Je suis partie en France sur la pointe des pieds. Je ne voulais pas que des commentaires pussent entamer ma résolution, ni attirer sur moi le regard de l'oeil de Sauron. Le séjour fut riche en émotions et enseignements, mais le voyage, en revanche, l'a été en toutes sortes de mésaventures, et je ne suis pas en mesure d'écrire pour l'instant la chronique de ces deux semaines, car le petit portable russe où j'avais tout noté est resté dans ma valise à Casablanca.
Depuis les sanctions, on ne peut plus aller en France, comme dit l'expression russe, qu'à travers l'oreille gauche, et tous les voyages sont des chemins de croix généralement ruineux. Le mien l'était. Ruineux et pénible. J'avais choisi Air Maroc, parce qu'il n'y avait qu'une seule correspondance, classique, sans avoir réceptionner ses valises et repasser toutes les formalités de douane à chaque correspondance, et il y en a parfois deux ou trois.
Je n'avais pas vu les miens, ni mon pays natal, depuis quatre ans. Fin 19, j'étais revenue avec la ferme intention de ne pas laisser passer trop de temps, et d'y aller au mois d'avril. Et puis, le covid... Comme je ne voulais ni voyager étouffée pendant des heures sous une couche-culotte, ni subir le test absurde et sadique qui consiste à aller chercher jusqu'au cerveau des traces du virus si contagieux, ni surtout la piquouse du bon docteur Fauci et de tous ses pareils, j'attendais la fin de cette folie furieuse. En novembre 21, je l'ai attrapé à l'hôpital, et le temps de guérir, déjà début 22, c'était l'intervention russe en Ukraine... J'ai remis à des temps meilleurs, mais il s'avère que ceux-ci se font vraiment attendre, et ce qui pointe à l'horizon n'est pas encourageant. Je suis donc partie, sur la pointe des pieds, et à "l'ombre de Mars", de ces événements répugnants et de ces déclarations inquiétantes. J'en parlerai quand j'aurai récupéré la valise et le petit portable.
Hier, j'ai quitté ma tante que j'adore, et j'ai marché jusqu'au métro, car on n'est sûr de rien, à Marseille, quand on appelle un taxi, et il me fallait prendre la navette pour Marignane. Ma valise n'était pas trop énorme mais quand même, il faut monter et descendre des marches, je n'ai plus vingt ans. Après quelques stations, on s'arrête à la Timone, et débroullez-vous: incident technique. Je monte, complètement perdue, l'escalier, avec ma valise, et une beurette me dit: "Je vais aussi à Saint-Charles, je vais vous montrer." Elle a même insisté pour qu'on m'acceptât dans le bus bondé.
Une fois à Marignane et la valise enregistrée, j'ai entamé une longue hibernation sur une chaise, à écouter les annonces feutrées, et voir passer et repasser tout le Mahgreb, avec beaucoup d'enfants. L'avion est parti avec un quart d'heure de retard, et il a accentué ce retard en vol, puis au lieu de se fixer à un tunnel d'accès, il nous largue au diable vauvert, avec des bus qui mettent des heures à se remplir. J'avais vingt minutes pour faire la correspondance avec l'avion de Moscou. On m'avait indiqué une porte qui n'était pas la bonne, j'ai dû courir en sens inverse, haletante et au bord de l'infarctus. Je suis montée dans l'avion in extremis. Mais pas ma valise.
On va me la livrer dans le courant de la semaine, mais outre le petit portable, j'ai là dedans les bégonias des fidèles de Solan dans une boîte hermétique avec du sopalin humide, et de la semence pour faire du kéfir de fruits...
Ces péripéties ont duré pratiquement vingt quatre heures, et je ne ferais pas ça tous les jours, mais je suis contente de l'avoir tenté, au cas où. Je regardais, sur la route de Iaroslavl, défiler le paysage hivernal et chaotique, et je pensais à la France qui périclite et s'étouffe sur elle-même, de plus en plus baillonnée, liée de bandelettes sournoises par les sectateurs de Mammon, préssés de l'achever. Les chats avaient visiblement décidé que je les avais abandonnés, qu'il leur faudrait désormais s'accommoder de la dame venue, sur la fin du séjour, adoucir leur solitude. Quand je suis entrée dans le jardin, j'ai vu Moustachon immobile, les yeux exorbités, qui semblait se demander s'il n'avait pas la berlue, et s'est approché en bondissant, dès que le son de ma voiх lui eût prouvé que c'était bien moi. Aussitôt a rappliqué Robert. Puis Blackos. Georgette, sur le bord de la fenêtre, semblait elle aussi penser qu'elle avait une hallucination. Mais Rom, qui avait pratiquement disparu pendant mon absence, n'osait même pas approcher, et poussait des cris déchirants en me regardant de loin! Enfin il a décidé que ses sens ne le trompaient pas, et il est venu se frotter frénétiquement sur mes jambes, en tapissant mon jeans de poils. Rita revient demain, j'irai la chercher au café français, il paraît qu'elle languit, moi aussi.
Je recommande cette vidéo très éclairante sur la situation de la France et la mentalité qui l'a permise.
Hier soir, je suis allée au
«Hérisson repu » avec Katia. Elle voulait me présenter une amie
artiste-peintre qui a magnifiquement et simplement arrangé une isba dans un
village du coin, mais elle n’avait pas pu venir. Elle fait de très beaux
tableaux, qui me rappellent un peu Zinaïda Serebriakova, pas du tout dans la
facture, mais dans l’esprit, le style d’inspiration, du moins en partie, parce
qu’elle peint aussi beaucoup de portraits de soldats, qui ne sont pas joyeux.
Cette artiste, Arina Fedtchina, s’habille plutôt style russe, elle semble
sensible et forte, et se dévoue à la cause des soldats russes, particulièrement
à ceux qui sont à l’hôpital ou qui reviennent de celui-ci ou du front sans
aucun point de chute, orphelins ou anciens détenus. L’un d’eux a été débarqué
en fauteuil roulant sur le quai de sa gare de destination en pleine nuit, avec
300 000 roubles en poche, et démerde-toi. Beaucoup de soldats sont mal
reçus dans les restaurants et les cafés, car ils rappellent la réalité des
choses aux gens qui veulent s’amuser tranquilles, ce qui m’a rappelé l’histoire
de mon oncle et ma tante, vieillards dignes et encore beaux, qui avaient cessé
d’aller à la plage parce qu’on leur avait fait comprendre qu’ils étaient indésirables :
on voulait attirer le client avec des pin up et des play boys. D’autres sont
agressés par ceux qui épousent la cause occidentale. Arina fait des loteries
avec ses tableaux pour recueillir de l’argent, des expositions de portraits de
soldats. Je suis consternée par ce qu’elle a dit à Katia, on dirait qu’il y a
deux mondes parallèles, le pays réel qui conserve les qualités russes, et toute
une frange de beaufs et de dégénérés. C’est le cas dans pratiquement tous les
pays, en tous cas, les pays de civilisation européenne et chrétienne,
particulièrement visés et soumis à des pratiques dissolvantes dans tous les
domaines de la vie, pourrir la culture, anéantir la spiritualité, calomnier l’histoire,
discréditer le sentiment d’appartenance nationale et tout notion de fidélité, d’honneur
et de sacrifice. Katia m’a parlé d’un rapper russe qui s’élève contre des
vidéos au contenu satanique, désespérant et suicidaire destinés aux enfants et
adolescents, et au festival de cette tendance, qui a lieu deux fois par an,
sous le nom sarcastique de « festival du futur ». De sorte que nous
avons d’un côté les jeunes soldats qui retournent à la foi, avec des visages
purs et transfigurés, les jeunes qui retournent aux traditions nationales, les
jeunes de la tradition orthodoxe, et des gamins déstructurés qui se jettent
dans le satanisme et la débauche, sous l’influence de ce qui a perdu l’occident
lui-même. On peut en ce sens, parler de guerre civile mondiale, entre ceux qui
se donnent à l’autodestruction de la civilisation dont ils sont isssus, et ceux
qui la défendent. Mais comment la défendre, si le gouvernement, même ici, ne
nettoie pas fondamentalement les écuries d’Augias ? Je crois qu’il le
faudrait par l’union, l’organisation et les actions ciblées. Boycott de toute
firme qui promeut ce qui nous détruit, pétitions, manifestations, promotion de
tout ce qui peut s’opposer à cet acide chlorydrique qui nous défigure. On voit de façon de plus en plus net se dessiner un tableau apocalyptique en tous points conforme à celui des Ecritures. Il faut choisir son camp. Et lutter.
Nous avons aussi évoqué la
Palestine, et le massacre intégral de ses habitants devant une « communauté
internationale » qui ne bout pas plus d’indignation que devant le Donbass
ou le Yemen. Il y a des criminels toujours blanchis, parce que ce sont eux qui
détiennent le pouvoir, de façon ouverte ou occulte.
Nombreux sont les gens à
penser comme moi que c’est l’Occident qui a liquidé Navalny, et pas seulement
lui, d’ailleurs.
Ici un article qui analyse les
choses en ce sens :
D’autre part, j’ai vu passer
la vidéo d’un chef d’entreprise français installé en Russie qui me semble
donner une très juste appréciation de la Russie actuelle :
Curieux. Juste au moment où l’interview de Poutine fait un carton
planétaire et sème la panique chez les globalistes de la caste, voilà que
Navalny meurt fort opportunément en détention. Cela donne une merveilleuse
occasion de crier et de pleurer à ces gens qui laissent crever Assange en
prison et ont laissé crever ce bloguer américain dans les geôles de Zelenski.
Je ne connais pas encore les détails mais j’inclinerais à penser que l’OTAN a
soudoyé quelqu’un pour lui faire la peau, d’ailleurs, c’est ce que j’ai
toujours pensé à propos de Nemtsov, qui ne représentait aucun danger pour
Poutine, mais qui pouvait beaucoup mieux servir ses adversaires mort que
vivant. Il vient un moment où les traîtres ne peuvent plus être utilisés que
sous forme de martyrs. Le prochain, demande un commentaire russe, ce sera
Zelenski, que l’on mettra sur le dos de Poutine ?
J’ai vu une horrible vidéo de gamins défilant dans la rue, en Espagne,
habillés en putes, avec des bas résille et des drapeaux arc-en-ciel, et les
badauds, parmi lesquels, sans doute, leurs parents qui ne voudraient surtout
pas passer pour des rétrogrades, prennent des photos avec des airs attendris.
Pendant ce temps, circule la vidéo russe d’une fillette qui dit, les larmes
aux yeux, un poème à son père parti au front, poème de sa composition, qui fait
référence à la guerre précédente, celle de quarante, certes, nous ne sommes pas
ici au pays des woke et des transgenres... J’étais tombée auparavant sur un extrait
de film soviétique sur cette même guerre, avec des sentiments de sacrifice, de
fraternité, de dépassement de soi, et je comprenais que cette mentalité russe
de la communauté sacrée, d’un sentiment national charnel et mystique, m’avait
séduite dès mon adolescence, que je l’avais trouvée dans toutes les expressions
du christianisme orthodoxe, mais qu’elle apparaissait encore jusque dans les
films soviétiques, comme la Ballade du soldat, et je la retrouvais dans cette
petite fille et son poème. Et puis ensuite, j’ai vu un autre poète, un jeune
soldat. Qui dit ses propres vers, sur la fin de la guerre, et le moment où les
enfants du Donbass qui grandissent dans des caves ne seront plus qu’un chapitre
d’une histoire déjà lointaine, et je regardais ses yeux, car c’est tout ce
qu’on voit de lui, avec son masque, des yeux doux et fervents, tristes et très
purs, je souhaitais de tout mon coeur qu’il revînt vivant, que prît fin cette
horreur etque saint Michel terrassât le
dragon.
Dans ma jeunesse, j’avais vu quasiment au même moment « Andreï Roublev »
de Tarkovski et « le Septième Sceau » de Bergman, deux films à thème
médiéval et à contenu métaphysique que j’avais beaucoup aimés, et en lesquels j’avais
constaté une profonde différence entre la spiritualité orthodoxe et la
spiritualité occidentale, si l’on peut parler de spiritualité dans le film de
Bergman, qui la cherche douloureusement, mais ne la trouve pas. Et puis
Bergman, c’est le protestantisme, encore faut-il le dissocier lui-même de
la partie catholique et latine de l’Europe ; mais c’est en fin de compte
le protestantisme qui est devenu ce qu’on appelle aujourd’hui l’Occident, qui a
pris le dessus au cours des cinq derniers siècles. La religion médiévale que
montre Bergman dans son film est une caricature protestante et contemporaine du
catholicisme de l’époque, quels que soient les sentiments qu’on puisse éprouver
à son égard. Toujours est-il qu’à la veille de ma conversion à l’orthodoxie, la
comparaison entre les deux univers avait contribué à me décider pour celle-ci.
Je suis tombée sur un article du magazine orthodoxe «Thomas » qui
établit la même comparaison entre les univers respectifs des deux cinéastes et
jette un éclairage supplémentaire sur la nature du choix que j’avais fait
alors. Ce qui est pour moi intéressant, c’est que Tarkovski, dont la
spiritualité cosmique est très proche de la mienne n’est pas un orthodoxe pur
et dur du point de vue de l’auteur de l’article, il est sous toutes sortes d’influences,
un intellectuel russe des années soixante. Oui, en effet, et sans doute que moi
non plus, le père Barsanuphe me disait que j’avais un chemin particulier, la
mère Hypandia aussi, mais pour le père Barsanuphe, en tous cas, et sans doute
aussi pour la mère Hypandia, il ne sortait pas pour autant du cadre de l’orthodoxie.
Ce qui me frappe, c’est que Tarkovski, d’après l’article, est « ensorcelé
par la beauté cosmique de ce monde, que les gens abîment, perdus qu’ils sont
sur les chemins d’une voie civilisationnelle mal choisie qui détruit cette
harmonie. Tarkovski ne cherche pas de coupables individuels mais les
destructeurs globaux de ce monde magnifique, qui ont finalement eu recours à l’arme
atomique. »
Cette démarche s’oppose à celle de Bergman, « fils révolté de Dieu »
qui « de film en film s’adresse au Sauveur, tantôt attendant de lui une
réponse, tantôt lui demandant de se justifier pour la souffrance de l’homme
devant le silence de Dieu ».
Mais c’est que justement, Dieu ne répond pas aux questions, et cette
confrontation me rappelle celle d’Aliocha Karamazov et de son frère Ivan, je
savais déjà en mon coeur, quand j’ai lu les frères Karamazov et que j’ai vu ces
deux films, que Dieu se connaît à la façon d’Aliocha se prosternant pour baiser
la terre sous le ciel étoilé, ou d’Andreï Tarkovski, dans sa perception sacrée
et communautaire de l’humanité et du monde qu’elle occuppe, et non comme au
tribunal, sous le feu de questions indignées et souvent à côté de la plaque, où
d’ailleurs le Christ lui-même se taisait. Mais comment faire comprendre l’attitude
d’Andreï et d’Aliocha à Ivan et Ingmar ? Ivan et Ingmar sont partis sur
ces chemins erronés qui mènent le premier au suicide et le second à la danse
macabre finale de son film plein d’épouvante et de désespoir. Dieu se connaît
par l’élan du coeur, la gratitude, l’émerveillement, et la conscience de sa
petite place dans l’immense cathédrale de son Existence qui nous respire.
J’ai vu que le nouveau café « le pain d’épices de Pereslavl »
proposait une soirée rencontre des créatifs de la ville, pour prendre le thé
ensemble et échanger des idées. Les créatifs étaient une quinzaine, mais
c’était plutôt des créatives, aucun homme parmi nous. Il y avait des sortes de
brioches moelleuses et caramélisées absolument délicieuses et bien sûr, des pains d'épices, aux si jolis moules, dans l'esprit des moules anciens. J’ai joué des
gousli et chanté des chansons gaies, parce que c’est bientôt la maslennitsa.
Les créatives étaient un peu étonnées ; cela n’entrait visiblement pas
dans leur appréhension de la Française typique. Mais après un départ un peu
froid, tout le monde a commencé à rigoler et à fraterniser, les gosses sont
même venus danser. Et la céramiste qui expose à la galerie locale m’a proposé
d’y mettre mes livres en vente, ce qui m’arrangerait bien, car j’en ai tout un
stock. «Finalement, nous ne savons vraiment pas apprécier notre propre
culture... ont observé toutes ces dames.
- Ne m’en parlez pas, c’est là dessus que je disserte à longueur de
pages ! »
La Sainte Rencontre. Une pensée pour la mère Hypandia, bien qu’elle l’ai
fêtée selon le calendrier grégorien le 2 février, jour de mon anniversaire.
J’aime bien cette fête, et le vieillard Syméon, ainsi que les icônes qui lui sont consacrées, toujours joyeuses et tendres, sauf quand elles sont sentimentales et gnangnan. Le sentimental et le gnangnan sont le signe que les gens ont déjà l'âme trop épaisse pour percevoir encore le joyeux et le tendre.
A l’église, j’ai salué la vieille directrice d’école, qui m’a
souhaité un bon anniversaire avec un certain retard. Elle a 75 ans, et
considère que je suis une jeune fille. De fait, je ne marche pas encore avec
une canne, bien que j’en ai acquise une sculptée main, très jolie, à tout
hasard. Elle m’a dit de ne pas me faire de souci, qu’à la Russie, il n’arriverait rien, car elle est sous la protection de Dieu. Je lui ai répondu que je m’en faisais pour la France. « Ah la France... » a-t-elle soupiré.
Je me sentais pleine d’amour pour toute la paroisse, ses prêtres, ses
diacres, ses servants d’autel, son sacristain, ses vendeuses de cierges, ses mères de familles nombreuses et leur marmaille. Ils
sont tous si gentils, si attentifs, et je ne les vois jamais cancanner les uns
sur les autres, critiquer, ils sont parfois renfermés et sévères, mais c’est
juste que les Russes ne prennent jamais un air aimable systématique, ils ont le
sourire sincère.
Il a neigé pratiquement toute la journée, je n'arrive même plus à enlever tout cela. Mais c'est un bel hiver, propre, lumineux, féérique. Je relis toujours Ioulia Voznessenskaïa; je cherche des sponsors pour la traduire. Ses livres sont étonnement prophétiques, mais ils ne sont, en fin de compte, pas du tout déprimants. Le monde "merveilleux" qu'elle décrit avec une candeur et un humour rafraîchissants, est bien proche du nôtre, mais il n'est pas sans lueurs ni sans issues. Je m'interroge sur le caractère prophétique de certaines oeuvres, qui correspond peut-être à la perception de l'enchaînement logique des causes que l'on connaît et de leurs conséquences inéluctables, ou bien à la relativité et à la nature du temps, à ses prolongements éternels.
Je m'aperçois que si je lis moins, c'est que je n'y vois rien. J'aimerais trouver une liseuse qui me permette de charger dessus n'importe quels livres, et pas ceux d'une liste accréditée. Sur le canapé de mon bureau, de jour, je lis sans problèmes, c'est vraiment une trouvaille de l'avoir installé là.
Comme d’habitude, il m’a fallu me pousser à l’église, hier matin, et je
n’ai pas communié: la flemme de lire les prières, de rester sans même un verre
d’eau le matin. Cependant, j’ai ressenti une grande consolation. J’ai entendu un sermon sur le pardon, et je pensais aux trois mégères de l'autre jour et
à leur traquenard. Je n’éprouve pour elles que du mépris et de l’indifférence,
je ne sais pas si on peut appeler cela du pardon; quand je serai capable de plaindre de telles personnes du fond du coeur, je serai une sainte, susceptible de passer de l'autre côté sans examen de rattrapage. Je m'abstiens juste de les détester, mais je ne peux pas dire que je les aime.
Chaque fois que j’entends parler
cet homme, mes doutes à son sujet s’évaporent. Et l’article de Quentin le
caricature d’une façon à mon avis très réductrice, bien que certaines questions
soient effectivement inquiétantes, pourquoi ne quitte-t-il pas l’OMS, par
exemple. Mais dire que c’est un personnage médiocre, timide et falot me paraît
extrêmement exagéré. L’auteur de l’article, un patriote orthodoxe moldave, lui
reproche de ne pas être intervenu au Donbass dès 2014, mais je ne sais pas s’il
était en mesure de le faire alors, depuis, il a rétabli les réserves d’or de la
Russie et réarmé le pays en douce. Un ami du père Valentin pense qu'on lui avait fait alors du chantage aux avoirs russes qui étaient tous off shore. Je pense souvent à ce que dit Igor
Drouz : en Russie, tout n’est pas merveilleux, mais quand on regarde ce
qui se passe en Europe, on est content d’être ici. Poutine a peut-être des défauts,
mais quand on regarde le personnel politique occidental, on est content de
l’avoir.
La jeune femme qui supervise le café français est une poutiniste
fervente. Elle me dit que, le comparant à Carlson, elle voit toute la
différence de mentalité entre les Russes et les occidentaux, parce que Poutine
est naturel, et Carlson pas du tout.
Le topo historique qu’a fait Poutine en début d’interview ne m’a pas appris
grand chose, mais il a certainement été utile à beaucoup de gens, il remet bien
les pendules à l’heure.
Devant mes photos du ciel bleu de février, tous les Français
s’extasient : pas de chemtrails ! Et en effet, pas de chemtrails. Je
vois plein de photos et de vidéos troublantes du phénomène. Des quadrillages
serrés, des tortillons exubérants, on ne va pas me faire croire que c’est lié
au trafic aérien qui, de toute façon; est maintenant réduit. Mais alors
qu’est-ce ? Une amie me dit que cela ne peut pas être organisé par la
caste qui nous veut tant de bien, à moins qu’elle ait décidé de s’arrêter de
respirer, et l’argument est valable. Mais il y a quelque chose de bizarre,
quand même... Or le même Carlson, qui a interviewé Poutine, a fait une vidéo là
dessus. C’est réel. C’est le milliardaire Bill Gates qui, dans sa tête malade,
a décidé de manipuler le climat et de créer un voile artificiel pour arrêter
les rayons du soleil et empêcher le « réchauffement climatique »... Il
ne s’agit pas d’empoisonner les populations, comme le pensent certains, juste
de nous créer artificiellement un hiver nucléaire. Nous sommes arrivés à un
moment où n’importe quel hurluberlu richissime peut s’amuser à perturber
gravement l’environnement sans que personne ne se décide à le placer dans une
cellule capitonnée.
Eh bien en Russie, nous n’avons pas de chemtrails, notre ciel, quand il est
bleu, il est bleu. J’y vois le signe encourageant que la Russie n’est pas
complètement asservie au NOM. Les deux livres apocalyptiques de Ioulia
Voznessenskaïa, écrits il y a trente ou quarante ans, avaient aussi prévu cela: tout le monde asservi à l’antéchrist,
sauf la Russie, dont on ne sait absolument plus rien et qui est constemment
accusée de tout.
Dans le même ordre d’idée, Kennedy junior nous explique comment Black Rock,
Monsanto and co entretiennent la guerre en Ukraine, et y sacrifient allègrement
toute la population. La population, ils s’en foutent, ce n’est pas la leur,
d’ailleurs, même la leur, ils s’en foutent, on peut aisément la remplacer, et
l’on s’en occupe déjà. Donc sacrifier à leur Moloch 500 000 ou un million
de slaves, abrutis ou non par la propagande, quelle importance ? Les
slaves, parmi les blancs chrétiens, sont de toute façon ceux qu’on exècre le
plus, chez ces gens-là.
Je suis certaine que l’extermination des Russes, et même des Ukrainiens, n’entre
pas dans les plans du dictateur Poutine, qui encourage la natalité, mobilise
avec parcimonie, épargne les civils, on l’accuse même ici d’être un peu trop
moulligasse avec l’ennemi.
Et dans le même temps, l’éradication des Palestiniens continue joyeusement,
ce ne sont jamais que des Arabes. Des sous-hommes. Quelque chose dans le genre
des indiens d’Amérique. Des Irlandais ou des Boers. Des Russes du Donbass. Des
Serbes du Kosovo. Des gêneurs. Mais cela commence à faire un peu désordre. Il y a des impostures qui font moins bien recette. La démocratie, les valeurs occidentales, tout ça, tout ça...
L’Ancien Testament sans le Nouveau, ça craint. J’écoutais l’Evangile du
jour. La femme païenne qui poursuit Jésus dans la rue pour obtenir la
guérison de sa fille. Il fait la sourde oreille et finit par lui dire : «Il
ne convient pas de donner aux chiens la nourriture des enfants ». La femme
répond : «Mais les petits chiens mangent les restes qui tombent de la
table des maîtres ». Et Jésus guérit sa fille, en vertu de sa grande foi.
Le prêtre qui commentait expliquait que la phrase du Christ pourrait paraître
très dure, mais qu’elle n’était pas dite à l’intention de la femme, dont il
aurait de toute façon guéri l’enfant, mais à celle de ses disciples, encore
imprégnés du préjugé que seule leur tribu élue était digne de prier Dieu et d’en
recevoir des bienfaits. Ce message, qui a 2000 ans, ne passe toujours pas très bien.
En face de
moi, un paysage d’hiver idyllique, tout est blanc, tout scintille sous la
lumière et un ciel bleu laiteux. Mon jardin n’est plus que congères sculptées
par le vent où serpentent les sentiers que je dégage à la pelle. Il fait à nouveau très froid, sans doute pour la dernière fois, cet hiver. C'est un bel hiver russe.
En face, se
poursuit le saccage de la maison de l’oncle Kolia. Le gars, qui est dans le
bâtiment, fait une verrue sur pilotis au ras de la jolie façade, s’il l’avait
reculée de deux mètres, pour laisser un perron couvert, et faire la nouvelle
maison sur l’arrière, l’impression serait toute différente, mais pas le moindre
goût, évidemment, à quoi pouvais-je m’attendre, quand un « architecte
moscovite célèbre » écrase tout le pays avec un OVNI en verre
lourdingue qui ne tient aucun compte de son environnement ? Heureusement,
je me rends compteque ce désastre ne
sera pas trop visible. De la terrasse et de ma fenêtre on ne voit déjà presque
rien, même en hiver, quand le thuya et le genévrier auront pris encore un peu
de hauteur et de volume, je pense que la pauvre isba disparaîtra presque
complètement. Elle ne me réjouira plus la vue, mais ne la gâchera pas non plus.
En revanche, j’entendrai sûrement la radio...
Les
bénévoles de «Tom Sawyer Feast », qui chaque année repeignent une
maison traditionnelle pour sauver de Pereslavl ce qui peut l’être encore
discutent de leur prochaine saison. «Quel intérêt de repeindre des
ruines ? » demande un jeune type, dont la page ne montre que des
motos, des bagnoles, et un intérieur dont la fantasmagorique laideur me
conduirait en deux jours à la folie furieuse. J’ai répondu : « L’intérêt,
c’est que vos maisons contemporaines étant généralement affreuses, sans style,
sans proportions, sans goût, il faut sauver des modèles de maisons normales
pour les générations futures, et même pour notre équilibre et notre
développement intérieur. Sans compter qu’on n’attire pas les touristes en
transformant une vieille ville pittoresque en favella chaotique. »
Les paysans
semblent durcir le mouvement autour du parlement de Bruxelles, et je crains
que l’on en commence à leur tirer dessus. Je ne sais pas s’ils ont complètement
intégré qu’ils ont affaire à une mafia sans aucun principe, sans aucune
empathie, sans aucun honneur, sans aucune parole, sans foi ni loi, ni patrie? Parce
que tant que tout le monde ou presque ne l’aura pas compris, tous ces
mouvements n’auront pas de résultat, sinon celui d’aggraver le flicage et la
répression.
Parallèlement,
dans le trou noir bleu et jaune, des justiciers ont tabassé l’admirable
métropolite Longin, homme de foi et d’amour, qui a élevé des centaines d’orphelins
avec une affection qu’ils lui rendent bien. En ces temps où Satan est déchaîné,
toute la détestation de ses valets se concentre évidemment sur ce genre de
personnes. Le métropolite, dont la santé est très ébranlée, a échappé de peu à
la mort. Et que disent les suppôts ahuris d’un des principaux responsables de cette
persécution, le patriarche de Constantinople ? « Le métropolite s’est
poché les deux yeux en tombant de lui-même ».
Bon, ils n’ont
quand même pas dit « très bien, très bien », comme dans le psaume,
mais je ne sais pas si c’est mieux, au fond. C’est juste faux-cul.
Et ils ont coupé le bouleau, pour qu'on voie mieux cette tristesse...
Sur VK, une jeune ethnographe a posté quelque chose sur le costume russe paysan et les différences entre la représentation qu'on en donnait et en donne encore au cinéma: marronnasse, grisâtre, misérable. tous ceux qui s'intéressent comme elle à la question, savent qu'il n'en était rien, que le costume et l'intérieur des paysans étaient pleins de couleurs et de poésie. Mais en France aussi, si l'on représente le Moyen Age et le monde paysan, on va habiller les gens de guenilles sinistres. C'est la raison pour laquelle, bien dressés, des tas de gens comme le jeune homme dont j'ai parlé plus haut, détestent tout ce qui peut rappeler un passé pourtant beaucoup plus attractif et intéressant que leur présent, authentiquement banal et affreux, lui. C'est un exploit du diable d'avoir pu faire préférer sa camelote hideuse à ce qui était harmonieux et vrai. Et le "merveilleux nouveau monde" est à son image.
Rita est
tout à fait tirée d’affaire, capricieuse, quémandeuse et hargneuse comme
auparavant. Sa cicatrice se présente bien. Nous sommes entrés dans la période des tempêtes de neige, mais il ne fait plus très froid, et c'est même beau, tout blanc, avec un ciel qui, la nuit, de clair qu'il est au dessus de la ville, devient ténébreux dans la direction du lac, et des flocons tournoyants..
Il y a des
moments où j’ai le vertige devant la direction qu’a pris mon destin. Certes, je
ne regrette pas d’être partie, le père Placide a eu du nez. Mais je me demande
d’abord comment j’en ai eu la force, et ensuite, comment je ne pète pas les
plombs, quand l’iceberg Russie s’éloigne toujours plus de l’iceberg Europe, emportant tous les miens, enfin, ceux qui sont encore en vie, mais je pense aussi
aux descendants, que je ne connais pas ou mal, et qui sont de notre sang... La situation se dégrade, les dirigeants occidentaux perdent complètement la tête et la mesure, en pleine hybris de la tragédie grecque. Tous ces vampires de la caste sont prêts à sacrifier allègrement des millions de gens, comme en Ukraine, et à les remplacer par des esclaves exotiques importés, et je crains que trop peu de Français ne le réalisent encore. Après avoir encouragé la veulerie et la démission pendant des décennies, voilà qu'on nous fait sans vergogne le coup de la mobilisation, mobilisation pour qui, si la France ne doit plus exister, si se dire Français est raciste et ringard? Est-il possible que des gens ne voient encore pas les grosses ficelles? Cette vidéo dit tout, avec talent, avec courage et lucidité.
J’ai vu un extrait d’une émission d’Arte, et je suis étonnée que la chaîne
servile du sinistre BHL diffuse une chose pareille. Un moine Bulgare analyse la
situation de son pays, inféodé aux maîtres de l’UE, comme il l’était naguère à
l’URSS, et qualifie les points communs de terrifiants. Puis il déclare que
s’il est devenu moine, c’est en partie par horreur de la société où nous sommes
appelés à vivre et que nous prépare le Nouvel Ordre Mondial. Je le comprends, et
son choix me paraît judicieux. J’ai rapproché ce témoignage du souvenir que j’ai
de Solan, cette enclave de paradis dans une France ravagée par sa mafia, avec
ses admirables et intelligentes moniales, la beauté des bâtiments, de la nature
environnante qui retrouve sa santé sur leur soixante hectares sauvés des
pesticides et de l’exploitation intensive. Et aussi du livre de Ioulia
Voznessenskaïa, si prophétique, "le voyage de Cassandre ou aventures avec des
macaronis", un roman de science fiction orthodoxe qui décrivait d'avance, dans les années
quatre-vingt ou quatre-vingt-dix, l’épouvante où nous sombrons, et que j’aimerais
bien traduire. Les seuls lieux préservés y sont des monastères des catacombes,
où des moniales enfantines et sublimes résistent
à l’antéchrist.
Aujourd’hui,
la contestation radicale, c’est le monastère, et demain, ce sera encore plus
vrai.
J’ai fêté
mon anniversaire hier, j’avais invité quinze personnes sans savoir comment j’allais
les caser, et en préparant des tonnes de bouffe, il n’en est pas venu la moitié
pour toutes sortes d’excellentes raisons, comme dans la parabole évangélique.
Mais celles qui sont venues ont aussi apporté des tonnes de bouffe dont je ne
sais pas que faire. J’en ai congelé, mais il en reste.
Néanmoins,
nous avons passé une bonne soirée, il y avait Katia, et son amie Elena,
psychologue orthodoxe, Veniamine le Suisse vieux-croyant, Ania Osipova et sa
mère, Angelina Pavlovna, Génia Kolesov, qui organise les concerts du bar et ma voisine Macha Serjantova. Les discussions
étaient intéressantes et personne ne faisait de conférences en ne laissant pas
les autres en placer une.
La veille j’étais
tombée dans une embuscade. J’avais été invitée à faire
une conférence de dix minutes, à la bibliothèque, sur mes romans, dans le cadre d’une
journée Ivan le Terrible qui, en fait, m’est apparue plutôt comme le procès de Laurence Guillon. Je me doutais qu’il y aurait la jeune femme qui m’accuse de
salir la mémoire des Basmanov, mais pas que tout tournerait autour de cela. Il
y avait la directrice du musée, et des guides, plus des gens divers, et la
première à parler présentait un livre, qui n’était
pas de son cru, sur Ivan le Terrible, à l’usage des enfants, et expliquait qu’il
rétablissait la mémoire de ce tsar, victime d’une véritable campagne de
propagande occidentale, dont j’étais l’un des vecteurs. D’ailleurs, qu’est-ce qui
aurait pu me pousser à venir vivre dans un pays que cette patriote trouve trop peu attractif pour qu’on choisisse de plein gré de venir s'y geler, sans y être
poussé par des intentions malfaisantes ? Mes romans étaient un acte de
sabotage pour pervertir la jeunesse russe, c’était l’argumentaire de l’adoratrice
des Basmanov, qui siégeait, avec un sourire permanent, au premier rang, dans
les commentaires venimeux qu’elle m’avait adressés sur VK, il y a quelques temps.
J’aurais dû m’étonner de voir, dans cette assemblée, la rédactrice de ma
traduction de Yarilo, accompagnée de son fils, elle aussi tout sourire, car Ivan le Terrible n'est pas précisément son sujet. Il est vrai qu'elle avait alors envisagé un débat que j'avais refusé, eh bien comme ça, j'étais contrainte de m'y prêter.
Après l'accusation de ce procureur, j’ai vu la championne des Basmanov monter à la tribune pour y
faire une conférence qui m'a paru très longue sur les héros de son village. En somme, le tsar et toute l’Opritchnina
étaient victimes d’un complot occidental depuis la Renaissance: d'abord, outre les
traîtres répertoriés Kourbski et Staden, tous les étrangers présents à Moscou à l'époque qui avaient pu écrire sur ce thème lettres ou mémoires; puis tous les
historiens russes du XIX° siècle, occidentalistes et pleins de mépris pour la
Russie d’avant Pierre le Grand, (ce qui n’est d’ailleurs sûrement pas faux, dans
une certaine mesure); et tous les écrivains, peintres et cinéastes qui se sont
inspirés de tout cela, y compris Eisenstein. Eisenstein étant homo lui-même a
transposé ses fantasmes sur le Fiodor Basmanov de son film, le faisant danser « déguisé
en Anastasia, la femme défunte du tsar », ce qui me semble de la pure
spéculation, si le jeune homme qui est, dans le film beau, mais viril, danse
déguisé en femme, je n’ai jamais fait le rapprochement entre son costume et
Anastassia. Cela ressemble plus à une plaisanterie de joyeux guerriers, mais même les danses et la fête lui paraissent relever des clichés sur l'ancienne Russie, pour quelqu'un qui s'intéresse au folklore, c'était un peu dur à entendre... D’après
elle, on a démonisé une organisation honorable qui « luttait simplement contre les
traîtres », sans exécutions fantasmagoriques, tout se passait très
gentiment, très correctement, "rien de personnel". Oui, bien sûr, c’était aussi la fonction officielle de la Tchéka, et aujourd’hui,
du reste, tous les nostalgiques de Staline justifient son action, et minimisent
les répressions, ou en calomnient les victimes. Pourtant, en effet, les traîtres existent,
et il faut les empêcher de nuire, mais quand s’en occupe une organisation de
justiciers, il est rare qu’il ne se produise pas bientôt de fâcheux
débordements, c’est une des problématiques de mes romans.
Après cette intervention, une autre personne est venue parler de la mère d’Ivan
le Terrible, Elena Glinskaïa, de sa brève régence, c’était visiblement une
historienne qui connaissait son sujet, et elle a conclu en disant qu’au regard
de la discussion d’aujourd’hui, on pouvait, quel que soit l’opinion qu’on avait
du tsar, mettre à son crédit d’avoir débarrassé la Russie des tatars, établi un
impôt progressif qui épargnait les pauvres et faisait payer les riches, racheté
de sa poche les gens que les tatars enlevaient pour les vendre comme esclaves,
et non seulement je souscris mais j’y ai même fait allusion dans mes romans.
A la suite
de cela, une guide a déclaré que selon les principes démocratiques, on tenait à
donner la parole à l’auteur du livre contreversé. J’y suis allée, la bouche
désséchée par l’émotion, car je déteste les conflits et je me demandais bien ce
que j’allais répondre à des attaques de ce niveau sans perdre mon calme. Mais tandis que tout cela se déroulait je me disais que
c’était la première fois que j’étais confrontée à une telle situation, mais peut-être pas la
dernière, et qu’il fallait simplement parler avec sincérité, non pas à l’intention
de celles qui avaient ourdi ce qui devait être une exécution publique, mais de
ceux qui étaient venus écouter le débat.
J’ai dit qu’apparemment,
j’aurais dû me faire accompagner d'un avocat, mais qu’à défaut, j’allais produire la lettre
que m’avait écrite Elena Semionova, ma future éditrice, qui aime Ivan le
Terrible depuis son enfance, passée près d’Alexandrov, qui est patriote,
orthodoxe, monarchiste, et publie sur les derniers tsars ou les héros du
Donbass. La lettre a fait grosse impression, et puis, malgré mon émotion, j’ai
commencé à être portée par l’inspiration. J’ai dit plus ou moins : «Je ne
sais pas trop que répondre, car je ne reconnais pas mes livres dans la
caricature qu’on en a faite. J’ai évoqué les relations homosexuelles du tsar et
de Fiodor, ce qui était un fait avéré jusqu’à ce qu’on eût décidé d’en faire
des saints irréprochables. Alexis Tolstoï a traité cela de façon beaucoup plus
caricaturale que moi, il est vrai qu’il n’était pas français, il en avait donc
le droit ! Cela dit, je n’ai aucune scène pornographique, et je ne fais
pas l’apologie de l’homosexualité. Au contraire, ni Fiodor, ni le tsar ne sont
des personnages effeminés, l’un et l’autre sont convaincus qu’il n’est d’amour
complet qu’entre un homme et une femme, ce que le tsar a connu, et dont il est
nostalgique, et que Fiodor connaît par la suite. Ce qui les lie est plutôt de l’ordre
de l’amitié grecque. Que voulez-vous, ce genre de choses existe... et alors il ne faut
pas en parler ? Je ne suis pas historienne, je suis écrivain, j’ai fait un roman, ou plutôt ce roman s’est
fait tout seul, je n’ai eu que peu de pouvoir sur le processus, à part sur la
stylistique et la grammaire. Il est sorti comme cela. Et j'estime que j'ai fait plutôt une apologie du mariage orthodoxe que la propagande de l'homosexualité. Tout ce que je viens d'entendre dire, sans parler de mes romans, sur le film d’Eisenstein lui-même me paraît
très subjectif. Il est bien évident que lorsqu’on épouse une thèse avec
fanatisme, on va tout ressentir à travers le prisme de la conformité à sa vision
des choses, mais un avis n’est pas forcément malveillant parce qu’il n’est pas
le vôtre. Dans le film d’Eisenstein, quand j’étais jeune, j’ai vu un tsar
idéal, charismatique, transporté par sa mission, adulé des uns, haï des autres,
un époux épris de sa femme qui l’admire éperdument, un univers beau, sacré et
envoûtant, avec des sentiments fervents et intenses, bref, tout ce qui manquait
à ma vie dans les années soixante-dix, à Paris. Absolument pas une caricature. Je suis bien persuadée moi-même qu’Ivan le Terrible a pu être
calomnié, cela dit, je ne parlerais pas de propagande pour une époque où la
presse n’existait pas, où l’on mettait trois mois pour venir d’Europe jusqu’à
Moscou, les nouvelles n’allaient pas vite et peu de gens y avaient accès. Il
est clair que les Polonais étaient peu enclins à lui trouver des qualités. Mais
certains étrangers sont élogieux à son égard, et si sir Jerome Horsey est un
Anglais de la Renaissance déjà contemporain par la mentalité, qui ne comprend
rien à la Russie ni à l’orthodoxie, je ne mets pas en doute ses témoignages
très vivants, et pour ce qui est des éxécutions, celle du mage anglais du tsar
donne vraiment des cauchemars, j’ai regretté d’avoir lu cela. Et pourtant, je
pense qu’Ivan le Terrible était un grand homme d’état. Mais vraiment pas un
saint. Ceux qui le servaient non plus. Je ne doute cependant pas que les
Basmanov père et fils étaient des héros, qu’ils se battaient avec courage et
efficacité, est-ce que cela les empêchait d’être en proie à toutes sortes de
passions ? Nous avons en France Gilles de Rais, brave homme de guerre, compagnon
de Jeanne d’Arc, un héros véritable, il a pourtant sombré dans de terribles
abominations et fini sur le bûcher. Peut-être que j’ai noirci dans mon roman le
père Basmanov, mais je suis partie d’une supposition psychologique, celle que
Fiodor trouvait dans le tsar une image paternelle qu’il admirait, j’ai lu que
le père et le fils se détestaient, il devait y avoir des raisons. J’ai essayé
de comprendre comment un garçon peut en venir à couper la tête de son propre
père, ou bien est-ce que ce fait relève encore de la calomnie occidentale ? Et
au fait, pourquoi ne parle-t-on pas, dans la conférence que j’ai entendue, des
témoignages de l’Eglise ? Que fait-on là dedans du métropolite Philippe ?
J’ai fait le voyage aux Solovki pour me recueillir sur les lieux qu’avait
habités ce saint homme, pour qui j’ai une grande vénération. J’y ai trouvé une
biographie de lui, pas une hagiographie, mais une biographie historique. Je me
suis aperçue que le métropolite Philippe était un homme très doux qui avait
horreur des conflits. Comment et pourquoi, si tout était si parfait, en est-il
venu à s’opposer au tsar, à lui refuser sa bénédiction au risque de sa vie ? »
Je sentais que
j’étais portée, que quelque chose se passait en moi, et que l’assistance
réagissait favorablement. Là dessus, le fils de ma rédactrice me demande d’un
ton angélique quelles sont mes sources, comme l’abonné au Monde dans les récits
de Christian Combaz. J’avais déjà évoqué, dans mon discours, les livres que j’avais lus sur la
question, et pour ne pas me répéter, je lui ai répondu : «Oh je ne m’en souviens pas, je ne les ai
pas notées. Comme je l’ai dit, j’ai fait un roman, pas un ouvrage historique,
je faisais mon miel de ce que je lisais, un point c’est tout. »
Alors sa
mère, sans perdre son sourire amène, m'a demandé, selon la technique de l'inversion accusatoire, de m'excuser auprès de la spécialiste des Basmanov, qui m'avait attaquée avec beaucoup d'agressivité sur internet, pour la réponse que je lui avais faite. J’ai déclaré que j’avais dit ce que j’avais à dire, et que je rentrais chez moi, car tout cela commençait à me fatiguer, et je suis sortie de la salle. Une femme m’a rattrapée pour me demander où trouver
mon livre. «Prenez-le, je vous le donne », ai-je répondu en lui tendant l’exemplaire prévu pour la bibliothèque. Mais elle a tenu à le payer, et si j’en avais
apporté d'autres, j’en aurais même pas mal vendu! Je suis allée en chercher qui
restaient dans la voiture, pour la directrice, venue me dire qu’elle ne savait
pas que cela allait se passer de cette manière, qu’elle était désolée. «Vous
savez, ai-je répondu, ce n’est pas plus mal, car je viens de
comprendre que depuis des mois, des tas de choses se disaient dans mon dos,
maintenant, on me les a dites en face, et j’ai répondu de même. »
Les vendeuses de cierges de la cathédrale s'étaient cotisées pour m'offrir une nappe et des maniques, j'ai trouvé cela adorable. Et la femme du père Vassili est venue me prendre la main et, la serrant très fort, en me regardant avec intensité, m'a souhaité encore de longues années pleines de joie, utiles, productives, ce qui m'a beaucoup touchée.