Hier soir tard, j'ai vu arriver Nil, qui vient tenter sa chance ici. Il avait fait un faux départ avant le vrai, pour cause de pass sanitaire, de test, et autres joyeusetés de la maison de fous covidienne. Ce matin, sans grasse matinée, le voilà parti visiter la ville. Gilles me téléphone pour nous demander de venir au plus vite rencontrer Didier, mais je ne savais pas comment contacter le jeune homme. Or il était déjà rentré de son petit tour, mais par discrétion, restait dans son trou, nous avons donc foncé au café.
Nous avons fait connaissance sur place, je vois que Didier est circonspect. Mais j'ai de l'espoir, car Nil me paraît avoir une bonne mentalité, d'aplomb, autonome, dégourdi, simple et pas sot.
Didier a voulu me faire la bise, puis s'est tout à coup enquis s'il le pouvait: est-ce que j'étais vaccinée?
- Non, et toi tu l'es?
- Bien sûr!
- Alors tu as peur de me contaminer?
- Non, j'ai peur que toi, tu ne me contamines!
- Je ne suis pas malade!
- Pourquoi tu ne fais pas le vaccin?
- Parce que je suis complotiste.
- Ah ça ne m'étonne pas de toi!"
Il y croit. Il reste contagieux, n'est dispensé d'aucune mesure, du moins en France, s'il y va, parce qu'ici tout le monde s'en fout, mais il y croit. Il a fait le vaccin russe, le Spoutnik V.
Il a tracé de Pereslavl un tableau assez peu engageant, l'hiver; c'est mort, le climat est terrible, marcher devient l'hiver très difficile, à cause du verglas. Nil trouve l'endroit très dépaysant, plus rien à voir avec Toulouse. Quand ma cousine était venue me voir, elle avait trouvé la Russie plus dépaysante que la Thaïlande. Il est sidéré par le mauvais goût chaotique de toutes les maisons plastifiées qui poussent n'importe comment et n'importe où. Et subjugué par le lac, qu'il trouve immense, et les nombreuses églises. Je lui ai montré l'embouchure de la rivière Troubej, l'église des Quarante Martyrs, celles du centre. Je lui ai fait faire la promenade du marécage, derrière chez moi, pour qu'il sût ou aller prendre l'air. Nous avons rencontré une vieille et son troupeau de chèvres, contemplé dans le vent froid et humide l'horizon nordique.
Pour Nil, la France est quasiment morte. même sa langue est en train de mourir. Arabisée, vulgarisée, mutilée. Il est convaincu, comme moi, que c'est le résultat d'une politique délibérée. Et aussi que l'abominable processus a commencé à la Renaissance. Ce processus, en Russie, a débuté beaucoup plus tard. Il restait superficiel jusqu'à la révolution. Ensuite, il a été imposé avec la brutalité que l'on sait, mais si les cicatrices sont profondes, il reste encore de la vie dans ce grand corps du peuple russe. Je lui ai dit que s'il apprenait le russe assez rapidement, il ne s'ennuierait pas à Pereslavl; et ce d'autant plus qu'il est orthodoxe. Il y a suffisemment sur place de personnalités pittoresques, attachantes et aussi créatives.
Demain, il attaque à quatre heures du matin, serein.