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jeudi 15 octobre 2020

Gorokhovets


 


Nous sommes parties ce matin, Katia et moi, pour Gorokhovets, notre étape sur la route d'Oulianovsk, anciennement Simbirsk, vers l'est et le sud. En chemin, nous sentons partout la pression des masques, Sobianine s'en donne à cœur joie maintenant dans tout le pays. Katia a refusé d'en mettre un dans la station d'essence, en expliquant pourquoi au personnel, qui porte le sien sous le nez. "vous avez décidé que c'était nous qui devions commencer la révolution ?

- non, répond-elle, mais on se sert de chacun de nous pour surveiller le voisin et faire pression sur lui."

Nous avons ensuite, dans la voiture, discuté le fait, évoqué du reste par Karine Bechet Golovko dans son dernier article, que résister contre sa propre administration était bien difficile, dans cette guerre qu'elle mène partout à son propre peuple, d'autant plus dans le contexte où les forces mondialistes peuvent en profiter pour organiser une révolution de couleurs qui plongera le pays dans le chaos.

La route était magnifique, un voyage au pays doré des bouleaux blancs, élancés, évanescents, pétris de frémissante lumière sous des nuages miroitants, irisés, de larges morceaux d'azur et ces envols tourbillonants de feuilles scintillantes, pareilles à d'innombrables et précieux papillons. Je me suis longuement promenée à travers Gorokhovets, cette ville encore féerique, étagée sur l'escarpement qui surplombe la Kliazma. Les églises et les monastères semblent dater du XVI et du XVII siècle, les quelques palais de marchands également. On trouve quelques isbas plastifiées et d'horribles barrieres métalliques mais cela reste encore très joli, avec ces coupoles d'or qui apparaissent comme d'énormes fleurs du paradis au dessus des toits, au détour de palissades encore naturelles, mais pour combien de temps ? Évidemment, l'administration à fourré le long de la rivière une promenade bien rectiligne, bien pavée, bien bétonnée, avec d'affreux lampadaires, et planté des thuyas complètement déplacés près des palais du XVII siècle, parce que le thuya, c'est chic, c'est exotique. J'ai eu une pensée pleine de ressentiment envers Pierre le Grand et son goût de plouc parvenu, premier Russe à avoir fait du reniement de sa culture une loi autoritaire pour tout le reste de ce malheureux pays. Mais malgré ces regrettables détails, quel repos pour mon âme que cette promenade dans ce lieu de beauté et de poésie et dire que Pereslavl était comme cela il n'y a pas si longtemps et que maintenant, il n'y a plus rien à regarder, à part le lac que les promoteurs veulent définitivement défigurer et polluer... Oui, je sentais à quel point la beauté m'était vitale et que j'en étais finalement bien privée. 

Arrivée tout au sommet de la ville, près du monastere, j'ai été accueillie par un sonore carillon, et je contemplai cet océan d'or qui se déployait à l'infini sous les nuages, les églises semblaient des bateaux prêts à appareiller, de grands bâtiments blancs aux voiles luisantes et gonflées pleines d'oiseaux et de feuilles derivantes. Je suis redescendue lentement, puis je suis revenue par la berge derrière les palais, le couchant sur la rivière était pareil à de la braise rose couvant sous la cendre. Je me suis promis de revenir passer quelques jours dans cet endroit merveilleux pour dessiner, si l'ordre mondial ne nous enferme la ou nous habitons, avec un torchon sur la gueule pour le restant de nos jours. Mais sans doute le Christ ne le permettra pas et nous prendra avant dans son Royaume des coupoles d'or éternelles, des carillons inextinguibles et des séraphins chanteurs.














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