Je ne suis pas allée à
l’église, le temps, la flemme, la visite d’un intellectuel français, de son épouse et de
leur copine, et puis après-demain, c’est la saint Nicolas, à laquelle j’aurai
le temps de me préparer comme il convient. L'intellectuel est un homme charmant, très
distingué, très cultivé, très intelligent. Il comprend bien la Russie, et il
est passionné depuis sa jeunesse par la politique, il en saisit tous les
mécanismes, ce qui n’est pas du tout mon cas. Moi je marche à l’instinct (de
conservation). C’est un inconditionnel de Poutine, qu’il voit, aux prises avec une cinquième et une sixième colonnes actives et pourvues de
puissants soutiens, essayer d’arracher, de la Russie et du monde, la tunique de
Nessus du globalisme, et préoccupé avant tout de garder l’arrière de ce dur combat
dans la paix, sans trop de pertes économiques et humaines.
Parallèlement, Tatiana Mass, une
journaliste russe en exil en France, parce que tombée du mauvais côté, celui
des pays baltes, au moment de la chute de l’URSS, (elle ne pouvait plus obtenir
le droit de vivre en Russie, à l’instar de la plupart des Russes des ex
républiques), écrit que Poutine, en dépit du respect qu’il lui inspire, se
fiche de la culture, et qu’il a bien tort. Et en effet. Les ministres de la culture
successifs ne font qu’en encourager la démolition. De Gaulle aussi abandonnait
la culture à n’importe qui, on a vu le résultat. Slobodan Despot, dans son
dernier Antipresse, évoque l’installation du numérique en Russie, qui de ce
fait, n’est plus un refuge, à ses yeux, pour les gens qui veulent éduquer leurs
enfants normalement ou simplement vivre normalement. Dans l’avenir, je ne sais
pas, mais pour l’instant, si, et on est obligé de nos jours de vivre au jour le
jour. Poutine a déclaré qu’on ne pouvait éviter la numérisation de la société
sans exposer la nation à sa perte, et je ne peux qu’admettre son point de vue, on est souvent forcé de s'aligner sur les progrès technologiques qui donnent aux autres l'avantage. C’est
d’ailleurs ainsi que le monde fonctionne depuis cinq cents ans, depuis que l’Europe a commencé à sortir du christianisme pour s’engager
dans un humanisme judéo-protestant progressiste, luciférien, conquérant, et
disons le mot, prédateur. La Russie a dû aussi s’adapter, et en a beaucoup souffert,
mais je me demande si elle avait tellement le choix. Elle a essayé de dégager
un chemin personnel, au XIX° siècle, dans l’esprit de la société traditionnelle
et de l’ethique chrétienne, mais tout cela a été assassiné avec le dernier tsar
et sa famille. Maintenant encore, elle semble promouvoir un chemin personnel,
dans la mesure où elle condamne les dérives idéologiques délirantes de l’occident,
dont les masques tombent un à un, mais son appareil, élevé dans l’esprit des
jeunesses communistes, reste dans le culte aveugle du progrès, l’adoration
servile de l’occident et la barbarie culturelle. Poutine dit une chose, l’appareil
fait ce qu’il veut.
Pour l’instant, l’installation du numérique ne
nous induit pas une tyrannie dystopique comparable à celle de l’Europe, et plus
particulièrement de la France. Je déteste Gref, qui est l’objet d’un autre
article de ce même Antipresse, je m’en méfie comme de la peste, sa physionomie
me rappelle celle de l’affreux docteur Laurent Alexandre, chantre du
transhumanisme. Cependant, pour voir un conseiller à la Sberbank, je n’ai pas
besoin de prendre rendez-vous, il me suffit d’y aller, de retirer un ticket à
la borne pour attendre mon tour, et si je ne comprends rien, on m’explique
aimablement, ou on le fait à ma place. Le paiement de mes factures par QR code
est on ne peut plus simple, je scanne un papier après l’autre, je pourrais même
scanner mon arrêt de mort dans la foulée, mais c’est simple. Je ne suis pas
favorable au tout numérique dans l’absolu, mais ne ressens ni oppression, ni
coercition. Et quand je consulte mes comptes, tout me paraît limpide, alors que
je n’ai jamais rien compris à ceux du Crédit Agricole.
Un autre article de l’Antipresse
évoque la complexité insurmontable des moindres démarches en Europe, ou poster une lettre devient un exploit, il est bien connu
qu’on a découragé le petit commerce et la petite exploitation agricole autant
par ces persécutions administratives, qui imposent à longueur de temps des
pensums interminables à de petites gens accablées de travail, que par les impôts
injustes et la concurrence déloyale. Je n’ai pas l’impression ici qu’on emmerde
les gens systématiquement et à tous propos. Alors qu’en occident, il en est
ainsi depuis fort longtemps, et cela s’aggrave terriblement à présent. On a même l'impression que l'unique souci de tous ces vampires et ces goules est d'empoisonner l'existence de leurs administrés, de les priver de tout, de leur voiture, de leur maison, de leur fêtes, de leur culture, de leur foi, et même de leur famille et de leurs animaux domestiques.
Evidemment, l’appareil
progressiste au front bas soutient ici le numérique n’importe comment, et en
particulier, à l’école, et à l’école particulièrement, j’y suis violemment
opposée. Néanmoins, si dangereux que soit le numérique, il faudrait surtout, dans la mesure où l’on n’en fait pas un outil d’extermination et d’asservissement
de son propre peuple, développer parallèlement une culture qui permette de
résister plus ou moins à ses effets pervers. Or ce n’est pas du tout ce qui se
passe. La télé, la radio vomissent en permanence de la merde dans les
cervelles, le cinéma, la littérature sont soumis à de gros débiles qui allient
le mauvais goût à celui de l’argent. Slobodan dit que ne pas aimer l’Europe les
ferait passer pour des ploucs, mais c’est précisément parce qu’ils sont des
ploucs qu’ils ont cette prédilection pour l’Europe, ou plutôt pour l’image qu’ils
en ont dans leurs cervelles de ploucs.
Sur son expérience du Donbass,
Iouri avait écrit un scénario « le Témoin », qui reflète une réalité
aussi cruelle qu’extraordinaire, avec des bons mouvements inattendus de la part
d’ennemis qui n’auraient pas été censés les avoir. Torturé pendant dix jours,
il a pardonné à son tortionnaire, fait prisonnier à son tour, et a été lui-même
sauvé par des géorgiens, grâce à son amour de leur poésie nationale, qu’il leur
a parfois récité dans le texte original. Bref, son scénario est vraiment un
témoignage humain et historique, de surcroît bien écrit. Il a proposé plusieurs
fois ce scénario à des gens susceptibles d’en tirer un film, et au ministère de
la Culture. Il lui fut répondu que ce n’était pas le moment. Or un film vient de
sortir, avec le même titre, le Témoin, financé par le ministère de la Culture
et Gazprom, le héros n’en est pas un poète dissident, revenu faire le
correspondant de guerre au Donbass agressé par Kiev, mais un violoniste juif et
belge, qui porte pratiquement le nom de la femme de Iouri, Dany Kogan, il s’appelle
Daniel Cohen ! Iouri
explique, dans une vidéo, que pour lui, le problème n’est pas tant qu’on lui ait
plagié son oeuvre, mais qu’on l’ait fait si mal, et avec une si totale
inutilité pour la cause qu’on prétend défendre. Dans un article consacré à l’affaire,
une amie de Iouri, Elena, explique comment le cinéma russe est anéanti par le
pognon mafieux.
De même, très souvent, si des
marches russes ou des chansons soviétiques de la guerre de 40 sont interprétées,
c’est avec une nullité et une vulgarité modernistes américanoïdes indescriptibles,
pour avoir l’air dans le coup, pour répondre au goût infâme de ceux qui
décident et de ceux qui paient. Tout cela crée un bain de merde corrosif pour
les âmes, les intellects et les mentalités, et c’est bien aussi grave que la
numérisation du pays, pour l’instant encore respectueuse de la
liberté personnelle des gens.
Il faut savoir que si les hommes de pouvoir, les fonctionnaires et les oligarques ont toujours été plus ou moins
pourris par définition, les peuples n’ont pas toujours été aussi incultes, et
par conséquent, sans défense. Ils avaient leur culture paysanne, orale, antique
et solide. Les satrapes passaient, le peuple demeurait.
Mon visiteur épris de
politique estime qu’il ne faut plus parler de la Russie aux Français, que c’est
inutile, mais qu’il faut en parler aux Russes, et leur parler aussi de l’occident,
afin qu’ils ne répètent pas nos erreurs. Il considère comme moi que la
substitution de l’écrit à l’oral n’est pas un progrès mais un appauvrissement.
C’est-à-dire que présenter la très pauvre instruction dispensée par les écoles
comme un progrès absolu par rapport à « l’analphabétisme » des
générations passées qui avaient tout ce qu’elles savaient enregistré dans leur
mémoire incroyablement développée, ce qui est
le fait autant de la République que de l’URSS, est complètement faux. La
plupart des gens qui savent lire ne lisent rien et ne savent rien, n’ont plus
de mémoire, plus d’histoire, plus de sens artistique, plus de développement
personnel ni spirituel. Et plus de recours face aux conditionnements, aux
perversions du goût et des moeurs. Dans la société russe du XIX° siècle,
coexistaient encore une puissante culture orale populaire et une culture
livresque remarquable, lyrique, l’une nourrissant l’autre. Le destruction de l’une
par les plus mauvais éléments de l’autre n’a pas donné grand chose de bon.
Néanmoins, il me paraît
évident que les plus bandits ici, en dehors des métastases mondialistes, restent des êtres humains, disons de l’espèce
des opritchniks, des cosaques de Pougatchov ou de Makhno, tandis que le
personnel politique extraterrestre de l’occident n’a de nom en aucune langue. Et
d’autre part que Poutine, qui surfe sur tout cela d’après mon intellectuel, n’a
pas l’intention de nuire à son peuple, de le faire disparaître, au contraire, il encourage la natalité, il économise la vie de ses soldats.
Alors que je suis persuadée, en ce qui concerne la caste
occidentale mondialiste, que c'est son programme planifié de longue haleine, avec une malveillance consciente et fourbe.
Mes visiteurs devaient rester deux jours, mais pas de chambres d'hôtel, tout est bourré, les trains, les bus: la tempête de neige se double d'une compétition sportive, je vois passer aujourd'hui en boucle, bondissant à travers les congères, des marathoniens emmitouflés. La femme du monsieur n'est pas enthousiaste à l'idée de quitter la France, mais elle est convaincue que les choses ne vont pas dans le bon sens. Leur amie connaissait la Russie mais n'avait pas pratiqué la langue depuis des décennies. Elle m'avait apporté des graines et des bulbes de son jardin. Elle a mon âge, l'émigration lui fait peur, rester peut-être plus encore. J'ai mis tout le monde en relation avec un Russe blanc qui fait le retour au pays de ses ancêtres.
Je n’ai vraiment pas besoin de
décorer mes fenêtres de flocons artificiels, la tempête de neige fait à nouveau
rage, et l’on prédit un réchauffement qui va transformer tout cela en cauchemar
savonneux et verglacé. Au réveil, j’ai vu une vidéo selfie tournée par un jeune
soldat ukrainien de dix-neuf ans, juste avant sa mort. « Nous sommes en
enfer », dit ce beau garçon complètement désespéré qu’on a envoyése faire tuer pour les intérêts des amis de la Démocratie et de l’Humanité, les philanthropes
du billet vert. Les soldats russes ne sont pas dans cet état d’esprit, mais ce
sont généralement soit des militaires de carrière, soit des volontaires. Pas des
gens que l’on attrappe au lasso pour les envoyer se faire réduire en chair à
pâtée ou alimenter le trafic d’organes. Le visage de ce garçon, et son
désespoir me poursuivent. Dieu ait son âme, et que son sang retombe sur ceux
qui lui ont préparé un tel destin.