De temps en temps, je me trouve confrontée avec mes divers correspondants sur les réseaux sociaux, à la nécessité de répondre à quelqu'un, tout en sachant que c'est parfaitement inutile, et que si je le fais comme il convient, je risque de blesser ou effrayer la personne, La plupart du temps, je m'en sors en esquivant la réplique, je laisse courir. Mais quand je dis "necessité", c'est que l'individu insiste, il me contacte en message privé, il veut me convaincre. J'en ressens à la fois de la lassitude et de la colère. Comment dire? Je ne fais pas la même chose. Je ne vais pas chez quelqu'un pour le convaincre. J'expose publiquement mes convictions, je peux les discuter; je pense pouvoir me tromper, j'espère souvent me tromper, tant ce que je pressens est sinistre, j'estime même avoir le droit à l'erreur. En même temps, il y a des choses dont je suis sûre, je dirais instinctivement; mais en réalité, cette certitude s'établit à la suite de divers signaux, d'éclairs dans la nuit qui donnent une orientation en révélant certains aspects du paysage. Je pense que je n'ai pas à convertir les gens à mes points de vue, même religieux. J'ai à en témoigner.
Il y a quelques temps, j'ai vu un jeune médecin se comporter d'une façon frénétiquement haineuse et insultante avec l'un des professeurs "covidissidents", comme on dit en Russie, largement aussi compétent que lui, et j'ai vu ensuite que le freluquet avait fait machine arrière. J'ai publié les deux épisodes, ce qui m'a valu le reproche de jeter le discrédit sur la profession médicale et ses héroïques représentants qui nous défendent contre un affreux virus sur lequel on ne sait rien. Si c'était le professeur insulté, qui avait fait machine arrière, aurais-je eu droit aux mêmes reproches? Est-il exact qu'on ne sache rien sur ce virus, n'est-ce pas plutôt qu'on incendie et discrédite ceux qui savent, en les empêchant de soigner? Qui a intérêt à nous raconter des craques, d'éminents professeurs qui jouent leur carrière et sont l'objet de quolibets immondes, d'accusations fantasmagoriques; ou bien les médecins de plateaux qui émargent tous chez les labos mafieux, ou soutiennent une idéologie transhumaniste impliquant la destruction des humains surnuméraires, jusqu'à l'obtention d'un nombre raisonnable d'abrutis au service des surhommes? Le discours des "covidissidents" français, je l'ai entendu dans la bouche d'un honnête épidémiologiste russe qui ne comprend rien aux mesures totalement disproportionnées adoptées par Sobianine, désormais en charge de toute la Russie pour la gestion de la crise. Pas plus que ces divers professeurs que je choisis de croire, je ne nie l'existence de la maladie. En revanche, ce qui m'inquiète encore beaucoup plus que celle-ci, c'est la panique et la confusion délibérément entretenues, conduisant à l'impossibilité d'en parler sereinement, à des mesures absurdes et contradictoires, à l'interdiction de traitements appliqués avec succès, et à l'évidente installation d'une dictature électronique par des gens à qui je n'ai aucune envie de confier ma vie.
Je dirais aussi: qui a intérêt à croire les bonimenteurs et les oppresseurs, qui a intérêt à se rallier aux versions officielles? Un intérêt pas forcément matériel, un intérêt moral, intellectuel. Ceux qui croient à toutes les calembredaines depuis des décennies et dont le programme cérébral exploserait si on leur prouvait que ce conditionnement fait leur malheur et celui de tout ce qui les entoure. Ils sont tellement persuadés d'être dans le camp de l'intelligence et du bien que si brusquement ils ouvraient les yeux, ce serait l'effondrement psychique; la découverte de leur participation à l'abîme d'horreur où l'on nous précipite. Exterminer le contradicteur, ou simplement celui qui pense différemment, est pour eux le moyen de conserver l'illusion d'une santé mentale qu'ils ont perdue depuis longtemps. Ils ont leurs succédanés de livres saints, de prêtres et de mages qui leur répètent des incantations à longueur de journée, et ils suivent avec zèle, morts de trouille à l'idée de remettre en question l'idée qu'ils ont d'eux-mêmes et de leurs causes pourries . Par contrecoup, ceux qui par leur profession, servent ces causes pourries, dans l'enseignement, la culture, ont naturellement tout intérêt à suivre le mouvement, sinon, outre les difficultés financières subséquentes, ils seront l'objet d'un ostracisme social très difficile à vivre, j'en sais quelque chose. Je connais pas mal de gens que j'aime bien, autour de moi, qui ont adhéré aux idées "de gauche" pour ne pas rester tous seuls, parce que leurs pairs, les trouvant sympas, pensaient automatiquement qu'ils faisaient aussi partie de la secte, puisque aux yeux de cette secte, les hétérodoxes, c'est satan. Ce réflexe continue a fonctionner avec le covid: la secte adhère, les mages aussi, ils suivent.
Il y a ceux dits de droite qui ne suivent pas les idées de la gauche; mais ils sont persuadés que l'ordre établi a raison. Ils se pensent rationnels. Ils savent que des dérives totalitaires ont eu lieu dans le monde, mais ah ah ah, pas chez nous. Chez les Chinois, ces extraterrestres, chez les Russes, ces barbares un peu dingos. Chez les Allemands aussi, qui ne sont ni barbares ni dingos, mais on nous l'explique sans arrêt, ils avaient le gène intrinsèque du nazisme. Aussi chez nous, la démocratie est garantie, ainsi que l'incorruptibilité de la république, nous n'avons au sommet, dans le pire des cas, que des incompétents. Et si l'on fait partie de l'armée, par exemple, on ne défend pas, par l'intermédiaire de l'OTAN, les menées fourbes d'une oligarchie mafieuse devenue complètement folle, on défend la démocratie et la république; car sait-on jamais, avec les barbares de Russes et l'idéologie communiste, elle bouge certainement encore au delà de la frontière truffée de missiles le long de laquelle, à titre préventif, on fomente sans arrêt des révolutions de couleurs. Ceux-là naturellement, ont un autre programme dans la cervelle: ne plus croire en l'ordre établi, c'est la panique absolue. C'est beaucoup plus flippant que le virus, donnez-moi vite un masque que je continue à me bercer de l'illusion que le gouvernement veut mon bien et qu'il dépend de ma voix aux élections. Nous allons être bien sages, et tout va s'arranger. Pour eux, évidemment, les voix dissidentes des professeurs rebelles sont extrêmement déstabilisantes; car d'une certaine manière, ce sont des professeurs éminents, on devrait les croire. Oui, mais l'ordre établi nous dit le contraire, et même il présente, au cours de ses jeux du cirque, ces distingués spécialistes comme des charlots, des charlatans et des gâteux. Bon, alors, s'ils sont rebelles à l'ordre établi, c'est qu'ils ont tort. Parce que quand même, on ne va pas commencer à douter de l'ordre établi? Cela voudrait dire que toute notre façon de vivre s'écroule? Cela voudrait dire que nous ne savons pas à qui nous confions notre santé, notre économie, notre avenir et celui de nos gosses? Cela voudrait dire qu'on pourrait exercer sur nous Dieu sait quelles expériences sociales et sanitaires? Mieux vaut avoir peur du virus que d'une telle hypothèse, et honnêtement, je le comprends, moi aussi, je préfèrerais avoir peur du virus et de rien d'autre.
La trouille des uns et des autres va donc bien au delà de celle du virus. C'est celle de la remise en cause d'idées reçues rassurantes qui leur sont devenues une sorte d'exosquelette. Je redoute naturellement de toucher à cette carapace si facile à télécommander, parce que dessous se trouve un tel avec un psychisme fragile ou un tel qui est par ailleurs bien gentil ou qui a beaucoup de problèmes. Parfois, j'ai affaire à un vrai connard sans fragilité, la bêtise à front de taureau, alors là c'est plus facile, encore que j'ai autre chose à faire de ma vie qu'à briser des exosquelettes.
Amenée à rédiger tout ceci, je suis d'autant plus fumasse que j'essaie de prendre du champ . Je me suis fait exclure de facebook pour avoir publié la lettre de remerciements rédigée par Hervé Ryssen à ceux qui lui ont écrit en prison, il y donne de ses nouvelles et parle de ses interrogations religieuses. Je me suis retrouvée sur vkontakte, nettement moins malsain, nettement moins répressif, avec tous mes amis folkloristes russes. Malheureusement, des gens auxquels je tiens restent sur le réseau de l'extraterreste cireux aux yeux de poisson mort, qui rappelle de plus en plus le Gollum, mais je suis résolue à opérer un repli progressif. J'y serai sans doute aidée par les exclusions successives qui m'attendent, ainsi qu'un grand nombre de personnes de ma connaissance, frappées à leur tour en rafale. J'écoute et je fais de la musique, je dessine. Il est vrai que d'après un texte de Martynov, le compositeur, sur les derniers temps qui sont les nôtres, ces activités-là n'ont plus de sens, on est en train de détruire la culture et ce qui permet de la transmettre. Eh bien curieusement, c'est ce qui me permet de tenir pyschologiquement et même peut-être spirituellement. Ecrire, dessiner, faire de la musique, au jour le jour, comme les oies migrent. La question est de savoir comment transmettre, c'est un défi. Peut-être lire mes livres chapitre par chapitre et les publier sous forme de vidéos. Le folklore par internet, c'est plus dur, c'est comme les câlins virtuels. Justement, j'ai vu un dispositif permettant, tenez-vous bien, d'embrasser quelqu'un à distance; un pavé à léchouiller devant l'image virtuelle de l'objet de ses désirs. Assorti, comme disait avec poésie feu mon cousin Patrick, d'un gratte-moule? Et les gens ont peur du virus....
En réalité, je suis très armée pour les confinements, je ne m'ennuie jamais, mais c'est dans la mesure où j'ai de quoi vivre et où je peux encore communiquer, car si l'on en vient à déperir chez soi de faim et de froid dans la solitude totale, cela va devenir difficile à supporter, et cela pourrait venir, bonnes gens, je crains même que cela fasse partie du programme. Peut-être en Russie les choses seront-elles un peu différentes, mais pas radicalement. Nous aurons peut-être une dictature numérique tempérée et nationale sans disparition des Russes dans un métissage africain général. Mais quand je vois la gueule de Gref, le patron de la Sberbank, qui ressemble tellement au bon docteur Alexandre, le suppôt du transhumanisme, et celle de Sobianine, l'apparatchik borné et astucieux, j'ai quelques inquiétudes. Il est vrai que le président ne va pas tout à fait aussi loin. Mais quand même, le problème, c'est qu'à partir du moment où l'occident s'est lancé dans la course du progrès technologique, avec une rapacité implacable, tout le monde a été condamné à la surenchère ou à l'extinction. C'est d'ailleurs la seule excuse que je trouve à cette brute épaisse de Pierre le Grand. Alors nous aurons peut-être une version russe de la dictature électronique; mais nous l'aurons.
Les peintres de Pereslavl sont allés, en guise de protestation contre les promoteurs qui veulent intégralement bâtir les rives de notre lac, avec la complicité de la mairie, dessiner ces paysages uniques et menacés. J'étais pendant ce temps à Oulianovsk, mais je publie mes propres dessins sur vkontakte, pour m'inscrire dans le mouvement. Dessiner me fait du bien, me met en contact avec le Cosmos et son, Souffle, tant qu'on ne nous en a pas bloqué l'accès avec les écrans, les masques, les éoliennes et autres tours 5G. Je plains ceux qui grandiront au sein de cette horreur, de ce monde bâti à la triste image de ceux qui l'ont voulu ainsi, idéologues psychopathes, bandits, pervers, prédateurs divers, il sera de plus en plus difficile d'y glaner une vision, une révélation, une vérité qui sauvent, et ouvrent soudain des perspectives inconnues et libératrices.
Parmi ces dessins, et ces compte-rendus de réunions, quelqu'un a mis l'image du "roi Plechtcheï", courroucé de ce que subit son lac, et en effet, ce roi, cet esprit du lac, je l'ai vu, photographié et dessiné; le lac est un être vivant, un organisme, avec ses poissons, ses algues et ses roseaux, tout ce qui existe en lui et de lui, tout ce qui le nourrit, tout ce qui l'abreuve, un être qui contemple et réflechit la beauté du ciel, et dont les nuages sont les songes, tour à tour blancs, légers, grandioses et tourmentés, les peintres le voient bien. Les tristes prédateurs en costars ne voient rien, au nom de Mammon, ils salissent et exterminent toute vie sur terre. Et face à eux, nous ne pouvons que continuer à remplir notre fonction inverse qui est de vénérer, d'aimer, de sauver, de créer, jusqu'à la dernière minute, jusqu'au rouleau compresseur qui nous passera dessus. Je suis convaincue qu'en aimant la vie nous aurons malgré tout notre récompense, et qu'ils auront la leur, comme le roi Midas, mort de faim sur ses trésors.