efforts pour vous installer ici, allez communier. »
Il m'a rappelé un prêtre que j'avais vu chez le père Valentin. A première vue, je l'avais trouvé très laid, un peu ridicule, une vraie tête de savant Cosinus à lunettes hirsute. Et puis je m'étais rendue compte au bout de quelques temps que j'étais en train de lui raconter toute ma vie avec les détails et que j'éprouvais une vraie libération à le faire. J'avais demandé ensuite au père Valentin qui était cet homme étonnant. "Oh m'avait-il répondu, c'est quasiment un saint".
J’avais la sensation d’avoir trouvé ma niche spirituelle dans le coin. Mais en réalité, je l’ai su plus tard en discutant avec Génia et les autres, la niche est beaucoup plus près de moi que le merveilleux village, c’est ce même monastère saint Nicétas, dont l’higoumène est le père spirituel de tous ceux qui m’entouraient là bas, c’est aussi celui de mon plombier, d’ailleurs. Le frère du père Boris que l’on considère déjà comme un saint, le père Dimitri. A la suite de son frère, il se met en quatre pour restaurer les églises des villages du coin. Les moines viennent à tour de rôle officier une fois par mois.
Celle de Tverdilkovo a deux néomartyrs de Russie en attente de canonisation, un hiéromoine, le père Barsanuphe, fusillé en1937 et un jeune prêtre marié d’une grande beauté, Alexandre, je crois, mais je n’ai pas eu le temps de lire ce qu’on en dit, il semble avoir été fusillé en 42.
Après la liturgie, tout le monde, c‘est à dire une dizaine de vieilles et quelques moscovites en vacance, mange ensemble ce qu’ont apporté les uns et les autres, surtout Génia et sa femme Ira. J’ai fait connaissance avec une dame, Yekaterina Igorievna, qui écrit pour les enfants, elle est biologiste et a une datcha à Filimonovo. C’est une spécialiste de l’évêque chirurgien saint Luc de Crimée.
Nous sommes montés sur le clocher, pour regarder le panorama, à perte de vue ces ondulations de terre, vertes et bleues. Puis ma nouvelle amie m’a invitée à Filimonovo, dans son isba décorée. Nous avons bavardé à n’en plus finir, car nous nous sommes entendues sur presque tous les sujets.  Elle trouve qu’un adulte qui n’a pas sauvegardé son enfance n’a aucun intérêt.  Elle connaissait beaucoup de choses sur l’imprimeur d’Ivan le Terrible, Ivan Fiodorov, qui était un homme étonnant, un idéaliste et un lettré, car elle avait écrit à son propos une histoire pour les enfants. Ses livres se vendent bien, et c’est parfait, car elle s’efforce de rendre aux enfants ce dont la politique mondialiste, qui s’efforce partout d’imposer ses dikats,  cherche à les priver : leur lien avec leurs parents, leur sol, leur histoire, leur culture.
Elle trouve les gens de Pereslavl très sauvegardés, simples et bons et souvent très croyants, ce qui me paraît exact.
Sa maison était envahie par les moustiques, ce qui m’a réconciliée avec mon marécage, où ils sont finalement moins présents ! Elle est juste en face du terrain du cosaque Boris.
Pendant que nous jacassions, son mari m’avait déterré un plant de rose trémière…
Avant de me quitter, Génia et sa femme m’ont dit : «Vous savez, maintenant que l’on vous tient, on ne vous lâche plus ! »
En réalité, j’ai le plus grand respect pour à peu près toutes les paroisses et gens d’église que j’ai vus ici, mais il arrive que l’on se sente chez soi, ou pas. Il semble que dans l’orbite du père Dimitri, que je ne connais pas encore, j’ai des chances d’être à la place qui me convient…
Cette journée de la Trinité s'achève, après un gros et bref orage, par un bel arc-en-ciel.

Cette jolie maison est à vendre.

L'église de la Trinité à Tverdilkovo

au cimetière

gros spitz?

Deux paroissiennes arrivent avec leurs branches de bouleaux





La maison de Yekaterina Igorievna

Le terrain du cosaque

La village de Filimonovo

L'église de Loutchinskoïé



mercredi 23 mai 2018

Chaussettes...

Pour me changer de la clôture, j'ai passé la débroussailleuse. En réalité, je vais faire de la sculpture de terrain, je ne vais pas tout passer à la tondeuse, mais ménager des zones sauvages, c'est conseillé par la permaculture russe et pas seulement russe. En revanche, il faut délimiter ces zones. J'en ai deux vraiment humides, je vais les abandonner aux roseaux, planter dans l'une un saule nain, dans l'autre des hostas qui proliféreront comme ils voudront. Le long de la maison, côté sud, je vais faire une banquette d'hémérocalles, elles aiment les marécages. En Russie, elles, forment des touffes énormes, et sous ces touffes, pas besoin de tondre. Au milieu de la banquette pousse aussi une belle touffe d'oseille, je vais régulièrement m'y servir. Elle a poussé toute seule et je la ménage, comme la menthe.
Dans l'après midi m'appelle Boris le cosaque: "Larissa (c'est comme ça qu'il a décidé de me nommer), je suis à Moscou, mais ma femme est devant ta porte, va lui ouvrir, elle t'a tricoté des chaussettes...
- Des chaussettes?
- Oui, va lui ouvrir."
Je trouve derrière le portillon sa femme Ira, sa fille Marfa et les chaussettes. "Elles sont inusables et chaudes". Merci Ira, merci Marfa... Elles n'ont pas voulu entrer, elles allaient se promener.
Je ne fais pas les trois quarts de ce que je dois faire, c'est effrayant. Je voulais louer les services d'un tondeur de terrain, mais c'est sûr qu'il ne pratiquera pas la tonte chirurgicale et sélective, il va tout me ravager, l'oseille, les orties, les roseaux...
Je vais donc peut-être payer plutôt un peintre de clôture.
J'ai été contactée par Yevgueni, qui défend la berge du lac contre les promoteurs, il vient passer l'été dans son ravissant village jusqu'à présent épargné par le siding et la tuile métallique, et me propose de faire connaissance avec lui, sa famille et son prêtre le jour de la Trinité, c'est-à-dire dimanche. Ce même jour débute un grand festival de folklore à Rostov le Grand...
Une fois tondus les emplacements, je délimite les espaces où je vais faire un potager en carré, mais je pense que le potager lui-même attendra jusqu'à l'été prochain. Je pose les planches de mon ancienne palissade par terre en ménageant des espaces.
D'ailleurs, je fais cela dans tout le jardin, une succession d'espaces.


mardi 22 mai 2018

Temps béni...

Quand il fait beau, ici, c'est si délicieux que j'en ressens une sorte de permanente ivresse: l'air léger et lumineux est constamment brassé  par un vent qui m'évoque celui dans lequel Dieu se manifeste au prophète de la bible. Infiniment mystérieux, radieux, d'une discrète majesté...
Au petit matin, qui est déjà le plein jour, il fait jour à quatre heures et demie, vraiment jour, avec du soleil, je suis allée, dans ce vent rêveur et tendre, peindre ma palissade. Le bleu avance, et il me plaît, sa transparence évite le côté criard et plat qu'aurait une peinture opaque, et donne l'effet d'aquarelle d'une peinture déjà vieillie. Ce bleu atténue le vert de la maison, et fait ressortir celui de la végétation et les couleurs des fleurs, il va bien avec le ciel, et je crois qu'il ira aussi très bien avec la neige et les nuages, comme avec les feuillages d'automne.
Ce temps enivre aussi mes chats, qui gambadent autour de moi, euphoriques,  comme dans une BD de Gaston Lagaffe. Ils sont très heureux, ici, plus heureux qu'à Cavillargues et se disputent beaucoup moins. Rosie apprécie également de me voir passer mon temps dehors, et quand j'ai pris la poussette des courses pour aller à la "base des légumes", elle s'est mise à pousser des gémissements de joie.
Il y a des moustiques le soir, mais dans la journée, le vent béni, le souffle pur du lac, nous en débarrasse, je peux même faire la sieste dans mon hamac. Et j'ai fait l'acquisition chez IKEA d'une table et de chaises de jardin, vite colonisées par les chats.
Les choses avancent petit à petit, je cherche naturellement des moyens de limiter la quantité de travail, tout en faisant quelque chose d'esthétique. Mais c'est l'organisation, la mise en place qui demande le plus d'efforts.
J'ai pris le parti d'aménager le jardin tel qu'il est, en m'adaptant au terrain. Je ne cherche pas à faire un jardin impeccable, au contraire, je veux lui garder un aspect modeste et échevelé, avec des fleurs du pays, aucun exotisme.
Finalement, même le saule "rakita" serait trop grand pour mon jardin (quoique naturellement, j'ai peu de chances de le voir dans son développement maximum), mais j'ai trouvé une autre variété de saule nain en forme de ballon, qui monte à maximum trois mètres.
J'ai parfois une étrange sensation, ici, une sensation de transplantation. Je suis si fondamentalement ailleurs... Dans un endroit que j'aime, que j'ai choisi mais vraiment ailleurs.
Tout ce que je lis et vois sur la France, et sur la profonde bêtise d'une partie de mes compatriotes à la cervelle lavée qui se laissent manipuler comme de petites marionnettes me fait froid dans le dos. La seule raison pour moi d'espérer est que le père Placide ait existé, qu'il ait fondé ses monastères, si beaux et si rayonnants, qu'existe aussi Cantauques, des personnalités comme le père Costa de Beauregard ou le père Boboc, j'y vois le signe que Dieu n'a pas abandonné la France, de la même manière que le métropolite Onuphre est la preuve qu'il n'a pas abandonné l'Ukraine.
Ce serait une bonne chose de traduire les vidéos du père Costa de Beauregard en russe, ses livres, ceux du père Placide, et réciproquement, il y aurait beaucoup de livres russes à traduire en français, mais il me semblerait important que les Russes eussent connaissance de ce qui se passe chez nous de salvateur. Cependant, cela n'est pas du tout dans mes cordes, je fonctionne du russe en français.
Le café français cherche désespérément des collaborateurs qui seraient vraiment intéressés par l'apprentissage du métier de pâtissier boulanger et en particulier quelqu'un qui pourrait seconder Didier et répercuter ses instructions...






dimanche 20 mai 2018

Ascèse


Finalement, j’aime bien l’hiver, parce que je n’ai pas de travail dehors, et la température dans la maison est constante.
J’aime beaucoup jardiner, mais la tâche devient au dessus de mes forces, d’autant plus qu’il faut aussi bricoler dans la maison, ce que je remets à plus tard, et peindre la nouvelle clôture, ce qu’il faut faire avant la fin de l’été.
Les « adventices » sont exubérantes et coriaces, dans mon marécage, et je laisserais certaines parties du jardin à l’état sauvage si je n’avais l’invasion de la berce du Caucase, qu’il faut empêcher de se développer et de grainer , qu’il faudrait exterminer, je ne sais comment, car elle a colonisé toute la partie nord.
Je n’arriverai pas à avoir de potager, même modeste, cette année, je me contente de mettre en place ce qui me permettra peut-être de le commencer l’année prochaine.
J’ai lu un des journaux que Nina m’a donnés, c’est la permaculture à la russe, et c’est bien, car cela tient compte de nos conditions locales, forcément. Un article conseille ce que j’ai fait : planter des arbres, pas forcément fruitiers. Pour l’équilibre naturel du lopin, pour les oiseaux, les insectes et les champignons. J’en ai planté au premier chef pour des raisons esthétiques : cacher la maison moche du voisin et le bordel dans sa cour, avec tous ses engins. Et aussi pour les oiseaux, j’ai planté justement un sorbier des oiseaux. Ici, d’ailleurs, on en consomme les baies, cela fleurit au printemps et c’est ravissant à l’automne. J’ai planté un merisier, même chose.
rakita
J’ai un saule qui a poussé tout seul à la limite sud de mon lopin, à l’endroit le plus marécageux, et j’ai envie de lui adjoindre un saule local du nord appelé rakita qui a une forme ronde, très esthétique, et ne vient pas trop énorme, mais il me faut en trouver un. Cela supprimera la possibilité de cultiver à cet endroit là, mais d’un autre côté, si jamais les voisins construisaient, cela me cacherait leur maison, et cela pompera une partie de l’eau excédentaire.
Pour les arbres fruitiers, je m’oriente vers les nains en forme de colonne. Je vois que pas mal de Russes adoptent cette solution, et dans mon marécage, cela vaut le coup d’essayer. Ils ont moins de développement, un système racinaire plus réduit, le conseil donné est, dans les marécages, de ne pas creuser de trou pour planter, mais au contraire de ménager une « colline », d’importer de la terre et de planter au dessus du niveau du sol.
Ces arbres fuitiers ont une durée de vie réduite, mais je peux désormais dire que moi aussi.
Pour le reste,  dans l’avenir, je pense que j’aurai des légumes sans trop de problèmes, étant entendu que certains légumes ne mûrissent qu’en serre.
Une fois exterminée la berce, je pourrais laisser des zones sauvages, d’autant plus que les plantes sauvages ont toutes sortes de vertus. Nina m’a montré qu’on pouvait jeter une branche d’ortie dans une carafe d’eau pendant quelques heures, cela donne une excellente boisson revigorante et fraîche, délicieuse avec un peu de citron.
Toujours est-il que je suis un peu dépassée par la situation, je suis crevée.  Hier, je n’ai pas eu le courage d’aller à l’église. Je pensais à la vidéo du père Costa de Beauregard. Je suis tout aussi convaincue que lui que les temps sont courts, et qu’est-ce que je fais ? Je vis comme si j’avais tout le temps. Il est vrai que j’ai vu une autre vidéo de lui sur l’ascèse, que je ne pratique vraiment pas, ou par la force des choses (la santé qui m’impose un certain régime alimentaire peu gras, mais j’abuse du sucre. L’abstinence qui m’a pourri la vie, mais j’avais du mal à me livrer à des coucheries décevantes ou à l’abus de confiance qui consiste à mettre dans son lit quelqu’un qu’on ne supportera pas à long terme, le sexe, pour moi, ça va avec l’amour, c’est comme ça…). L’ascèse m’emmerde au plus haut point, les textes ascétiques m’emmerdent. Une assertion comme celle du père Serge, que pourtant je vénérais : « Si tu as envie d’une femme, imagine-la dans son cercueil » me révolte profondément. Car il me semble que c’est Dieu qui a fait cette femme belle et désirable et qui l’a équipée pour faire l’amour et des enfants, et quand on aime cette femme, on aime le tout que forment ce corps et cette âme indissociables sur terre, ce qui pourrit dans le cercueil, ce n’est plus la femme qu’on aime, c’est ce qui en reste, après que l’âme soit partie. Une telle pensée me paraît atroce et étrangement impure.
Le père Costa de Beauregard ne semble pas un fan de l’ascèse rigoureuse non plus, ou plutôt il en a une autre idée qui rejoint un peu ce que disait le père Elisée à Solan. Il recommande une ascèse qui ne soit pas unqiuement centrée sur la nourriture et le sexe, une ascèse de l’amour. Prier pour les autres, prier pour ceux qu’on déteste, par exemple, pour des gens qu’on pourrait juger indignes de cela. Eh bien ça, c’est quelque chose que je fais, et par rapport à ma jeunesse, je suis devenue beaucoup plus indulgente, et j’arrive à ne pas me laisser aveugler par un seul aspect du comportement d’une personne pour la juger en bloc, mais à considérer l’ensemble de sa vie, l’ensemble de ses attitudes, et donc à relativiser et à pardonner.
La mère Hypandia, qui a éclaté de rire à juste titre le jour où je lui ai dit que mon filleul Antoine me considérait comme son lien avec Dieu, m’avait présentée à une higoumène russe en lui disant : «C'est Laurence, elle a un cœur d’enfant ».
Eh bien oui, c’est un peu tout ce que j’aurai à rendre au Seigneur, un cœur d’enfant, et même d’enfant gâté, un peu capricieux, mais comme je le disais au père Placide qui avait semblé surpris et songeur, le Christ nous dit de ressembler à des enfants, est-ce que les enfants vont spontanément vers la souffrance ? Ils vont vers la joie de vivre, l’extase de la vie, j’ai toujours cherché Dieu dans l’extase de la vie qui ne me paraissait jamais suffisante, qui allait croissante jusqu’à je nesais quel absolu, et non à travers une horreur de la vie qui me semble assez malsaine.
C’est pourquoi j’aime saint Porphyre, qui pourtant pratiquait l’ascèse, mais d’une façon si lumineuse et si miséricordieuse, je me répète souvent sa phrase si profonde : « Pour être chrétien, il faut être un peu poète… »
Je suis une chrétienne enfantine et poète. Et quand je m’impose des choses à contre-cœur, parce que « je le dois », je pense que je ne suis pas dans le vrai, d’après le père Costa deBeauregard, et d’après le père Elisée et même le père Krestiankine qui disait : « Ne vous laissez pas enfermer dans les règles de prière, mais entretenez-vous avec Dieu aussi souvent que vous le pouvez ». Je compte sur l'indulgence de Dieu, comme tous les enfants gâtés.


le père Costa de Beauregard: l'ascèse...