L'électricien Kolia est venu avec son copain Génia, pour étudier la partie de mon terrain à drainer. Ils vont mettre un tuyau souple prévu pour absorber les eaux et les conduire plus loin. Il n’est pas énorme et ne devrait pas nuire à mes plantations. Mais ils vont faire cela demain, quand je serai à Iaroslavl, où je vais rencontrer l’urologue. Il vaut mieux ne pas attendre, la terre est encore malléable mais cela ne va pas durer.Il faudra sans doute rajouter de la terre, mais j’essaierai de faire cela délicatement, contrairement à mon voisin.
Je vais de mieux en mieux, mais j’ai encore
toutes sortes de douleurs bizarres. Et puis des coups de fatigue. Ma cousine me
prend pour une force de la nature, or s’il y a de la force en moi, ce n’est pas
de moi qu’elle vient, mais de Dieu et des saints intercesseurs auxquels je
m’adresse. L’hôpital m’a au contraire dévoilé toute ma faiblesse. Ce fut une
véritable descente aux enfers, et je l’ai assez vite ressenti comme une épreuve
spirituelle destinée à m’arracher à mon état précédent pour me pousser en
avant. L’épisode de la tombe du père Boris et de la confession au père Gérasime
ont été des signes qui me l’ont confirmé et qui sont venus comme des
encouragements précieux.
Je n’ai toujours pas réussi à envoyer la
lettre pour Spyridon, en Belgique, avec le sable de cette tombe. Je suis encore
allée à la poste aujourd’hui, il y avait bien quinze personnes devant l’unique
guichet ouvert. Comme on passe généralement dix ou quinze minutes sur chaque
client, cela me fait reculer. Mais je vais aller dans une autre poste, où m’attend
un colis que je ne pourrai pas me faire livrer, parce que je n’en dépends pas,
pourtant si on cherche mon adresse sur internet, c’est justement celle-là qui
est indiquée !
Mercredi soir, Veniamin le Suisse m’avait
invitée à venir regarder l’émission qu’on avait tournée sur lui et sur ses amis
cosaques, et j’avais participé, on me voit dix secondes. Le film est très bien,
avec de jolies prises de vue, Veniamine est très beau, avec des yeux bleu des
mers du sud. Les cosaques m’ont accueillie littéralement à bras ouverts. Le
mercredi soir est le jour de leur réunion hebdomadaire, qui a lieu maintenant
dans les dépendances d’une église en voie de restauration, Saint Serge, à côté
de la cathédrale où je vais, dans le centre. Des adolescentes avec une guitare ont
chanté en chevrotant des chansons à la noix, dont une en anglais, ce qui m’a
paru profondément ennuyeux et plat, mais ces mêmes gamines, quand elles ont
entonné des tchastoutchki, des refrains satiriques accompagnés à l’accordéon
par l’oncle Slava, se sont révélées naturelles, enjouées, avec des voix fermes,
expressives et sonores. L’un des cosaques, dont le nom m’échappe parce que le
covid m’a ralenti les synapses, nous a donné un cours de percussions, le rythme
cosaque qui rappelle le pas des chevaux, le rythme caucasien. Il a expliqué que
le rythme lui avait permis de récupérer après des problèmes de santé qui l’avaient
beaucoup diminué, parce qu’il agit sur le physique et le mental, qu’il nous met
en contact avec la dimension cosmique de l’existence. Le rythme, et en règle
général la pratique d’une activité artistique, développent l’intelligence, la
concentration, j’en suis très profondément persuadée, et n’ai cessé de le
constater en maternelle. Ce cosaque a un fils, qui l’accompagne sur son tambour,
et qui non seulement possède bien ce fameux rythme, mais bée d’admiration
devant son père, et rayonne de la joie de jouer avec lui d’égal à égal. Ce
petit garçon a dansé avec un copain, ils ont dansé avec tant de naturel, de
grâce, de bonheur, je les ai chaleureusement félicités. Son père m’a remerciée
d’être là : «Vous êtes pour Pereslavl un enrichissement culturel.
Veniamine et vous faites partie de notre culture locale, que malheureusement
les habitants de notre ville bien souvent méprisent et que vous aimez. »
Moi qui songeais parfois à me rapprocher de
Moscou et d’un hôpital correct, j’ai compris que ce n’était pas possible, que j’étais
liée à Pereslavl, à ses cosaques, à son café français, à ses monastères, son
évêque, son père Gérasime et son père Pantaleimon, son père Andreï et son père
Vassili, au petit Aliocha et à ma voisine Ania, que faire ?
Sur le site de la ville de Pereslavl, les gens
ironisent souvent sur les cosaques, et se scandalisent de leurs jeux guerriers,
de l’esprit guerrier dans lequel ils élèvent leurs enfants, mais cet esprit
guerrier est noble, chevaleresque, héroïque, et c’est précisément ce dont les
enfants ont besoin. Les enfants des cosaques partagent cela avec leurs pères, et
ils sont épanouis, gentils, bien élevés. Alors que les gosses de tous ces
pacifistes ricanants écoutent de la musique étrangère de merde complètement
dégradante, se promènent avec des fringues ridicules et des mines renfrognées ou
tâtent peut-être de la drogue.J’ai lu avec horreur que parmi tous les innombrables
animaux abandonnés de la ville, certains sont atrocement torturés par des
créatures des ténèbres, cela m’a fait froid dans le dos. Car les monstres
capables de cela s’attaqueront aux humains à la première occasion. Or les
cosaques ne sont pas comme cela, et leurs enfants, malgré leurs jeux guerriers,
ou sans doute même grâce à eux, n’ont pas cette vilenie ni cette cruauté. Les
cosaques sont ce que je connais de mieux à Pereslavl, avec le clergé et les
fidèles de nos nombreuses églises. Et aussi les artistes peintres. Ils sont
purs.