« Poursuivez
l’amour. Recherchez l'amour de Dieu chaque jour. Avec l'amour vient
toute la multitude des bienfaits et des vertus. Vous aimez de sorte que
vous êtes aimés des autres en retour. Donnez à Dieu tout votre cœur,
afin que vous demeuriez dans l’amour :
"Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui." (1 Jean 4:16).
Vous devez faire preuve de beaucoup d'attention dans vos relations l’un
avec l’autre et vous respecter mutuellement en tant que personnes
sacrées, en tant qu'images de Dieu. Ne focalisez jamais votre regard
vers le corps ou vers sa beauté, mais vers l'âme.
Faites attention au sentiment d'amour, car lorsque le cœur n'est pas
réchauffé par la prière pure, l'amour risque de devenir charnel et
contre nature. Il court le risque d'enténébrer l'intellect et de brûler
le cœur.
Nous devons vérifier chaque jour que notre amour procède toujours bien de celui qui nous lie au Christ.
Celui qui veille à garder pur l'amour,
sera protégé des pièges du diable qui essaie lentement - lentement de
transformer l'amour chrétien en un amour ordinaire et simplement
émotionnel. »
St PAÏSSIOS
ma mère... |
J'aime beaucoup saint Païssios, mais quand je lis ce genre de textes, je me demande au fond si je suis vraiment chrétienne. Je comprends qu'un moine qui veut complètement se consacrer à l'amour total et universel ne puisse s'embarrasser d'une famille, le père Barsanuphe me disait: "J'ai renoncé au fromage pour avoir le dessert." Ca je comprends. Mais que veut dire: "l'amour risque de devenir charnel et contre nature?" Car l'amour charnel est éminemment naturel, comme tout nous le démontre partout. Tout, les fleurs, les oiseaux, les insectes, les mammifères et nous mêmes. S'il y a une chose qui me parait vraiment naturelle, vitale et tyrannique, c'est bien celle-là, c'est même de ne pas s'y livrer qui n'est pas naturel, et qui vous le rappelle par des crises de tristesse profonde, de détresse sans remède et des manifestations psychosomatiques diverses.
Saint Paul en remet une couche dans l'épître que j'ai lue ce matin. "Le corps n'est pas fait pour la fornication". Eh bien si quand même, un peu, et du reste ailleurs, il écrit avec réalisme qu'il vaut mieux se marier que de brûler. Je suis prête à entendre toutes les explications qu'on voudra bien me donner, car je ne les ai pratiquement jamais obtenues. Dieu fabrique deux êtres différents et complémentaires, un homme, une femme, complémentaires physiquement et intellectuellement, sans doute même spirituellement. Complémentaires comme la prise du fer à repasser mâle et la prise à repasser femelle utilisées par ma tante Renée, il y a fort longtemps, pour m'expliquer concrètement ce que je savais au fond déjà, tellement c'est simple et logique. Il s'est arrangé en plus pour que l'opération soit le résultat d'un enivrement mutuel intense et d'un acte qui prévoit, en principe, si l'on fait abstraction de tous les procédés barbares inventés par la bigoterie du XIX° siècle pour rendre la chose mécanique et sinistre comme un film porno, d'un plaisir tout aussi intense. C'est prévu pour ça, c'est inscrit dans notre chair, et même, ce plaisir contribue à favoriser la procréation à laquelle nous étions invités à participer de façon furtive, triste, moche et probablement douloureuse par cette même bigoterie. Evidemment, un phénomène aussi puissant engendre toutes sortes de dérives et de vices, mais cela est un autre débat. Séparer le corps d'une de ses fonctions me paraît une étrange gymnastique cérébrale et même, à la limite, séparer le corps et ses fonctions de l'âme à laquelle il sert de matrice. Il ne viendrait pas à l'idée d'interdire de regarder la beauté de la nature que nous percevons par les yeux ou bien de nous dire de fermer nos oreilles aux magnifiques chants d'église, ou à la musique classique, de ce côté-là, pas de problèmes. Notre équipement naturel et les joies qu'ils nous procurent ne sont ici pas trop remis en question, et Dieu sait que j'ai regardé de tous mes yeux et écouté de toutes mes oreilles, et je continue à le faire.
Encore que là aussi, cela pose question. Ne focalisez pas sur la beauté, ne regardez que l'âme, comme si, souvent, l'une n'était pas fonction de l'autre! Effectivement, il y a des gens qui sont très beaux d'aspect et peu reluisant à l'intérieur, mais je ne crois pas que cela soit systématique. Quand le prince Muichkine est tétanisé par la beauté de l'apparemment infernale Nastasia Philippovna, il saisit que son âme est plus noble qu'elle n'en a l'air. La "beauté" d'un être vil est souvent vulgaire et déplaisante. Si l'on regarde par exemple Macron, il a techniquement des traits plutôt harmonieux, et nombre d'imbéciles ont voté pour lui parce qu'ils le trouvaient beau. Or il a tellement l'air d'un traître, d'un personnage à la fois vaniteux, arrogant et plein de bassesse, que personnellement, il ne m'aurait jamais rien inspiré de licencieux. Il existe aussi des beautés fatales, ce qu'on appelle la beauté du diable, qui nous ramènent à l'exemple de Nastasia Philippovna, ou bien de Stavroguine, qui n'est pas absolument dénué de noblesse, mais si enfoncé dans le péché, qu'après avoir succombé, Lisa lui déclare que si elle restait avec lui, elle aurait l'impression de vivre avec une araignée.
Enfin cette beauté, qu'on nous demande de ne pas regarder, elle est elle-même l'oeuvre de Dieu, elle est à mes yeux un mystère qui m'a toujours éblouie. Enfant, je regardais les gens beaux avec ravissement, et j'en avais beaucoup autour de moi. Pourquoi Dieu a-t-il fait les gens beaux si ce n'est pour qu'ils soient attirés les uns par les autres, en vertu de leur complémentarité et pour obtenir un enfant qui devrait être conçu dans le bonheur intense et la tendresse mutuelle au lieu de l'être par une martyre rigide qui ferme les yeux en pensant à la France?
Je n'ai jamais vraiment parlé de cela à fond avec mon père spirituel, et j'avais même entrepris de le faire sous forme d'essai sur la question, mais il m'avait dit un jour qu'au delà de la dimension naturelle il fallait atteindre la dimension surnaturelle. Cela, je peux le comprendre, c'est ce que le père Barsanuphe m'avait exprimé avec son histoire de fromage et de dessert. Et le père Barsanuphe ne condamnait absolument pas la "chair" et son péché. Il m'expliquait que le but du mariage, c'était avant tout l'amour et que rien n'était péché entre un homme et une femme que l'Eglise avait unis. Il m'aurait répondu autrement que je ne me serais d'ailleurs pas convertie, tellement la pudibonderie me révulse. Mais dans ce passage du naturel au surnaturel, pourquoi effectuer des catégories et opérer des exclusions? L'amour inférieur, supérieur et tout ça? L'amour, c'est l'amour.
Dans le livre dont j'ai parlé hier, Arséni commence par vivre avec une jeune fille un amour total, mais il a tellement peur de la perdre qu'il finit par la mettre en danger de mort, et de perdition, et c'est après sa perte que cet amour devient surnaturel. Ce n'est pas le contraire, l'amour de Dieu qui devient charnel et ordinaire. Cet amour de Dieu, il n'est pas si facile à atteindre, et quand on n'est pas moine, quand on n'a pas renoncé au fromage pour le dessert, il nous arrive par toutes sortes de canaux inattendus, comme dit ma tante Mano, la vie n'est pas conformiste. Dieu non plus.
Ce qui me gêne, c'est ces séparations, ces catégories et ces hiérarchies pratiquées dans le tissu du créé, celui du vivant, et celui du divin dont il procède.
C'est pourquoi d'ailleurs pas mal de textes religieux me découragent et m'ennuient, quand ils n'ont pas de dimension poétique. Quand l'Esprit n'y est pas vraiment, qui unit toutes choses et souffle où il veut.