Laurence au bord de la mer Blanche par Anna Messerer |
Me
voici vraiment au bout du monde, c’est-à-dire au bord de la mer Blanche, dans la bourgade de Rabotcheostrovsk, et le
bord de la mer Blanche, ce n’est vraiment pas la côte d’Azur. Début août, c’est
l’automne, la pluie, le froid, les feuilles jaunissantes, mais les moustiques,
eux, n’ont pas encore compris que la saison est terminée.Il y a partout du goulag dans
l’air. Hier, j’ai vu une église bâtie à la mémoire des
« constructeurs » du Bielomor Kanal. Que signifie ce terme ?
Ceux qui l’ont projeté et dirigé ou, plus probablement, ceux qui sont morts à la tâche et dont les os jonchent son passage? L’église a des
coupoles de bois et une carcasse en béton brut. Cela peut être un parti pris,
étant donné le contexte. Mais
l’intérieur est tapissé d’un marbre poli qui jure terriblement avec le reste.
Le reste est homogène, jusqu’à l’église de béton et autour d’elle, une étendue
de bitume où ne pousserait pas un brin d’herbe. L’église du Goulag. Le marbre
n’y est pas à sa place.
Nous avons roulé toute la journée, 900 km, moi pas tellement, parce que Sacha a confisqué ma voiture, j’ai senti dès le début, aux multiples remarques qu’il me faisait, que ne pas conduire le rendait malade, et puis ma voiture lui plaît. Le paysage est devenu de plus en plus austère, automnal et pluvieux, avec de magnifiques nuages, sombres et intimidants, des pins, de petits bouleaux, des lichens blancs pareils à des cheveux frisés, pratiquement aucune habitation, et des bourgades hétéroclites qui ressemblaient à des accumulations accidentelles de baraquements. Le style Goulag. Quand l’impression Goulag recule, on pense à la musique de Sibélius ou de Sviridov. Ou au Seigneur des Anneaux.
Nous avons roulé toute la journée, 900 km, moi pas tellement, parce que Sacha a confisqué ma voiture, j’ai senti dès le début, aux multiples remarques qu’il me faisait, que ne pas conduire le rendait malade, et puis ma voiture lui plaît. Le paysage est devenu de plus en plus austère, automnal et pluvieux, avec de magnifiques nuages, sombres et intimidants, des pins, de petits bouleaux, des lichens blancs pareils à des cheveux frisés, pratiquement aucune habitation, et des bourgades hétéroclites qui ressemblaient à des accumulations accidentelles de baraquements. Le style Goulag. Quand l’impression Goulag recule, on pense à la musique de Sibélius ou de Sviridov. Ou au Seigneur des Anneaux.
A
l’arrivée, nous sommes allés acheter les billets pour le ferry qui va aux
Solovki. C’est ici l’usine à touristes, mal organisée. Un seul café, infesté de moustiques. Le centre pour les
pèlerins n’est absolument plus de mon âge, on y dort sur des châlits communs (encore
une allusion involontaire au Goulag !) et les toilettes à la turque sont dehors dans la
cour. Or j’ai tellement mal au genou et pas seulement, que la dureté des
châlits m’empêche de dormir et que les toilettes à la turque sont pour moi
impraticables, car une fois accroupie, je ne peux me relever qu’en prenant
appui, et m’appuyer sur le sol de toilettes à la turque, je ne vous ferai pas
de dessin…
J’aurais
pu dormir à l’unique hôtel, et mes compagnons de route l’auraient souhaité
également, mais voilà, dans tout le coin, personne ne prend la carte bancaire,
et bien entendu, pas de distributeur de billets à moins de 15 km de distance.
Pas
de place sur le ferry avant midi, nous perdons toute la matinée. En revanche,
pour revenir, pas de place le lendemain après midi, il faudrait repartir à
l’aube. Et pas de place le surlendemain matin. Nous avons trouvé un retour sur
bateau privé pour demain soir. Ce qui nous oblige à coucher dans le seul hôtel
ou à nouveau dans le centre d’hébergement des pèlerins, ou bien à repartir de
nuit, mais la distance est telle, dix heures de route, qu’on peut hésiter.
Pour moi, cela ne change rien, car sur les châlits avec l’envie de pisser
nocturne et la perspective des acrobaties dans les toilettes à la turque, je
peux aussi bien conduire et dormir de temps en temps une demie heure au bord de
la route…
Au
matin, je suis sortie avec Anna, et nous avons découvert le panorama de la mer Blanche, qui est grise, avec des rochers bruns et des envasements jaunâtres,
des barques échouées, et d’un côté, une église, de l’autre, le décor du film
« l’île », qui a été laissé sur place et s’inscrit beaucoup mieux
dans le paysage que l’unique maison en plastique, avec son toit métallique bleu
vénéneux, qui casse complètement l’extraordinaire atmosphère mystique du lieu,
car, au-delà du Goulag et de Sibélius, le nord, cet extrême nord, ce bout du
monde, c’est un peu le bord du Styx et le passage vers un tout autre monde.
J'ai le look superposition, à cause du froid et des moustiques, j'ai vu par la suite que je n'étais pas la seule. |
Anna et Sacha Messerer photographiés par Sacha Pesterev |
descente vers la mer |
Le décor de "l'île" |
Les bords du Styx |